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05/07/2015

Il faut qu'ils sachent que je suis heureux, et qu'ils crèvent .

... Soyons brefs et directs, point de gants à prendre en certains cas , ou alors des gants de boxe !

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

6 juillet [1760] 1

Mon cher ange, il faut faire ses foins et ses moissons à la fois, veiller à son bâtiment, apprendre ses rôles pour les comédies que nous allons jouer, avoir une correspondance suivie avec ma cousine Vadé, avec M. Kouranskoy 2, cousin germain de M. Aléthof, avec le frère de la doctrine chrétienne, auteur de la vanité ; cependant M. de Courteilles qui s'en va aux eaux de Vichy me laisse en proie aux publicains, maudits de l’Écriture, et quoiqu'il soit démontré que je ne suis point seigneur de La Perrière, on veut me faire payer les dettes du roi . Lefranc de Pompignan ne me traiterait pas plus rudement ; M. le duc de Richelieu s'enfuit à Bordeaux sans me faire réponse, et sans m'envoyer un passeport que je lui ai demandé pour un pauvre diable de gascon hérétique, et voilà mon hérétique sur le point d'être ruiné . Malgré tout cela, mon divin ange, voici encore quelques corrections nécessaires, que le traducteur de M. Hume vous envoie . Maitre Aliboron, dit Fréron, est un ignorant bien imprudent de dire que le poète prêtre Hume, n'est pas frère de Hume l'athée . Il ne sait pas que Hume le prêtre a dédié une de ses pièces à son frère .

J'avais tant crié après le mémoire du sieur Lefranc de Pompignan qu'on m'en a envoyé trois par la dernière poste ; heureusement le frère de la doctrine chrétienne , et M. de Kouranskoy, cousin germain de M. Aléthof, en avaient chacun un .

Mon divin ange je ne peux regarder Médime d'un mois, il ne faut pas se morfondre et s'apesantir sur son ouvrage, cela glace l'imagination .

A la façon dont vous parlez, on dirait que Mme de Robecq est morte 3; j'en suis fâché ; la mort d'une belle femme est toujours un grand mal . Est-il vrai que Mme du Deffand prend parti contre la philosophie, et qu'elle m'abandonne indignement  4? Comment suis-je auprès de M. le duc de Choiseul ? A-t-il fait voir à Mme de Pompadour l'élucubration de M. de Kouranskoy ?

Je vous conjure de vous servir de toute votre éloquence pour lui dire que s'il arrive malheur à Luc, il n'en résultera pas malheur à la France , que le Brandebourg restera toujours un électorat ; qu'il est bon qu'il n'y ait point d'électeur assez puissant pour se passer de la protection du roi ; que tous les princes de l'empire auront toujours recours à cette protection contra l'aquila grifagna 5. N.B. : que si Luc était déconfit cette année nous aurions la paix l'hiver prochain .

Mlle Vadé se recommande à Robin mouton .

Mon divin ange donnez des copies de ma lettre paternelle à Palissot 6. Où est donc la difficulté de mettre trois étoiles au lieu de votre nom ? De dire la personne à qui je me suis adressée, ou de mettre tout ce qui vous plaira ?

Mais revenons à l’Écossaise . Qui sont les malintentionnés qui veulent la mettre sous mon nom pour la faire tomber ? Ah les méchantes gens !

Il y a encore des malvivants 7 qui prétendent que je ne suis pas chez moi de mon bon gré , qui l'impriment, qui veulent le faire croire . Fi , que cela est vilain ! Il faut bien dire , bien soutenir qu'il ne tient qu'à moi d'aller rire à leur nez à Paris, mais que j’aime mille fois mieux rire où je suis . Il faut qu'ils sachent que je suis heureux, et qu'ils crèvent .

Il y a plus de deux mois qu'on m'a envoyé l'épigramme, assez plate, contre Fréron . Je joins à mon paquet les lettres originales de l'ami Palissot . Je vous prierai d'avoir la bonté de me les renvoyer .

J'ajoute, mon divin ange que le commentateur de M. Aléthoff s'est trompé dans ses notes . Il faut mettre le 14 au lieu du 10, jour de l'anniversaire de Henri IV 8. Mme Scaliger n'aurait pas fait cette faute . Je lui présente mes tendres respects, et me réjouis de sa santé et je vous aime encore plus que de coutume .

V.

Un petit mot encore . Pourquoi changer le nom de Frélon ? Est-ce la faute de Hume s'il y a un cuistre dans Paris qui porte un nom lequel a un rapport éloigné au mot de frélon ?

De plus songeons que s'il est bon de rire, il est meilleur de rire aux dépens des méchants . Mais ce petit hypocrite de Joly de Fleury, ce petit ballon noir gonflé de vapeurs puantes aura son tour si Dieu n'y met la main 9.

Voudriez-vous avoir la bonté d'ordonner que la lettre pour Duclos lui soit rendue 10? Un peu de chandelle au diable n'est pas mal .

Vous a-t-on dit que cette grosse masse de chair fraiche nommée le landgrave de Hesse est en prison à Stade ?

J'entends murmurer la prise de Marbourg 11. On ne saura que demain si la chose est vraie .

L'oncle et la nièce baisent le bout de vos ailes .

V. »

1 Date complétée par d'Argental .

2 Si les deux pseudonymes qui entourent celui-ci sont bien connus, si celui du 'frère de la doctrine chrétienne » désigne encore V*, auteur de La vanité, celui de Kouranskoy pose un problème qui n'est pas résolu ; voir la fin de la lettre de Vorontsof à V* du 9 juillet 1760 : « Je viens de recevoir de M. Alethof cousin de M. Kouranskoy, le discours dont feu M. Kouranskoy l'avait fait dépositaire. », et voir lettre du 18 juillet 1760 à Mme Geoffrin .

3 Elle était morte le 4 juillet 1760 .

4 Le 1er juillet d'Alembert écrivait à V* : « Je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit de Mme du Deffand ; soyez sûr encore qu'elle est à la tête des partisans de la pièce, qu'elle protège et goûte beaucoup les feuilles de Fréron, qu'elle trouve l’Écossaise une bien mauvaise pièce, et qu'elle applaudit fort à une mauvaise critique qu'on dit que Fréron en a faite . »

5 Contre l'aigle griffue, désigne par métonymie l'Empire .

7 Mot encore en usage à la fin du XVIè siècle .

8 Cette remarque se rapporte à une note du Russe à Paris .

9 V* tiendra parole ; dans l’Épître à Daphné, qui est datée du 11er janvier 1761, il l'appelle selon les variantes , «  un petit singe, à face de Thersite », « un petit singe , à phrases compassées », « un petit singe, ignorant, imbécile » . le titre était Épître de M. de Voltaire à Mlle Clairon, 1761, publiée sous le pseudonyme de A*** C*** (Abraham Chaumeix).

10 Lettre du 20 juin 1760 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/22/sept-ou-huit-personnes-de-genie-bien-unies-doivent-a-la-longue-ecraser-leur.html

Ce paragraphe, suite à l'édition de Kehl, manque dans les éditions suivantes .

11 La ville s'était rendue aux Français le 30 juin 1760 ; la nouvelle était donc encore une fois allée assez vite .

 

 

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