Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/01/2019

ne pouvant vous avoir, j'ai pris un jésuite qui me coûte beaucoup moins ; aussi ne prêche-t-il point, il se contente de dire la messe , et moi de ne la point entendre ; ainsi tout va bien dans mes terres

... Citation que je dédie spécialement à A2 pour toutes ces émissions religieuses du dimanche matin qui démontrent que la superstition a encore de beaux jours devant elle . Magnifique fonds de commerce décidément inépuisable .

Résultat de recherche d'images pour "émissions religieuses antenne 2"

 Joli sourire enjôleur pour  présenter des barbons confits en religion , ne pas s'y laisser prendre, ennui garanti .

 

 

« A François-Louis Allamand 1

à Bex

par Vevey

8è janvier 1764

Si vous avez lu, monsieur, le Traité sur la tolérance, vous n'y avez certainement pas vu mon nom . Je ne sais quel est l'auteur de ce livre ; mais je m'imagine que le genre humain doit signer au bas, qu'il est de son avis . Puisque vous me choisissez pour vous en faire avoir un exemplaire, j'en chercherai un , et je vous l'enverrai . On m'a dit que les premières personnes de France, c'est-à-dire, celles qui ont le plus de crédit, approuvaient cet ouvrage, et que cependant il n'aura pas tout l'effet qu'on s'en était promis . Il pourra servir à relâcher un peu, et à rendre plus légers , les fers dont [on] accable cinq ou six cent mille malheureux, qui n'ont d'autre crime que d'être un peu opiniâtres .

Vous dîtes qu'il y a un peu de malice dans ce livre , j'y vois au contraire trop de respect pour la malice de ceux qui imposent un joug impertinent à l'esprit humain , et trop de complaisance pour les imbéciles qui se soumettent aux fripons . Tous les honnêtes gens s'éclairent de plus en plus, et il n'y a guère de jour où l'on ne coupe une des têtes de l'hydre . Il ne s'agit, monsieur, dans ce pauvre monde où nous sommes, que de manger son pain paisiblement à l'ombre de son figuier ; tout le reste est une sottise ou une fureur . Je vous souhaite le degré de bonheur que la nature comporte, dans vos horribles montagnes . Si j'avais les cent mille livres de rente que vous me donnez si libéralement, je vous en proposerais dix mille pour venir prêcher chez moi au lieu de prêcher à Bex ; mais ne pouvant vous avoir, j'ai pris un jésuite qui me coûte beaucoup moins ; aussi ne prêche-t-il point, il se contente de dire la messe , et moi de ne la point entendre ; ainsi tout va bien dans mes terres, je vous en souhaite autant dans les vôtres, supposé que vos rochers et vos précipices méritent le nom de terre .

Vos lettres me font grand plaisir ; et quand il vous passera par la tête quelque idée que vous ne vouliez pas communiquer à votre consistoire, adressez-la moi hardiment, je ne vous excommunierai pas .

Pour des formules et des signatures de lettres passez-vous-en , s'il vous plait . »

1Dans une longue lettre du 5 janvier 1764 relative au Traité sur la tolérance, Allamand écrit : « Oh ! Monsieur, la belle, la bonne et l'excellente chose que ce Traité sur la tolérance ! Je viens de le lire, grâces à quelqu'un qui sait bien ce qu'il me faut , qui me l’envoya samedi sous le sceau du secret, et à qui il a fallu le renvoyer lundi . […] il y a si longtemps que ce pauvre, ce disgracié curé de Bex n'avait rien de cette plume d'or qui ne devrait plus écrire que pour la religion et l'humanité […] Ce n'est pas qu'il n'y ait bien des malices là-dedans, et par-ci par-là, quelques injustices […] Mais je pardonne tout au feu sacré de l'humanité qui vous dévore . Ce n'est pas non plus qu'un gros Suisse n'eût dogmatisé la matière plus pesamment . […] Mais quel ennui, et quelle glace que toute cette ergoterie, en comparaison du moindre des XXV chapitres ! Ils disent tout, sans le dire, car ils font penser […] De grâce, monsieur, envoyez-les moi avant qu'ils soient mis en lumière […] Je voudrais seulement que vous fussiez aussi bon chrétien que vous méritez de l'être […] Je ne sais comment finir par la formule ordinaire, elle est si misérable pour dire ce que je sens pour vous ! »

Vous conclurez qu'il y a tant de querelles en France sur les finances qu'on n'entend point que le ministre craint de nouvelles tracasseries sur la religion qu'on entend encore moins

... Il ne manquerait plus que ça ! et le tableau serait complet en France .

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

8 de janvier [1764]

Enfin je me flatte qu'il vous parviendra deux exemplaires de cette Tolérance non tolérée 1, à peu près dans le temps que vous recevrez ma lettre . Je me garderai bien, mon très cher philosophe, de faire adresser un exemplaire à M. de La Reynière ; on lui saisirait son exemplaire tout comme aux autres . Figurez-vous que ceux qui étaient envoyés directement par la poste à M. de Trudaine et à M. de Montigny, son fils, n'ont jamais pu leur parvenir . Vous me direz qu'à la poste M. de La Reynière est bien plus grand seigneur que M. de Trudaine ; désabusez-vous , s'il-vous-plait ; un exemplaire adressé à M. Bouret, le puissant Bouret, l'intendant des postes Bouret, l'officieux Bouret, a été saisi impitoyablement .

Vous trouverez peut-être, par le calcul des probabilités combien il y a à parier au juste que les prêtres et les cagots l'ont emporté, dans cette affaire, sur les ministres d’État les mieux intentionnés, et sur les personnes les plus puissantes . Vous conclurez qu'il y a tant de querelles en France sur les finances qu'on n'entend point que le ministre craint de nouvelles tracasseries sur la religion qu'on entend encore moins . Le nom de celui à qui on attribue malheureusement le Traité sur la tolérance, effarouche les consciences timorées . Vous verrez combien elles ont tort, combien l’ouvrage est honnête, et vous, qui citez si bien et si à propos la sainte Écriture, vous en trouverez les passages les plus édifiants fidèlement recueillis .

Je vous suis très obligé de votre petit commerce épistolique 2 avec Jean-Georges : voilà un impudent personnage . Je vous trouve bien bon de le traiter de monseigneur : aucun de nos confrères ne devrait donner ce titre au frère de Pompignan . Les évêques n'ont aucun droit se s'arroger cette qualification qui contredit l'humilité dont ils doivent donner l'exemple . Ils ont eu la modestie de changer en monseigneur le titre de révérendissime père en Dieu, qu'ils avaient porté douze cents ans .

Pour Jean-Georges, il n'est assurément que ridiculissime . Je vous prie , mon cher philosophe, de vous amuser à lire la lettre que mon petit secrétaire a écrite au grand secrétaire du célèbre Simon Lefranc de Pompignan, frère aîné de Jean-Georges . Vous direz comme Marot :

Monsieur l'abbé et monsieur son valet

Sont faits égaux, tous deux comme de cire .3

L'ouvrage qui est en partie de Du Marsais, et qu'on attribue à Saint-Evremond, se débite dans Paris, et je suis étonné qu'il ne soit point parvenu jusqu’à vous . Il est écrit à la vérité, trop simplement ; mais il est plein de raison . C'est bien dommage que cette raison funeste , qui nous égare si souvent, s'élève avec tant de force contre la religion chrétienne . Ce livre n’est que trop capable d'affermir les incrédules , et d’ébranler la foi des plus croyants .

Vous voulez donc, mon grand philosophe, vous abaisser jusqu'à chasser les jésuites de Silésie . Je n'ai pas de peine à croire que vous réussissiez dans cette digne entreprise ; mais vous n'aurez pas le plaisir de chasser des jésuites français ; il y a longtemps que Luc s'est défait d'eux . Il n'y a plus en Silésie que de gros vilains jésuites allemands, ivrognes, fripons et fanatiques, qui ne sont pas assurément les favoris du philosophe de Sans-Souci .

Continuez, je vous prie, à m'aimer un peu, à vous moquer des sots, à faire trembler les fripons ; et si vous faites jamais ce voyage d'Italie que vous projettez, de grâce passez par chez nous . »

2 Néologisme amusant jouant sur apostolique .

3 Marot, Épigrammes, XLIII, 1-2 . Comme de cire signifie « très exactement » . L'expression familière « cela me va comme de cire » se rencontre encore chez Marivaux dans Le Paysan parvenu, où elle est mise dans la bouche d'un tailleur parlant d'un habit qui sera « comme de cire » pour Jacob .