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18/03/2022

Les affaires de Genève ne laissent pas de m’embarrasser. J’y ai une grande partie de mon bien ; toutes les caisses sont fermées. Je ne sais comment j’ai fait, moi pauvre diable, pour avoir une maison beaucoup plus grosse que celle de M. l’ambassadeur

... Veux-tu que je te dise mon pauvre Vlad , comment ce fait-ce ? Tu as tout simplement volé, pillé les caisses de l'Etat, qui, au demeurant sont fort bien remplies, aidé par les oligarques qui y prennent leurs parts et te font de généreux renvois d'ascenseurs . Souviens-toi qu'on ira cracher sur ta tombe, fut-elle un palais !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

19è décembre 1766

Mes divins anges, je ne veux point vous accabler des pièces qu’il faut coudre aux habits persans et scythes. Cette occupation deviendrait insupportable ; le mieux est d’achever le tableau dont vous avez l’esquisse, et de vous l’envoyer dans son cadre.

Comme je suis très jeune, et que j’ai les passions fort vives, j’ai envoyé cette fantaisie à M. le duc de Choiseul, avant d’y avoir mis la dernière main ; cependant il en a été si content, qu’il ne balance point à la mettre au-dessus de Tancrède.

Vous m’avouerez qu’en qualité de riverain suisse, je devais cet hommage à mon colonel 1. Je craignais beaucoup que Guillaume Tell ne fût précisément mon Indatire 2. Il était si naturel d’opposer les mœurs champêtres aux mœurs de la cour, que je ne conçois pas comment l’auteur de Guillaume a pu manquer cette idée. Je m’attendais aussi à voir mon Sozame 3 dans le Bélisaire de Marmontel ; on me mande qu’il n’en est rien. Qu’est donc devenue l’imagination ? est-ce qu’il n’y en a plus en France ?

Mandez-moi, je vous en prie, si la pomme de M. Le Mierre 4 réussit autant dans le monde que celle de Pâris, et celle de madame Ève.

Vous disiez autrefois que je ne répondais point catégoriquement aux lettres. Vous avez pris mes défauts, et vous ne m’avez pas donné vos bonnes qualités ; c’est vous qui ne répondez point, car vous ne me dites seulement pas si M. le duc de Praslin a reçu le commentaire 5 que je lui ai envoyé par M. Jeannel, et vous ne riez point assez de voir en quelles mains le premier envoi était tombé. On l’a lu, on en a été content, et on n’a pas voulu le rendre, en dépit du droit des gens.

Avez-vous lu Eudocie ou Eudoxie de M. de Chabanon 6? En êtes-vous satisfaits ? Vous aurez une bonne tragédie de La Harpe, ou je suis bien trompé. Je corromps tant que je peux la jeunesse pour le service du tripot.

Le tripot de Genève va fort mal ; les médiateurs n’ont point réussi dans leur entreprise ; ils sont très fâchés, ils menacent ; tout cela tournera mal. Je crois que vous avez fort mal fait de ne point venir ; vous auriez tout concilié, et la comédie qui ne vaut pas le diable aurait été au moins passable.

Je vous demande en grâce, quand vous ferez jouer Zulime  à mademoiselle Durancy, de la lui faire jouer comme je l’ai faite, et non pas comme mademoiselle Clairon l’a jouée. Ce mot de Zulime, avec un cri douloureux, ô mon père ! j’en suis indigne fait un effet prodigieux. La manière dont les comédiens de Paris jouent cette scène est de Brioché. 

Je meurs sans vous haïr… Ramire, sois heureux,

Aux dépens de ma vie, aux dépens de mes feux ;

comment ces malheureux ignorent-ils assez leur langue pour ne pas savoir que cette répétition, aux dépens, fait attendre encore quelque chose ; que c’est une suspension, que la phrase n’est pas finie, et que cette terminaison, aux dépens de mes feux, est de la dernière platitude ? Il n’y a pas jusqu’aux acteurs de province qui ne s’en aperçoivent. Mademoiselle Clairon avait juré de gâter la fin de Tancrède. J’ai mille grâces à vous rendre d’avoir fait restituer par mademoiselle Durancy ce que mademoiselle Clairon avait tronqué. Un misérable libraire de Paris, nommé Duchesne, a imprimé mes pièces de la façon détestable dont les comédiens les jouent ; il a fait tout ce qu’il a pu pour me déshonorer, et pour me rendre ridicule. De quel droit ce faquin a-t-il obtenu un privilège du roi pour corrompre ce qui m’appartient, et pour me couvrir de honte ? Je vous avoue que cela m’est sensible. Je me suis précautionné contre les plus violentes persécutions, et j’ai de quoi les braver ; mais je n’ai point de remède contre l’opprobre et le ridicule dont les comédiens et les libraires me couvrent. J’avoue cette sensibilité . Un artiste qui ne l’aurait pas serait un pauvre homme.

Je ne sais plus ce que devient l’affaire des Sirven . Je crois que les lenteurs de Beaumont l’ont fait échouer. C’est bien pis que l’inepte insolence des comédiens et des libraires. C’est là ce qui me désespère ; j’ai la tête dans un sac.

Les affaires de Genève ne laissent pas de m’embarrasser. J’y ai une grande partie de mon bien ; toutes les caisses sont fermées. Je ne sais comment j’ai fait, moi pauvre diable, pour avoir une maison beaucoup plus grosse que celle de M. l’ambassadeur. Il se trouve qu’à Tournay et à Ferney je nourris cent cinquante personnes ; on ne soutient pas cela avec des vers alexandrins et des banqueroutes.

Pardonnez-moi de mettre à vos pieds mes petites peines ; c’est ma consolation.

Respect et tendresse. »

1 Le duc de Choiseul, commandant des gardes suisses : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gardes_suisses_(France)

3 Autre personnage des Scythes .

4 C'est-à-dire son Guillaume Tell .

c’est un méchant homme, c’est le singe de la philosophie qui saute sur un bâton, fait des grimaces et mord les passants

... Qui est-ce ? Un  indice E... Z...

Le peuple français compte suffisamment de râleurs pour donner des admirateurs et suiveurs bavants à des malfaisants qui prônent la haine . Fort heureusement ils sont tellement sectaires qu'ils vont en groupes dispersés, chaque chefaillon se glorifiant et leur promettant LA victoire ! Sales gugusses .

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« A Jacques Lacombe

17è novembre [décembre ] 1766 1

Si tous les ouvrages que vous imprimez, monsieur, étaient écrits comme votre lettre du 9, vous feriez une grande fortune.

Je suis effrayé des huit pages que vous comptez refaire. En vérité, cet ouvrage très froid 2 n’en vaut pas la peine, et l’on compte vous donner bientôt quelque chose de plus intéressant 3.

Faites tout ce qu’il vous plaira du recueil de morale et de philosophie 4. Quand il sera fait, je vous proposerai une petite préface. On prétend que c’est un M. Bordes, de l’Académie de Lyon, ancien antagoniste de Rousseau, qui a fait la lettre qu’on m’a attribuée dans les gazettes anglaises. Vous verrez par l’imprimé ci-joint que cette lettre n’est pas de moi. Si vous voulez donner au public ma lettre à M. Hume, avec des remarques 5 historiques et critiques assez curieuses , je vous les ferai tenir. Rousseau n’est pas seulement un fou ; c’est un méchant homme, c’est le singe de la philosophie qui saute sur un bâton, fait des grimaces et mord les passants.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

V.»

1 Wagnière s'est trompé sur le mois ; en effet jusqu'au milieu de décembre, V* attribue invariablement la Lettre du docteur Pansophe à Coyer ; ce n'est qu'ensuite , quand il a reçu une lettre de Bordes du 9 décembre 1766 qu'il l'attribue aussi invariablement à ce dernier .

2 Le Triumvirat.

3 Les Scythes.

5 Les Notes sur la lettre de M. de Voltaire à M. Hume .Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Notes_sur_la_lettre_%C3%A0_Hume