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23/01/2011

C'est une action d'honnêteté et de charité, de ne point accuser son prochain quand il est encore en vie, et de charger les morts à qui on ne fait nul mal

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Mais n'oublions pas que Le chien aboie et la clarinette basse :

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

23è janvier 1768

 

Mon cher ange, c'est une grande consolation pour moi que vous ayez été content de M. Dupuits i. Il me parait qu'il vaut mieux que le Dupuits de Des Ronais ii. Je souhaite à M. le duc de Choiseul que tous les officiers qu'il emploie soient aussi sages et aussi attachés à leur devoir. Je l'attends avec impatience dans l'espérance qu'il nous parlera longtemps de vous .

 

Que je vous remercie de vos bontés pour Sirven ! Il faut être aussi opiniâtre que je le suis pour avoir poursuivi cette affaire pendant cinq ans entiers sans jamais me décourager . Vous venez bien à propos à mon secours. Je sais bien que cette petite pièce n'aura pas l'éclat de la tragédie des Calas ; mais nous ne demandons point d'éclat, nous ne voulons que justice iii.

 

Votre citation du chien qui mange comme un autre du dîner qu'il voulait défendre est bien bonne ; mais je vous supplie de croire par amitié, et de faire croire aux autres par raison et par intérêt de la cause commune, que je n'ai point été le cuisinier qui a fait ce dîner iv. On ne peut servir dans l'Europe un plat de cette espèce qu'on ne dise qu'il est de ma façon. Les uns prétendent que cette nouvelle cuisine est excellente, qu'elle peut donner la santé, et surtout guérir des vapeurs. Ceux qui tiennent pour l'ancienne cuisine disent que les nouveaux Martialo v sont des empoisonneurs. Quoi qu'il en soit , je voudrais bien ne point passer pour un traiteur public . Il doit être constant que ce petit morceau de haut goût est de feu Saint Hyacinthe. La description du repas est de 1728. le nom de Saint-Hyacinthe y est ; comment peut-on après cela me l'attribuer ? Quelle fureur de mettre mon nom à la place d'un autre ! Les gens qui aiment ces ragoûts-là devraient bien épargner ma modestie.

 

Sérieusement vous me feriez le plus sensible plaisir d'engager M. Suard à ne point mettre cette misère sur mon compte. C'est une action d'honnêteté et de charité, de ne point accuser son prochain quand il est encore en vie, et de charger les morts à qui on ne fait nul mal. En un mot, mon cher ange, je n'ai point fait, et je n'aurai jamais fait les choses dont la calomnie m'accuse.

 

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie vi. Ayez la bonté, je vous en prie, de parler à M. Suard s'il vient chez vous.

 

Puis-je espérer que mon cher Damilaville aura le poste qui lui est si bien dû vii? Il est juste qu'il soit curé après avoir été vingt ans vicaire .

 

J'ai une autre grâce à vous demander ; c'est pour ma Catherine . Il faut rétablir sa réputation à Paris chez les honnêtes gens. J'ai de fortes raisons de croire que MM. les ducs de Praslin et de Choiseul ne la regardent pas comme la dame du monde la plus scrupuleuse ; cependant je sais autant qu'on peut savoir qu'elle n'a nulle part à la mort de son ivrogne de mari : un grand diable d'officier aux gardes, Préobazinski, en le prenant prisonnier lui donna un horrible coup de poing qui lui fit vomir du sang ; il crut se guérir en buvant continuellement du punch dans sa prison, et il mourut dans ce bel exercice viii. C'était d'ailleurs le plus grand fou qui ait jamais occupé un trône . L'empereur Venceslas n'approchait pas de lui.

 

A l'égard du meurtre du prince Yvan ix, il est clair que ma Catherine n'y a nulle part . On lui a bien de l'obligation d'avoir eu le courage de détrôner son mari, car elle règne avec sagesse et avec gloire ; et nous devons bénir une tête couronnée qui fait régner la tolérance universelle dans cent-trente-cinq degrés de longitude . Vous n'en avez , vous autres, qu'environ huit ou neuf, et vous êtes encore intolérants . Dites donc beaucoup de bien de Catherine, je vous en prie, et faites-lui une bonne réputation dans Paris.

 

Je voudrais bien savoir comment Mme d'Argental s'est trouvée de ces grands froids . Je suis étonné d'y avoir résisté. Conservez votre santé, mon divin ange, je vous adore de plus en plus.

 

V. »

 

i Mari de Marie-Françoise Corneille, -donc « gendre » adoptif de V*,- est allé à Paris pour y obtenir un commandement.

 

ii  Pièce de Charles Collé : Dupuis et des Ronais, 1759, tirée des Illustres Françaises de Robert Challe .

Dupuis et des Ronais : http://books.google.fr/books?id=0UIGAAAAQAAJ&printsec...

Illustres françaises : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Illustres_Fran%C3%A7aises

 

iii Il faut qu'ils soient reconnus innocents de la mort de leur fille et qu'ils récupèrent leurs biens.

 

iv  Dîner du comte de Boulainvilliers par M. de St-Hiacinthe, 1717, qui est de V* ; http://www.voltaire-integral.com/Html/26/27_Boulainvillie...

 

v François Massiolot (1663-1733) qui écrivit Le Cuisinier royal et bourgeois, 1691 ; V* le nomme déjà Martialo dans le Mondain.

http://www.archive.org/stream/lenouveaucuisin00massgoog#page/n4/mode/2up

Le Mondain , vers 37 : http://www.voltaire-integral.com/Html/10/23_Mondain.html

 

vi Voir Tartuffe.

 

vii Poste alors vacant de directeur du vingtième où il était premier commis . Il était « barré » par Sauvigny.

Le vingtième : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vingti%C3%A8me

 

viii Dans ses Notebooks, tome II, page 335, V* reprend le témoignage du comte Rewusky.

 

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