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03/06/2010

en faveur de cette malheureuse famille

 

 

 

« A Jean Ribote-Charron

à Montauban


La personne à qui Monsieur Ribote écrit a fait pendant deux mois les plus grands efforts auprès des premières personnes du royaume, en faveur de cette malheureuse famille qu'il a crue innocente. Mais on les croit tous très coupables. On tient que le parlement a fait justice et miséricorde [c'est ce qu'écrivit le duc de Villars à V* le 26 mai ; si les Calas n'ont « pas tous été condamnés à mort », « c'est que leurs juges trop indulgents, à ce qu'on dit, n'ont voulu punir que celui contre qui les preuves étaient directes ...]. Monsieur Ribote devrait aller à Toulouse, s'éclaircir de cette horrible aventure. Il faut qu'il sache, et qu'il mande la vérité. On se conduit en conséquence. On lui fait mille compliments.


5è juin [1762] »

02/06/2010

je n’ai eu ni bras ni pieds ni tête depuis quelques mois

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

 

Ferney le 2 juin 1777

 

Je suis indigné contre moi-même, mon cher ange, de n’avoir pas depuis si longtemps tendu les bras à vos ailes qui m’ont toujours couvert de leur ombre : hélas ! ce n’est pas ma faute ! je n’ai eu ni bras ni pieds ni tête depuis quelques mois [« attaque d‘apoplexie » du 13 mars] ; je vous écris aujourd’hui d’une main qui n’est pas celle dont je me sers ordinairement, mais c’est toujours le même cœur qui dicte. Je vous parlerai d’abord de l’ambigu [l’ambigu est un repas intermédiaire entre le souper et la collation] à cinq services, qui probablement sera servi bien froid ou plutôt qu’on n’osera jamais servir. Ce n’est pas que le repas ne soit régulier, et qu’il n’y ait pas des plats assez extraordinaires qui pourraient être de haut goût. Mais malheureusement Mme de Saint Julien avait parlé il y a plusieurs mois de notre souper ; le bruit s’en était répandu dans Paris ; je crois fermement que ce souper ne valait rien du tout, et que le cuisinier a très bien fait de le supprimer. L’autre est meilleur [i]; mais il faudrait que le cuisinier fût à Paris, qu’il jouât le rôle de maître d’hôtel, et que les gourmets n’eussent pas le goût aussi égaré qu’ils l’ont depuis plusieurs années. J’ai vu le menu d’un nouveau traiteur de l’Amérique [Zuma de Pierre-François-Alexandre Lefèvre ; V* avait remercié l‘auteur le 8 février de son envoi : il «avait eu envie autrefois de traiter le même sujet … » et « l’avait même ébauché »] ], qui a été servi vingt fois sur la table, et dont en vérité je n’aurais jamais voulu manger un morceau. Si quelque jour la fantaisie pouvait vous prendre de tâter du vieux cuisinier que vous savez, quand ce ne serait que pour la rareté du fait, ce vieux cuisinier serait capable d faire le voyage auprès de vous, et de se loger dans quelque gargote bien obscure, et bien ignorée. Qui sait même si cette aventure ne pourrait pas arriver l’année 1778 ? Je me berce de cette chimère, parce qu’elle m’entretient de vous. Le préalable serait qu’alors M. le duc de Duras vous donnât sa parole d’honneur de se mettre avec vous à table, et même de manger avec appétit. Mais il est plaisant entre nous qu’on ait tant mangé de Zuma,[Zuma, représentée le 10 octobre 1776 à Fontainebleau, fut reprise le 22 janvier à la Comédie française et jouée 22 fois] et qu’on n’ait pas seulement essayé de tâter du Dom Pèdre. Le hasard gouverne ce monde.

 

Mon cher ange, le hasard m’a bien maltraité depuis quelques mois. Ce hasard est composé de la nature, et de la fortune. Des chances horribles sont sorties du cornet contre moi. Ma colonie est aussi délabrée que l’ont été Pondichéry et Québec. Je me suis trouvé ruiné tout d’un coup sans savoir comment, et je me suis enfin aperçu qu’il n’appartenait qu’à Thésée, Romulus et M. Dupleix, de bâtir une ville.[ ii]ce jour, à Mme de Saint Julien : «

 

Portez-vous bien, mon cher ange, aimez-moi encore, tout chimérique, et tout infortuné que je suis. Ma tendre amitié n’est pas du moins une chimère ; elle est la consolation très réelle du reste de mes jours.

 

V. »

i Agathocle et Irène ; cependant V* écrivait le 7 avril à d’Argental : « vous vous souvenez peut-être du petit souper à trois services que je préparais [Irène] … La nouvelle de cette petite fête avait transporté chez quelques cuisiniers qui préparaient de pareils repas du plus haut goût… cette concurrence m’avait intimidé et je vous destinais un autre souper à cinq services [Agathocle]. » Agathocle sera envoyé le 27 juin, et le 31 août : « Mme de Saint Julien m’avait obligé de me réfugier en Sicile [où se passe Agathocle] en disant mon secret de Constantinople [Irène]. Serais-je assez heureux pour que vous engageassiez mr le duc d’Aumont à faire son affaire de cette Sicile que vous semblez aimer , et de la faire paraitre à Paris sous sa protection ?»

 

 

 

ii Ce jour, à Mme de Saint Julien : « M. l’intendant fait bâtir une ville charmante à Versoix … tandis que la nôtre à peine commencée tombe en ruine … On donne à cette ville des privilèges immenses ; ce sera un lieu de franchise et un lieu d’agrément ; tandis qu’on ne nous a pas accordé la moindre concession et le moindre privilège. Je me trouve ruiné de fond en comble pour avoir voulu donner de nouveaux sujets au roi. »

Sur les difficultés que rencontrent Ferney et V* depuis la chute de Turgot cf. lettre du 5 décembre 1776 à la même.

V* avait prêté des sommes considérables à ceux qui s’installaient à Ferney quand tout allait bien, et on se met à fuir Ferney pour aller à Versoix.

 

01/06/2010

les vers latins de quelques gens de l'Académie française, chose dont je suis peu curieux

Lettre, qui comme toutes celles qui sont antérieures au 11 juin 2010 et postérieures au 21 avril , est une édition de rattrappage permise par les possibilités de mise en ligne différée de Hautetfort.

 

 

« A Jan van Duren

Libraire à La Haye


A Bruxelles, rue de la Grosse-Tour, 1er juin 1740


Vous m'avez envoyé, monsieur, les vers latins de quelques gens de l'Académie française, [Poetarum ex Academia gallica qui latine aut graece scriptserunt carmina, 1738] chose dont je suis peu curieux, et vous ne m'avez point envoyé la Chimie de Stahl, dont j'ai un très grand besoin. Je vous prie instamment de me la faire tenir par la même voie que vous avez prise pour le premier ballot.


J'ai en main un manuscrit singulier composé par un des hommes les plus considérables de l'Europe [Frédéric] : c'est une espèce de réfutation du Prince de Machiavel, chapitre par chapitre. L'ouvrage est nourri de faits intéressants et de réflexions hardies qui piquent la curiosité du lecteur et qui font le profit du libraire. Je suis chargé d'y retoucher quelque petite chose, et de le faire imprimer. J'enverrais l'exemplaire que j'ai entre les mains, à condition que ou vous le ferez copier à Bruxelles, ou vous le ferez copier,[texte de l'édition originale faite sur ordre de V* et comportant cette faute ; faut-il lire « ...ou vous le ferez copier à La Haye »?] et que vous me renverrez mon manuscrit ; j'y joindrais une préface et ne demanderais d'autre condition que de le bien imprimer, et d'en envoyer deux douzaines d'exemplaires magnifiquement reliés en maroquin à la cour d'Allemagne qui vous serait indiquée ; vous m'en ferez aussi tenir deux douzaines en veau. Mais je voudrais que le Machiavel, soit en italien, soit en français, fût imprimé à côté de la réfutation, le tout en beaux caractères, et avec grande marge.


J'apprends dans le moment qu'il y a trois petits livres imprimés contre le Prince de Machiavel. Le premier est l'Anti-machiavel ; le second, Discours d'Etat contre Machiavel ; le troisième, Fragments contre Machiavel.[le premier, non -identifié, le second, le Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ... contre Nicolas Machiavel d'Innocent Gentillet, 1576, le troisième Fragments de l'examen du prince de Machiavel où il est traité des confidents, ministres ... de Didier Hérauld, 1622]


Il s'agirait à présent, Monsieur, de chercher ces trois livrets, et si vous pouvez les trouver ayez la bonté de me les faire tenir ; vous pouvez trouver des occasions ; en tout cas la barque s'en chargera. Si ces brochures ne se trouvent point, on s'en passera aisément. Je ne crois pas que l'ouvrage dont je suis chargé ait besoin de ces petits secours.


Je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.


Voltaire.


A Bruxelles ce »

 

Pascal ? Il y a déjà longtemps que j'ai envie de combattre ce géant

Pour renouer avec les joies du Net et du blog après un sevrage sévère (plus d'ordi)...

 

 

« A Jean-Baptiste-Nicolas Formont

[Vers le 1er juin 1733]

Rempli de goût, libre d'affaire,
Formont, vous savez sagement
Suivre en paix le sentier charmant
De Chapelle et de Sablière ;
Car vous m'envoyez galamment
Des vers écris facilement,
Dont le plaisir seul est le père,
Et quoiqu'ils soient faits doctement,
C'est pour vous un amusement.
Vous rimez pour vous satisfaire,
Tandis que le pauvre Voltaire
Esclave maudit du parterre,
Fait sa besogne tristement.

Il barbote dans l'élément
Du vieux Danchet et de La Serre.
[censeurs royaux et auteurs]
Il rimaille éternellement,
Corrige, efface assidument,
Et le tout, Messieurs, pour vous plaire
.

Je vous soupçonne de philosopher à Canteleu ave mon cher, aimable et tendre Cideville. Vous savez combien j'ai toujours souhaité d'apporter mes folies dans le séjour de votre sagesse.

Atque utinam ex vobis unus, vestrique fuissem
Aut custos gredis, aut maturae vinitor uvae !
Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori,
Hic nemus, hic ipso tecum consumerer aevo.
[Ah ! Si j'avais été l'un de vous , ou gardien de votre troupeau ou vendangeur de votre raisin mûr ! Ici il y a des sources fraiches, ici, il y a de moelleuses prairies, Lycoris, ici avec toi, c'est l'âge même qui me consumerait]

Mais je suis entre Adélaïde du Guesclin, le seigneur Osiris [personnage de son opéra Tanis et Zélide] et Newton. Je viens de relire ces Lettres anglaises moitié frivoles, moitié scientifiques [cf. lettres à Formont du 6 décembre 1732 et du 27 janvier 1733, à Thiriot du 1er avril 1733 et à Cideville du 21 avril 1733]. En vérité, ce qu'il y a de plus passable dans ce petit ouvrage, est ce qui regarde la philosophie ; et c'est, je crois, ce qui sera le moins lu. On a beau dire : le siècle est philosophe. On n'a pourtant pas vendu deux cents exemplaires du petit livre de M. de Maupertuis, où il est plus question de l'attraction,[Discours sur les différentes figures des astres ... avec une exposition abrégée des systèmes de M. Descartes et de M. Newton, 1732] et si on montre si peu d'empressement pour un ouvrage écrit de main de maître, qu'arrivera-t-il aux faibles essais d'un écolier comme moi ? Heureusement j'ai tâché d'égayer la sécheresse de ces matières et de les assaisonner au goût de la nation. Me conseilleriez-vous  d'y ajouter quelques petites réflexions détachées sur les Pensées de Pascal ? Il y a déjà longtemps que j'ai envie de combattre ce géant. Il n'y a guerrier si bien armé qu'on ne puisse percer au défaut de la cuirasse ; et je vous avoue que si, malgré ma faiblesse, je pouvais porter quelques coups à ce vainqueur de tant d'esprits, et secouer le joug dont il les a affublés, j'oserais presque dire avec Lucrèce :


Quare superstitio pedibus subjecta vicissim
Obturateur, nos exaequat victoria coelo.

Au reste, je m'y prendrai avec précaution, et je ne critiquerai que les endroits qui ne seront point tellement liés avec notre sainte religion qu'on ne puisse déchirer la peau de Pascal sans faire saigner le christianisme. Adieu. Mandez-moi ce que vous pensez des lettres imprimées et du projet sur Pascal. En attendant je retourne à Osiris. J'oubliais de vous dire que le paresseux Linant échafaude son Sabinus. »