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11/11/2011

il eût été un grand homme ; mais de tels héros sont pendus aujourd'hui

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« A M. de Cideville

A Prangins, le 23 janvier [1755]

Mon cher et ancien ami, car , Dieu merci , il y a cinquante ans que vous l'êtes, vous avez sur moi de terribles avantages . Vous êtes à Paris ; vous avez une santé et un esprit à la Fontenelle ; vous écrivez menu et avec plus d'agrément que jamais ; et moi je peux rarement écrire de ma main, et je suis accablé de souffrances sur les bords du lac de Genève . La seule chose dont je puisse bénir Dieu est la mort de Royer i . Dieu veuille avoir son âme et sa musique !

Cette musique n'était point de ce monde . Le traitre m'avait immolé à ses doubles croches, et avait choisi, pour m'égorger, un ancien porte-manteau du roi, nommé Sireuil . Dieu est juste, il a retiré Royer à lui, et je crains à présent beaucoup pour le porte-manteau .

Si on s'obstine à jouer ce funeste opéra de Prométhée, que Sireuil et Royer ont défiguré à qui mieux mieux, il faudra me mettre dans la liste des proscrits de ce vieux fou de Crébillon . J'y serais bien sans cela . J'ai eu à craindre les sifflets sur les bords de la Seine, et les Mandrins ii sur les bords du lac Léman . Ils prenaient assez souvent leurs quartiers d'hiver dans une petite ville tout auprès du château où je suis ; et Mandrin vint, il y a un mois, se faire panser de ses blessures par le plus fameux chirurgien de la contrée . Du temps de Romulus et de Thésée, il eût été un grand homme ; mais de tels héros sont pendus aujourd'hui .

Voilà ce que c'est que d'être venu au monde mal à propos . Il faut prendre son temps en tout genre . Les géomètres qui viennent après Newton, et les poètes tragiques qui viennent après Racine, sont mal reçus dans ce monde . Je plains les Troyennes et les Adieux d'Hector iii de se présenter après la tragédie d'Andromaque .

J'imagine que vous logez toujours votre digne compatriote le grand abbé iv. Je vous souhaite à tous deux des années longues et heureuses , exemptes de coliques, de sciatique, et de toutes les misères rassemblées sur mon pauvre individu .

Je vous embrasse tendrement . »

 

Joseph-Nicolas-Pancrace Royer est mort le 11 janvier 1755 à Paris . http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Nicolas_Pancrace_Royer

iii  Tragédies de Jean-Baptiste Vivien de Châteaubrun : Les Troyennes, et Astyanax (Les Adieux d'Hector) . Voir Chateaubrun : http://www.theatre-classique.fr/pages/bio/auteurs.htm

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Vivien_de_Ch%C...

et : http://books.google.fr/books?id=HR06AAAAcAAJ&pg=PA3&a...

iv   L'abbé de Resnel , dit le « cher grand abbé », dont V* parle déjà en 1734 : voir page 476 :http://books.google.fr/books?id=fvs3AQAAIAAJ&pg=PA476...

 

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