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13/02/2009

Le trou du cul est quelque chose !

Je ne résiste pas  au plaisir de vous faire connaître cette lettre, vous trouverez sans doute de vous-même le passage qui m’a motivé.

 

« A Jean Le Rond d’Alembert

 

                Si j’ai lu la belle jurisprudence de l’Inquisition ! [envoyé par d’Alembert : Manuel des inquisiteurs à l’usage des inquisitions d’Espagne et du Portugal, ou Abrégé de l’ouvrage intitulé : Directorium inquisitorum…1762]! Eh ! oui, mordieu, je l’ai lue ; et elle a fait sur moi la même impression que fit le corps sanglant de César sur les Romains. Les hommes ne méritent pas de vivre puisqu’il y a encore du bois et du feu et qu’on ne s’en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires. Mon cher frère, embrassez en mon nom le digne frère qui a fait cet excellent ouvrage [l’abbé Morellet]. Puisse-t-il être traduit en portugais et en castillan !

 

                Plus nous sommes attachés à la sainte religion de notre sauveur Jésus-Christ, plus nous devons abhorrer l’abominable usage qu’on fait tous les jours de sa divine loi.

 

                Il est bien à souhaiter que vos frères et vous donniez tous les mois quelque ouvrage édifiant qui achève d’établir le royaume de Christ, et de détruire les abus. Le trou du cul est quelque chose [l’abbé Morellet pour l’article « Figures » de l’Encyclopédie dit que St Ambroise ou St Augustin a comparé «les dimensions de l’Arche à celles du corps de l’homme, et la petite porte de l’Arche au trou du derrière »]. Je voudrais qu’on mît en sentinelle un jésuite à cette porte de l’arche.

 

                On a imprimé en Hollande le Testament de Jean Meslier [Extraits des sentiments de Jean Meslier, adressés à ses paroissiens sur une partie des abus et des erreurs en général et en particulier , ed. Genève 1762]. Ce n’est qu’un très petit extrait du testament de ce curé [Voltaire demandait dès 1735 à Thiriot de lui fournir le manuscrit original ]. J’ai frémi d’horreur à la lecture [ «  Cet homme discute et prouve . Il parle au moment de la mort, au moment où les menteurs disent vrai… Jean Meslier doit convertir la terre . »V* 12 juillet 1762 ]. Le témoignage d’un curé qui en mourant demande pardon à Dieu d’avoir enseigné le christianisme peut mettre un grand poids dans la balance des libertins .Je vous enverrai un exemplaire de ce testament de l’antéchrist puisque vous voulez le réfuter. Vous n’avez qu’à me demander par quelle voie vous voudrez qu’il vous parvienne. Il est écrit avec une simplicité grossière qui par malheur ressemble à la candeur.

 

                Vraiment il s’agit bien de Zulime, et du Droit du seigneur ou de l’Écueil du sage, que le philosophe Crébillon [ censeur ] a mutilé et estropié en croyant qu’il égorgeait un de mes enfants ! Jurez bien que cette petite bagatelle est d’un académicien de Dijon [ ce qui au fond est vrai, car V* est aussi académicien de Dijon ]; soyez sûr que vous direz la vérité. Mais ces misères ne doivent pas vous occuper. Il faut venir au secours de la sainte vérité qu’on attaque de toutes parts. Engagez vos frères à prêter continuellement leur plume et leur voix à la défense du dépôt sacré.

 

                Vous m’avez envoyé un beau livre de musique à moi qui sait à peine solfier [ Elements de musique théorique et pratique sur les principes de M. Rameau éclaircis, développés et simplifiés ]. Je l’ai vite mis ès mains de notre nièce virtuose. Je suis le coq qui trouva une perle dans son fumier et qui la porta au lapidaire. Mlle Corneille a une jolie voix, mais elle ne peut comprendre ce que c’est qu’un dièse.

 

                Pour son oncle [Pierre Corneille, sur lequel V* écrit un livre critique ], le rabâcheur et le déclamateur, le cardinal de Bernis dit que je suis trop bon, et que je l’épargne trop.

 

                J’ai fait très sérieusement une très grande perte dans l’impératrice de toutes les Russies [Elisabeth, le 29 décembre 1762 ]. On a assassiné Luc, et on l’a manqué [fin 1761 : tentative d’enlèvement à Strhlen]. On prétend qu’on sera plus adroit une autre fois. C’est un maître fou que ce Luc .Un dangereux fou .Il fera une mauvaise fin, je vous l’ai toujours dit. Interim vale ; te saluto in christo salvatore nostro.

 

                Voltaire

                10 février 1762. »

 

 

 

 

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PS : comme je le craignais, - il est 12h45 -, TNT ne m'a pas fait sauter de joie . Je pense qu'ils ont mis une mèche lente...

17/01/2009

trop forts ces jeux du XIXème !

Dans le domaine,  « je cause dans le poste et je ne sais plus où j’en suis », ce matin, lors d’un reportage au musée suisse du jouet, la conservatrice a eu le malheur de se mélanger un peu les pinceaux . Au sujet des jouets à la mode au XIXème siècle, elle a dit que ceux-ci étaient très orientés vers des sujets historiques et qu’ils se calquaient sur les grandes guerres du XIXème et XXème siécles (sic). Nos jeux sur consoles n’ont donc rien inventé ! Le jeu permet d’avoir une longueur d’avance et de décrire les évenements futurs ! Trop forts ces jeux du XIXème !!

 

Revenons à Volti, presque père de famille, éducateur en tout cas .

 

 

 

 

« A Charles du Molard-Bert

 

        Mon cher ami, nous ne montrons encore que le français à Cornélie [ Marie-Françoise, arrière petite nièce de Corneille ]. Si vous étiez ici, vous lui apprendriez le grec . Nous ne cessons jusqu’à présent de remercier M. Titon et M. Le Brun de nous avoir procuré le trésor que nous possédons. Le cœur parait excellent, et nous avons tout sujet d’espérer que si nous n’en faisons point une savante, elle deviendra une personne très aimable qui aura toutes les vertus, les grâces et le naturel qui font le charme de la société . Ce qui me plait surtout en elle, c’est son attachement pour son père, sa reconnaissance pour Le Brun , pour M. Titon , et pour toutes les personnes dont elle doit se souvenir . Elle a été un peu malade. Vous pouvez juger si Mme Denis en a pris soin. Elle est très bien servie. On lui a assigné une femme de chambre qui est enchantée d’être auprès d’elle. Elle est aimée de tous les domestiques. Chacun se dispute l’honneur de faire ses petites volontés et assurément ces volontés ne sont pas difficiles. Nous avons cessé nos lectures depuis qu’un rhume violent l’a réduite au régime et à la cessation de tout travail. Elle commence à être mieux. Nous allons reprendre nos leçons d’orthographe. Le premier soin doit être de lui faire parler sa langue avec simplicité et avec noblesse. Nous la faisons écrire tous les jours. Elle m’envoie un petit billet et je la corrige. Elle me rend compte de ses lectures. Il n’est pas encore temps de lui donner des maîtres. Elle n’en a point d’autres que ma nièce et moi. Nous ne lui passons ni les mauvais termes, ni  prononciations vicieuses. L’usage amène tout. Nous n’oublions pas les petits ouvrages de la main. Il y a des heures pour la lecture, des heures pour les tapisseries de petit point. Je vous rends un compte exact de tout. Je ne dois point omettre que je la conduis moi-même à la messe de paroisse. Nous devons l’exemple, et nous  le donnons. Je crois que M. Titon et M. Le Brun ne dédaigneront point ces petits détails, et qu’ils verront avec un sensible plaisir que leurs soins n’ont pas été infructueux. Je souhaite à M. Titon ce qu’on lui a sans doute tant souhaité : les années du mari de l’Aurore [ Tithon, mari de l’Aurore était doté de l’immortalité ]. Dites, je vous en prie à M. Le Brun que personne ne lui, est plus obligé que moi .On dit que son ode a encore un nouveau mérite auprès du public par les impertinences de ce malheureux Fréron [ Fréron est outré qu’on ait confié Mlle Corneille à Voltaire, et celui-ci porte plainte pour diffamation ]  . Il est pourtant honteux qu’on laisse aboyer ce chien. Il semble qu’en bonne police on devrait étouffer ceux qui sont attaqués par la rage. Voici un petit billet de Cornélie en réponse à votre lettre. Elle l’a écrit seule, sans aucun secours et je n’y ai corrigé que peu de fautes. Je vous embrasse de tout mon cœur.

 

….. « Je vous prie si vous voyez mon père, de lui dire que j’ai du regret d’être heureuse loin de lui… »

 

 

                        Voltaire

                        A Ferney en Bourgogne par Genève

                        15 janvier 1761. »

 

 

 

 

 

J’en connais qui vont sauter au plafond en voyant Ferney situé en Bourgogne, les Pégans vont vite rappeler à Voltaire que la frontière de la « Bargogne » est sur la Valserine .

07/01/2009

Se promener dans les rues de Paris avec la robe de Platon

« A Charles Porée

Je vous envoie, mon cher Père, la nouvelle édition qu’on vient de faire de la tragédie d’Œdipe [1730]. J’ai eu soin d’effacer autant que j’ai pu les couleurs fades d’un amour déplacé, que j’avais mêlées malgré moi aux traits mâles et terribles que ce sujet exige .
Je veux d’abord que vous sachiez pour ma justification, que tout jeune que j’étais quand je fis l’Œdipe, je le composais à peu près tel que vous le voyez aujourd’hui. J’étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théatre de Paris ; je travaillai à peu près comme si j’avais été à Athènes .Je consultai M. Dacier qui était du pays [1714 ]. Il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes à la manière des Grecs. C’était me conseiller de me promener dans les rues de Paris avec la robe de Platon . J’eus bien de la peine seulement à obtenir que les comédiens de Paris voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce ; j’en eu bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour . Les comédiennes se moquèrent de moi quand elles virent qu’il n’y avait point de rôle pour l’amoureuse . On trouva la scène de la double confidence entre Œdipe et Jocaste, tirée en partie de Sophocle, tout à fait insipide . En un mot, les acteurs, qui étaient dans ce temps là petits-maîtres et grands seigneurs, refusèrent de représenter l’ouvrage . J’étais extrêment jeune, je crus qu’ils avaient raison .Je gâtai ma pièce pour leur plaire, en affadissant par des sentiments de tendresse un sujet qui le comporte si peu . Quant on vit un peu d’amour, [ à la satisfaction de Mlle Desmares , nièce de la Champmeslé ] on fut moins mécontent de moi ; mais on ne voulut point du tout de cette grande scène entre Jocaste et Œdipe, on se moqua de Sophocle et de son imitateur . Je tins bon, je dis mes raisons, j’employai des amis . Enfin ce ne fut qu’à force de protections que j’obtins qu’on jouerait Œdipe [ novembre 1718 ]. Il y avait un acteur nommé Quinault, qui dit tout haut que pour me punir de mon opiniâtreté il fallait jouer la pièce telle qu’elle était avec ce mauvais quatrième acte tiré de grec . On me regardait d’ailleurs comme un téméraire d’oser traiter un sujet où Pierre Corneille avait si bien réussi . On trouvait alors l’Œdipe de Corneille excellent, je le trouvais un fort mauvais ouvrage, et je n’osais le dire . Je ne le dis enfin qu’au bout de douze ans, quand tout le monde est de mon avis . Il faut souvent bien du temps pour que justice soit exactement rendue . On l’a fait un peu plus tôt aux deux Oedipe de M. de La Motte [ 1726 ]. Le révérend père de Tournemine a dû vous communiquer la petite préface dans laquelle je lui livre bataille . M. de La Motte a bien de l’esprit, il est un peu comme cet athlète grec, qui quand il était terrassé, prouvait qu’il avait le dessus.
Je ne suis de son avis sur rien . Mais vous m’avez appris à faire une guerre d’honnête homme . J’écris avec tant de civilité contre lui que je l’ai demandé lui-même pour examinateur de cette préface où je tâche de lui prouver son tort à chaque ligne, et il a lui-même approuvé ma petite dissertation polémique  [ signée le 17 janvier 1730 ]. Voilà comme les gens de lettres devraient se combattre, voilà comme ils en useraient s’ils avaient été à votre école ; mais ils sont plus mordants d’ordinaire que des avocats, et plus emportés que des jansénistes . Les lettres humaines sont devenues très inhumaines . On injurie, on cabale, on se calomnie, on fait des couplets . Il est plaisant qu’il soit permis de dire aux gens par écrit ce qu’on n’oserait pas leur dire en face . Vous m’avez appris, mon cher père, à fuir ces bassesses, et à savoir vivre, comme à savoir écrire .

Les muses filles du ciel
Sont des sœurs sans jalousie,
Elles vivent d’ambroisie
Et non d’absinthe et de fiel,
Et quand Jupiter appelle
Leur assemblée immortelle,
Aux fêtes qu’il donne aux dieux,
Il défend que la satire
Trouble les sons de leur lyre
Par ses sons audacieux .

Adieu, mon cher et Révérend Père, je suis pour jamais à vous et aux vôtres avec la tendre reconnaissance que je vous dois et que ceux qui sont élevés par vous ne conservent pas toujours .

Voltaire
A Paris, ce 7 janvier 1729 [ou 1731 ?] »

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Por%C3%A9e