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25/10/2017

il plaira beaucoup aux Genevois, car il est sérieux, et il raisonne

... Vrai au XVIIIè siècle, toujours vrai aujourd'hui, les Genevois en particulier et les Suisses en général restent de forts coupeurs de cheveux en quatre (excepté les Valaisans qui ont un petit côté gaulois sympathique ) .Image associée

 caricature parue dans le Nouvelliste du 5 mai 2005

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

18 décembre [1762]

Autres considérations présentées à mes anges au sujet du futur. Nos dames sont aujourd’hui beaucoup plus contentes . Je l’avais bien prévu. Il avait fait un traité sur le mariage, que madame Denis prétendait ressembler au catéchisme d’Arnolphe dans l’École des Femmes 1. Il s’est bien donné de garde de me lire ce rabâchage ; mais s’il épouse notre petite, nous lui ferons abjurer son catéchisme par une clause expresse du contrat, et il le brûlera en notre présence. Je crois que de notre demi-philosophe on pourra faire un philosophe complet, en rabotant un peu.

Je persiste à croire qu’on peut en toute sûreté l’employer aux grandes négociations avec la république de Genève. Mes anges, mon idée est divine , mes anges, il plaira beaucoup aux Genevois, car il est sérieux, et il raisonne. Figurez-vous, encore une fois, combien cette place nous ajusterait. Allons, monsieur le duc de Praslin, faites quelque chose en faveur de Cinna, et des belles scènes d’Horace et de Pompée. Mes anges, regardez cette affaire comme la plus digne de vos soins angéliques.

Vous y réussirez, n’est-il pas vrai ? Mon Dieu, quel plaisir ! »

 

 

 

 

 

1 Acte III, sc. 2 , vers 693- .

je n’ai confié à personne qu’à vous mes propositions politiques. Tâchez de faire notre affaire

... Confidence du président à son premier ministre ; à quel sujet ? je ne suis pas dans le secret, mais tant pis , c'est leur affaire . Disons qu'elle sera bonne pour tous , et qu'on arrête ces manifestations de rue stériles, et finalement couteuses pour la nation .

 Image associée

 

 

« a Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

16 décembre [1762] 1

O mes anges ! vous avez entrepris d’affubler mademoiselle Corneille du sacrement de mariage, seul sacrement que vous devez aimer. Mon demi-philosophe, que vous m’avez dépêché, n’est pas demi-pauvre, il l’est complètement. Son père n’est pas demi-dur, c’est une barre de fer. Il veut bien donner à son fils mille livres de pension ; mais, en récompense, il demande que je fasse de très grands avantages ; de sorte que je ne suis pas demi-embarrassé. Je n’ai presque à donner à mademoiselle Corneille que les vingt mille francs que j’ai prêtés à M. de La Marche, qui devraient être hypothéqués sur la terre de La Marche, et sur lesquels M. de La Marche devrait s’être mis en règle depuis un an ; au lieu que je n’ai pas même de lui un billet qui soit valable. Cela s’est fait amicalement, et les affaires doivent se traiter régulièrement. 

Ces vingt mille francs donc, 1400 livres de rente déjà assurés, environ quarante mille livres de souscriptions, le marié et la mariée nourris, chauffés, désaltérés, portés 2 pendant notre vie, c’est là une raison qui n’est pas la raison sans dot 3; et si un père qui ne donne rien à son fils le philosophe trouve que je ne donne pas assez, vous sentez, mes anges, que ce père n’est pas un homme accommodant.

Cependant il faut tâcher de faire réussir une affaire que vous m’avez rendue chère en me la proposant.

Notre futur a fait noblement son métier de meurtrier, tout comme un autre : puis il me paraît trop philosophe pour aimer beaucoup l’emploi de tuer du monde pour de l’argent et pour une croix de Saint-Louis. Je le crois très propre aux importantes négociations que nous avons avec la petitissime et pédantissime république de Genève. Voici un temps favorable pour employer ailleurs M. de Montpéroux, résident à Genève. Il y a bien des places dont M. le duc de Praslin dispose. Il me semble que si vous vouliez placer à Genève notre futur, vous obtiendriez aisément cette grâce de M. le duc de Praslin . Rien ne serait plus convenable pour les Genevois et pour moi, et surtout pour madame Denis, qui commence à trouver les hivers rudes à la campagne au milieu des neiges. Mademoiselle Corneille vous devrait son établissement, madame Denis et moi nous vous devrions la santé, M. de Vaugrenant vous devrait tout. Voyez, anges bienfaisants, si vous pouvez faire tant de bien, si M. le duc de Praslin veut s’y prêter. Vous pouvez faire quatre heureux, et c’est la seule manière de célébrer ce beau sacrement de mariage sous vos auspices . Sans cela l’inflexible père ne donnera point son consentement, et voici comment il raisonne . L’argent des souscriptions est peut-être peu de chose, et l’on ne saura que dans dix-huit mois à quoi s’en tenir. On ne veut guère articuler dans un contrat de mariage l’espérance d’un produit de souscriptions pour un livre imprimé par des Genevois. Les 1400 livres de rente qui appartiendront à mademoiselle Corneille ne sont que viagères ; elle n’aura donc que mille livres de rente à stipuler réellement.

Il pourra même pousser plus loin ses scrupules, s’il sait que le premier président actuel de Dijon dispute à son père jusqu’à la propriété de la terre de La Marche. Notre sacrement est donc hérissé de difficultés, et toutes seraient aplanies par l’arrangement que j’imagine. Le sort de mademoiselle Corneille est donc entre les mains de mes anges.

Je baise le bout de leurs ailes avec plus de ferveur que jamais . Il est vrai que je ne leur envoie point de tragédie pour les séduire. Je suis occupé à présent à faire un parc d’une lieue de circuit, qui a pour point de vue, en vingt endroits, dix, quinze, vingt, trente lieues de paysage. Si je peux trouver d’aussi belles situations au théâtre, vous aurez des drames ; mais laissons passer les plus pressés, et faisons-nous un peu désirer. Je sais bien que M. de Marigny 4 ne m’élèvera point de mausolée  ; mais mes anges diront : il avait quelque talent, il nous aimait.

Au reste, je n’ai confié à personne qu’à vous mes propositions politiques. Tâchez de faire notre affaire . Si vous voulez que M. de Vaugrenant et mademoiselle Corneille fassent des philosophes et des faiseurs de tragédies, donnez-nous la résidence de Genève.

Mes anges, faites comme vous voudrez, comme vous pourrez ; pour moi, je suis à vos ordres, à vos pieds, à vos ailes jusqu’au dernier moment de ma vie.

N.B. – Madame Denis et mademoiselle Corneille ne sont pas si contentes que moi du demi-philosophe ; elles le trouvent sombre, duriuscule 5, peu poli, peu complaisant, marchandant, et marchandant mal . Mais si la résidence genevoise était attachée à ce mariage, nos dames pourraient être plus contentes. Enfin ordonnez.

V. »

1 L’édition Supplément au recueil est très inexacte .

2 Allusion au Joueur de Regnard, III, 3 . Portés fait référence à l'équipage .

3 Réminiscence comique de L'Avare, I, 5 .

4 Marigny, frère de la marquise de Pompadour et intendant des bâtiments du roi, avait commencé à faire ériger un mausolée à la mémoire de Crébillon le tragique qu'avait protégé sa sœur .

5 Allusion comique au Malade imaginaire , II, 9 ; voir : https://www.littre.org/definition/duriuscule