23/11/2016
Que conclure de tout cet examen ? Qu'il faut se contenter de retravailler
... En dira-t-on autant après le débat Fillon-Juppé demain soir ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
[novembre 1761] 1
1° Si on retranche quelque chose au 4è acte, qui est beaucoup trop court, il ne lui restera presque rien .
2° Quand on a averti Cassandre en présence d'Olympie qu'Antigone est entré en armes, quand Cassandre est sorti pour le combattre, il faut absolument qu'Olympie apprenne à la fin de cet acte ce qui est arrivé , parce que le lieu du combat est trop près pour qu'elle n'en ait pas de nouvelles, parce que le spectateur en attend, parce que tout presse, parce qu'il est ridicule, dans une telle situation, de finir un acte par un monologue sur l'amour . Si elle quitte le théâtre, où va-t-elle ? Sort-elle pour aller voir les combattants ? Cela serait absurde . Est-ce pour aller chez sa mère ? Rien de plus plat . Ce serait un moyen sûr de n'avoir ni un quatrième acte, ni un cinquième .
3° Quand on lui apporte les nouvelles de ce combat, si on se contente de lui dire qu'on est aux mains, elle le savait déjà ; la terreur n'augmente pas, et tout ce qui ne l'augmente pas la diminue .
4° L'hiérophante étant le seul homme qui peut lui parler, il serait ridicule qu'il s’écartât de Statira et des combattants pour n'apprendre rien de nouveau à Olympie . Il faut donc qu'il lui annonce une nouvelle, et que cette nouvelle soit plus frappante que tout ce qui s'est passé .
5° L'hiérophante ne peut se rendre auprès d’Olympie que dans le cas où Statira mourante le prie de lui amener sa fille, car il faut une raison terrible pour que ce grand-prêtre quitte son poste .
6° Si Statira n'a pas arrêté la fureur des deux princes en se donnant à leurs yeux un coup de poignard, il n'y a aucune raison pour laquelle ces deux rivaux ne continuent pas de combattre, et la victoire de l'un ou de l'autre étant alors décidée, le vainqueur devient le maître absolu d'Olympie et du temple . Il n'y a plus de cinquième acte . Le vainqueur enlève Olympie ; elle se tue , si elle veut ; mais il n'y a plus de tragédie, parce qu'il n'y a plus de suspension .
Si on porte au cinquième acte le combat des deux rivaux et la mort de Statira, il est impraticable, il est contre toute vraisemblance que dans l'instant même ces deux princes demandent sa fille en mariage . On n'a pas même le temps de préparer le bûcher de la mère ; tout se ferait avec une précipitation ridicule et révoltante . Il faut absolument, entre le quatrième et le cinquième, entre la mort de Statira et la proposition du mariage, un intervalle qu'on peut supposer de quelques heures, sans quoi ce cinquième acte paraitrait le comble de l'absurdité . Il est si odieux, si horrible de proposer un mariage à une fille dont la mère vient de se tuer dans l'instant même , qu'on ne conçoit pas comment une telle idée peut se présenter .
Les empressements des deux amants, le jour même de la mort de Statira, ont déjà quelque chose de si étrange, que si le grand-prêtre n'avait pas par ses discours diminué cette horreur, elle ne serait pas tolérable . Mais si , dans le moment même où l'on suppose qu'Olympie apprendrait la mort de sa mère, le grand-prêtre lui parlait de songer à prendre un mari, cette proposition, alors si déplacée, serait sifflée de tout le monde . Mais il n'est pas contre la bienséance que ce grand-prêtre, au quatrième acte, lui dise simplement ce que sa mère, qui n'est pas encore morte, lui recommande .
7° Il paraît donc d'une nécessité absolue que Statira meure à la fin du quatrième, et qu'Olympie ait le temps de prendre sa résolution entre la quatrième et le cinquième .
8° Cette résolution de se jeter dans le bûcher de sa mère ne peut être prise qu'avec un peu de temps ; il faut au moins laisser celui des funérailles . Mais figurez vous l'effet insupportable que ferait ici une action trop pressée : « Votre mère vient de se tuer dans le moment ; épousez vite Cassandre ou Antigone . Nous allons brûler votre mère tout d'un temps . » En vérité , un tel arrangement épouvante .
9° On dira peut-être qu'on peut faire mourir Statira entre le quatrième et le cinquième, et c'est précisément ce que j'ai fait ; elle se donne le coup de poignard au quatrième . Olympie qui court à elle, la trouve encore vivante ; elle meurt dans ses bras, elle lui recommande d’épouser Antigone . C'est cet ordre d'épouser Antigone qui fait le fondement du cinquième et qui le rend vraisemblable .
10° Il ne faut pas croire que le spectacle d'Olympie en deuil, au milieu des prêtresses en habit blanc, soit une chose à négliger . Ceux qui ont vu jouer la pièce ont trouvé le contraste très attendrissant .
11° Pour envisager la chose de tous les sens, songez qu'au cinquième acte ou bien l'on apprend la mort de Statira à sa fille, ou bien elle le sait déjà ; si elle la sait, il n'y a rien à changer à la pièce : c'est ainsi que je l'ai faite ; si on la lui apprend, reste-t-elle sur le théâtre ou s'en va-t-elle ? Si elle reste, quelle horreur ! Quel défaut de bienséance d'écouter ses deux amants ? Si elle s'en va, quel prétexte aurait-elle de revenir ? Qui occuperait le théâtre en son absence ? Qui écouterait-on ? Pourrait-elle quitter le corps de sa mère, dès qu'une fois elle serait près de ce corps ? Reviendrait-elle chercher ses amants ? Qu'aurait-elle à leur dire ? Il faut que ses amants lui parlent malgré elle, mais non pas qu'elle vienne les chercher .
Que conclure de tout cet examen ? Qu'il faut se contenter de retravailler quelques vers qui ne sont pas assez bien faits, que le cinquième acte doit subsister tel qu'il est, et que , s'il fait à Paris la moitié seulement de l'effet qu'il a produit ailleurs, on ne doit pas être mécontent . »
1 L'original à la BNF est intitulé « mémoire pour Olympie » . Cette lettre appartient évidemment à la même période que la lettre du 23 novembre 1761 aux d'Argental et que d'autres lettres aux d'ArgentaI , données par Besterman dans le corps de son ouvrage, tandis que celle -ci ne figure que dans le supplément ; peut-être ne s'agit-il aussi que d'une feuille séparée annexée à une autre lettre, par exemple être « l'incluse » de la lettre du 23 novembre 1761 elle -même .
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