Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/11/2017

Vous êtes, à Paris, à la source de tout, et nous ne sommes, dans les Alpes, qu’à la source des neiges

... Un peu de flatterie pour le microcosme parisien qui se croit nombril du monde , ça ne mange pas de pain . Le "tout" comprend bien sûr le bon et le mauvais , immanquablement , et quand un provincial évoque Paris le "mauvais" semble dominer , malheureusement pas toujours à tort .

 Image associée

 

 

« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville

9è janvier 1763 au château de Ferney

par Genève 1

Oui, mon cher contemporain, mon cher confrère en Apollon, je compte sur votre amitié ; elle vous fascine les yeux en ma faveur, et je lui en sais le meilleur gré du monde. Plus vos lettres sont aimables, plus nous devons nous plaindre de leur rareté Mme Denis et moi. Vous êtes, à Paris, à la source de tout, et nous ne sommes, dans les Alpes, qu’à la source des neiges.

Vous me feriez grand plaisir de me mander si l’on a donné quelque pièce de Goldoni 2, et comment elle aura réussi. Je suis persuadé que l’évêque de Montrouge 3 fera un discours fort salé, et tout plein d’épigrammes à l’Académie : pour M. le duc de Saint-Aignan 4, je n’ai pas l’honneur de connaître son style.

Vous voyez donc quelquefois frère Thieriot ? Il me paraît qu’il fait plus d’usage d’une table à manger que d’une table à écrire. S’il fait jamais un ouvrage, ce sera en faveur de la paresse. Pour moi, quand je n’écris point, ce n’est pas à la paresse qu’il faut s’en prendre, c’est aux fardeaux dont je suis surchargé. Nous avons bientôt sept volumes de Corneille imprimés, et il y en aura peut-être quatorze . Il faut, avec cela, achever l’édition d’une Histoire générale, continuée jusqu’à ce temps-ci . Il faut achever celle du Czar, mettre la dernière main à cette Olympie, répondre à cent lettres dont aucune ne vaut les vôtres ; en voilà bien assez pour un vieux malade.

Vous m’aviez bien dit que la plupart de nos grands seigneurs ne donneraient que leur nom pour la souscription de Corneille. Les Anglais n’en ont pas usé ainsi, et vous saurez encore que ce sont les Anglais qui ont le plus puissamment secouru la veuve Calas ; le roi a rendu à cette infortunée ses deux filles, qu’on avait enfermées dans un couvent ; elles iront bientôt toutes trois montrer leur habit de deuil et leurs larmes à messieurs du Conseil d’État, que M. de Beaumont a si bien prévenus en faveur de l’innocence ; je soupire après le jugement, comme si j’étais parent du mort.

Je ne crois pas que je prenne fait et cause avec tant de chaleur que ce fou de Verberie 5 qu’on a pendu . On prétend que c’est un jésuite. Et que dites-vous, je vous prie, du fou à mortier, digne frère de d’Argens ? ne vaut-il pas mieux travailler pour l’Opéra-Comique, comme mon confrère l’abbé de Voisenon ?6

Mon cher ami, écrivez-moi tout ce que vous savez et tout ce que vous pensez ; vous nous direz que ce monde est fort ridicule ; mais un peu de détails, je vous prie, pour égayer nos neiges !

Je vais vous dire une nouvelle, moi ; c’est que nous avons été sur le point de marier mademoiselle Corneille. Si vous avez quelque parent de Racine, envoyez-le-nous ; cela produira peut-être quelque bonne pièce de théâtre, dont on dit que vous avez grand besoin dans votre capitale.

Adieu, mon cher ami ; je suis réduit à dicter, comme vous voyez ; car, quoique je sois aussi jeune que vous, je n’ai pas votre vigueur . Je vous embrasse de tout mon cœur.

V. »

 

1 V* répond à une lettre de Cideville du 29 décembre 1762 .

2 Le Théâtre Italien préparait la représentation de L’Amour paternel ou la Suivante reconnaissante, qui a eu lieu le 4 février 1763, c'était la première pièce de Goldoni jouée à Paris . Voir : https://books.google.fr/books?id=tubWCgAAQBAJ&pg=PT116&lpg=PT116&dq=l%27amour+paternel+goldoni+paris+1763&source=bl&ots=MnvbAC7EJT&sig=7W2SFWV1IYwSbndf0au405DnUWw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj3mLzS49LXAhUN66QKHcplDgQQ6AEIWTAN#v=onepage&q=l'amour%20paternel%20goldoni%20paris%201763&f=false

3 L'abbé de Voisenon, élu à l'Académie française y sera reçu le 22 janvier 1763 . Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-henri-de-fusee-de-voisenon

4 C'est lui qui devait répondre au discours du récipiendaire Voisenon ;Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/paul-hippolyte-de-beauvilliers-duc-de-saint-aignan

5 Le prêtre Jacques (ou Guillaume) Ringuet (ou Rinquet), devenu fou apparemment, a tenu des propos blasphématoires et calomniateurs à Verberie ; il a été exécuté en décembre 1762 . Voir page 347 et suiv. : https://books.google.fr/books?id=8dRCUMsq0O4C&pg=PA348&lpg=PA348&dq=verberie+1762&source=bl&ots=CTUHRxq1QK&sig=ch5dxKXqm-Hd6rlCgWbFNRXlrCM&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwie88Ky5dLXAhXJ4qQKHRruCKMQ6AEITjAH#v=onepage&q=verberie%201762&f=false

Voir l’article « Supplices I » du Dictionnaire philosophique, ainsi que La Méprise d'Arras . ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_(1878)/Supplices

et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5626458f

6 Voisenon collabora souvent avec Favart pour des pièces destinées à l'Opéra-Comique .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Simon_Favart

Les commentaires sont fermés.