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18/10/2015

Si notre scène devient anglaise, nous sommes bien avilis

... Par anglaise, de nos jours , entendons de langue anglaise, ces foutus USA polluants toute la planète . Toute ? non, il est encore une Comédie française vivante qui résiste .

 

Mis en ligne le 9/8/2017 pour le 18/10/2015

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

18è octobre 1760 aux Délices

Je prends la liberté madame, de faire passer par vos mains ma réponse à Mlle Clairon ; et je vous supplie instamment de vous joindre à moi pour empêcher l'avilissement le plus odieux qui puisse déshonorer la scène française et achever notre décadence . Que M. d'Argental et tous ses amis emploient leur crédit pour sauver la France de cet opprobre .

J'ai encore une grâce à vous demander qui ne regarde que moi, c'est de dissiper mes continuelles alarmes sur l'impression dont on me menace . Il y a certainement dans Paris des exemplaires de Tancrède conformes à la leçon des comédiens . Il est certain que pour peu qu'on attende la pièce paraîtra dans toute sa misère , pendant que je passe le jour et la nuit à la corriger d'un bout à l'autre, à la rendre moins indigne de vous et du public . Vous en recevrez incessamment une nouvelle copie , et je pense qu'il sera convenable de toutes façons de la reprendre vers la saint Martin . On sera obligé de transcrire de nouveau tous les rôles . Il n'y en a pas un seul où je n'aie fait des changements . Si ces changements valent quelque chose, c'est à vous que j'en suis redevable, c'est à votre goût, à l'intérêt que vous avez pris à l'ouvrage, à vos réflexions aussi solides que fines . Si je me suis un peu récrié contre quelques vers qu'on a été forcé de substituer à la hâte, si ces vers m'ont paru défectueux, c'est l'amour de l'art et non l’amour-propre qui s'est révolté en moi . Je n'ai pas senti avec moins de reconnaissance la nécessité de plusieurs changements, je n'en ai pas moins approuvé vos remarques, et plusieurs vers mis à la place des miens . M. d'Argental sera-t-il encore longtemps à la campagne ? Il me paraît qu'en son absence vous commandez l'armée avec bien du succès . Je me flatte que vos troupes préviendront les irruptions des housards libraires . Quand jouera-t-on La Belle Pénitente 1? Mlle Clairon est-elle cette pénitente ? Elle seule peut faire réussir cette détestable pièce anglaise, mais je me flatte que l'auteur qui s’abaisse à chercher des modèles chez les barbares se sera fort éloigné de son modèle . Si notre scène devient anglaise, nous sommes bien avilis . Nous ne sommes déjà que les traducteurs de leurs romans . N'avons-nous pas déjà baissé assez pavillon devant l'Angleterre ? C'est peu d'être vaincus, faut-il encore être copistes ? Ô pauvre nation ! Madame le cœur me saigne, mais il est à vous .

V. »

 

1 Il doit s'agir de Caliste, de Colardeau, pièce adaptée de The fair Penitent , de Nicolas Rowe , qui fut représentée au Théâtre-français le 12 novembre 1760 ; voir lettre du 3 novembre 1760 à d'Argental ; une Caliste plus ancienne avait été représentée en 1750 ; elle est attribuée à différents auteurs, Mauprié, Séran de La Tour et Thibouville ; Clarence Brenner la donne à l'abbé de La Place, mais se trompe peut-être , voir L'Année littéraire du 12 décembre 1760, VIII, 169-185 .

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