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20/01/2011

mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

NDLR .- Note rédigée le 24 avril 2011, jour de Pâques .

Bel oeuf pondu ce jour là .

Comme Volti, je dis "suis-je sûr de deux mois/semaines/jours/heures de ma vie ?" . Qui le sait ?

Il vivra, en fait, encore quatre mois, seulement . Je dis seulement, mais mon avis est d'un égoïste qui n'a pas eu  à souffrir comme lui .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

A Ferney, le 20 de janvier [1778]

 

Mon cher ange, en voici bien d'une autre ! Il faut pour le coup que je me jette dans les bras de votre providence, de votre sagesse et de cette constante amitié qui fait la consolation de ma vie . Je suis trop jeune, je ne sais pas me conduire, à moins que je ne sois toujours à l'ombre de vos ailes .

 

J'ai cru qu'il était de mon devoir de vous envoyer la lettre que je reçois d'un de vos protégés i, et la réponse que je lui fais . Je ne doute pas que vous n'engagiez votre ami M. de Thibouville à mettre sous ses pieds cet oubli de toutes les bienséances ii. Je lui mande qu'autrefois M. de Ferriol, votre oncle l'ambassadeur à Constantinople, disait, s'il m'en souvient, qu'il n'y avait d'honneur ni à gagner ni à perdre avec les Turcs iii.

 

Si vous trouvez ma réponse à votre ancien protégé convenable et mesurée iv, puis-je vous supplier de la lui faire tenir aussi bien que celles que j'ai dû écrire à M. Suard v et à Mme Vestris, et à un M. Monvel vi qu'on dit avoir beaucoup d'esprit, beaucoup de sensibilité et beaucoup de talents, avec très peu de poitrine ?

 

Une chose encore bien importante pour moi, c'est de demander très humblement pardon à madame votre secrétaire de lui avoir fait écrire des choses qui certainement ne subsisteront pas, car tout ne sera fini que vers Pâques ; et c'est vers ce saint temps que je compte vous apparaître comme Lazare sortant de son tombeau .

 

Je vous conjure encore plus que jamais de faire retirer la copie qui est peut-être au tripot vii, et les rôles qui peuvent être chez les tripoteurs et les tripoteuses . Je suis réellement perdu, s'il reste dans le monde le moindre lambeau de ces haillons . Vous sentez que la publicité de ces misères est très à craindre : elle arrêterait tout à coup un jeune homme dans le commencement de sa carrière ; mais, soit au commencement, soit à la fin, il est certain que cela me ferait un tort irréparable .

 

Songez, mon divin ange, que je passe les jours et les nuits à remplir la tâche très difficile , mais très nécessaire, que vous m'avez donnée . Songez que je marche sur des charbons ardents . J'ose espérer que je ne me brûlerai pas la plante des pieds, parce que je vous invoquerai en subissant une épreuve qui surpasse mes forces .

 

Vous savez de plus combien il y avait de vers faibles à fortifier, de nuances à observer, d'expressions familières à supprimer, de petites choses à réparer pour les faire servir à de plus grandes ; enfin combien l'esquisse était indigne de vous viii. Vous avez été trop bon ; mais vous m'avez rendu difficile contre moi-même . J'ai deux mois, au moins par-devant moi, et je vais les employer à vous plaire ; mais suis-je sûr de deux mois de ma vie ?

 

Sub umbra alarum tuarum . »

i Lekain, qui a refusé de jouer le rôle d'Alexis dans Irène et qui avait écrit le 13 janvier pour se justifier qu'il « n'a plus les forces suffisantes pour soutenir un rôle jeune et vigoureux » surtout plusieurs fois par semaine ; il proposa de jouer un autre rôle dans la pièce . Il mourut le 8 février, alors que V* arrivera à Paris le 10.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lekain

ii Thibouville, chargé d'organiser la représentation avait critiqué sévèrement le refus de Lekain ; le 12 janvier, dans une lettre aux Comédiens, il avait parlé du « procédé indigne et révoltant de M. Le Kain pour son bienfaiteur » ; l'acteur s'était montré mécontent dans sa lettre à l'auteur.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri-Lambert_de_Thibouville

iii Irène se passe à Constantinople .

http://www.voltaire-integral.com/Html/07/07IRENE.html

iv Le 19 janvier, V* propose à Lekain le rôle de « l'ermite Léonce » , et Lekain répondra à son tour : « Il est aisé de remarquer au ton de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire que l'on vous a prodigieusement aigri contre moi ; vous le déguisez quelquefois avec une politesse à laquelle je suis très sensible », et acceptera le rôle de « l'ermite » bien que n'ayant « ni le ton, ni le caractère, ni la tournure de ces sortes de rôles ». Voir page 150 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80043w/f155.image.r=46.langFR

vi V* a appris que c'était Monvel qui avait « lu la chose » (Irène) à l'Assemblée des Comédiens ; c'était un auteur et un acteur . http://fr.wikipedia.org/wiki/Monvel

vii A la Comédie-Française.

viii V* reçoit les critiques et suggestions non seulement de Thibouville et des d'Argental, mais aussi de Condorcet conforté par Suard, Turgot, ...

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