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24/07/2022

les opinions se partagent sur toutes les affaires de ce monde ; mais après avoir tout pesé, tout discuté, il faut prendre enfin un parti

...

 

« A Henri-Louis Lekain

23 février 1767 à Ferney

Mon cher ami, le petit concile de Ferney a répondu au grand concile de l’hôtel d’Argental. Nous trouvons le projet qu’on nous propose froid et impraticable. Nous trouvons insipide ce Je ne puis, substitué à ce terrible Je l’accepte 1.

Nous croyons, d’après l’expérience, que ce Je l’accepte, prononcé avec un ton de désespoir et de fermeté, après un morne silence, fait l’effet le plus tragique.

Nous pensons que l’étonnement, le doute, et la curiosité du spectateur, doivent suivre ce mouvement de l’actrice. Nous sommes persuadés, d’après nos propres sensations, que tout le rôle d’Obéide, au cinquième acte, tient le spectateur en haleine, et le remue d’autant plus fortement qu’il devine dans le fond de son cœur ce qui doit arriver.

Nous avons pesé les inconvénients, et ce qui nous paraît des beautés ; nous avons conclu qu’il serait abominable de faire traîner Athamare à la torture et aux supplices, et que si dans ce moment Obéide prenait la résolution de s’offrir pour l’immoler, afin de lui épargner des souffrances, cela ressemblerait à un bourreau qui va donner le coup de grâce ; et si elle ne prend que dans ce moment la résolution de se tuer, cette inspiration subite ne fait pas, à beaucoup près, le même effet qu’un dessein pris dès la première scène, et qui rend son rôle théâtral pendant l’acte tout entier.

Nous alléguons beaucoup d’autres raisons que nous détaillons dans un mémoire que nous envoyons à M. d’Argental ; nous craignons à la vérité de nous tromper, en combattant l’avis des connaisseurs les plus éclairés, mais nous ne pouvons juger que d’après notre sentiment. Nous avons vu l’effet, et M. d’Argental ne l’a pas vu. Nous ne craignons rien de ce qu’ils craignent, et un endroit qui ne leur a fait aucune peine nous en fait beaucoup. C’est ainsi que les opinions se partagent sur toutes les affaires de ce monde ; mais après avoir tout pesé, tout discuté, il faut prendre enfin un parti. Ce parti est celui de jouer la pièce telle que je vous l’ai envoyée par M. Marin. Je vous prie seulement de changer ce vers :

Vous voyez, vous sentez quel meurtre se prépare.

Il faut mettre à la place 2:

Vous savez quel tourment un refus lui prépare.

Je suis persuadé que vous donnerez à l’actrice toute l’intelligence du rôle d’Obéide.

Nous nous flattons que le quatrième acte sera extrêmement théâtral ; je suis, bien sûr que vous le ferez réussir, quand vous direz au bonhomme Hermodan, avec une pitié noble : Vieillard, ton fils n’est plus.

Encore une fois, nous pouvons nous tromper, Mme Denis, Mme de La Harpe, Mme Dupuits, M. de La Harpe, M. Dupuits, M. Cramer, et moi ; mais répétez comme nous avons répété, et jugez d’après l’effet.

Je suis d’ailleurs dans la nécessité absolue de faire réimprimer la pièce incessamment, et j’attends de vos nouvelles avec la plus vive impatience.

V.

N. B. – Depuis ma lettre écrite 3, nous venons de jouer la pièce ; le cinquième acte a fait un plus grand effet encore que le quatrième. On a versé beaucoup de larmes, et il n’y a point de critique qui tienne contre des larmes. Si j’avais le malheur de croire une seule des critiques qu’on me fait, la pièce serait perdue : croyez-en mon expérience, et l’effet dont je viens d’être témoin.

Souvenez-vous du quatrième acte de Tancrède, qu’on voulait me faire changer. »

1 Les Scythes, acte V, scène 1.

2 La correction a été faite acte V, scène 2 .

3 Curieuse survivance de ce tour ancien, depuis ma lettre écrite, qu'on aurait pu croire tombé en désuétude depuis le temps où Mme de Sévigné en faisait usage .

23/07/2022

Il en sera toujours d’une tragédie comme de toutes les affaires de ce monde : il faut choisir entre les inconvénients les moins grands .Il y aura sans doute des critiques

... D'où les négociations et accords russo-turco-ukrainiens . Crainte de famines possibles avec leurs désordres sociaux inévitables et nécessité de remplir les tiroirs-caisses sont de puissants moteurs , tant pour l'agresseur que l'agressé : il faut se "faire du blé ! "

 

 

« A Bernard-Louis Chauvelin

23è février 1767 à Ferney

Je suis partagé, monsieur, entre la reconnaissance que je vous dois et l’admiration où je suis qu’au milieu de vos occupations, et même de vos dissipations, vous ayez pu faire un plan si rempli de génie et de ressources. Nous convenons qu’il est l’ouvrage d’un esprit supérieur. Vous me direz : pourquoi ne l’adoptez-vous donc pas ? Vous en verrez les raisons dans le petit mémoire que nous envoyons à M. et à Mme d’Argental.

Mme Denis, M. et Mme de La Harpe, nos acteurs et moi, nous avons retourné de tous les sens ce que vous nous proposez. Nous nous sommes représenté vivement l’action, et tout ce qu’elle comporte, et tout ce qu’elle doit faire dire ; nous sommes tous d’un avis unanime ; nous osons même nous flatter que, quand vous verrez nos raisons déduites dans notre mémoire, elles vous paraîtront convaincantes.

Il est vrai que, malgré toutes nos raisons, nous tremblons d’avoir tort lorsque nous disputons contre vous. Nous sentons bien qu’il y a quelque chose de hasardé dans ce cinquième acte, mais nous ne pouvons juger que d’après l’impression qu’il nous laisse. Nous le jouons, et il nous fait un effet terrible.

Comment voulez[-vous] que nous abandonnions ce qui nous touche pour un plan qui, tout ingénieux qu’il est, nous paraît avoir des difficultés insurmontables ? Il en sera toujours d’une tragédie comme de toutes les affaires de ce monde : il faut choisir entre les inconvénients les moins grands. Il y aura sans doute des critiques ; Zaïre, Mérope, Tancrède, etc., en ont essuyé beaucoup, et le Siège de Calais a inspiré le plus grand enthousiasme. Il faut se soumettre à cette bizarrerie des hommes : mais nous sommes tous persuadés que la chaleur du cinquième acte doit l’emporter sur toutes les critiques qu’on fera de sang-froid.

Le spectateur assurément se doute bien, dans la tragédie d’Olympie, que cette Olympie se jettera dans le bûcher de sa mère ; et c’est précisément ce doute qui inspire la curiosité et l’attendrissement. Il est dans la nature humaine de vouloir voir comment les choses qu’on devine seront accomplies. C’est ce que nous détaillons dans notre mémoire, que nous vous supplions de lire avec impartialité.

Pour moi, je me défie de mes idées ; j’aime et je respecte les vôtres autant que votre personne. C’est avec timidité et avec honte que je suis d’un autre avis que vous ; mais enfin il ne faut jamais, dans aucun art, travailler contre son propre sentiment, comme en morale il ne faut point agir contre sa conscience : on est sûr alors de travailler très mal ; l’enthousiasme est entièrement éteint, l’esprit, mis a la gêne, perd toute son élasticité. On écrit raisonnablement, mais froidement. En un mot, lisez nos représentations, et jugez.

Je crois avoir d'ailleurs des remerciements à vous faire ; les fermiers généraux m'ont promis de destituer l'employé dont nous avions tant à nous plaindre ; c'est sans doute à vous que nous en avons l'obligation 1.

Agréez, monsieur, mon tendre et respectueux attachement pour vous, pour Mme de Chauvelin, et pour tout ce qui vous appartient.

N. B.-- Depuis ma lettre écrite, nous avons joué la pièce ; le cinquième acte a fait plus d’effet que les autres, et on a répandu beaucoup de larmes. »

1 Ce paragraphe omis dans la copie Beaumarchais-Kehl manque dans toutes les éditions .

22/07/2022

Voici encore un petit changement que j’ai jugé absolument nécessaire

... Ou quand l'opposition apporte son grain de sel amer et freine des quatre fers pour l'élaboration d'une loi .

 

 

« A Henri-Louis Lekain

21 février 1767

Vous avez dû, mon cher ami, recevoir une lettre de moi avec la tragédie des Scythes, que j’ai adressée pour vous à M. Marin. Voici encore un petit changement que j’ai jugé absolument nécessaire. Ma mauvaise santé et mon épuisement total ne me permettent plus de travailler à cet ouvrage ; je vous demande en grâce de me dire si vous pouvez la faire jouer le mercredi des Cendres, parce que si elle ne peut être jouée dans ce temps-là, il est d’une nécessité absolue que je donne l’édition corrigée, pour indemniser le libraire de la perte de sa première édition. Il serait beaucoup plus avantageux pour vous que la pièce fût jouée le mercredi des Cendres, parce qu’alors je serai plus en état de vous procurer un honoraire de la part du libraire ; d’ailleurs, comme on joue actuellement cette pièce à Lausanne, et qu’on va la jouer à Bordeaux, aussi bien que chez moi, il paraît indispensable que les comédiens se déterminent sans délai. Je vous prie très instamment de me mander votre dernière résolution, et de compter toujours sur la tendre amitié que je vous ai vouée pour le reste de ma vie.

V.

Corrections à la scène deuxième du cinquième acte,

entre Sozame et Obéide.

 

Obéide.

Avez-vous bien connu mes sentiments secrets ?
Dans le fond de mon cœur avez-vous daigné lire ?

 

Sozame.

Mes yeux l’ont vu pleurer sur le sein d’Indatire ;
Mais je pleure sur toi dans ce moment cruel :
J’abhorre tes serments.

 

Obéide.

Vous voyez cet autel,
Ce glaive dont ma main doit frapper Athamare ;

Vous savez quels tourments mon refus lui prépare :
Après ce coup terrible, et qu’il me faut porter,
etc.



M. Lekain est prié de porter ce changement sur la copie que M. Marin a dû lui remettre. »

21/07/2022

Vous n’êtes pas encore au point où je vous voudrais

... Telle est l'opinion déclarée des 27 au moment d'accepter de négocier l'adhésion de l'Albanie et de la Mécédoine du Nord : https://www.20minutes.fr/monde/3326943-20220718-union-eur... 

 

 

 

« A Louis-César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière

21 février [1767] à Ferney

Il est vrai, monsieur le duc, que j’ai fait une drôle de tragédie où j’ai mis un petit-maître persan avec des paysans scythes, et une demoiselle de qualité qui raccommode ses chemises et celles de son père, supposé qu’on eût des chemises en Scythie. Comme vous ne haïssez pas les choses bizarres, j’aurais pris sans doute la liberté de vous envoyer cette facétie, si je n’étais occupé à la corriger : ce qui me coûte beaucoup, attendu que j’ai eu, il y a quelque temps, un petit soupçon d’apoplexie qui m’a un peu affaibli le cervelet. J’ai l’honneur d’entrer dans ma soixante et quatorzième année, quoi qu’en disent mes mauvaises estampes. Vous voyez que ma tragédie n’est pas un jeu d’enfant, mais elle tient beaucoup du radotage, ce qui revient à peu près au même.

Ou j’ai perdu entièrement la mémoire, ou je me souviens très bien que je vous ai remercié de votre beau certificat 1 en faveur d’Urcéus Codrus. Celui qui écrit sous ma dictée (parce que je suis aveugle tout l’hiver) se souvient très bien de vous avoir remercié de votre témoignage sur Urcéus. Nous sommes exacts, nous autres solitaires, parce que nous ne sommes point distraits par le fracas.

On dit que vous faites un bijou de l’hôtel Jansin 2. Je m’en rapporte bien à vous, surtout si vous avez autant d’argent que de goût.

On dit qu’on joue chez vous un jeu prodigieux. Fi ! cela n’est pas philosophe. Vous n’êtes pas encore au point où je vous voudrais.

Cependant conservez-moi vos bontés ; j’ai besoin de cette consolation, après avoir été vingt ans sans vous faire ma cour : car, si vous vous en souvenez, je me suis enfui de France au Catilina de Crébillon . C’était, pardieu  un détestable ouvrage ; c’était le tombeau du sens commun ; mais je veux actuellement qu’on ait de l’indulgence pour les vieillards.

Je vous suis attaché pour le reste de ma vie avec bien du respect, et avec toute la vivacité des sentiments d’un jeune homme.

Voltaire. »

1 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/592

Voir lettre du 9 septembre 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/11/vous-n-en-serez-que-plus-heureux-en-vivant-pour-vous-et-pour-6354470.html

. Le duc de La Vallière y a répondu le 1er novembre 1766, y disant rendre hommage à la vérité, « en déclarant, le plus authentiquement qu'il est possible » ; « […] la lettre que vous m'avez adressée et qui commence par ces mots : Votre procédé est de l'ancienne chevalerie, est falsifié en beaucoup d'endroits dans le recueil où elle est imprimée ; »

Voir page 275 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome41.djvu/285

20/07/2022

Nous ne pouvons y atteindre, dit Montagne, vengeons- nous par en médire

... Telle semble être la stratégie regrettable de NUPES pour ces premiers rounds législatifs : https://www.francetvinfo.fr/economie/pouvoir-achat/loi-po...

 

 

 

« A David-Louis Constant baron de Rebecque, seigneur d'Hermenches

à Lausanne

 

Corrections, acte Vè, scène IIde

….........................................................................................................

Sozame

….......................................................................

….........................................................................

….........................................................................

Tous mes ressentiments sont changés en regrets.

 

Obéide

Avez-vous bien connu mes sentiments secrets ?

Dans le fond de mon cœur avez-vous daigné lire ?

 

Sozame

Mes yeux t'ont vu pleurer sur le sang d'Indatire,

Mais je pleure sur toi dans ce moment cruel :

J'abhorre tes serments .

 

Obéide

Vous voyez cet autel,

Ce glaive dont ma main doit frapper Athamare,

Vous savez quels tourments mon refus lui prépare. –

Après ce coup terrible – et qu'il me faut porter

etc., page 66.

 

Ces gens là paraissent bien acharnés, mon cher colonel, et ils sont bien ennemis d'eux-mêmes . Nous ne pouvons y atteindre, dit Montagne, vengeons- nous par en médire 1. Le renard qui trouvait les raisins trop verts 2 a laissé , ce me semble, une nombreuse postérité . Je vois avec plaisir que vous ne vous laissez pas abattre par vos ennemis . Vous êtes un brave homme qu'on n'intimide point . N'y aura-t-il pas de l'indiscrétion à moi de vous proposer ce petit changement que j'ai fait à la scène IIde du cinquième acte entre Obéide et son père ? Cette correction m'a paru absolument nécessaire . Je vous supplie de la faire porter sur les deux rôles et sur la pièce . J'espère toujours venir vous entendre, je me flatte que vous m'avertirez du jour .

Les affaires de Genève sont toujours au même point, et la pauvre pays de Gex bien accablé .

21è février 1767. »

2 Le Renard et les raisins, La Fontaine, Fables, III, 11 : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/renetrai.htm

19/07/2022

assurément les Anglais ne seraient point du tout contents

... si le gouvernement ne mettait pas fin immédiatement à la vague de chaleur britannique . Que fait-on pour remettre une bonne couche de fog doublée d'un crachin bienvenu ? https://www.20minutes.fr/planete/3326491-20220717-canicul...

La Grande-Bretagne étouffe sous la chaleur

God save the string !

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 20 février 1767]

Je vous prie bien violemment, mon cher Caro, de songer à cette addition pour le nombre 31 qu'on a mise si cruellement au nombre 3, et qui fait un contresens abominable dont assurément les Anglais ne seraient point du tout contents . Je vous ai envoyé pour le nombre 3 un supplément, un adoucissement, un emplâtre tout à fait nécessaire, car ce qu'on dit de l'âme à ce nombre 3 aurait alarmé tout le parti fanatique . Il faut l'instruire et le ménager . Vale . »

J'ai fait la page, la voici .

... Bravo et merci Cabu !

"Cabu, dessins de la rafle du Vel d’Hiv" - jusqu’au 7 novembre 2022 au Mémorial de la Shoah. (CAPTURE D'ÉCRAN FRANCE 3 / I. RACINE)

https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/d...

 

 

 

« A Gabriel Cramer

à Genève

[vers le 20 février 1767]

J'ai eu grand tort de ne pas relire avec assez d'attention la première feuille 1. je m'aperçois qu'on a mis au nombre 3, page 6, une addition qui était destinée au numéro 31 . Cette addition commence à ces mots : Comment l’Égyptien qui élevait des pyramides etc.. Elle n'a aucun rapport avec ce qui précède et ce qui suit . Elle paraît même contradictoire avec le nombre 4 , et elle interrompt absolument tout l'ordre de l'ouvrage . On envoya deux additions à M. Cramer . Leurs places étalent soigneusement marquées dans la copie en deux petites feuilles séparées .

Il est essentiel d'ôter cette addition qu’on a portée si mal à propos à la page 6 . Je crois que cette première feuille n'est pas encore tirée, puisque on ne me l'envoya qu'avant-hier . Il faut donc tout suspendre, et faire une nouvelle page qui remplace ce que l'on doit ôter .

C'est à quoi je vais travailler .

J'ai fait la page, la voici . »