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08/12/2009

On nuit plus au progrès de l’esprit en plaçant mal les récompenses qu’en les supprimant

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Accrochez-vous bien !

Je peux témoigner que "tomber" amoureux n'est pas toujours figuré .

(NDLR : un conseil d'ami : méfiez-vous des chaises à roulettes  ;- ))

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« A Charles-François Hénault

 

Au château de Potsdam, 8 décembre [1751]

 

                            Vous me croirez paresseux, mon cher confrère, mais c’est parce que je ne le suis point que j’ai été si longtemps sans vous écrire. J’étais occupé à finir mon essai du Siècle de Louis XIV, à tâcher de vous imiter et de mériter votre suffrage et vos bontés. Il s’est glissé beaucoup de fautes tant de ma part que de l’éditeur, et je fais des cartons. J’ai pris la liberté de vous voler la liste des maréchaux de France et des ministres que j’ai mise à la suite de l’ouvrage [emprunt au Nouvel abrégé chronologique de l’Histoire de France de Hénault ]. Elle est suivie d’un catalogue de presque tous les artistes qui ont immortalisé ce siècle en tant de différents genres. Je vous supplie de jeter les yeux sur une petite partie de ce catalogue et de renvoyer ensuite ces deux feuilles à Mme Denis. J’avais, comme vous le voyez, prévenu cet énorme abbé Lambert, [Claude-François Lambert, auteur de Histoire littéraire du règne de Louis XIV (Paris 1751) ],  et je crois ni ne penser ni écrire comme lui. Franchement son gros livre déshonore la nation qu’il a cru honorer ; mais des barbouilleurs ont beau défigurer les grands hommes et peindre des pygmées à coté d’eux, les pygmées disparaissent, les barbouilleurs sont oubliés et les grands hommes restent.

 

                            A propos de grands hommes, il est triste que le roi de Prusse ait supprimé  la vie de son père dans l’Histoire de Brandebourg [ le règne de Frédéric-Guillaume est peu traité dans l’édition hollandaise de Mémoires pour servir à l’histoire de la Maison de Brandebourg (1751), mais il était traité dans l’édition faite « Au donjon du château » et le sera à nouveau dans la Continuation (1757) ]; mais vous m’avouerez, Monsieur, que les trois dissertations sur la religion, les mœurs, le gouvernement de son pays sont d’un vrai philosophe, et que Salomon, Marc Aurèle et Julien n’eussent pas  mieux fait. Au reste je n’ai d’autre part aux ouvrages  de cet homme très extraordinaire que celle d’avoir fait avec lui mon métier d’académicien et d’avoir servi à perfectionner en lui la connaissance de notre langue. C’est un faible mérite auprès du génie.

 

                            Je ne sais si on lui pardonne d’avoir comparé l’Electeur, son bisaïeul, à Louis XIV. On ne connait en France cet Electeur que pour avoir été surpris et bien battu par le maréchal de Turenne, et pour avoir été contraint malgré tous ses artifices à recevoir une paix honteuse. Mais cet Electeur, qui a dans Berlin le nom de Grand, a fait  réellement de grands biens à son pays, et par là cette comparaison devient excusable dans la bouche de celui qui d’ailleurs l’a si prodigieusement surpassé.

 

                            Cet homme singulier doit être cher à votre ministère pour avoir abaissé la maison d’Autriche, affaibli l’Empire, changé la face de l’Allemagne et tenu la balance du Nord. Il doit l’être de tous les êtres pensants par sa philosophie libre, par la culture des lettres, et surtout aux Français puisqu’il a appris d’eux seuls à penser et à écrire. Il a donné une telle vogue à notre langue qu’elle est devenue langue générale du Nord et qu’on vient d’établir une  académie française à Copenhague. Un officier poméranien qui a servi longtemps en Russie [Manstein qui écrit les Mémoires de Russie (édités 1770), publiés par David Hume ; V* retouchera le texte français ], et qui est actuellement à Potsdam, y compose en français l’histoire des dernières révolutions de la Russie. Il fera connaitre le premier une nation qui est bien plus redoutable qu’on ne pense. Enfin, Monsieur, je vous assure que j’habite Sparte devenu Athènes, et cette nouvelle Athènes n’est qu’une colonie de Paris.  Vous seriez peut-être étonné aux soupers du roi de croire être chez vous.

 

                            Comme nous sommes ici fort libres, permettez-moi d’user de cette liberté pour ne point croire la réponse de Louis XIV à l’ambassadeur Stairs [A la fin de 1714, dans le Nouvel Abrégé de Hénault, on trouve cette réponse de Louis XIV : « Monsieur l’ambassadeur, j’ai toujours été maitre chez moi, quelque fois chez les autres, ne m’en faites pas souvenir . » V* a demandé le 15 août à Hénault  « d’adoucir par un on dit cette réponse étonnante de Louis XIV ».]. Dans tout le reste je me range sous vos étendards.

 

                            Je vous supplie de vouloir bien faire quelque commémoration de moi à M. d’Argenson et à M. de Paulmy. Ils m’honoraient autrefois d’un peu de bonté, et s’ils daignaient se souvenir de moi avec quelque prédilection, je regretterais trop ma patrie.

 

                            J’ai lu avec bien de la satisfaction, dans l’excellent discours de M. d’Alembert, ces paroles remarquables : On nuit plus au progrès de l’esprit en plaçant mal les récompenses qu’en les supprimant. [introduction à l’Encyclopédie ] Peut-être trouverait-on dans cette réflexion des raisons pour justifier ma retraite si les bontés, les biens, les honneurs dont me comble un grand roi, et la vie très libre dont je jouis, je ne dis pas dans sa cour, mais dans sa maison, ne me justifiaient pas.

 

                            Cependant, mon cher et illustre confrère, croyez que malgré la petite vengeance que j’ai prise en me rendant heureux, malgré une liberté plus entière à la table d’un si grand roi que dans les soupers anglais, malgré tous les agréments attachés à la faveur d’un souverain, je vous regrette très sincèrement ; je vous voudrais à Potsdam, ou bien le roi de Prusse à Paris. Mme la marquise du Deffand m’inspire les mêmes sentiments. Ayez la bonté, je vous en prie, de lui présenter mes respects. Elle n’a guère de serviteur ni plus éloigné ni plus attaché. Je lui souhaite une meilleure santé que la mienne .Je suis si malade, je deviens si faible que je ne peux guère soutenir d’autre vie que celle de Potsdam, c'est-à-dire une liberté parfaite pour mon régime, et une suppression entière des moindres devoirs. Avec cela je traine gaiement. Monsieur, vivez aussi heureux que vous méritez de l’être. Qu’un bon estomac soit le prix etc [extrait de l’Epitre à Hénault du 13 juillet 1744 ]. Conservez-moi une amitié dont j’ai grand besoin, même en jouissant, j’ose le dire et répéter sa propre expression, de celle dont  m’honore un homme qui aura dans la postérité le nom de Grand. Songez que vous irez aussi à la postérité.

 

                                 Voltaire. »

 

 

 

 

 

 

 

 

A tous ceux qui ont tout lu, pour récupèrer, installez-vous confortablement et écoutez :

http://www.youtube.com/watch?v=0NYN3-g8RxM

Beau programme , non ?

 

01/08/2009

Qui aurait dit il y a vingt ans que Berlin deviendrait l’asile des arts, de la magnificence et du goût ?

 Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa !

Charilla, ma vaillante collègue, c'est vrai, j'ai failli te faire faire des heures minutes sup non payées.

 Je peux t'assurer que je vais suivre ta visite pour apprendre à mettre le turbo et tenir ce fichu timing d'une heure maxi !

 

Mon passé de profession libérale m'a déformé ; à son compte, généralement on ne regarde pas l'horloge pointeuse. En bon salarié respectueux je vais faire amende honorable et sabrer -(non ! pas le champagne ! )- dans la présentation de la visite, ce que j'estime nécessaire et qui peut-être, après tout, est inutile ?

Un aimable visiteur anonyme a trouvé que j'en faisais trop ! Je suis heureux d'apprendre , mais je le savais déjà, qu'il y a des gens pressés, amateurs de Reader'digest comme de fast food ! Pour cinq euros, il avait droit à une heure, malheur à celui qui déborde :

-"j'ai dit un cheeseburger avec une petite frite, un petit Coca ! Comment osez-vous , pour le même prix, me donner une grande frite ?". J'ai envie, maintenant que la frustration se dissipe de dire : "si tu n'aimes pas ça, n'en dégoûte pas les autres !"

 

Charilla, tu es jeune, tu es  l'avenir, tu es femme et impulsive ! Dieu  te garde !  سلام

Pour moi, Dieu merci, il y a Bach , comme ce qui suit , que je dédie aux pressés opressés opressants du monde entier : http://www.dailymotion.com/video/xmxex_glenn-gould-art-of...

 

 

 

 

Volti s'est décidé à aller voir Fred the II ; grand chambellan, il va devenir ... Quel travail que celui de fréquenter un roi prussien, fût-il philosophe !!!

 

 

 

           « A Henri Lambert d’Herbigny, marquis de Thibouville, rue des Saints-Pères à Paris

 

 

           Je mérite votre souvenir, Monsieur, par mon tendre attachement, mais Aurélie [personnage féminin de Rome sauvée] n’est pas encore digne de Catilina. Comment voulez-vous que je fasse ? Trouver tous les charmes de la société dans un roi qui a gagné cinq batailles [V* a quitté Paris vers le 25 juin pour se rendre auprès de Frédéric]; être au milieu des tambours, et entendre la lyre d’Apollon ; jouir d’une conversation délicieuse à quatre cents lieues de Paris ; passer ses jours  moitié dans les fêtes, moitié dans les agréments d’une vie douce et occupée, tantôt avec Frédéric le Grand, tantôt avec Maupertuis, tout cela distrait un peu d’une tragédie. Nous aurons dans quelques jours à Berlin un carrousel [carrousel donné les 26 et 27 août  en l’honneur de la margravine de Bayreuth, sœur de Frédéric] digne en tout de celui de Louis XIV. On y accourt des bouts de l’Europe, il y a même des Espagnols. Qui aurait dit il y a vingt ans que Berlin deviendrait l’asile des arts, de la magnificence et du goût ? Il ne faut qu’un homme pour changer la triste Sparte en la brillante Athènes. Tout cela doit exciter le génie, mais tout cela dissipe et prend du temps. Il me faudrait un recueillement extrême. J’ai ici trop de plaisir. Je vous recommande Hérode, [Hérode et Mariamne]  et le duc d’Alençon,[autre titre , autre version d’Adélaïde du Guesclin, du duc de Foix] je les mets avec mon petit théâtre [son théâtre privé de la rue Traversière où plusieurs de ses pièces ont été représentées avant son départ] sous votre protection. Si vous voyez César [Lekain qui joue César dans Rome sauvée], dites-lui, je vous en supplie, à quel point je lui suis dévoué. Je ne veux pas le fatiguer de lettres, moins je lui écris plus il doit être content de moi. Adieu digne successeur de Baron. Il n'y a que votre aimable commerce qui soit au dessus de votre déclamation. Conservez-moi votre amitié. Je vous serai bien tendrement attaché toute ma vie.

 

 

           V.

           A Potsdam (sic) 1er Août 1750. »