01/11/2022
je ne vois pas qu'un délit doive être toléré, uniquement parce qu'on en méprise l'auteur.
... No comment .
Rédigé le 7/11/2022 pour parution le 1/11/2022
« A Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre 1
A Ferney, 24 avril [1767].
Dans la lettre dont vous m'honorez, monsieur, vous m'apprenez que j'ai mal épelé votre nom, qui est mieux orthographié dans l'Histoire du président de Thou. Comme je n'ai cette Histoire qu'en latin 2, et que de Thou a défiguré tous les noms propres, je n'ai point consulté ses dix gros volumes, et je n'ai pu vous donner un nom en us; ainsi vous pardonnerez ma méprise; mais si votre nom se trouve dans cette histoire, il ne doit pas certainement être au bas des feuilles de Fréron. Vous étiez son approbateur, et il avait trompé apparemment votre sagesse et votre vigilance lorsqu'une de ses feuilles lui valut le Fort ou le Four-l'Évêque 3, et lui attira même L'Écossaise, qui le fit punir sur tous les théâtres de l'Europe. Franchement, un homme bien né, un avocat au parlement, un homme de mérite, ne pouvait pas continuer à être le réviseur d'un Fréron. Je vous sais très bon gré, monsieur, d'avoir séparé votre cause de la sienne mais je ne pouvais pas en être instruit. Je suis très fâché d'avoir été trompé. Je vous demande pardon pour moi, et pour ceux qui ne m'ont pas averti. Je transporte, par cette présente, mon indignation et mon mépris, c'est-à-dire les sentiments contraires à ceux que vous m'inspirez, j'en fais une donation authentique et irrévocable à celui qui a signé et approuvé la lettre supposée que ce misérable imprima contre le jugement du conseil en faveur de l'innocence des Calas. Il crut se mettre à couvert en alléguant que cette lettre n'était que contre moi mais, dans le fond, toutes les raisons pitoyables par lesquelles il croyait prouver que je m'étais trompé en défendant l'innocence des Calas tombaient également sur tous les avocats qui s'étaient servis des mêmes moyens que moi, sur les rapporteurs qui employèrent ces mêmes moyens, et enfin sur tous les juges qui les consacrèrent d'une voix unanime par le jugement le plus solennel.
Cette feuille de Fréron, et celle qui lui avait mérité le supplice de L'Écossaise, sont les seules de ce polisson que j'aie jamais lues. Je vous avoue que je ne conçus pas comment on permettait de si infâmes impostures. Un homme très considérable me répondit que l'excès du mépris qu'on avait pour lui l'avait sauvé, et qu'on ne prend pas garde aux discours de la canaille. Je trouve cette réponse fort mauvaise, et je ne vois pas qu'un délit doive être toléré, uniquement parce qu'on en méprise l'auteur.
Voilà mes sentiments, monsieur ils sont aussi vrais que la douleur où je suis de vous avoir cru coupable, et que l'estime respectueuse avec laquelle j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre, etc. »
1 C.-G. Coqueley de Chaussepierre, avocat et censeur royal .Voir : https://data.bnf.fr/fr/12144357/charles-georges_coqueley_de_chaussepierre/
et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/191-charles-coqueley-de-chaussepierre
2 Pourtant V* en a un exemplaire en français sous le titre Histoire universelle, 1742 . Plusieurs éditions françaises ont paru à l'époque, dont une sous la direction de l'abbé Prévost.
3 Le Fort-l'Evêque a été le siège de la justice épiscopale de Paris avant d'être utilisé comme prison . L'expression dérive de forum episcopi, et Four, variante de For, existe en effet comme dérivé de forum (cf ; Fourvière à Lyon ) . Mais le mot n'a rien à faire avec four , issu de furnum, fourneau .
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