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07/10/2016

J'ai imaginé comme un éclair et j'ai écrit avec la rapidité de la foudre . Je tomberai peut-être comme la grêle . Lisez, vous dis-je, divins anges, et décidez

... Señor météo, lances-tu une alerte ora(n)ge ?

En tout cas je saute sur l'occasion pour mettre en ligne cette lettre, je viens de retrouver un accès Internet, pour combien de temps ? SFR m'ayant joyeusement annoncé, il y a quelques heures, un problème général qui durerait sans doute jusqu'au 10 !! Alors je speede !

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

20 octobre [1761] 1

Ô anges, ô anges,

Nous répétions Mérope (que nous avons jouée sur notre très joli théâtre, et où Marie Corneille s'est attiré beaucoup d'applaudissements dans le récit d'Isménie 2 que font à Paris de vilains hommes ) . Elle était charmante .

En répétant Mérope, je disais, voilà qui est intéressant . Ce ne sont pas là de froids raisonnements, de l'ampoulé, et du bourgeois . Ne pourrais-tu pas, disais-je tout bas à V..., faire quelque pièce qui tint de ce genre vraiment tragique ? Ton Don Pèdre sera glaçant avec tes états généraux, et ta Marie de Padille ! Le diable alors entra dans mon corps . Le diable ? non pas, c'était un ange de lumière, c'était vous . L'enthousiasme me saisit . Esdras n'a jamais dicté si vite . Enfin en six jours de temps j'ai fait ce que je vous envoie . Lisez, jugez, mais pleurez .

Vous me direz peut-être que l’ouvrage des six jours est souvent bafoué 3. D'accord mais lisez le mien . Il y a deux ans que je cherchais un sujet ; je crois l'avoir trouvé . Mais, dira madame d'Argental, c’est un couvent, c'est une religieuse, c'est une confession, c'est une communion. Oui madame, et c'est par cela même que les cœurs seront déchirés . Il faut se retrouver à la tragédie pour être attendri . La veuve du maître du monde aux carmélites, retrouvant sa fille épouse de son meurtrier, tout ce que l'ancienne religion a de plus auguste, ce que les plus grands noms ont d'imposant, l'amour le plus malheureux, les crimes, les remords , les passions, les plus horribles infortunes ! En est-ce assez ? J'ai imaginé comme un éclair et j'ai écrit avec la rapidité de la foudre . Je tomberai peut-être comme la grêle . Lisez, vous dis-je, divins anges, et décidez .

Voici peut-être de quoi terminer les tracasseries de la comédie . Fi Zulime ! Cela est commun et sans génie. Donnez la veuve d'Alexandre à Dumesnil, la fille d'Alexandre à Clairon , et allez .

Mlle Hus m'a écrit 4. Elle atteste les dieux contre vous . Qu'elle accouche . J'ai bien accouché, moi, et je n'ai été que six jours au travail . Que dites-vous de Mlle Arnould, et du roi d'Espagne 5?

Ô charmants anges je baise le bout de vos ailes .

V, le vieux V, âgé de

soixante et huit commencés . »

1 Date complétée par d'Argental sur le manuscrit .

2 Ac. V, sc. 6

4 Quand le comte de Lauraguais était venu à Ferney en septembre 1761, Bertin avait abandonné Mlle Hus enceinte pour Sophie Arnould, maîtresse de Lauraguais ; mais celle-ci revint à Lauraguais, dont elle eut encore deux enfants, avant de passer entre les bras d'autres amants .

5 Sur le roi d'Espagne : sa femme Marie-Amélie de Saxe était morte le 27 septembre, mais il ne se remaria pas ; le troisième pacte de famille avait été signé le 15 août 1761 et devait conduire à la déclaration de guerre de l'Angleterre à l'Espagne, puis au traité de Paris le 10 février 1763 . voir lettre du 11 octobre 1761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/11/je-n-ai-nulle-part-a-la-tumefaction-du-ventre-de-mlle-hus-je.html

 

Mettons-le hors d'état de nuire en faisant voir combien il veut nuire .

... Et même si ce n'est pas 'veut', mais seulement 'peut', tout candidat à la présidence de la république, ou tout autre poste subalterne d'ailleurs, doit impérativement être mis à l'écart, le pouvoir de nuisance d'un dirigeant n'est que trop grand .

[Mise en ligne le 4 pour le 7 depuis une médiathèque]

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

20 octobre [1761]

A quoi pensez-vous mon très cher philosophe 1? de ne vouloir que rire de l'historiographe lefranc de pompignan ? ne savez-vous pas qu'il compte être à la tête de l'éducation de M. le duc de Bourgogne avec son fou de frère ? que ce sont tous deux des persécuteurs ? que les gens de lettres n'auront jamais du plus cruels ennemis ? Il me paraît qu'il est d'une conséquence extrême de faire sentir à la famille royale elle-même, ce que c'est que ce malheureux . Il faut se mettre à genoux devant monsieur le dauphin, en fessant son historiographe .

Voici ce qu'une bonne âme m'envoie de Montauban 2. Si vous étiez une bonne âme de Paris, cela vaudrait bien mieux . Mais maître Bertrand vous vous servez de la patte de raton 3.

Il est sûr que ce détestable ennemi de la littérature a calomnié tous les gens de lettres quand il a eu l'honneur de parler à monseigneur le dauphin . Son Épître dédicatoire est pire que son discours à L'Académie . Ce sont là de ces coups qu'il faut parer . Il ne faut pas seulement le rendre ridicule, il faut qu'il soit odieux . Mettons-le hors d'état de nuire en faisant voir combien il veut nuire .

Vraiment vous avez mis le doigt dessus en disant que Corneille est froid . Du moins Cinna n'est pas fort chaud, mais d'où vient en partie cette glace ? de la note de l'Académie . Elle me dit dans sa note ( et c'est vous qui l'avez écrite 4) qu'on s'intéresse à Auguste . Eh messieurs c'est à Cinna qu'on s'intéresse dans le premier acte, car vous savez bien qu'on aime tous les conspirateurs . Cinna est conjuré, il est amant, il fait un tableau terrible des prescriptions, il rend Auguste exécrable . Et puis messieurs on s'intéresse dites-vous à Auguste ! On change donc d'intérêt . Il n'y en a donc point , et voilà ce qui fait que votre fille est muette 5. Proposez ce petit argument quand vous irez là . Mais ce n'est pas assez de savoir la langue, il faut connaître le théâtre . Ah mon cher philosophe, il n'est que trop vrai que notre théâtre est à la glace . Ah si j'avais su ce que je sais ! si on avait plus tôt purgé le théâtre de petits maîtres ! si j'étais jeune ! Mais tout vieux que je suis, je viens de faire un tour de force, une espièglerie de jeune homme . J'ai fait une tragédie en six jours, mais il y avait tant de spectacle, tant de religion, tant de malheurs, tant de nature que j'ai peur que cela ne soit ridicule . L’œuvre des six jours est sujette à rencontrer des railleurs 6.

J'ai actuellement le plus joli théâtre de France . Nous avons joué Mérope 7. Mlle Corneille a été applaudie . Mme Denis a fait pleurer des Anglaises . Les prêtres de Genève ont une faction horrible contre la comédie . Je ferai tirer sur le premier prêtre socinien qui passera sur mon territoire . Jean-Jacques est un Jeanf... qui écrit tous les quinze jours à ces prêtres pour les échauffer contre les spectacles . Il faut pendre les déserteurs qui combattent contre leur patrie .

Aimez-moi beaucoup je vous en prie – car je vous aime – car je vous estime prodigieusement – car tous les êtres pensants doivent être tendrement unis contre les êtres non-pensants, contre les fanatiques, et les hypocrites, également persécuteurs . »

1 D'Alembert écrit à V* le 10 octobre 1761 : « […] s'il est vrai, comme vous le dites, qu'il est bon de rire un peu pour la santé, jamais saison n'a été si favorable pour se bien porter . Voici par exemple Paul Lefranc de Pompignan ( je ne sais si c'est Paul l'apôtre ou Paul le simple) qui vient encore de fournir aux rieurs de quoi vivre, par son Éloge historique du duc de Bourgogne .[https://books.google.fr/books?id=hxQ6AAAAcAAJ&pg=PA54... ] […] On prétend que Pompignan sollicite pour récompense de son bel ouvrage une place d’historiographe des enfants de France ; je voudrais qu'on la lui donnât, avec la permission de commencer dès le ventre de la mère et défense d'aller au delà de sept ans . » Voir page 154 : https://books.google.fr/books?id=l4lBAAAAcAAJ&pg=PA159&lpg=PA159&dq=mo%C3%AFse+de+montauban&source=bl&ots=cHi_-CBicB&sig=lMhPzhBvdMuCvIijE4cEoKBfE2o&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi6udWG3LnPAhXCNhoKHecaC404ChDoAQg4MAc#v=onepage&q=mo%C3%AFse%20de%20montauban&f=false

2 Le Car, dans lequel Pompignan est désigné sous le nom de Moïse de Montauban, est une polémique à l'occasion de la dédicace de l’Éloge au dauphin et à la dauphine .Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-36700183.html

3 Allusion à la fable « Le singe et le chat » de La Fontaine : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/singchat.htm

4 C'est à dire de la main de d'Alembert . Celui-ci écrivait encore le 10 octobre : « Nous avons relu vos remarques sur Cinna […] . Je vous avouerai d'abord que la pièce me paraît d'un bout à l'autre froide et sans intérêt, que c'est une conversation en cinq actes , et en style tantôt sublime, tantôt bourgeois, tantôt suranné ; que cette froideur est le grand défaut, selon moi , de toutes nos pièces de théâtre, et qu'à l'exception d quelques scènes du Cid, du 5è acte de Rodogune, et du 4è d'Héraclius, je ne vois rien (dans Corneille en particulier ) de cette terreur et de cette pitié qui fait l'âme de la tragédie .[...] il faut être poli ; il faut donc de grands ménagements, pour avertir les gens qu'ils s'ennuient, et qu'ils n'osent le dire . À l'égard de vos raisonnements et des nôtres, sur les remords de Cinna, qui selon vous viennent trop tard, et qui selon nous viennent assez tôt , je voudrais que vous ne fissiez aucune critique qui fût sujette à contradiction ; et que vous vous bornassiez aux fautes évidentes contre le théâtre ou la grammaire [...] »

6 Comme la Genèse, I, I, 31- Pour la tragédie, voir lettre du 24 octobre 1761 aux d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-43-122533298.html

7 « On joua vendredi [le 16] Mérope avec Rocqueville et Brunet, dont Mme Denis était très fâchée, mais tout son monde était invité quand les Cramer se dégagèrent […] La pièce fut très bien jouée, Voltaire fit des miracles, la petite passablement et Grenier point mal . Il y avait quarante spectateurs quoi qu'il y en eût manqué 25 . La duchesse y pleura beaucoup . On fait de grands projets pour le printemps, le théâtre est charmant, G[r]enier s'est engagé avec la troupe de Lyon et part la semaine prochaine : ainsi plus d'importuns ». : Charlotte Constant à son mari le 19 octobre 1761 , voir page 69 : http://www.archivesfamillepictet.ch/bibliographie/documents/LettresCharlottePictetSamuelConstant_11_2015.pdf