03/10/2010
vous croyez donc qu'on s'égorge tous les jours, comme les petites filles s'imaginent que les hommes bandent toujours !
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« A Nicolas-Claude Thiriot
Chez Madame la comtesse de Montmorency, rue Vivienne à Paris.
3 octobre [1758] aux Délices
Urbis amator, credule galle [i], vous êtes donc tous fous avec votre bataille du 26 ii; et vous croyez donc qu'on s'égorge tous les jours, comme les petites filles s'imaginent que les hommes bandent toujours ! Le fait est que les Russes ont perdu environ quinze mille hommes le 25è [iii], et n'avaient nulle envie de se battre le 26, que Frédéric après les avoir vaincus, et les avoir mis hors d'état de pénétrer plus avant , a couru dégager son frère, qu'il a fait repasser les montagnes au duc de Daun, et qu'on est à peu près au même état où l'on était avant cette funeste guerre.
Maupertuis crèverait s'il savait que le roi son maître m'a écrit deux lettres depuis sa bataille de Custrin, mais je n'en suis ni enorgueilli ni séduit.
Les deux couplets sur le livre d'Helvétius [iv] sont assez jolis, mais il me parait qu'en général il y a beaucoup d'injustice et bien peu de philosophie , à taxer de matérialisme l'opinion que les sens sont les seules portes des idées. L'apôtre de la raison, le sage Loke n'a pas dit autre chose, et Aristote l'avait dit avant lui. Le gros de votre nation ne sera jamais philosophe, quelque peine qu'on prenne à l'instruire.[v]
J'ai reçu les manuscrits concernant la Russie [vi]. Ce sont des anecdotes de médisance, et par conséquent cela n'entre pas dans mon plan [vii].
Pour Jean-Jacques, il a beau écrire contre la comédie,[viii] tout Genève y court en foule. La ville de Calvin devient la ville des plaisirs et de la tolérance. Il est vrai que je ne vais presque jamais à Genève. Mais on vient chez moi, ou plutôt chez mes nièces. Mon ermitage est charmant dans la belle saison. Si vous n'étiez pas un casanier, je vous dirais toujours omitte mirari beatae fumum et opes strepitumque Romae.[ix]
Je vous suis très obligé, mon cher et ancien ami, du livre que vous me destinez [x]. Mme de Fontaine vous fera rembourser du prix. Le bruit qu'a fait ce livre m'a engagé à relire Loke. J'avoue qu'il est un peu diffus. Mais il parlait à des esprits prévenus et ignorants auxquels il fallait présenter la raison sous tous les aspects et sous toutes les formes.
Je trouve que ce grand homme n'a pas encore la réputation qu'il mérite. C'est le seul métaphysicien raisonnable que je connaisse et après lui je mets Hume.
Bonsoir, il est vrai que je me suis amusé avec La Femme qui a raison, mais c'est pour notre troupe et non pour la vôtre. Scurror mihi non populo [xi].Je vous embrasse de tout mon cœur. Vale.
V.
Madras ! quel conte ! il n'y a que des La Bourdonnais qui le prennent . Ils en ont été bien payés ![xii]
Pourquoi a-t-on pendu un huissier ?[xiii] »
i Amoureux de la ville, crédule Gaulois .
ii En fait il n'y eu qu'une canonnade et une escarmouche.
iii A Zorndorf, les Russes reconnurent 13 000 blessés et près de 11 000 disparus.
iv De Thiriot, le 26 septembre, en parlant des couplets qui commencent ainsi : « Admirez cet écrivain-là / Qui de l'esprit intitula / Un livre qui n'est que matière. »
v A Thiriot le 17 septembre, V* dit qu'il avait lu dans un journal qu'Helvétius avait fait un livre sur l'esprit « un livre très bon plein de littérature et de philosophie, approuvé par un premier commis... » et apprenait le même jour « qu'on a condamné ce livre, et qu'il (Helvétius) le désavoue comme un ouvrage dicté par le diable ». Le 23, V* fait des réserves sur le livre : « Le fatras de l'Esprit d'Helvétius ne méritait pas le bruit qu'il a fait. Si l'auteur devait se rétracter, c'était pour avoir fait un livre philosophique sans méthode, farci de contes bleus. » ; cf. lettre du 18 octobre.
vi Le manuscrit que l'abbé Ménet devait remettre à Thiriot.
vii Cf. lettre du 7 août 1757 ; le 10 juillet, V* précise à Shouvalov qu'il ne retient des mémoires que ce qui « caractérise particulièrement Pierre le Grand », en particulier son action en tant que « réformateur des mœurs... créateur des arts, de la marine et du commerce », éliminant « ces anecdotes désagréables dont tant de livres sont remplis ».
viii Lettre à d'Alembert sur les spectacles, pour répliquer à l'article Genève de l'Encyclopédie de 1757.
ix Cesse d'admirer la fumée, les richesses et le bruit de l'opulente Rome.
x Celui d'Helvétius.
xi Je fais l'amuseur pour moi, non pour le peuple.
xii La Bourdonnais a pris Madras en 1746, qui fut perdue, puis assiégée par Lally fin 1758, délivrée par les Anglais en février 1759. La Bourdonnais a été emprisonné à son retour en France en 1748.
xiii Moriceau de La Motte avait critiqué le comportement du gouvernement dans l'affaire du régicide Damiens et avait eu en main des brochures séditieuses, il a été exécuté le 11 septembre .
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02/10/2010
Je compte sur votre amitié, sur votre discrétion et sur les imparfaits en oi
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« A Gabriel Cramer
[septembre-octobre 1759]
Vous m'avez promis, mon cher Gabriel, une Bertiade [1]. Je compte sur votre amitié, sur votre discrétion et sur les imparfaits en oi, et non pas en ai [2], et si quid novi, scribe.[3] »
1Qui est la réponse de V* à la suspension de l'Encyclopédie : Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Bertier.
Petite invitation au rire avec V* :
http://www.baillement.com/lettres/voltaire.html
2V* impose habituellement à ses imprimeurs la graphie ai conforme à la prononciation et encore inhabituelle en France ; cette fois il indique la graphie oi pour faire croire que la brochure n'est pas de lui ou que ce n'est pas lui qui a demandé l'impression.
3Et s'il y a quelque chose de nouveau, écris.
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01/10/2010
Ils prétendirent que les honnêtes gens n'avaient pas besoin de l'enfer pour être vertueux, que l'idée de l'enfer faisait plus de mal que de bien
Un peu gnan-gnan, mais chanté juste : http://www.deezer.com/listen-869901
Beaucoup plus plaisant pour moi : http://www.deezer.com/listen-1117108
Jazzy et poétique : http://www.deezer.com/listen-1101604 , à écouter en boucle, à deux, c'est très dansant .
Simplement pour rendre hommage à Volti qui fit cohabiter paisiblement catho et parpaillots, un chant enregistré à Taizé qui sait réunir des voix de tous horizons : http://www.deezer.com/listen-1134741
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A moins que vous ayez des états d'âme comme ici : http://www.deezer.com/listen-2554431
« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence
A Tournay par Genève
1er octobre 1759
Monsieur,
La confiance que vous voulez bien me témoigner et le goût que vous avez pour la vérité me touchent sensiblement. Vous avez perdu , dites-vous, des protecteurs, mais vous êtes sans doute votre protecteur vous-même. On n'a besoin de personne quand on a un nom et des terres. M. le chevalier d'Aydie a pris il y a longtemps le parti de se retirer chez lui. Il s'est procuré par là une vie heureuse et longue. Il n'y a personne qui ne regarde le repos et l'indépendance comme le but de tous ses travaux, pourquoi donc ne pas aller au but de bonne heure ? On est égal aux rois quand on sait vivre heureux chez soi.
Quand aux objets de métaphysique dont vous me faites l'honneur de me parler, ils méritent votre attention. Il est bien vrai que dans les lois de Moïse il n'est jamais parlé de l'immortalité de l'âme, ni de récompenses et de peines dans une autre vie. Tout est temporel ; et l'Anglais Warburton que M. Silhouette a traduit en partie [i] prétend que Moïse n'avait pas besoin de ce ressort pour conduire les Hébreux parce qu'ils avaient Dieu pour roi, et que ce roi les punissait sur-le-champ quand ils avaient fait quelque faute. Cependant il est clair que du temps de Moïse les Égyptiens avaient embrassé le dogme de l'existence d'une âme aérienne et éternelle qui devait se rejoindre au corps après une multitude de siècles. C'est pour cette raison qu'on embaumait les corps afin que l'âme les retrouvât, et qu'on bâtissait des tombeaux en pyramides. L'idée de l'immortalité de l'âme et d'un enfer se retrouve dans l'ancien Zoroastre, contemporain de Moïse, dont les rites et les opinions nous ont été conservés dans le Sadder. La même opinion est confirmée dans les poésies d'Homère. Il est vrai qu'on n'avait pas l'idée d'un esprit pur. L'âme chez tous les Anciens était un air subtil, mais il n'importe qu'elle fût son essence. Le grand intérêt des sociétés demandait qu'elle fût immortelle, et qu'après la mort on pût lui demander compte. Démocrite, Épicure et plusieurs autres combattirent ce sentiment. Ils prétendirent que les honnêtes gens n'avaient pas besoin de l'enfer pour être vertueux, que l'idée de l'enfer faisait plus de mal que de bien, que l'âme n'est pas un être à part , que c'est une faculté de sentir, de penser, comme les arbres ont de la nature la faculté de végéter, qu'on sent par les nerfs, qu'on pense par la tête, comme on touche avec les mains et qu'on marche avec les pieds.
Pour Platon et Socrate il est indubitable qu'ils croyaient l'âme immortelle. Ce dogme a été le plus universellement répandu. Il paraît le plus sage, le plus consolant et le plus politique. Pour peu que vous lisiez, Monsieur, les bons livres traduits en notre langue, vous en saurez beaucoup plus que je ne pourrais vous en dire, et avec l'esprit juste que vous avez, vous vous formerez des idées saines de toutes ces choses qui nous intéressent véritablement. Vous avez grande raison de rejeter toutes les idées populaires . Jamais les sages n'ont pensé comme le peuple. Saint Crépin est le saint des cordonniers, sainte Barbe des vergetiers [ii], mais la vérité est le saint des philosophes . En voilà beaucoup pour un vieillard qui ne connait plus que sa charrue et ses vignes. Je trouve que la meilleure philosophie est celle de cultiver ses terres. Je me croirais fort heureux si je pouvais avoir l'honneur de vous recevoir dans un de mes ermitages.
Je suis avec respect
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme ordinaire du roi. »
iDans ses Dissertations sur l'union de la religion, de la morale et de la politique, tirées de Warburton par Etienne de Silhouette, 1742.
http://books.google.fr/books?id=0qgUAAAAQAAJ&printsec...
ii Fabricants de brosses à nettoyer.
POUR LA BONNE BOUCHE : http://www.deezer.com/listen-4624134
05:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
je me ferai un devoir, à la première occasion, d'ajouter tout ce qui pourra servir à sa gloire et plaire à sa fille
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Jouvenet
« A Élisabeth-Anne Lordelot
Aux Délices, route de Genève
1er octobre [vers 1758]
Madame,
Votre lettre m'a fait relire le petit article qui regarde M. Jouvenet [i]. Je vois qu'il y est regardé comme un bon peintre, quoique inférieur en quelques parties à Le Brun . Il est vrai qu'il avait quelquefois un coloris un peu jaune ; et ce léger défaut est moindre que celui de Le Brun et du Poussin qui étaient souvent beaucoup trop rembrunis . Les Sept sacrements du Poussin sont devenus si noirs qu'ils sont plus beaux aujourd'hui que dans les estampes. Chaque peintre, comme chaque écrivain a ses défauts. Je serais très mortifié de compter parmi les miens celui de ne pas rendre justice aux grands talents [ii]. J'ai appelé M. Jouvenet bon peintre, c'est un éloge que je confirmerai toujours et je me ferai un devoir, à la première occasion, d'ajouter tout ce qui pourra servir à sa gloire et plaire à sa fille,[iii] dont j'ai reconnu tout le mérite dans la lettre dont elle m'honore.
Je suis avec respect, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire. »
http://c18.net/vo/vo_textes_siecle.php?div1=42
ii V* parlait en connaisseur, en août, des Van der Meulen et du Van Dyck de feu Klinglin.
iii Il ne rajoutera rien . Elisabeth-Anne, née en 1684 , avait épousé Bernerd-Claude Lordelot . Gaêtan Guillot, dans un article intitulé "La femme et le s filles du peintre Jouvenet dans l'oeuvre du peintre", 1914, affirme qu'elle mourut en 1719 . En fait comme l'avait montré TH. Lhuillier dans "Note relative à Jean Jouvenet et à ses filles ", elle vivait encore bien des années après cette date .
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