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26/08/2022

l’embrasement de l’univers est annoncé dans Hystaspe et dans les Sibylles

... et pour confirmation , voir Paco Rabanne et Madame Soleil .

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hystasp%C3%A8s

https://www.parismatch.com/People/Paco-Rabanne-1999-apoca...

 

 

« A Simon-Nicolas-Henri Linguet

Au château de Ferney par Genève

le 14 [ou 15] mars 1767 1

Monsieur,

Je n'ai point encore reçu le livre que vous voulez bien m’envoyer , et probablement je ne l'aurai de longtemps . La communication entre Lyon et Genève est interrompue ; mais je ne veux pas différer les remerciements que je vous dois .2

Je crois, comme vous, monsieur, qu’il y a beaucoup à reprendre 3 dans l’Esprit des lois 4. Il y a très peu de lecteurs attentifs 5 . On ne s’est point aperçu que presque toutes les citations de M. de Montesquieu 6 sont fausses. Il cite le prétendu testament du cardinal de Richelieu, et il lui fait dire au chapitre vi, dans le livre III, que s’il se trouve dans le peuple quelque malheureux honnête homme, il ne faut point s’en servir. Ce testament, qui d’ailleurs ne mérite pas la peine d’être cité, dit précisément le contraire ; et ce n’est point au sixième, mais au quatrième chapitre. Il fait dire à Plutarque que les femmes n’ont aucune part au véritable amour 7.

Il ne songe pas que c’est un des interlocuteurs qui parle ainsi, et que ce Grec, trop grec, est vivement réprimandé par le philosophe Daphneus, pour lequel Plutarque décide. Ce dialogue est tout consacré à l’honneur des femmes ; mais Montesquieu lisait superficiellement, et jugeait trop vite.

C’est la même négligence qui lui a fait dire que le grand seigneur n’était point obligé par la loi de tenir sa parole 8 ; que tout le bas commerce était infâme chez les Grecs 9; qu’il déplore l’aveuglement de François Ier, qui rebuta Christophe Colomb 10, qui lui proposait les Indes, etc. Vous remarquerez que Christophe Colomb avait découvert l’Amérique avant que François Ier fût né.

La précipitation de son esprit 11 lui fait dire au même endroit, livre IV, chapitre xix, que le conseil d’Espagne eut tort de défendre l’emploi de l’or en dorures. Un décret pareil, dit-il, serait semblable à celui que feraient les états de Hollande, s’ils défendaient la cannelle 12. Il ne fait pas réflexion que les Espagnols n’avaient point de manufactures ; qu’ils auraient été obligés d’acheter les étoffes et les galons des étrangers, et que les Hollandais ne pouvaient acheter ailleurs que chez eux la cannelle .13

Presque tous les exemples qu’il apporte sont tirés des peuples presque 14 inconnus du fond de l’Asie, sur la foi de quelque voyageur mal instruit et menteur.

Il affecte 15 une connaissance très mal placée de la géographie et il se trompe au point d'affirmer qu’il n’y a de fleuve 16 en Perse que le Cyrus ; il oublie le Tigre, l’Euphrate, l’Oxus, l’Araxe, et le Phase 17,

Malheureusement son livre n'a pour fondement qu'une antithèse 18 qui se trouve fausse. Il dit que les monarchies sont établies sur l’honneur, et les républiques sur la vertu ; et, pour soutenir ce prétendu bon mot : la nature de l’honneur (dit-il, livre III, chapitre vii) est de demander des préférences, des distinctions . L'honneur est donc, par la chose même, placé dans le gouvernement monarchique. Il devrait songer que, par la chose même, on briguait, dans la république romaine, la préture, le consulat, des triomphes, des couronnes, et des statues.

J’ai pris la liberté de relever plusieurs méprises pareilles dans ce livre, d’ailleurs très-estimable. Je ne serai pas étonné que ce livre vous paraisse 19 plus rempli d’épigrammes que de raisonnements solides ; et cependant il y a tant d’esprit et de génie qu’on le préférera toujours à Grotius et à Pufendorf. Leur malheur est d’être ennuyeux ; ils sont plus graves que solides 20 .

Grotius, contre lequel vous vous élevez avec tant de justice, a extorqué de son temps une réputation qu’il était bien loin de mériter. Son Traité de la Religion chrétienne est méprisé de tous les savants 21. C’est là qu’il dit, au chapitre xxii de son premier livre, que l’embrasement de l’univers est annoncé dans Hystaspe et dans les Sibylles. Il ajoute à ces témoignages ceux d’Ovide et de Lucain ; il cite Lycophron pour prouver l’histoire de Jonas 22.

Pour bien juger 23 du caractère de l’esprit de Grotius, il n'y a qu'à lire sa harangue 24 à la reine Anne d’Autriche, sur sa grossesse. Il la compare à la Juive Anne, qui eut des enfants étant vieille ; il dit que les dauphins, en faisant des gambades sur l’eau, annoncent la lin des tempêtes, et que, par la même raison, le petit dauphin qui remue dans son ventre annonce la fin des troubles du royaume 25.

Je vous citerais cent sottises de ce Grotius qui a été tant admiré .

A l'égard de Jean-Jacques Rousseau dont vous me parlez, j'avoue qu'il n'a pas le génie de Montesquieu, ni l'érudition de Grotius, mais il tombe dans de plus grands écarts . Il n'a jamais écrit que des paradoxes, et il s'est toujours contredit . Sans la digression de son Vicaire savoyard, digression très mal placée dans l'instruction d'un jeune homme, on oublierait qu'il a écrit ; et encore ce vicaire se contredit lui-même en étant pénétré de respect pour des mystères qu'il trouve absurdes . Les reste de son Émile et de son Héloïse sont aujourd'hui dans la boue avec leur auteur . C'est un très méchant homme connu par la plus lâche et la plus orgueilleuse ingratitude . Toutes ses manœuvres sont d'un bas scélérat, démasqué par toute la magistrature de Genève, et connu pour tel par M. le duc de Choiseul et par le roi lui-même . Je ne vous conseille pas de prendre le parti de ce misérable ; ce n'est point par des paradoxes et des charlatanismes qu'on mérite l'estime des honnêtes gens . C'est par une conduite honnête ; il faut l'avoir et il ne l'a pas eue . Je pense et je parle comme milord Walpole, et le célèbre M. Tronchin en a été le témoin . Il sait avec qui Rousseau se ligua pour me forcer à quitter une maison de campagne que j'avais achetée à vie sur le territoire de Genève . Il sait comme il cabala avec les prédicants , et comme ensuite il cabala contre eux . Ce malheureux qui venait de donner à Paris une comédie sifflée s'avisa de m'écrire que je corrompais sa république en donnant des spectacles dans mon château de Ferney . Il m’écrivit que j'avais menti, si j'avais dit qu'il n'ait pas été secrétaire de l'ambassade de M. le comte de Montaigu à Venise, et qu'il en avait menti, lui, s'il n'avait pas eu tous les honneurs de l’ambassadeur ; et il se trouve par ses propres lettres écrites de Venise qu'il était domestique du comte de Montaigu et qu'il fut chassé à coups de bâton . Ces lettres furent écrites à M. Dutheil à qui il demandait l'aumône .

Ce beau philosophe a fini par mettre le trouble dans sa patrie, par être chassé de Genève, de Berne et de Neuchâtel ; et il imprime qu'il lui faut des statues . Voilà des vérités , monsieur,voila sur quoi il faut juger. Ajoutez à cela qu'il n'a signalé sa perfidie envers moi que parce que je lui avais offert le don d'une maison de campagne, et qu'il ne s'est élevé contre M. Hume que parce que M. Hume lui avait voulu procurer une pension . Après cela, prenez son parti si vous voulez .

J'espère , quand j'aurai lu votre livre, que je vous dirai avec la même vérité combien je vous estime ; c'est un sentiment que votre lettre m'a déjà inspiré 26. Je suis surtout pénétré du désir que vous paraissez témoigner de voir l'union régner parmi les gens de lettres . Ils seraient bien forts s'ils connaissaient le prix de cette union . Ce serait la phalange macédonienne qui ne trouverait point de Paul Émile chez les fanatiques .

J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime et les sentiments que je vous dois, etc. « 

 »

1 Copie contemporaine Darmstadt B. à la fin de laquelle le copiste écrit : « N[ot]a . Cette lettre fut envoyée ouverte à un mai qui ne la remit point dans la crainte que M. Linguet ne la fit courir . Il en fit part à M. de Voltaire qui approuva cette circonspection, et envoya la lettre suivante du 6 avril 1767 (voir lettre à M*** : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/05/correspondance-... ) à la place de la première . » Que ceci soit vrai ou faux et cela paraît peu vraisemblable sous cette forme) , la présente lettre ne parut dans Le Commentaire historique, désigné par la suite par le sigle ED, sous une forme remaniée, qui est passée dans toutes les éditions, et qui figurera ici en variantes . Pour la date, noter qu'une minute , avec les quatre dernières lignes autographes, passée en vente chez Charavay le 28 novembre 1861, est datée du 15 mars 1767 . l'existence de cette minute, retouchée par V*, prouve que la lettre à Linguet a été soigneusement méditée ..

2 Tout ce début manque dans ED, remplacé par une ligne de points .

3 ED : qu'il y a plus d’une inadvertance

4 On trouve dans divers ouvrages de Voltaire des critiques de l’Esprit des lois ; voyez la note, tome XX, page 1.

5ED : Très peu de lecteurs sont attentifs .

6 ED : les citations de Montesquieu

7 De l'Esprit des lois, VII, note a . En envoyant à V* sa Théorie des lois civiles ou Principes fondamentaaux de la société, Linguet lui a écrit le 19 février 1767 « {…] vous ne me blâmerez pas d'avoir combattu les opinions de M. de Montesquieu . J'ai rendu justice à son grand génie en attaquant ses erreurs . C'est un esprit brillant qui est sujet à de fréquentes éclipses . Je n'en ai pas dit à beaucoup près tout ce que j'en aurais pu dire . »

8 De l'esprit des lois, livre III, chapitre ix.

9 Livre IV, chapitre viii.

10 Livre XXI, chapitre xxii.

11 ED : la vivacité de son esprit .

12 De l'esprit des lois, XXI, xxii .

13 ED : que chez eux-mêmes la cannelle, qui croît dans leurs domaines.

14 ED omet presque .

15 ED : il affirme

16 ED : de fleuve navigable

17 ED continue : l’Indus même, qui a coulé longtemps sous les lois des rois de Perse. Chardin nous assure, dans son troisième tome, que le fleuve Zenderouth, qui traverse Ispahan, est aussi large que la Seine à Paris, et qu’il submerge souvent des maisons sur les quais de la ville.

18 ED : Malheureusement le système de l’Esprit des lois a pour fondement une

19 ED : J’ai pris la liberté de relever plusieurs méprises pareilles dans ce livre, d’ailleurs très-estimable. Je ne serai pas étonné que cet ouvrage célèbre vous paraisse

20 ED : .pesants que graves.

21 ED : n’est pas estimé des vrais savants

23 ED: Si vous voulez juger

24 ED : lisez

25 A partir d’ici, ED donne une fin toute différente : « Je vous citerais cent exemples de cette éloquence de collège dans Grotius, qu’on a tant admiré. Il faut du temps pour apprécier les livres, et pour fixer les réputations.

Ne craignez pas que le bas peuple lise jamais Grotius et Puffendorf ; il n’aime pas à s’ennuyer. Il lirait plutôt (s’il le pouvait) quelques chapitres de l’Esprit des lois, qui sont à portée de tous les esprits parce qu’ils sont très naturels et très agréables. Mais distinguons, dans ce que vous appelez peuple, les professions qui exigent une éducation honnête, et celles qui ne demandent que le travail des bras et une fatigue de tous les jours. Cette dernière classe est la plus nombreuse. Celle-là, pour tout délassement et pour tout plaisir, n’ira jamais qu’à la grand-messe et au cabaret, parce qu’on y chante, et qu’elle y chante elle-même ; mais, pour les artisans plus relevés, qui sont forcés par leurs professions mêmes à réfléchir beaucoup, à perfectionner leur goût, à étendre leurs lumières, ceux-là commencent à lire dans toute l’Europe. Vous ne connaissez guère, à Paris, les Suisses que par ceux qui sont aux portes des grands seigneurs, ou par ceux à qui Molière fait parler un patois inintelligible, dans quelques farces ; mais les Parisiens seraient étonnés s’ils voyaient dans plusieurs villes de Suisse, et surtout dans Genève, presque tous ceux qui sont employés aux manufactures passer à lire le temps qui ne peut être consacré au travail. Non, monsieur, tout n’est point perdu quand on met le peuple en état de s’apercevoir qu’il a un esprit. Tout est perdu au contraire quand on le traite comme une troupe de taureaux . Car, tôt ou tard, ils vous frappent de leurs cornes. Croyez-vous que le peuple ait lu et raisonné dans les guerres civiles de la rose rouge et de la rose blanche en Angleterre, dans celle qui fit périr Charles Ier sur un échafaud, dans les horreurs des Armagnacs et des Bourguignons, dans celles mêmes de la Ligue ? Le peuple, ignorant et féroce, était mené par quelques docteurs fanatiques qui criaient : Tuez tout, au nom de Dieu. Je défierais aujourd’hui Cromwell de bouleverser l’Angleterre par son galimatias d’énergumène ; Jean de Leyde, de se faire roi de Munster ; et le cardinal de Retz, de faire des barricades à Paris. Enfin, monsieur, ce n’est pas à vous d’empêcher les hommes de lire. Vous y perdriez trop, etc. »

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