20/01/2013
Mais je suis heureux des plaisirs qu'on a
... Et si j'en étais fâché, ou jaloux, je serais doublement idiot, or une seule fois me suffit !
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
A Lausanne 3 novembre [1757]
Je suis venu à Lausanne, monsieur, pour voir quelle mine ont deux personnes 1 nouvellement heureuses pour faire ma cour à toute votre famille et en même temps j'arrange mon petit ermitage du Chêne . Mais si votre vilaine bise 2 n'a pas pitié de moi il n'y a pas d'apparence que je sois un de vos acteurs cet hiver à moins que vous n'ayez à me donner quelque rôle de vieux malade borgne et édenté .
J'aurais bien voulu pouvoir vous envoyer les lettres qui ont excité votre curiosité mais quand vous serez à Lausanne vous verrez que cela n'était pas possible . Vous êtes bien bon de supposer que la personne qui m'a écrit 3 ait de l'amitié pour moi . C'est un sentiment que les gens de son espèce ne connaissent guère . Je ne peux que le plaindre de tout mon cœur . Il ne tenait qu'à lui d'être de tous les rois le plus heureux, étant le plus riche, le plus instruit, le plus rempli de goût et de talents . Il s'est perdu et je n'envisage rien que de sinistre . Mme la margrave de Bareith sa sœur me mandait il n'y a pas longtemps qu'elle enviait son sort, elle le trouverait encore plus doux, monsieur, si elle savait combien votre société et celle de toute votre famille est aimable . C'est ma nièce qui jouit actuellement de tous les agréments et de toutes les fêtes du nouveau marié . Je n'assiste ni au bal ni aux soupers . Je suis rencogné chez moi avec un emplâtre sur l’œil comme le valet du retour imprévu 4. Mais je suis heureux des plaisirs qu'on a . L’applaudissement qu'on donne au mariage me flatte beaucoup de sorte qu'il n'y a point de plus heureux malade que moi . Je retourne planter aux Délices après quoi je reviens attendre à Lausanne le jour des rois, jour auquel je rendrai mes respects à Agamemnon et au duc de Foix . Comptez toujours, ma nièce et moi, monsieur, parmi ceux qui sentent le plus vivement tout ce que vous valez et qui vous sont le plus attachés .
V.»
2 Vent de nord-nord-est qui souffle sur le plateau suisse et prend en enfilade la vallée du Rhône, le lac Léman et le Pays de Gex .
4 De Jean-François Regnard .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Regnard
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au milieu des intérêts publics je ne dois pas songer à mes chagrins particuliers
... Juste les mettre entre parenthèses ! Faire contre mauvaise fortune bon coeur et espèrer une juste solution des emm.... embêtements que créent des proches mal intentionnés .
Au besoin, montrer les dents
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
Au Chêne à Lausanne [2 ?] novembre [1757]
L'aventure de Berlin, madame, était déjà dans toutes les gazettes et le prince Louis de Virtemberg me l'avait mandée de Lissa, mais non pas avec toutes les circonstances que vous m'apprenez . On ne dit rien du trésor . Apparemment que le sieur Ferdersdorf , ce valet de chambre premier ministre, l'aura fait transporter à Custrin . Mais il y en avait un autre à Potsdam tout en or . C'eût été une assez bonne capture . Il était auprès de la petite salle des soupers de confidence . Il y aura grande apparence qu'à la fin de toutes ces affaires-ci on verra plus d'espèces circuler en Allemagne .
Je me tais sur cette grande révolution . Il m'est seulement permis de remarquer que Frédéric aurait été le plus heureux des rois aussi bien que le plus riche s'il avait été aussi philosophe qu'il a cru quelquefois l'être . Il aurait épargné à l'Europe la guerre de 1741 et celle qui désole aujourd'hui une partie de l'Allemagne .
Je ne peux que le plaindre . Il m'a écrit plusieurs fois et j'ai goûté la vengeance de le consoler . J'aurais souhaité, je vous l'avoue, qu'il eût un peu justifié les sentiments de compassion qu'il m'a inspiré en réparation de la violence inexcusable dont il usa envers ma nièce, envers une étrangère, une sujette du roi de France qui ne lui devait rien et dont il n'avait aucun sujet de se plaindre . J'apprendrai peut-être quelque jour à la postérité que dans Francfort où l'empereur a été élu, un marchand nommé Smith, condamné pour fausse monoye par une commission impériale, et un nommé Freytag condamné dans Dresde à la brouette, ont de leur autorité privée arrêté ma nièce au nom du roi de Prusse dans la rue au milieu de la populace, l'ont conduite à pied en prison, l'ont fait coucher en présence de quatre soldats qui avaient la baïonnette au bout du fusil au pied de son lit, se sont saisis de ses effets et des miens, les ont gardés tant qu'ils ont voulu et m'ont volé des sommes considérables : Mme Denis n'avait d'autres crimes que de m'avoir conseillé plusieurs fois de revenir dans ma famille . Il est bien étrange que le roi de Prusse m'écrive aujourd'hui sans réparer le moins du monde cette action qui n'est pas à sa gloire . Mais, madame, au milieu des intérêts publics je ne dois pas songer à mes chagrins particuliers, et ma nièce heureuse dans ma retraite oublie ce que ce prince n'aurait pas dû oublier . Est-il possible qu'avec tant de talents il se soit attiré tant d'inimitiés personnelles, et que son esprit n'ait servi qu'à son malheur ! Je réfléchis souvent sur ce grand exemple, les malheurs des rois peuvent servir même aux hommes obscurs . Il ne manquerait rien à la douceur de la retraite dont je jouis si vous veniez habiter à Montriond . Mais je ne compte sur rien que sur mon tendre respect pour vous .
V.
Je vous supplie madame, de me mander les suites de la prise de Berlin . Vous m'écrivez sur de grandes feuilles, soit, pourvu qu'elles soient remplies . »
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Je vous aurai une très grande obligation
... De laisser parfois/souvent un commentaire . Veuillez agréer, mon cher lecteur, etc., etc.
« A M. Gabriel Cramer
l'ainé .
[vers le 1er novembre 1757]
Je vous demande en grâce avant de partir 1, mon cher éditeur, de vouloir bien faire tenir un exemplaire de votre seconde édition à M. Darget directeur de l’École militaire, à l’École militaire à Paris .
Je vous aurai une très grande obligation .
V. »
1 Le 28 novembre Cramer est à Lyon, à Toulouse le 2 janvier 1758, puis Bordeaux, Madrid, Lisbonne, Valence, Barcelone, Toulouse pour arriver à Marseille le 23 novembre 1758 .
08:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/01/2013
Continuez l'histoire de votre patrie, ce travail vous fera beaucoup d'honneur
... Si vous pensez au bien commun avant le vôtre, "messieurs qu'on nomme grands" comme chantait Boris Vian .
Et comme j'aime les paradoxes, en ce temps guerrier où les soldats n'ont pas même le temps d'être sur le théâtre des opérations pour mourir bêtement, banalement, un petit Déserteur pour réveiller les consciences :
http://www.youtube.com/watch?v=oYyrAG7cU_U
« A M. Jacob VERNES
ministre chez monsieur son père à Genève
A Lausanne, ce 28.[octobre 1757 ?]
Je vous remercie, mon cher ami, de la belle catéchèse. Je vous prie de pousser la bonté d'âme jusqu'à dire que je suis très- content, et que surtout j'admire la modération avec laquelle elle est écrite.
Je ne crois pas qu'avant Charles-Quint, François Ier et Henri VIII, on ait connu une balance politique. Le premier modèle de cette balance peut se trouver en Grèce, dans les guerres des Athéniens, des Spartiates et des Thébains. Mais ce système ne sortit point de la Grèce, et il ne paraît pas qu'on l'ait suivi contre les Romains, qui mangèrent les nations une à une, sans qu'il y eût de véritables ligues formées pour arrêter ces brigands. Personne ne songea à établir une balance contre le tyran Karl, surnommé Magne. Enfin, je ne vois cette politique bien clairement établie que par les Médicis en Italie, et par Henri VIII dans une grande partie de l'Europe.
Continuez l'histoire de votre patrie, ce travail vous fera beaucoup d'honneur. Vous avez raison de dire que Calvin joue le rôle de Cromwell 1 dans l'affaire de l'assassinat de Servet 2. Hélas ce pauvre Servet avait déclaré nettement que la divinité habitait en Jésus-Christ, et plus nettement qu'on ne le déclare aujourd'hui. Puisse l'Être éternel faire miséricorde à Jehan Chauvin de Noyon, en Picardie, pour un si grand crime ! »
1 Puritain, il vota la mort pour le roi Charles Ier d'Angleterre . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Oliver_Cromwell
2 Si Servet a dit cela, ce n'est pas dans l'histoire manuscrite de Genève qu'il composa avec Antoine-Jacques Roustan . http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Jacques_Roustan
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on arrive au vrai par la communication des idées
... Et au mensonge par des chemins tordus .
« De M. Jean-Robert TRONCHIN, de Lyon
Lyon, 24 octobre [1757].
J'ai reçu, monsieur, avant-hier la lettre dont vous m'avez honoré le 20 1, et hier je fus en campagne pour la communiquer à la personne 2. Je lui en fis lecture; bien loin de la regarder comme un songe, il en a été enchanté. « Apparemment, dit-il, que si ce projet s'exécute, le paquet de madame la margrave lui parviendra par vous, monsieur » Je lui ai répondu que vous suivriez la même route commencée. Il est bien content des vers galants que vous avez faits pour Mme de Montferrat, et très-sensible à toutes les politesses dont vous l'avez comblée.
Si vous usez de comparaison avec la réception faite il y a trois ans 3, vous devez le trouver extraordinaire mais je vous prie d'observer la circonstance de ses places, et les avis qu'il avait alors de la cour. Je puis bien vous assurer de la répugnance qu'il avait et de son penchant à être agréable à tous. Dans cet intervalle de temps, la façon de penser a bien changé; on arrive au vrai par la communication des idées, et s'il avait le plaisir de vous voir à présent, vous en seriez aussi édifié que vous l'avez été peu. Il y a quelque temps que je lui entendis faire publiquement votre éloge, et il y avait des gens de même étoffe que lui.
Mon suffrage sur votre excellente lettre n'est pas d'un grand poids; mais je ne puis assez vous dire combien je suis content, et combien je désire que des vues aussi sages et utiles à l'Europe soient couronnées du succès par la continuation de vos soins éclairés et les suites de votre crédit sur l'esprit du roi de Prusse et de madame sa sœur, et leur confiance en vous. De mon côté, je ne perdrai pas un instant pour tout ce dont je serai chargé. »
« Note en réponse, dictée par M. le cardinal de TENCIN à M. J-R. TRONCHIN.
Le plan est admirable; je l'adopte en entier, à l'exception de l'usage qu'il voudrait faire de moi en me mettant à la tête de la négociation. Je n'ai besoin ni d'honneurs ni de biens, et, comme lui, je ne songe qu'à vivre en évêque philosophe. Je me chargerai très-volontiers de la lettre de madame la margrave, et je pense qu'elle ferait très-bien, dans la lettre qu'elle m'écrira, d'y mettre les sages réflexions que M. de Voltaire emploie dans la sienne, concernant l'agrandissement de la maison d'Autriche. Elle ferait bien de me dire quelque chose de flatteur pour l'abbé de Bernis 4, qui a les affaires étrangères et le plus grand crédit à la cour.
Apparemment que si ce projet s'exécute, le paquet de madame la margrave me parviendra par M. de Voltaire. »
1 Voir lettre du 20 octobre 1757 à J-R Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/10/toute-mon-ambition-se-borne-a-n-avoir-pas-la-colique.html
3 Lors de son séjour à Lyon en 1754, V* a été éconduit par le cardinal de Tencin .Voir lettre du 23 novembre 1754 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/10/17/mandez-moi-donc-mon-cher-ange-s-il-est-vrai-que-je-suis-auss.html
15:29 | Lien permanent | Commentaires (0)
18/01/2013
que Mme la duchesse de Gotha soit mangée, et le roi de Prusse dépouillé, cela ne doit pas m'empêcher d'orner mon cabinet
... Show must go on ! On ne va tout de même pas se priver pour le roi de Prusse !
« A Jean-Robert Tronchin
A Lausanne 27 octobre [1757]
Je suis très flatté mon cher monsieur que mes rêves n'aient pas déplu à un homme qui a autant de solidité dans l'esprit que la personne respectable 1 à qui vous les avez communiqués . Ce qui me fait croire encore que les songes peuvent devenir des vérités, c'est que j'ai lieu de penser qu'on travaille déjà à ce que j'ai proposé . Il est question à ce que je présume d'une négociation entre le roi de Prusse et M. le maréchal de Richelieu, et elle pourrait bien finir par quelque chose de semblable à celle de M. le duc de Cumberland 2. C'est de quoi vous pourriez parler à Son Excellence qui peut être en est déjà instruite .
Je reçois dans le moment des lettres de Londres en date du 13 . Il n'est nullement question dans ces lettres de la maladie du roi d'Angleterre, et il faut bien que les ports ne soient pas fermés puisque les paquebots vont et viennent .
Au milieu des malheurs de tant de peuples il faut que je vous prie de vouloir bien me procurer soixante et quatre pieds des plus belles et des plus larges baguettes dorées, car, que Mme la duchesse de Gotha soit mangée, et le roi de Prusse dépouillé, cela ne doit pas m'empêcher d'orner mon cabinet .
Il y a d'assez plaisantes chansons en Angleterre sur l'expédition de leur flotte . Il vaut encore mieux faire des chansons que de pendre un amiral 3.
Mme Denis vous fait mille compliments et le Suisse V. vous embrasse de tout son cœur .
V.
Permettez que je vous adresse l'incluse . »
1 Le cardinal de Tencin .Voir lettre de Jean-Robert Tronchin du 24 octobre 1757 et la note du cardinal : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/19/on-arrive-au-vrai-par-la-communication-des-idees.html
2 Le 26 juillet 1757, le maréchal d'Estrées remporte, près de Hastembeck et de Hameln, au pays de Hanovre, une victoire complète sur le duc de Cumberland, qui commandait les Hanovriens, Anglais et Hessois. Le 10 septembre, capitulation de Closterseven, conclue entre le maréchal de Richelieu et le duc de Cumberland, pour une suspension d'armes. Avantageuse pour les Français, elle sera rompue peu après par les Hanovriens du prince Ferdinand de Brunswick .
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17/01/2013
J'ai perdu le temps de mon existence à composer un énorme fatras dont la moitié n'aurait jamais dû voir le jour
... Je serais bien heureux si seulement la moitié [de mon existence] n'offrait guère d'intérêt , et pour moi , et pour le reste de l'humanité . Passons ...
Rêvons ...
http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/video/I06349880/jacques-prevert-fatras.fr.html
Et puis, réveillons-nous ! Plus sérieux, dédié par moi-même à tout xénophobe français : Etranges étrangers : http://www.dailymotion.com/video/x8naq5_jacques-prevert-etranges-etrangers_news#.UPg3emdZnbo
« A M. Charles PALISSOT de MONTENOY.
rue Neuve-saint-Augustin
vis-à-vis l'hôtel Richelieu à Paris
Au Chêne, à Lausanne, 27 octobre [1757].
La mort de ce pauvre petit Patu 1 me touche bien sensiblement, monsieur. Son goût pour les arts et la candeur de ses mœurs me l'avaient rendu très-cher. Je ne vois point mourir de jeune homme sans accuser la nature; mais, jeunes ou vieux, nous n'avons presque qu'un moment et ce moment si court, à quoi est-il employé? J'ai perdu le temps de mon existence à composer un énorme fatras dont la moitié n'aurait jamais dû voir le jour. Si, dans l'autre moitié, il y a quelque chose qui vous amuse
c'est au moins une consolation pour moi. Mais, croyez-moi, tout cela est bien vain, bien inutile pour le bonheur. Ma santé n'est pas trop bonne vous vous en apercevrez à la tristesse de mes réflexions. Cependant je m'occupe avec Mme Denis à embellir mes retraites auprès de Genève et de Lausanne. Si jamais vous faites un nouveau voyage vers le Rhône, vous savez que sa source est sous mes fenêtres. Je serais charmé de vous voir encore, et de philosopher avec vous. Conservez votre souvenir au Suisse
V. »
1 Voir lettre du 26 octobre 1757 à Jacob Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/17/je-suis-toujours-etonne-de-vivre-quand-je-vois-des-jeunes-ge.html
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