21/12/2021
C’est un petit singe fort bon à enchaîner, et à montrer à la foire pour un chelin
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Tullius Détritus champion de la zizanie .
Eric Zemmour est son représentant .
« A Etienne-Noël Damilaville
16 septembre 1766 1
Je me hâte, mon cher ami, de répondre à votre lettre du 11 . Je commence par ce recueil abominable, imprimé à Amsterdam sous le titre de Genève. Les trois lettres qu’on attribue en note, d’une manière indécise, à M. de Montesquieu 2 ou à moi, sont ajoutées à l’ouvrage, et sont d’un autre caractère. La lettre à M. Deodati, sur son livre de l’Excellence de la langue italienne, est falsifiée bien odieusement : car, au lieu des justes éloges que je donnais au courage ferme et tranquille d’un prince 3 à qui tout le monde rend cette justice, on y fait une satire très amère de sa personne et de sa conduite 4. C’est ainsi qu’on a empoisonné presque toutes les lettres qu’on a pu rassembler de moi. Celle que je vous écrivis sur les Sirven 5 est falsifiée et pleine d'interpolations 6 .
Je suis dans la nécessité de me justifier dans les journaux ; un simple désaveu ne suffit pas7. L’infâme éditeur est déjà allé au-devant de mes dénégations. Il dit dans son avertissement que toutes les personnes à qui mes lettres sont adressées vivent encore ; il réclame leur témoignage : c’est donc leur témoignage seul qui peut le confondre. J’attends le certificat de M. Deodati ; j’en ai déjà un autre 8 ; mais le vôtre m’est le plus nécessaire. Je vous prie très-instamment de me le donner sans délai.
Vous pouvez dire en deux mots que vous avez vu, dans un prétendu recueil de mes lettres, un écrit de moi, page 170, à M. Damoureux ; que cette lettre n’a jamais été écrite à M. Damoureux, mais à vous ; que cette lettre est très falsifiée ; que tout le morceau de la page 182 est supposé ; qu’il est faux que le morceau ait jamais été présenté à aucun censeur, et que la note de l’éditeur à l’occasion de cette lettre est calomnieuse.
Une telle 9 déclaration fortifiera beaucoup les autres certificats. Le prince, indignement attaqué dans la lettre à M. Deodati, jugera d’une calomnie par l’autre. En un mot, j’attends cette preuve de votre amitié ; vous ne pouvez la refuser à ma douleur et à la vérité. Il est très certain que c’est ce M. Robinet, éditeur de mes prétendues Lettres, qui a fait imprimer celles-ci ; mais je ne prononcerai pas son nom, et je ne détruirai même la calomnie qu’avec la modération qui convient à l’innocence.
Je suis très-aise qu’aucun sage ne soit en correspondance avec ce Robinet, qui se vante de connaître la nature 10, et qui connaît bien peu la probité.
Entendons-nous, s’il vous plaît, sur M. d’Autré 11. Il n’a jamais dit qu’il ait eu des conférences avec M. Tonpla ; mais que Tonpla ayant écrit quelques réflexions philosophiques pour un de ses amis, il y avait répondu article par article. Je vous ai montré cette réponse, bonne ou mauvaise ; mais je n’ai jamais ouï dire ni dit qu’ils aient eu ensemble des conférences . La vérité est toujours bonne à quelque chose jusque dans les moindres détails.
Je me porte fort mal, et je serai très fâché de mourir sans avoir vu Tonpla. Vous savez qu’un de ces malheureux juges qui avait tout embrouillé dans l’affaire d’Abbeville, et qui avait tant abusé de la jeunesse de ces pauvres infortunés, vient d’être flétri par la cour des aides de Paris comme il le méritait. Ce scélérat, nommé Broutet, qui a osé être juge sans être gradué, devrait être poursuivi au parlement de Paris, et être puni plus grièvement qu’à la cour des aides . C’est, Dieu merci, un des parents de mon neveu d’Hornoy le conseiller, à qui l’on doit la flétrissure de ce coquin.
On vient de m’envoyer le Mémoire de M. de Calonne 12; il est en effet approuvé par le roi 13 : ainsi M. de Calonne est justifié dans tout ce qui regarde son ministère. Le public n’est juge que des procédés, qui sont fort différents des procédures.
Je vous avoue que j’ai une extrême curiosité de savoir ce qui se passe à Bedlam, et de lire la lettre de cet archi-fou 14, qui se plaint si amèrement de l’outrage qu’on lui a fait en lui procurant une pension . C’est un petit singe fort bon à enchaîner, et à montrer à la foire pour un chelin 15.
Il y a un commentaire 16 sur le petit livre de Beccaria, dont on dit beaucoup de bien ; il est fait par un jeune avocat de Besançon ; dès que je l’aurai, je vous l’enverrai. On dit qu’il entre surtout dans quelques détails de la jurisprudence française, et qu’il rapporte beaucoup d’aventures tragiques . Celle des Sirven m’occupe uniquement. Je vous ai mandé l’excès des bontés de M. le duc de Choiseul, et combien je compte sur sa protection.
Je connaissais déjà le projet de la traduction de Lucien 17, et j’avais lu le plus beau de ses dialogues. Ce Lucien-là valait mieux que Fontenelle ; j’ai une très grande idée du traducteur.
Ah ! mon cher ami, que j'aurais été 18 heureux de me trouver entre Tonpla et vous ! Ne m'envoyez-vous pas le mémoire de La Bourdonnais dans le paquet dont vous me gratifiez ?19 »
1 L'édition de Kehl, et suivantes, est incomplète de plusieurs passages .
2Il s'agit toujours des Lettres de Voltaire à ses amis du Parnasse . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/593
3 Le prince de Soubise ; voir lettre du 9 septembre 1766 à Deodati ,
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1761/Lettre_4432#170
4 Voir lettre du 9 septembre 1766 à Deodati : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/10/vous-ne-refuserez-pas-sans-doute-de-rendre-gloire-a-la-verit-6354212.html
5 Lettre du 1er mars 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/14/on-vit-alors-que-s-il-y-a-de-grands-crimes-sur-la-terre-il-y-a-autant-de-ve.html
6 Phrase qui manque sur la copie Beaumarchais-Kehl et dans les éditions .
7 Il l’intitula Appel au public ; voyez https://fr.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier
8 Du duc de La Vallière , dont le certificat, d’après ce que Voltaire dit ici, parait antérieur à la date qu’il porte : https://fr.wikisource.org/wiki/Page%3AVoltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/592
9 A la place de ces deux mots, le manuscrit donne Votre .
10 Voyez la note 3 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome41.djvu/557
11 Voyez la note 3 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1765/Lettre_5937
12 Calonne est l'auteur du Mémoire présenté au roi, 1766 contre La Chalotais . D'Alembert dit de lui le 141 août 1766 : « Laubardemeont de Calonne surtout (car on l’appelle ainsi ) ne se relèvera pas de l’infamie dont il est couvert […]. » Voir : https://books.openedition.org/pur/124119?lang=fr
13 Le roi avait écrit de sa main, au bas du mémoire de Calonne : « Je vous autorise à faire imprimer ce mémoire, etc. »
14 J.-J. Rousseau ; voyez la lettre du 29 août 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/11/22/les-sottises-de-cet-animal-ne-sont-que-ridicules-mais-je-ne-6350781.html
15 Un shilling .
16 Il est de Voltaire ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Commentaire_sur_Des_D%C3%A9lits_et_des_Peines/%C3%89dition_Garnier
17 L’abbé Morellet avait formé le projet de traduire Lucien, mais ne l’a pas exécuté. On trouve aux tomes II et III des Variétés littéraires (par Arnaud et Suard, 1768-1769) la traduction, par Morellet, de Jupiter le tragique et de Pérégrinus.
18 D'après la copie Beaumarchais on a que je serais .
19 Phrase omise dans la copie Beaumarchais et les éditions .
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