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20/03/2024

liberté de présenter quelques fruits de son jardin

... Liberté surveillée : https://www.legalstart.fr/fiches-pratiques/commerces-alim...

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Le patriarche n'en avait sans doute pas tant dans ses douze "tribus d'Israël" : https://visite.chateau-ferney-voltaire.fr/Les-parcours/La...

 

 

« A François de Caire

Ingénieur en chef etc.

à Saint-Loup 1

Le pauvre malade de Ferney prend la liberté de présenter quelques fruits de son jardin à monsieur et madame de Caire, et deux bouteilles de vin de Tokay ; il ne les envoie que parce qu'il n'est pas en état de les venir présenter lui-même . Il leur présente son respect .

1er septembre 1768 à Ferney. »

Répéter ce que les autres ont dit, c’est ne savoir que dire ...Quoi qu’il en soit, ogn'uno faccia secondo il suo cervello

...

 

« A Etienne-Michel Bouret 1

31 auguste 1768

Monsieur, 

M. Marmontel, votre ami et le mien, vous a dit sans doute, ou vous dira combien notre langue répugne au style lapidaire, à cause de ses verbes auxiliaires et de ses articles. Il vous dira qu’une épigraphe en vers est encore plus difficile, et que de cent il n’y en a pas une de passable, excepté celles qui sont en style burlesque : tant le génie de la nation est tourné à la plaisanterie .

Il est triste d’emprunter deux vers d’un ancien auteur latin pour Louis XV. Répéter ce que les autres ont dit, c’est ne savoir que dire . De plus, le roi viendra chez vous : il verra votre statue 2, et n’entendra pas l’inscription. Si quelque savant duc et pair lui dit que cela signifie qu’on souhaite qu’il vive longtemps, on avouera que la pensée n’en est ni neuve ni fine. Il y a bien pis . Si j’ai la hardiesse de vous faire une inscription en vers pour la statue du roi, il faut rencontrer votre goût, il faut rencontrer celui de vos amis ; et vous savez que la première idée qui vient à tout convive, soit à table, soit en digérant, c’est de trouver détestable tout ce qu’on nous présente, à moins que ce ne soit d’excellent vin de Tokai. Les choses se passaient ainsi de mon temps, et je doute que les Français se soient corrigés. Je ne vous enverrai donc point de vers pour le roi. Le temps des vers est passé chez la nation, et surtout chez moi. Tout ce que je vous dirai, c’est que si j’étais encore officier de la chambre du roi, si j’avais posé sa statue de marbre sur un beau piédestal, s’il venait voir sa statue, il verrait au bas ces quatre petits vers-ci, qui ne valent rien, mais qui exprimeraient que c’est un de ses domestiques 3 qui a érigé cette statue, qu’on aime beaucoup celui qu’elle représente, et qu’on craint de choquer son indifférente modestie :

Qu’il est doux de servir ce maître,
Et qu’il est juste de l’aimer !
Mais gardons-nous de le nommer ;
Lui seul s'y pourrait méconnaître !

Je sais bien que les beaux-esprits ne trouveraient pas ces vers assez pompeux ; et en effet je ne les ferais pas graver dans une place publique, mais je les trouverais très convenables dans ma maison. Ils le seraient pour moi, ils le seraient pour l’objet de mon quatrain : cela me suffirait ; et les critiques auraient beau dire, mon quatrain subsisterait ; mais ce que je ferais dans mon petit salon de vingt-quatre pieds, vous ne le ferez pas dans votre salon de cent pieds.

Mes vers trop familiers seront vus de travers,
Et pour les grands salons il faut de plus grands vers.

Quoi qu’il en soit, ogn'uno faccia secondo il suo cervello 4.

Je vous réponds que si jamais le roi passe par ma chaumière, et s’il trouve sa statue, il n’y lira pas d’autres vers au bas. J’aurais pu lui donner, comme un autre, de l’héroïque, et du plus grand roi du monde, et de la terre et de l’onde par le nez ; mais Dieu m’en préserve, et lui aussi !

Mais, si j’étais à votre place, voici comme je m’y prendrais : je collerais du papier sur mon piédestal, et j’y mettrais, le jour de l’arrivée du roi :

Juste, simple, modeste, au-dessus des grandeurs,
Au-dessus de l’éloge, il ne veut que nos cœurs.
Qui fit ces vers dictés par la reconnaissance ?
Est-ce Bouret ? Non, c’est la France.

Le roi aurait le plaisir de la surprise. Enfin, si j’étais Louis XV, je serais plus content de ce quatrain que de l’autre.

Mais, je vous le répète, il y a des courtisans qui ne sont jamais contents de rien.

Le résultat de tout ceci, monsieur, c’est que vous n’aurez point de vers de moi pour votre statue ; mais je vous aime de tout mon cœur, et cela vaut mieux que des vers. Je vous supplie de dire à M. de La Borde combien je lui suis attaché, et combien mon cœur est plein de ses bontés. Si j’avais son portrait, il aurait une statue dans mon petit salon.

Avec tous les talents le destin l’a fait naître ;
Il fait tous les plaisirs de la société :
Il est né pour la liberté,
Mais il aime bien mieux son maître.

J’ai l’honneur d’être, etc. »

2 Ayant eu l'honneur de recevoir Louis XV dans sa demeure de La Croix Fontaine, près de Fontainebleau, Bouret a obtiendra la permission d'ériger sa statue .

Voir page 452 et suiv. : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Ch%C3%A2teau_Bouret

3 Voltaire emploie de nouveau cette expression, au sens ancien de « personne attachée au service de quelqu'un », comme Jean-Jacques Rousseau ; voir page 531 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome36.djvu/534#cite_ref-3

; et page 33. : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/43

4 Que chacun fasse à sa tête.