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25/11/2014

un principe aussi vrai que triste : c'est qu'il n'y a rien à gagner pour nous, d'aucune façon, dans ce gouffre où tout l'argent de la France a été englouti

... Mais dans le même temps, je me dois de souligner que l'entreprise de démolition/démotivation d'Eric Zemmour m'agace au plus haut point ; s'il parle de "suicide" que ne donne-t-il l'exemple en s'empoisonnant avec sa plume ! 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d''ARGENTAL.
A vous seul. [vers le 15 novembre 1759] 1
Mon divin ange, vous êtes un ange de paix. Permettez que je vous parle votre langue, après avoir parlé celle de notre tripot des Délices. Vous êtes né, de toutes façons, pour mon bonheur, dans mes plaisirs, dans mes affaires. Je vous dois tout ; vous êtes en tout temps constitué mon ange gardien ; écoutez donc ma dévote prière.
1° Je voudrais savoir, en général, si M. le duc de Choiseul est content de moi ; et vous pouvez aisément vous en enquérir un mardi. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai grande envie de lui plaire, et comme son obligé, et comme citoyen.
2° S'il entrait avec vous dans quelque détail, comme il y est entré avec M. de Chauvelin, ne pourriez-vous pas lui dire, quelque autre mardi, la substance des choses ci-dessous?
V. est dans une correspondance suivie avec Luc; mais, quelque ulcéré qu'il puisse être et qu'il doive être contre Luc, puisqu'il est capable d'avoir étouffé son ressentiment au point de soutenir ce commerce, il l'étouffera bien mieux quand il s'agira de servir. Il est bien avec l'électeur palatin, avec le duc de Wurtemberg, avec la maison de Gotha, ayant eu des affaires d'intérêt avec ces trois maisons, qui sont contentes de lui, et qui lui écrivent avec confiance. Il a été le confident du prince de Hesse l'apostat 2. Il a des amis en Angleterre. Toutes ces liaisons le mettent en droit de voyager partout, sans causer le moindre soupçon, et de rendre service sans conséquence.
Il a été envoyé secrètement, en 1743, auprès de Luc. Il eut le bonheur de déterrer que Luc alors se joindrait à la France; il le promit; le traité fut conclu depuis, et signé par M. le cardinal de Tencin. Il pourrait rendre aujourd'hui quelque service non moins nécessaire 3.
Mon cher ange, il faut la paix à présent, ou des victoires complètes sur mer et sur terre. Ces victoires complètes ne sont pas certaines, et la paix vaut mieux qu'une guerre si ruineuse. On ne se dissimule pas sans doute l'état funeste où est la France état pire pour les finances et pour le commerce qu'il ne l'était à la paix d'Utrecht. Quelquefois, quand on veut, sans compromettre la dignité de la couronne, parvenir à un but désiré, on se sert d'un capucin, d'un abbé Gautier 4, ou même d'un homme obscur comme moi, comme on envoie un piqueur détourner un cerf, avant qu'on aille au rendez-vous de chasse. Je ne dis pas que j'ose me proposer, que je me fasse de fête, que je prévienne les vues du ministère, que je me croie même digne de les exécuter; je dis seulement que vous pourriez hasarder ces idées, et les échauffer dans le cœur de M. le duc de Choiseul. Je lui répondrais sur ma tête qu'il ne serait jamais compromis ; que je ne ferais jamais un pas ni en deçà ni en delà de ce qu'il me prescrirait. Je pense qu'il ne lui convient pas absolument de demander la paix, mais qu'il lui convient fort d'en faire naître le désir à plus d'une puissance, ou plutôt de faire mettre ces puissances à portée de marquer des intentions sur lesquelles on puisse ensuite se conduire avec honneur.
Il part sans doute d'un principe aussi vrai que triste : c'est qu'il n'y a rien à gagner pour nous, d'aucune façon, dans ce gouffre où tout l'argent de la France a été englouti. J'ai pris la liberté de lui prédire la prise de Québec et celle de Pondichéry ; l'une est arrivée, et je tremble pour l'autre 5. Il y a des citoyens de Genève qui ont des correspondances par tout l'univers habitable. Il y a autour de moi des gens de toute nation, des ministres anglais, des Allemands, des Autrichiens, des Prussiens, et jusqu'à d'anciens ministres russes. On voit les choses d'un œil plus éclairé qu'on ne les voit à Paris; on croit que, si la descente projetée dans une des provinces anglaises s'effectue 6, il ne reviendra pas un seul Français. Le passé, le présent, et l'avenir, font frémir. Je sais que le ministère a du courage, et qu'il a, cette année, des ressources ; mais ces ressources sont peut-être les dernières, et on touche au temps de vérifier ce qui a été dit, qu'il y avait une puissance qui donnerait la paix, et que cette puissance était la misère.
J'ai peur qu'on ne soit résolu encore à faire des tentatives ruineuses, après lesquelles il faudra demander humblement une paix désavantageuse, qu'on pourrait faire aujourd'hui utile, sans être déshonorante.
Enfin, mon cher ange, vous êtes accoutumé à corriger mes plans ; si celui-ci ne vous plaît pas, jetez-le au feu, et je vous enverrai simplement la Chevalerie.
Vous pouvez au moins savoir si M. le duc de Choiseul est content de moi. Ce n'est pas que je doive craindre qu'il en soit mécontent, mais il est doux d'apprendre de votre bouche à quel point il agrée ma reconnaissance. Comptez d'ailleurs que je ne suis pas empressé, et que je me trouve très-bien comme je suis, à votre absence près. Adieu ; je baise le bout de vos ailes. »

 

1 Le mois et l'année figurent sur le manuscrit, de la main de d'Argental . Cette lettre est donc entre celle du 5 novembre 1759 ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/13/que-de-chateaux-en-espagne-nous-avons-batis-il-est-vrai-que-ce-n-est-pas-ac.html ) et celle du 24 novembre (voir page 241 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b/f253.texte.r=mon%20divin%20ange )

D'autre part le 15 novembre 1759 Jean-François Sellon écrit de Paris au Magnifique Conseil de Genève : « M. le duc de Choiseul en me parlant de M. de Voltaire m'a prié de témoigner au M.C. Qu'il verrait avec plaisir qu'il jouît à Genève de la considération que peut lui valoir sa recommandation . Dans la conversation j'ai pu comprendre par l »'ouvrage auquel il travaille pour une cour étrangère que l'on est dans le cas d'obliger peut avoir [ ?] quelque part à cette démarche [...] » ; on peut lire dans le s registres, la minute rayée par la suite : « Sur lequel article de la dite lettre étant délibéré, l'avis a été de charger nob[le] Tronchin cons[ei]l[er] de dire audit au sieur de Voltaire que M. le duc de Choiseul l'a recommandé à messeigneurs lesquels auront toute l'attention qu'ils doivent à une pareille recommandation . »

2 Frédéric, prince de Hesse, avait été élevé dans le calvinisme; mais vers 1754 il s'était fait catholique. Il devint landgrave de Hesse à la fin de janvier 1760. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_II_de_Hesse-Cassel

5 Les Anglais prirent Pondichéry le 16 janvier 1761.

 

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