20/07/2012
le bonheur réel est dans vous, dans votre esprit sage et élevé; il est dans la satisfaction d'être aimée
... Ah ! comme Volti sait consoler et réconforter . Il est un bon coach !
Et voici le sourire du bonheur
« A Madame la duchesse de SAXE-GOTHA
Aux Délices, près de Genève, 12 juillet [1756]
Madame, mon attachement, ma sensibilité extrême pour tout ce qui intéresse Votre Altesse sérénissime, avaient prévenu la bonté que vous avez eue de daigner me parler de votre perte 1.
Je suis persuadé qu'elle éprouve tous les jours de nouvelles consolations dans des enfants si chers, si dignes d'elle et si bien élevés. Elle les voit croître sous ses yeux; elle est témoin de leurs progrès. Ce sera là, madame, le plus solide plaisir de votre vie. D'autres vont le chercher à Venise et à Naples; mais le bonheur réel est dans vous, dans votre esprit sage et élevé; il est dans la satisfaction d'être aimée. J'y compte pour beaucoup la grande maîtresse des cœurs je me flatte que les alarmes sur sa santé sont évanouies.
On a reconnu, dans Paris, que les Mémoires de Mme de Maintenon sont autant d'impostures, et que ses lettres, qui sont véritablement d'elle, ne contiennent pas beaucoup d'anecdotes intéressantes. Je suis persuadé qu'un esprit comme le vôtre s'amusera peu de tous ces détails inutiles.
La prise de Port-Mahon et les nouveaux traités occupent l'Europe davantage. Un homme de l'Académie des sciences, à Paris, nommé l'abbé de Gua 2, a voulu la faire trembler. Il a prédit un tremblement de terre pour le 9 de ce mois je me flatte qu'il n'aura pas été prophète.
Ce fameux Tronchin 3, qui a été à Paris inoculer nos princes et guérir tant de personnes, est chez moi actuellement avec une de mes nièces 4, qu'il a tirée des portes de la mort. J'aurais bien voulu qu'il eût été à Gotha dans ses voyages c'est véritablement un grand homme; mais je suis encore plus incurable qu'il n'est habile. Il faut se soumettre à sa destinée. La mienne, madame, est d'être dévoué à Votre Altesse sérénissime et à toute votre auguste famille, avec le plus profond respect et le plus tendre attachement. »
1 Mort d'un de ses enfants : Frédéric , voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/15/vous-voyez-madame-votre-consolation-devant-vos-yeux-en-voyan.html
2 Jean-Paul de Gua de Malves : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_de_Gua_de_Malves
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19/07/2012
Vous trouveriez les environs de Genève bien changés; ils sont dignes des regards d'un homme qui a tout vu.
... Et qui connait pire et mieux .
Une urbanisation foisonnante, un manque de terrains à bâtir (et terrains trop chers), une population frontalière énorme sont en effet des choses qui n'étonnent pas par leur rareté, mais simplement par leur ampleur dans le pays de Gex et la Haute-Savoie . D'où loyers disproportionnés boostés par les "riches" Suisses et un prix du m2 de terrain et de logement digne de Paris ou des bons coins sur la Côte d'Azur .
"L'homme qui a tout vu" a fort intérêt se dire qu'il a encore à voir le château de Voltaire .
En voila un qui fait une sieste à rallonge, hébergé par Voltaire
« A M. le comte ALGAROTTI
Aux Délices, 7 juillet [1756]
Ho ricevuto colla più viva gratitudine, caro signor mio, ciô che ho letto col più gran piacere. Siete giudice d' ogni arte, e maestro d' ogni stile, et doctus sermonis cujuscumque lingux 1. Onm'assure que vous êtes parti de Venise après l'avoir instruite, que vous allez à Rome et à Naples. On me fait espérer que vous pourrez faire encore un voyage en France, et repasser par Genève; je le désire plus que je ne l'espère. Vous trouveriez les environs de Genève bien changés; ils sont dignes des regards d'un homme qui a tout vu. Je n'habite que la moindre maison de ce pays-là; mais la situation en est si agréable que peut-être, en voyant de votre fenêtre le lac de Genève, la ville, deux rivières 2, et cent jardins, vous ne regretteriez pas absolument Potsdam. Ma destinée a été de vous voir à la campagne, ne pourrais- je vous y revoir encore?
Ella troverà difficilmente un pittore tal quale lo vuole, e più difficilmente ancora un impresario, o un Swerts, che possa far rappresentare un opera conforme aile vostre belle regole; ma troverà nel mio ritiro des Délices, un dilettante appassionato di tutto ciô che scrivete, e non meno innamorato della vostra gentilissima conversazione.
Je suis trop vieux, trop malade, et trop bien posté pour aller ailleurs. Si je voyageais, ce serait pour venir vous voir à Venise; mais si vous êtes en train de courir, per Dio, venite a Ginevra.
Farewell, farewell I love you sincerely, and for ever. »
2 L'Arve et le Rhône. Voltaire parle d'un troisième « fleuve » (l'Aire) dans sa lettre à Adhémar, de juillet 1757.
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18/07/2012
Mais la politique et les armes Ne font pas mes félicités.
... Et je ne tiens pas à me fourrer dans ces domaines .
Il suffit à mon bonheur, entre autres, de me promener sous les charmilles du château de Volti, en rejoignant par la pensée deux personnes qui me sont chères et l'esprit d'un petit toutou que j'aimais bien .
A toute personne qui a quelque sympathie ou curiosité envers Voltaire, je conseille cette promenade qui est un régal .
NB- Ce n'est pas l'auteur de la photo qui penche , épris de boisson, ce sont les charmilles !
« A M. le maréchal duc de RICHELIEU 1
Aux Délices, juillet [1756]
Mon héros, je vais aussi brûler de la poudre; mais je tirerai moins de fusées que vous n'avez tiré de coups de canon 2. Ma prophétie a été accomplie encore plus tôt que je ne croyais, en dépit des malins qui niaient que je connusse l'avenir et que vous en disposassiez si bien. Je vous vois d'ici tout rayonnant de gloire.
Ce n'est plus aux Anacréons
De chanter avec vous à table;
La mollesse de leurs chansons
N'aurait plus rien de convenable
A vos illustres actions.
Il n'appartient plus qu'aux Pindares
De suivre vos fiers compagnons,
Aux assauts de cent bastions,
Devers les Iles Baléares.
J'attends leurs sublimes écrits;
Et s'il est vrai, comme il peut l'être,
Qu'il soit parmi vos beaux esprits
Peu de Pindares dans Paris,
Vos succès en feront renaître.
Ils diront qu'un roi modéré
Vit longtemps avec patience
L'attentat inconsidéré
D'un peuple un peu trop enivré
De sa maritime puissance;3
Qu'on a sagement préparé
La plus légitime vengeance;
Et qu'enfin l'honneur de la France
Par vos exploits est assuré.
Mais pour moi, dans ma décadence,
Faible et sans voix je me tairai;
Jamais je ne me mêlerai
De ces querelles passagères.
Je sais qu'aux marins d'Albion
Vous reprochez, avec raison,
Quelques procédés de corsaires;
Ce ne sont pas là mes affaires.
Milton, Pope, Swift, Addison,
Ce sage Locke, ce grand Newton,
Sont toujours mes dieux tutélaires.
Deux peuples en valeur égaux
Dans tous les temps seront rivaux,
Mais les philosophes sont frères.
Vos ministres, par leurs traités,
Ont assujetti la fortune;
Vos vaisseaux, de héros montés,
Ont battu les fils de Neptune;
Une prudence peu commune
A conduit vos prospérités;
Mais la politique et les armes
Ne font pas mes félicités.
Croyez qu'il est encor des charmes
Sous les berceaux que j'ai plantés.
Je vis en paix, peut-être en sage,
Entre ma vigne et mes figuiers;
Pour embellir mon ermitage,
Envoyez-moi de vos lauriers:
Je dormirai sous leur ombrage. »
1 C'est à tort, croyons-nous, qu'on a toujours donné à cette lettre la date du 27 juillet; elle doit être du 7. (Georges Avenel)
3 Les Anglais depuis plusieurs mois se sont attaqués aux navires français , bien avant toute déclaration de guerre ouverte .
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Vous triompherez des difficultés, des Anglais, des sots, et des jaloux.
... Disait Voltaire à Thomas Voeckler ce matin avant cette magnifique étape dans les Pyrénées .
« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.
Aux Délices, 5 juillet [1756]
(A Vous seul.)
Pardonnez à mes importunités, mon héros. Je me flatte que vous prendrez, ce mois-ci, le rocher et les Anglais. Tant mieux que la besogne soit difficile, vous en aurez plus de gloire. Vous connaissez Paris et Versailles vous savez comme on a murmuré que la ville de l'Europe la plus forte après Gibraltar n'ait pas été prise en quatre jours; et, si vous aviez pu l'emporter d'emblée, on aurait dit Cela était bien aisé. Vous triompherez des difficultés, des Anglais, des sots, et des jaloux.
Tronchin 1 est revenu de Paris; il en a été l'idole, et jamais idole n'a reçu plus d'offrandes. Il a tout vu, tout entendu il connaît tous ceux qui osent vous porter envie. Une certaine personne 2 lui a parlé avec une confiance étonnante. « Je n'ai qu'un reproche à me faire, lui a-t-elle dit, c'est d'avoir fait du mal à M. de M. 3; mais j'ai été trompée, etc., etc. »
On a parodié la petite lettre 4 que j'avais eu l'honneur de vous écrire; tant mieux encore. Je vais préparer des fusées, et je compte donner un feu le jour que j'apprendrai que vous êtes entré dans la place. En vérité, vous devriez bien me faire savoir par un de vos secrétaires dans quel temps à peu près vous souperez dans le fort Saint-Philippe; vous feriez là une bonne œuvre. Élève du maréchal de Villars et son successeur, battez les ennemis de la France et les vôtres.
Il y a dans le monde un petit coin de terre où vous êtes adoré. Le lac de Genève retentit de votre nom. Recevez mes vœux, mon encens, mon attachement, mon tendre respect. »
4 Lettre du 3 mai 1756 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/04/le-grand-homme-echappe-au-vulgaire.html
17:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il se trouverait, en cas de malheur, que mes compliments n'auraient été qu'un ridicule
... C'est confirmé, les femmes sont plus intelligentes que les hommes !
Et tant pis si l'égalité est bousculée .
Mais bien sûr, il ne s'agit là que de résultats statistiques, n'est-ce pas messieurs ? Individuellement, il va sans dire que chaque homme dispose d'un égo d'une taille inversement proportionnelle à son estimation du QI féminin . Grand bien lui fasse, le royaume de Dieu est accordé aux simples d'esprit !
Petit test, pour vérifier
« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.
Aux Délices, 2 juillet [1756]
Avez-vous reçu enfin, mon cher ange, cette édition 1 qui est en chemin depuis plus d'un mois? C'est une pièce complexe, à ce que je vois, que celle de Port-Mahon. Nous ne touchons pas encore au dénoûment, et bien des gens commencent à siffler. Ma petite lettre, non trop tôt écrite, mais trop tôt envoyée par M. d'Egmont à Mme d'Egmont 2, donne assez beau jeu aux rieurs. On en a supprimé la prose, et on n'a fait courir que les vers, qui ont un peu l'air de vendre la peau de l'ours avant qu'on l'ait mis par terre 3. Si M. de Richelieu ne prend pas ce maudit rocher, il retrouvera à Versailles et à Paris beaucoup plus d'ennemis qu'il n'y en a dans le fort Saint-Philippe. Il faut, pour mon honneur, et pour le sien surtout, qu'il prenne incessamment la ville. Il se trouverait, en cas de malheur, que mes compliments n'auraient été qu'un ridicule. Je vous prie de bien dire, mon cher ange, que je n'ai pas eu celui de répandre des éloges si prématurés. Si M. d'Egmont avait été un grand politique, il ne les aurait fait courir qu'à la veille de prendre la garnison prisonnière.
La Beaumelle m'embarrasse un peu davantage il est triste d'être obligé de lui répondre cependant il le faut. Son livre a trop de cours pour que je laisse subsister tant d'erreurs et tant d'impostures. Il attaque cent familles, il prodigue le scandale et l'injure sans la moindre preuve; il parle de tout au hasard; et plus il est audacieux dans le mensonge, plus il est lu avec avidité. Je peux vous répondre qu'il y a peu de pages où l'on ne trouve des mensonges très-aisés à confondre. Il faut les relever, la preuve en main, dans des notes au bas des pages du Siècle de Louis XIV, sans aucune affectation, et par le seul intérêt de la vérité. Si vous et vos amis vous aviez remarqué quelque chose d'important, je vous serais bien obligé d'avoir la bonté de m'en avertir; peut-être même les yeux du public commencent-ils à s'ouvrir sur cette insolente rapsodie. On me mande que les gens un peu instruits en pensent comme moi à la longue ils dirigent le sentiment du public. Nous voilà bien loin de la tragédie, mon cher ange; j'ai besoin pour ce travail de n'en avoir aucun autre sur les bras, de quelque nature que ce soit. Tronchin 4 est revenu je lui donne ma santé à gouverner, et mon âme à vous.
Mille tendres respects à tous les anges."
2 MIle de Richelieu, née à Montpellier le 1er mars 1740; mariée le 10 février 1756 au comte d'Egmont-Pignatelli, nommé lieutenant général en 1762.
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17/07/2012
Il ne faut que vivre pour voir des choses nouvelles
... Comme celles-ci !
Je ne sais comment écrit ce chat, mais si je me fie aux traces qu'il laissse sur le toit et le pare-brise de ma voiture, il fait beaucoup de pâtés , plus que la comtesse certainement, quand même .
« A madame Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG.
Aux Délices, 2 juillet [1756]
Vos lettres, madame, sont bien aimables; mais ce n'est pas sans peine qu'on jouit du plaisir de les lire. Il n'y a point de chat qui n'avoue que vous le surpassez beaucoup. Nous avons enfin au gîte ce célèbre Tronchin 1, qui vous était, je crois, très-inutile. Votre régime vaut encore mieux que lui. Ce sera à vous seule que vous devrez une longue vie. Jouissez-en dans le sein de l'amitié avec Mme de Brumath. Si je n'étais pas retenu dans mes Délices par ma famille, j'aurais pu avoir encore la consolation de vous voir à Strasbourg. L'électeur palatin avait bien voulu m'inviter à venir lui faire ma cour à Manheim. Je sens que j'aurais donné volontiers la préférence à l'île Jard. Vous savez d'ailleurs que j'ai renoncé aux cours.
Je ne sais pourquoi les parents du maréchal de Richelieu, qui sont avec lui devant Port-Mahon, ont fait courir le fragment d'une lettre 2 que je lui écrivis il y a plus de six semaines. Ils comptaient apparemment prendre le fort Saint-Philippe plus tôt qu'ils ne le prendront. M. le duc de Villars me mande 3 qu'il vient d'envoyer encore un renfort de six cents hommes et de deux cent cinquante artilleurs. On ne dit point qu'on ait pris un seul ouvrage avancé. Cependant il me paraît qu'on ne doute pas qu'on ne vienne enfin à bout de cette difficile entreprise. Elle deviendra glorieuse par les obstacles.
Vous ne vous attendiez pas, madame, qu'un jour la France et l'Autriche seraient amies. Il ne faut que vivre pour voir des choses nouvelles. Tout solitaire, tout mort au monde que je suis, j'ai l'impertinence d'être bien aise de ce traité. J'ai quelquefois des lettres de Vienne, la reine de Hongrie est adorée. Il était juste que le Bien-Aimé et la Bien-Aimée fussent bons amis. Le roi de Prusse prétend à une autre gloire, il a fait un opéra de ma tragédie de Mérope; mais il a toujours cent cinquante mille hommes et la Silésie.
Adieu, madame recevez mes respects pour vous, pour toute votre famille, et pour Mme de Brumath. »
2 Les vers qui font partie de la lettre du 3 mai 1756 à Richelieu. Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/04/l...
3 Le fils du maréchal de Villars était en correspondance avec Voltaire depuis longtemps; mais la seule lettre de ce philosophe au duc, recueillie jusqu'à présent, est du 25 mars 1762.
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16/07/2012
J'ai reçu une grande et éloquente lettre de la Dumesnil ; elle n'était pas tout à fait ivre quand elle me l'a écrite.
... Et je bois à sa santé ! Thin tchin !!
« A M. le comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 28 juin [1756]
Mon très-cher ange, j'ai fait venir les frères Cramer 1 dans mon ermitage. Je leur ai demandé pourquoi vous n'aviez pas eu, le premier, ce recueil de mes folies en vers et en prose, ils m'ont répondu que le ballot ne pouvait encore être arrivé à Paris. Ils disent que les exemplaires qui sont entre les mains de quelques curieux y ont été portés par des voyageurs de Genève; ils en sont la dupe. Lambert a attrapé un de ces exemplaires, et travaille jour et nuit à faire une nouvelle édition. Comment avez- vous pu soupçonner, mon cher ange, que j'aie négligé le premier de mes devoirs? Votre exemplaire devait vous être rendu par un nommé M. Dubuisson. Le Dubuisson et les Cramer disent qu'ils n'ont point tort et moi, je dis qu'ils ont très-grand tort, puisque vous êtes mal servi.
Je n'ai point vu les feuilles de Fréron 2, je savais seulement que Catilina 3 était l'ouvrage d'un fou, versifié par Pradon 4 et Fréron n'en dira pas davantage. C'est cependant à ce détestable ouvrage qu'on m'immola pendant trois mois; c'est cette pièce absurde et gothique à laquelle on donna la plus haute faveur. L'ouvrage de La Beaumelle est bien plus mauvais et bien plus coupable qu'on ne croit: car qui veut se donner la peine de lire avec examen ? C'est un tissu d'impostures et d'outrages faits à toute la maison royale et à cent familles. Il est juste que ce malheureux soit accueilli à Paris, et que je sois au pied des Alpes. Dieu me préserve de répondre à ses personnalités . Mais c'est un devoir de relever dans les notes du Siècle de Louis XIV les mensonges qui déshonoreraient ce beau siècle.
J'ai reçu une grande et éloquente lettre de la Dumesnil 5; elle n'était pas tout à fait ivre quand elle me l'a écrite. Je vois que Clairon 6 lui donne de l'émulation mais, si elle veut conserver son talent, il faut qu'elle cesse de boire. Mlle Clairon a des inclinations plus convenables à son sexe et à son état.
Je vous avoue une de mes faiblesses. Je suis persuadé, et je le serai jusqu'à ce que l'événement me détrompe, qu'Oreste 7 réussirait beaucoup à présent; chaque chose a son temps, et je crois le temps venu. Je ne vous dirai pas que ce succès me serait agréable, je vous dirai qu'il me serait avantageux; il ouvrirait des yeux qu'on a toujours voulu fermer sur le peu que je vaux.
Si vous pouviez, mon cher ange, faire jouer Oreste quelque temps après Sémiramis 8, vous me rendriez un plus grand service que vous ne pensez. Vous pourriez faire dire aux acteurs qu'ils n'auront jamais rien de moi avant d'avoir joué cette pièce.
Je vous remercie de vos anecdotes. Le discours de Louis XIV, qu'on prétend tenu au maréchal de Boufflers, passe pour avoir été débité aux maréchaux de Villars et d'Harcourt. La plaine de Saint-Denis est bien loin du Quesnoi. Il eût été bien triste de dire qu'on se ferait tuer aux portes de Paris, quand les anciennes frontières n'étaient pas encore entamées.
Quoique je sois plongé dans le siècle passé, je voudrais pourtant savoir si, dans le temps présent, l'abbé de Bernis est déclaré contre moi. Je ne le crois pas; je l'ai toujours aimé et estimé, et j'applaudis à sa fortune 9. Instruisez-moi. Je vous embrasse tendrement. »
1 Voir lettre aux Cramer (avril 1756) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/06/18/avec-verite-j-ai-abhorre-les-abus-les-querelles-et-les-crime.html
et lettre à Thieriot du 27 mai : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/13/ce-n-est-que-pour-les-autres-que-je-vis-avec-opulence.html
2 Élie Fréron : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lie_Fr%C3%A9ron
3 Tragédie de Prosper Jolyot de Crébillon, 1748. La marquise de Pompadour l'appréciait et la défendait, au grand dam de V* .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prosper_Jolyot_de_Cr%C3%A9billon
4 Nicolas Pradon : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Pradon
5 Marie-Françoise Marchand, dite Mlle Dumesnil : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mademoiselle_Dumesnil
6 Claire-Joseph Léris , actrice préférée de V* : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mademoiselle_Clairon
8 Représentée le 29 août 1748 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56517150
9 François-Joachim de Pierre de Bernis, que V* surnomme « Babet la bouquetière », qui n'avait pas huit cents livres de revenu en 1744, et qui, dans le monde littéraire, avait commencé par faire de petits vers dont se moquait un peu Voltaire, jouissait, en 1756, du plus grand crédit auprès de la Pompadour. Il venait de signer le funeste traité du 1er mai avec le comte de Staremberg, ambassadeur d'Autriche.
Voir : http://www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=206
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Joachim_de_Pierre_de_Bernis
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