08/06/2024
la censure contre , dans le cul
... Pas mieux !
« A Jean-François Marmontel
28è novembre 1768
Point du tout, mon cher ami, le patriarche est toujours malingre : et, s’il est goguenard dans les intervalles de ses souffrances, il ne doit la vie qu’à ce régime de gaieté, qui est le meilleur de tous. Tout gai que je suis par accès, je suis au fond très affligé pour l’Espagne que l’université de Salamanque succède aux jésuites dans le ministère de la persécution. Je l’avais bien prévu avec frère Lembertad 1 ; et je dis, quand on chassa les renards : on nous laissera manger aux loups 2.
J’ai toujours votre XVè chapitre 3 dans le cœur et dans la tête, et la censure contre 4, dans le cul. Je ne crois pas qu’il y ait rien de si déshonorant pour notre siècle. Sans votre XVè chapitre, ce siècle était dans la boue.
Je n'ai pas manqué de vous envoyer celui de Louis XIV par les voitures publiques de Lyon . Il est vrai que ne sachant où vous prendre l'adresse est chez Mme de Genéfrin, car j'ai oublié votre nouvelle demeure .
Votre idée de l’histoire politique de l’Église est très belle, mais c’est l’histoire du monde entier. Il n’y a point de royaume en Europe que le pape n’ait donné ou cru donner . Il n’y en a point où il n’ait levé des impôts, où il n’ait excité des guerres . J’en ai dit quelques mots dans l’Essai sur l'histoire générale 5.
L’Examen dans lequel le président Hénault est si maltraité est un tour de maître Gonin que je n’ai pas encore éclairci. L’ouvrage est assurément d’un homme très profond dans l’histoire de France. Il y a des erreurs, mais il y a aussi des recherches savantes. Le style court après celui de Montesquieu ; il l’attrape quelquefois, mais avec des solécismes et des barbarismes dont Montesquieu avait aussi sa part. On a imprimé ce petit livre sous le nom d’un marquis de Bélestat. J’ai reçu moi-même de Montpellier deux lettres signées de ce nom ; et il se trouve à fin de compte qu’il n’y a point de marquis de Bélestat 6 . C’est l’aventure du faux Arnaud.
Je crois, après m’être bien tourmenté à deviner, que je dois finir par rire. Plût à Dieu qu’il n’y eut dans le monde que ces petites méchancetés ! Mais je reprends mon air grave et triste quand je songe à certaines choses qui se sont passées dans mon Siècle . Je ne les oublie point, je les garde pour les posthumes 7, et je veux que la postérité déteste les persécuteurs.
Mandez-moi votre demeure . Je vous embrasse bien tendrement, mon très cher confrère. »
1 D’Alembert.
2 On a déjà vu cent variations de V* sur ce thème depuis la lettre du 19 juin 1763 à Damilaville ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/06/12/l... ) jusqu'à celle du 3 août 1767 à d'Alembert ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/03/25/les-honnetes-gens-ne-peuvent-combattre-qu-en-se-cachant-derr-6434994.html ) , sans compter celles que l'on trouve dans les autres ouvrages, comme par exemple Le Pot pourri .
3 De Bélisaire. Voir lettre du 16 février 1767 à Marmontel : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/07/06/comme-il-essuyait-une-espece-de-petite-persecution-il-a-cru-6390549.html
4 Censure de la faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre Bélisaire, 1767 : https://books.google.com/books?id=Av10LHMqtd8C&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
5 Et dans une foule d'autres écrits qu'on ne peut songer à énumérer .
6 Cependant c’est à lui que sont adressées les lettres du 15 octobre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/04/24/si-je-me-comptais-encore-au-nombre-des-vivants-je-desirerais-6495590.html
du 17 octobre 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/04/29/j-ai-cru-devoir-a-votre-merite-et-a-l-estime-que-vous-m-avez-inspiree-les-i.html
et du 5 janvier 1769 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7447
7 Sans doute au sens de « ceux qui viendront après nous, la postérité » . Mais cet emploi de posthume n'est pas signalé par les dictionnaires .
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