06/12/2013
Il n'a qu'un plaisir , c'est de faire parler de lui . J'ai cru autrefois que ce plaisir était quelque chose mais je m’aperçois que c'est une sottise
... Cette sottise, "faire parler de soi", pour ne pas dire cette co..., apanage des guignols de la téléréalité trash, n'est pas prêt de disparaitre tant le paraitre semble le but ultime de ces bas-de-plafond. La sagesse voltairienne leur est à tout jamais inatteignable, mais je suis peut-être trop pessimiste, non ?
« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville
ancien conseiller au parlement de Normandie
à son château de Launay
Rouen
Aux Délices 10 novembre [1758]
Mon affaire avec le marquis Angot est fort sérieuse, mon cher et ancien ami, mais vous l'avez rendue si plaisante par votre aimable lettre , que je ne peux plus m'affliger . Le constat de cadavre 1 me fait encore pouffer de rire . Je crois ce puant marquis bien en colère que je vive encore et que j'aie douté de son existence . Ce petit gnome ne vous a donc pas répondu ; je le ferai ester à droit de pardieu 2, fut-ce dans Argentan en basse Normandie . Je vous suis doublement obligé et de vos bons conseils et de vos bonnes plaisanteries . Je vois qu'il n'est pas aisé de trouver un procureur honnête homme, encore moins un marquis qui paye ses dettes . Cet Ango doit être furieusement grand seigneur car non seulement il ne paye point ses créanciers mais il ne daigne pas leur faire civilité . Cet Ango n’est point du tout poli . Vous allez donc à Paris mon cher ami chercher le plaisir et ne le point trouver, jouir de la ville et ne l'aimer ni ne l'estimer et y attendre le moment de retourner à votre charmante terre . Pour moi j'ai renoncé aux villes, j'ai acheté une assez bonne terre à deux lieues de mes Délices . Je ne voyage que de l'une à l'autre , et si j'entreprenais de plus grandes courses ce serait pour vous .
Le roi de Prusse m'écrit souvent qu'il voudrait être à ma place . Je le crois bien, la vie des philosophes est bien au dessus de celle des rois . Le maréchal de Daun et le greffier de l'empire instrumentent toujours contre Frédéric . Les uns le vantent, les autres l'abhorrent . Il n'a qu'un plaisir , c'est de faire parler de lui . J'ai cru autrefois que ce plaisir était quelque chose mais je m’aperçois que c'est une sottise . Il n'y a de bon que de vivre tranquille dans le sein de l'amitié . Je vous embrasse de tout mon cœur . Mme Denis en fait autant .
V. »
1 Ce qui veut dire « constat au sujet du corps » en parlant d'un mort, c'est ici plaisamment appliqué par Cideville au sujet du marquis de Lézeau bien vivant ; vois lettre du 30 octobre 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/27/comment-il-faut-faire-pour-se-faire-payer-d-une-dette-de-qua-5232578.html
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