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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

nous avons surtout été les dupes de tous ceux qui ont continuellement mangé à notre table et qui n'ont pas eu ensuite la

... La reconnaissance du ventre n'est plus de mise, pas plus que chez le patriarche ferneysien .

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« A Marie-Louise Denis

22è mars [1768]

Je vous prie, ma chère nièce, de considérer que jamais vous ne retrouverez ce que Jacob Tronchin, tout émerveillé de son lot de quatre-vingt-dix mille livres, vous a proposé, et qu'il ne proposera plus . Il vous faut une somme considérable d'argent comptant pour être agréablement meublée à chez vous Paris . Je vous l'ai dit, je vous le répète, il n'y a point de fermier qui donnât trois mille livres par an de la terre . Les Detournes en ont offert cent soixante mille livres et se sont dédits le lendemain . Les Genevois achètent à bon marché et vendent cher . M. de Boisy nous a trompés en distrayant de sa terre une montagne et un pré considérable qu'il a vendus depuis à d'autres 1. Le président De Brosses m'a trompé plus indignement . Nous avons été les dupes de tous ceux avec qui nous avons eu affaire, excepté dans les acquisitions de l’Ermitage, et du domaine Déodati 2, et nous avons surtout été les dupes de tous ceux qui ont continuellement mangé à notre table et qui n'ont pas eu ensuite la plus légère attention pour vous et pour moi . Vous sentez que le séjour de Ferney ne peut être supportable à une femme de Paris qu'en y ayant une cour ; et c'est ce qui n'est plus possible 3.

A peine êtes-vous partie que tout le monde est tombé sur moi , jusqu'à Shwert qui veut qu'on lui paye des mémoires soldés et payés depuis six ans, les sœurs de charité redemandent les terres que la Burdet a vendues, Brunet fait un procès pour des broussailles, Mme de Monthoux est devenue insolvable . On m'a présenté de Genève vingt mémoires que je ne connaissais pas . Il faut payer au fermier de la chambre des finances de Genève des cens et lods et ventes, dont Boisy n'avait eu garde de me donner connaissance . Il faut payer considérablement à Mme Donop 4. Je ferai face à tout, j'acquitterai tout, mais il faut absolument vendre ce château d'Armide ou vous résoudre à n'en tirer jamais rien . Les premiers moments de la défaite du Conseil ont fait penser quelques Genevois à se retirer dans des terres au pays de Gex . Dans trois mois ils n'y songeront plus : ils supporteront tranquillement leur petite honte, vous n'avez que ce moment et vous le laissez échapper . Cent mille francs d'argent comptant valent mieux pour vous dans la situation où vous êtes que quatre terres de Ferney ; soit que vous vivez avec l'abbé 5, soit avec l'enfant 6 il vous faut une maison commode, et des soupers agréables . Vous retrouverez à Paris vos anciens amis qui n’écrivaient point à Ferney, mais qui ne vous quitteront pas, tant qu'ils pourront se rassembler chez vous à souper . Vous serez à portée de veiller sur votre fortune, à portée des bons médecins, et de tous les secours . Vous irez aux spectacles dans une petite loge, voilà votre vie arrangée .

Tout ce que je crains à présent, c'est que vous ne puissiez pas vendre Ferney dont le prix baisse tous les jours . Envoyez-moi à tout hasard une procuration pour le vendre . Je ne ferai rien sans Christin . Je tâcherai de renouer avec Tronchin . Envoyez la procuration chez Damilaville qui me la fera tenir contresignée pour plus de sûreté . Je recommande encore le maréchal et les héritiers du prince de Guise . Je ne vous ai parlé que d'affaires . Mon cœur n'en est pas moins tendre pour vous . »

1  Le marché a été conclu en octobre 1768 .

3 Les causes du départ de Mme Denis sont loin d'être claires . Wagnière lui-même n'en était pas bien informé . Il peut pourtant être intéressant de savoir ce qu'il en dit à Damilaville dans une lettre presque exactement contemporaine de celle-ci, à savoir du 21 mars 1768 ; la voici .

« Je n'ai point le cœur moins navré que vous, monsieur,de la séparation de Mme Denis d'avec M. de Voltaire . Son départ est réellement un problème bien difficile à résoudre . Les causes qu'en donne votre ami sont trop peu essentielles pour qu'on les croie . On ne s'imaginera jamais qu'un départ aussi précipité et la manière dont il a traité Mme Denis, M. et Mme Dupuits soient occasionnés par le besoin de l’arrangement de leurs affaires, et pour la raison qu'il vous donne encore dans sa lettre d'aujourd'hui .

Le commencement de la querelle vient de ce qu'elle lui dit que les Repré[sentant]s de Genève ne l'aimaient pas plus que les Négatifs, et cela en plaisantant . Sur ces seules paroles il la força de partir, et réforma sa maison, en convenant avec elle de dire que leurs affaires demandaient absolument sa présence à Paris .

Par toutes les réflexions que j'ai pu faire et par ce qu'il m'a dit, j'ai vu que son parti était pris dès longtemps ; qu'il était las d'être l'aubergiste de tous les passants et de la dépense que l'on faisait . Voilà, monsieur, les seules raisons que je connais d'une séparation bien extraordinaire, et qui doit le paraître à tout le monde .

Il veut vivre seul, il ne veut recevoir personne, pas même ses amis les plus attachés à lui qui lui ont offert de venir le voir .

J'ignore absolument si la personne dont vous me parlez a déployé son caractère dans cette aventure . Je vous avoue en bon Suisse que je ne le crois pas, quoique je la connaisse bien . Elle est utile parce qu'elle joue aux échecs, aussi voilà toute son utilité . Mais jamais elle n'aura d'empire, et je suis intéressé à y veiller .

M. de Voltaire ne m' a pas caché qu'il ne voulait point que Mme Denis revint dans ce pays ; il voulait vendre la terre pour aller à Tournay ; je ne sais encore s'il le fera , il n'a aucune résolution fixe . Cela me mettrait au désespoir . Je lui ai dit tout ce qu'on peut dire ; je désirerais qu'il finit sa carrière heureusement . Je l'aime, je lui suis attaché comme à un père depuis quatorze ans, et je vous assure qu'il faut que je l'aime bien pour ne m'être pas séparé de lui , lorsque au bout de quatorze ans qu'il m'a rendu un petit service qu'il m'avait offert, il me le fait sentir souvent d'une manière humiliante et bien sensible à mon cœur ; lorsqu'ayant perdu ma jeunesse et ma santé pour remplir mon devoir et cherché à lui plaire, je me vois sans la moindre fortune et sans le moindre fruit de mes peines . Malgré tout cela je donnerais ma vie pour prolonger la sienne, tant je lui suis tendrement attaché et j'oublie tous mes chagrins .

Je vous ai parlé avec confiance, je parle à son vrai ami, et je ne parle qu'à cet ami seul, et je le supplie de ne pas faire mention d'un seul mot de tout ceci à qui que ce soit, pas même à Mme Denis, et je suis bien sûr de votre discrétion sans quoi je serais perdu et regardé comme un traître à mon maître . Il est dune défiance étonnante ; le moindre mot lui fait ombrage, il en tire des conséquences qui n'y ont nul rapport .

J'ai réussi à le détourner d'aller en Suisse où il voulait aller s'établir .

Quoique M. de La Harpe lui ait fait une indiscrétion qui aurait pu retomber sur moi et qu'il soit d'une arrogance insupportable, cependant son sort fait pitié, et il sera perdu ; et pour que M. de Voltaire l'oublie, il ne faut absolument pas lui en parler davantage ; c'est une remarque que j'ai faite depuis longtemps .

Il se porte très bien, il est fort gai, et quelquefois de mauvaise humeur . Il travaille, il s'amuse ; et j'espère que la belle saison lui fera perdre l'envie de quitter la maison qu'il a bâtie, et qu'il finira tranquillement ses jours dans son agréable retraite .

Je suis pénétré de tout ce que vous voulez bien me dire d'obligeant ; je sens tout le prix de votre amitié .

Si l'on débite des sottises dans vos quartiers, il n'y a sorte de bêtises que l'on ne dise pas ici .

Adieu, monsieur, conservez votre bienveillance à une personne qui la mérite par ses sentiments pour vous .

J'ai pris la liberté de vous adresser il y a quelques jours un paquet sans adresse pour Mme Denis pour des affaires particulières . Je la plains bien, car je l'aime sincèrement ; c'est le meilleur cœur du monde . »

5 Abbé Mignot .

6 Mme Dupuits .

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14/11/2023 | Lien permanent

Lancez la flèche sans montrer la main. Faites-moi quelque jour ce petit plaisir.

... glisse, en toute justice, dans l'oreille de nos partenaires européens, notre président Macron, face aux excités du Brexit :

http://www.lefigaro.fr/international/2018/09/21/01003-201...

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Au balcon, Theresa May, dans le plus simple appareil, fait un bras d'honneur .

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

28 septembre [1763]

J’apprends que Platon est revenu de chez Denys de Syracuse . Ce n’est pas que je ne vous croie au-dessus de Platon, et l’autre au-dessus de Denys, mais les vieux noms font un merveilleux effet. Vous avez par devers vous deux traits de philosophie dont nul Grec n’a approché . Vous avez refusé une présidence et un grand gouvernement 1. Tous les gens de lettres doivent vous montrer au doigt comme un homme qui leur apprend à vivre.

Pour moi, mon illustre et incomparable voyageur, je ne vous pardonnerai jamais de n’être pas revenu par Genève. Vous dédaignez les petits triomphes . Vous auriez été bien content de voir l’accomplissement de vos prédictions. Il n’y a plus dans la ville de Calvin que quelques gredins qui croient au consubstantiel. On pense ouvertement comme à Londres . Ce que vous savez est bafoué 2. Il n’y a pas longtemps qu’un pauvre ministre de village, prêchant devant quelques citoyens qui ont des maisons de campagne, un de ces messieurs le fit taire. Vous m’ennuyez, lui dit-il, allons dîner . Il fit sortir de l’église toute l’honorable compagnie. Jean-Jacques, il est vrai, a été condamné, mais c’est parce que dans un petit livret intitulé Contrat social, il avait trop pris le parti du peuple contre le magistrat . Aussi le peuple, très reconnaissant, a pris à son tour le parti de Jean-Jacques. Sept cents citoyens sont allés deux à deux en procession protester contre les juges . Ils ont fait quatre remontrances. Ils soutiennent que Jean-Jacques était en droit de dire tout ce qu’il voulait contre la religion chrétienne ; qu’il fallait conférer amicalement avec lui, et non pas le condamner. Vous aurez dans quelques mois le plaisir d’apprendre qu’on aura destitué quatre syndics pour avoir jugé Jean-Jacques. Quand destituera-t-on Omer ! Les Français arrivent tard à tout 3.

Il m’est revenu qu’on vend dans notre ville de Paris une petite brochure fort dévote, intitulée le Catéchisme de l’honnête homme 4. Je crois que frère Damilaville en a un exemplaire . Je vous exhorte à vous en procurer quelques-uns . C’est un ouvrage, dit-on, qui fait beaucoup de bien. Il faut que ce soit le curé du Vicaire savoyard qui en soit l’auteur.

J’ai toujours peur que vous ne soyez pas assez zélé. Vous enfouissez vos talents ; vous vous 5 contentez de mépriser un monstre qu’il faut abhorrer et détruire. Que vous coûterait-il de l’écraser en quatre pages en ayant la modestie de lui laisser ignorer qu’il meurt de votre main ? C’est à Méléagre à tuer le sanglier 6. Lancez la flèche sans montrer la main. Faites-moi quelque jour ce petit plaisir. Consolez-moi dans ma vieillesse.

Savez-vous bien que j’ai chez moi un jésuite pour aumônier ? Je vous prie de le dire à frère Berthier, quand vous irez à Versailles. Il est vrai que je ne l’ai pris qu’après m’être bien assuré de sa foi.

Je vous embrasse très tendrement, mon cher philosophe.

Écrasez l’infâme. »

1 La présidence de l'académie de Berlin et de précepteur du prince héritier de Russie . D'Alembert a écrit à V* le 7 août 1763 : « Les gazettes ont dit,mais sans fondement, que j'étais président de l'Académie . Je ne puis douter à la vérité que le roi ne le désire […] mais mille raisons [… ] ne me permettent pas de fixer mon séjour en ce pays . […] je compte partir à la fin de ce mois pour retourner en France […] Je compte toujours faire le voyage d'Italie, et vous embrasser en allant ou en revenant .» Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/01/correspondance-avec-d-alembert-partie-26.html

2 La religion, évidemment ; l'anecdote qui suit est significative de l'état d'esprit qui prépara la révolution .

3 V* a répété souvent ce mot .

4 Avec le Dialogue entre un caloyer et un homme de bien .

5 V* a d'abord écrit Vous […], biffé .

6 Méléagre , fils d'OEnée et d'Althée, tua un sanglier envoyé par Diane et en offrit la hure à Atalante, qu'il épousa .

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22/09/2018 | Lien permanent

il ne faut ni compter sur rien, ni désespérer de rien

... As says queen Mum !

La reine Elizabeth II lors de la cérémonie d'ouverture du Parlement gallois, le 14 octobre 2021, à Cardiff. (GEOFF CADDICK / AFP)

 

 

 

« A Philippe-Antoine de Claris, marquis de Florian

2è février 1767 1

Je reçois un billet bien consolant de Mehemet Saïd Effendi 2, dont le rosier soit toujours fleuri, et dont Dieu perpétue les félicités ! Ce petit rayon de lumière a dissipé beaucoup de brouillards. Nous ne savons point encore de détails, mais nous sommes tranquilles, et nous ne l’étions point. Ce Turc est un habile homme ; il est expéditif. Le mufti devrait bien employer des hommes de son espèce, il y en a peu. Nous l’embrassons tendrement tous que nous sommes .

J’ai reçu une lettre très sage et très bien écrite de ce jeune infortuné Morival 3. Il est cadet, il est vrai, mais il est engagé. Les cadets n’ont pas plus de liberté que les soldats. Je ferai ce que je pourrai auprès de son maître ; mais je connais le terrain, rien n’est plus difficile que d’obtenir une distinction ; et il est impossible d’obtenir un congé.

Le père est un homme bien odieux ; dans toutes les règles  c’était lui qu’on devait punir . Ce sont les vices du cœur, et non des étourderies de jeunesse, qui méritent l’exécration publique. Mon indignation est aussi forte que les premiers jours. Heureusement le maître 4 de ce jeune homme pense comme moi sur cet article. Nous verrons ce qu’on en pourra tirer. Ce maître, comme vous savez, m’écrit depuis quelque temps les lettres les plus tendres ; vous voyez qu’il ne faut ni compter sur rien, ni désespérer de rien.

Nous avons toujours la guerre et la neige, mais nous sommes délivrés de la famine. Mes paquets étaient faits, mais je reste dans mon lit.

Je vous embrasse tous avec la plus grande tendresse.

V. »

1 L'édition Pièces inédites substitue au dernier paragraphe le texte suivant manifestement conçu comme une note :  « P. S. Voyez, pour l’intelligence de cette lettre, la note dans mon petit commentaire sur l’aventure de la sœur du capitaine Thurot. « ; de même chez les autres éditeurs .

2 Cette expression désigne l’abbé Mignot , l' »abbé turc »; voir lettre à Florian du 14 janvier 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/05/07/les-choses-dans-ce-monde-prennent-des-faces-bien-differentes-6380671.html

4 Frédéric II.

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02/06/2022 | Lien permanent

je n'aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j'en ai perdu

 La bêtise revendiquée comme un bien , ça ne m'étonne pas de ce JJR qui n'est toujours pas capable de m'émouvoir . Si je peux le rassurer, à titre posthume, sa dose de bêtise est restée d'un niveau très honorable .

2012 est pour moi une année grise puisqu'on fête le tricentenaire de cet aigre-pisseux .

Me qualifie de "grimaud" qui voudra ! je m'en soucie comme des premieres couches du petit Genevois . 

 

 

 

« DE J.-J. ROUSSEAU.

Paris, le 10 septembre [1755].

C'est à moi, monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes tristes rêveries, je n'ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d'ailleurs, à l'honneur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnaissance de mes concitoyens et j'espère qu'elle ne fera qu'augmenter encore, lorsqu'ils auront profité des instructions que vous pouvez leur donner. Embellissez l'asile que vous avez choisi; éclairez un peuple digne de vos leçons; et vous, qui savez si bien peindre les vertus et la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire.

Vous voyez que je n'aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j'en ai perdu. A votre égard, monsieur, ce retour serait un miracle si grand à la fois, et si nuisible, qu'il n'appartiendrait qu'à Dieu de le faire, et qu'au diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes; personne au monde n'y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds, pour cesser de vous tenir sur les vôtres.

Je conviens de toutes les disgrâces qui poursuivent les hommes célèbres dans les lettres; je conviens même de tous les maux attachés à l'humanité, et qui semblent indépendants de nos vaines connaissances. Les hommes ont ouvert sur eux-mêmes tant de sources de misères que, quand le hasard en détourne quelqu'une, ils n'en sont guère moins inondés. D'ailleurs il y a, dans le progrès des choses, des liaisons cachées que le vulgaire n'aperçoit pas, mais qui n'échapperont point à l'œil du sage quand il y voudra réfléchir. Ce n'est ni Térence, ni Cicéron. ni Virgile, ni Sénèque, ni Tacite; ce ne sont ni les savants ni les poètes qui ont produit les malheurs de Rome et les crimes des Romains; mais sans le poison lent et secret qui corrompit peu à peu le plus vigoureux gouvernement dont l'histoire ait fait mention, Cicéron, ni Lucrèce, ni Salluste, n'eussent point existé, ou n'eussent point écrit. Le siècle aimable de Lélius et de Térence amenait de loin le siècle brillant d'Auguste et d'Horace, et enfin les siècles horribles de Sénèque et de Néron, de Domitien et de Martial. Le goût des lettres et des arts nait chez un peuple d'un vice intérieur qu'il augmente; et s'il est vrai que tous les progrès humains sont pernicieux à l'espèce, ceux de l'esprit et des connaissances qui augmentent notre orgueil et multiplient nos égarements accélèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l'ont fait naitre sont nécessaires pour l'empêcher d'augmenter; c'est le fer qu'il faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n'expire en l'arrachant.

Quant à moi, si j'avais suivi ma première vocation, et que je n'eusse ni lu ni écrit, j'en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé du seul plaisir qui me reste. C'est dans leur sein que je me console de tous mes maux; c'est parmi ceux qui les cultivent que je goûte les douceurs de l'amitié, et que j'apprends à jouir de la vie sans craindre la mort. Je leur dois le peu que je suis, je leur dois même l'honneur d'être connu de vous. Mais consultons l'intérêt dans nos affaires, et la vérité dans nos écrits. Quoiqu'il faille des philosophes, des historiens, des savants, pour éclairer le monde et conduire ses aveugles habitants, si le sage Memnon m'a dit vrai, je ne connais rien de si fou qu'un peuple de sages.

Convenez-en, monsieur, s'il est bon que les grands génies instruisent les hommes, il faut que le vulgaire reçoive leurs instructions; si chacun se mêle d'en donner, qui les voudra recevoir? « Les boiteux, dit Montaigne 1, sont mal propres aux exercices du corps; et aux exercices de l'esprit, les âmes boiteuses. » Mais, en ce siècle savant, on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher aux autres.
Le peuple reçoit les écrits des sages pour les juger, non pour s'instruire.
Jamais on ne vit tant de Dandins, le théâtre en fourmille, les cafés retentissent de leurs sentences, ils les affichent dans les journaux, les quais sont couverts de leurs écrits; et j'entends critiquer l'Orphelin, parce qu'on l'applaudit, à tel grimaud si peu capable d'en voir les défauts qu'à peine en sent-il les beautés.

Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l'erreur bien plus que de l'ignorance, et que ce que nous ne savons point nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons savoir. Or quel plus sûr moyen de courir d'erreurs en erreurs, que la fureur de savoir tout Si l'on n'eût prétendu savoir que la terre ne tournait pas, on n'eût point puni Galilée pour avoir dit qu'elle tournait. Si les seuls philosophes en eussent réclamé le titre, l'Encyclopédie n'eût point eu de persécuteurs. Si cent mirmidons n'aspiraient à la gloire, vous jouiriez en paix de la vôtre, ou du moins vous n'auriez que des rivaux dignes de vous.

Ne soyez donc pas surpris de sentir quelques épines inséparables des fleurs qui couronnent les grands talents. Les injures de vos ennemis sont les acclamations satiriques qui suivent le cortège des triomphateurs, c'est l'empressement du public pour tous vos écrits qui produit les vols dont vous vous plaignez; mais les falsifications n'y sont pas faciles, car le fer ni le plomb ne s'allient pas avec l'or. Permettez-moi de vous le dire, par l'intérêt que je prends à votre repos et à notre instruction; méprisez de vaines clameurs par lesquelles on cherche moins à vous faire du mal qu'à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon livre est une terrible réponse à des injures imprimées; et qui vous oserait attribuer des écrits que vous n'aurez point faits, tant que vous n'en ferez que d'inimitables?

Je suis sensible à votre invitation; et si cet hiver me laisse en état d'aller, au printemps, habiter ma patrie, j'y profiterai de vos bontés. Mais j'aimerais mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches; et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n'y en trouver d'autres que le lotos 2, qui n'est pas la pâture des bêtes, et le moly, qui empêche les hommes de le devenir .

Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc. »

2 Le lotos croissait dans une île dont les habitants s'appelaient Lotophages, parce qu'ils se nourrissaient de lotos. Homère en fait un mets si délicieux que les dieux de l'Olympe en goûtaient avec plaisir; les compagnons d'Ulysse n'en voulaient plus d'autre. Le moly préserva Ulysse de l'influence de Circé. Nos botanistes ont désenchanté ces plantes merveilleuses. La dernière est une espèce d'ail. Le lotos est moins déchu: c'est un petit arbre vert d'un aspect agréable; mais il a perdu son rang et ses propriétés. (Note de Musset-Pathay.) http://fr.wiktionary.org/wiki/lotos

 

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22/03/2012 | Lien permanent

Vous ne quitterez point Paris madame, on ne s'arrache point ainsi aux lieux où l'on doit plaire , et où l'on est toujour

... Sauf , bien évidemment, si c'est pour vous faire admirer sur la Croisette de Cannes ! Mesdames, je suis sûr que vous allez faire le spectacle, vous êtes des professionnelles .

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 Ingrid Bergman, dont j'ai été amoureux, femme lumineuse , Maria dans Pour qui sonne le glas

 

« A Octavie Belot

Cloître Saint-Thomas du Louvre

à Paris

16 mai [1760]

Vos lettres sont charmantes, madame ; mais les sujets en sont bien tristes, vous semez des fleurs sur un fond noir . Ce que vous me mandez de l’opprobre 1 de ma patrie m'afflige sans me surprendre . Vous avez réparé cette honte en m’envoyant Rasselas 2 qui m'a paru d'une philosophie aimable, et très bien écrit . Vous ne quitterez point Paris madame, on ne s'arrache point ainsi aux lieux où l'on doit plaire , et où l'on est toujours bercé de quelque espérance . Les villes de province sont insipides et tracassières , la campagne n'est bonne que quand on a le bonheur de la cultiver, et c'est un gout qu'on ne se donne pas, car on ne se donne rien .

Vous étiez déterminée à la retraite, vous pourriez en trouver une pour cent écus par an à une demi-lieue de Genève . Il y a un petit jardin, la maison est meublée et mal meublée . L'hiver y serait dur . Croiriez-vous pourtant qu’un neveu de M. de Montmartel occupe à présent ce taudis pour être à portée de M. Tronchin 3 dont il croit avoir besoin quoiqu'il ait fait à cheval le voyage de Paris à Genève ?

Nous sommes cinq maîtres aux Délices, ma nièce ; Mlle de Bazincour, fille de votre âge jouant la comédie, faisant de petits vers, travaillant en tapisserie, et s’étant consacrée à la retraite ; un neveu ; un géomètre, qui fait des quadrans au soleil, et des vers ; et enfin moi chétif . La maison est pleine, et vous me faites bien souhaiter qu'elle fût plus grande . Je ferai l'impossible pour la mettre en état de vous recevoir si jamais vous donnez la préférence sur le Languedoc et la Bourgogne, à notre beau lac de Genève, à la plus belle vue de l'univers, à un pays libre et tranquille où la nature est riante et où la raison n’est point persécutée .

Soyez persuadée, madame, de la respectueuse estime du Suisse V. »

1 Les Philosophes , de Palissot .

2 [Samuel] Johnson , Histoire de Rasselas, prince d'Abyssinie […], traduite par mme B[elot], 1760 . V* ne conserva pas cet ouvrage dans sa bibliothèque . Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k101895x.r=.langEN

3 Théodore Tronchin, le médecin .

 

 

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13/05/2015 | Lien permanent

Ah ! Que de peines dans ce monde ! 

... Dont celle-ci ! Triple peine . Le 13 octobre .

Ce n'est pas ça qui nous consolera

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« A Etienne-Noël Damilaville

5 février [1768]

Mon fils adoptif 1 arrive . Je suis bien affligé, mon cher ami . Mon désert me devient plus précieux que jamais . Je serais obligé de le quitter si la calomnie m'imputait le petit écrit de Saint-Hyacinthe .

Voici une lettre que je vous envoie pour M. Saurin 2. Je vous prie de la lui faire porter, et de parler fermement à M. l'abbé Morellet , à MM. d'Alembert, Grimm, Arnaud, Suard, etc.

Ah ! Que de peines dans ce monde ! »

1 Dupuits . Mme Du Deffand écrit le 30 janvier à Walpole : « J'ai fait grande connaissance avec M. Dupuits , mari de Mlle Corneille ; il a passé un mois ici, il a obtenu une compagnie de dragons, il est retourné chez Voltaire, il lui porte une lettre » [qui ne nous est pas parvenue, mais à laquelle Voltaire répondra par la lettre du 8 février 1768 à Mme Du Deffand : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-7.html] ; « je lui donnai à souper la veille de son départ, il m'a promis de m'envoyer toutes les productions nouvelles ; il les adressera à la grand-maman, ou à son mari . »

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12/09/2023 | Lien permanent

Je lui ai dit que ce n’était pas à nous de montrer le faible de notre cause

...

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

2è février [mars] 1766

Je fais aussi des quiproquos, mes anges. J’ai écrit une seconde lettre à M. Jabineau 1, pour le conjurer de ne point tant révéler la turpitude des empereurs chrétiens, qui attachèrent de l’infamie à des choses estimables. J’ai tâché de faire voir qu’il y a une grande différence entre les mimes et les acteurs honnêtes ; et si cette différence n’est pas assez marquée, j’ai prié M. Jabineau de ne pas inviter lui-même le conseil à s’en apercevoir. Je lui ai dit que ce n’était pas à nous de montrer le faible de notre cause. Je comptais vous envoyer cette lettre pour vous prier de l’appuyer ; mais il est arrivé qu’on a adressé cette lettre à M. Gaillard, auteur de l’Histoire de François Ier 2. Il sera bien étonné qu’au lieu de le remercier de son histoire je lui cite le Code et le Digeste.

Me permettrez-vous, mes généreux anges, de vous adresser ma lettre pour M. Gaillard3, qui demeure rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts ? Je tâche, dans cette lettre, de réparer la méprise, et je le prie de renvoyer à M. Jabineau de La Voute celle qui appartient à ce patron de l’académie dramatique.

Vous m’avez fait bien du plaisir en m’apprenant que M. le duc de Praslin ne désapprouvait pas mes petits projets. J’ai le bonheur de me trouver en tout du même sentiment que M. Hennin, et vous jugez bien que son mérite en augmente beaucoup à mes yeux .Je me flatte que M. l'ambassadeur sera un homme d'un vrai mérite et qu'il pensera comme eux 4.

La différence des religions ne mettra jamais d’obstacles aux acquisitions des Genevois en France, et n’y en a jamais mis ; c’est ce que je vous prie instamment de dire à M. le duc de Praslin. Les Genevois ne sont point aubains 5 en France ; ils jouissent de tous les privilèges des Suisses. Il n’y a pas longtemps même qu’un parent des Cramer voulait acheter la terre de Tournay, et était près de s’accommoder avec moi. D’autres ont marchandé des domaines roturiers ; et s’ils n’ont pas conclu le marché, c’est uniquement parce qu’ils craignent l’humiliation de la taille, et surtout la rigueur de la taille arbitraire.

En général les Genevois n’aiment point la France ; et le moyen de les ramener, ce serait de leur procurer des établissements en France, supposé que le ministère juge que la chose en vaille la peine.

J’espère que bientôt M. Crommelin sera chargé de solliciter la protection de M. le duc de Praslin pour le succès de ce projet, qui sera aussi utile à Genève qu’à mon petit pays. Quant à ce droit négatif, qui est assez obscur, et que vous entendez si bien, je pense toujours qu’il faut que ce droit appartienne à M. le duc de Praslin, qui par là deviendra le protecteur et le véritable maître de Genève : car les Genevois, dans leurs petites disputes éternelles, seront obligés de s’en rapporter aux médiateurs, qui seront leurs juges à perpétuité, et qui ne décideront que suivant les vues du ministère de France.

Après avoir fait le petit jurisconsulte et le petit politique, il faut parler du tripot. Le jeune ex-jésuite a toujours de grands remords d’avoir choisi un sujet qui ne déchire pas le cœur, et qui ne prête pas assez à la pantomime. Plus ce jeune homme se forme, plus il voit combien les choses sont changées. Il s’aperçoit que la politique n’est pas faite pour le théâtre, que le raisonnement ennuie, que le public veut de grands mouvements, de belles postures, des coups de théâtre incroyables, de grands mots, et du fracas. M. de Chabanon m’a fait lire Virginie et Éponine ; il est au-dessus de ses ouvrages. Il en veut faire un troisième, mais il faut un sujet heureux, comme il fallait au cardinal Mazarin un général houroux 6 ; sans cela on ne tient rien.

Respect et tendresse. »

1 Voir :

3 Lettre inconnue .

4 La seconde moitié du paragraphe à partir de et vous jugez bien […], biffée sur la copie, manque dans toutes les éditions .

5 Les aubains sont les étrangers non naturalisés dont l'héritage revient à la couronne par le droit d'aubaine . Voir paragraphes 7 et suivants, 24 et suivants  : https://books.openedition.org/putc/1101?lang=fr

6 Les Italiens prononcent ou la diphtongue eu .

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14/06/2021 | Lien permanent

Vous devriez quitter votre habit de prêtre

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Dans le domaine "belles pensées et bonnes intentions qui tuent", je voudrais le père, non, pardon, le Pape !

Ben O I T x v i  dixit : on ne peut pas "règler le problème du SIDA avec la distribution de préservatifs, au contraire leur utilisation aggrave le problème!". Bougre d'enfonceur de portes ouvertes, c'est sur, on ne va pas régler le problème, mais bougre de sainteté mal embouchée , apprend à te servir du préservatif ! Attends, je t'explique ! Il n'aggrave le problème que si tu l'utilise plusieurs fois avec des partenaires différent(e)s sans le désinfecter à l'eau de Javel (lavage au savon, rinçage soigneux, bain de Javel une demie-heure, égouttage, réenroulage,...) : tu vois, maintenant tu sauras comment ne pas aggraver le problème ; simplicité, efficacité, catholicité ! Ah, oui, j'allais oublier : un trou dépingle au bout pour faire des enfants aseptisés qui n'auront que des désirs d'anges et d'auréoles (qui a dit "sous les bras"?).

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 Les idiots comme moi sont cependant, en temps qu'utilisateurs de base, capables de reconnaitre l'imbécilité criminelle. Que sa sainteté ne se décalotte pas et qu'elle mette sa tiare par dessus (qui a dit que je fais des allusions grivoises ?)!

Le père L'eusse-tu-cru Lombardi (Fédé pour les intimes ):"développer une idéologie de confiance dans le préservatif.... ne met pas l'accent sur le sens des responsabilités" . Yes, ça c'est envoyé !

Bande de malotrous, que développez-vous dans le préservatif ? hein, dites le moi si vous osez ! Personnellement mon développement ne dépasse pas la moyenne et mon indice de confiance dépend de la partenaire ! Comprenne qui peut, je ne ferai pas un dessin qui me ferait passer classe tout -X !

En tout cas, les rois du sens des responsabilités, non contents de nous menacer des enfers dans la vie dite éternelle, nous envoient en enfer dès cette vie terrestre si tant déja courte (si ! si ! je peux le dire comme ça !). "Vous devriez quitter votre habit de prêtre.": vous n'êtes plus humains et il ne vous protège pas de la plus belle co.....ie.

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Malheureux catholiques praticants et sidéens potentiels (ce n'est pas incompatible, j'espère ?), ne vous laissez pas embobiner !   Protégez-vous réellement, efficacement ! Laissez l'eau bénite et protégez votre goupillon ! 

 

Je n'ai pas le talent de Volti pour enguirlander cet extra-terrestre de pape à la noix, mais lisez ce qu'il écrivait joliment à un pasteur calviniste (à cette époque là, on disait couramment ministre , du cul -te ). 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« A Monsieur le Ministre Jacob Vernes, chez Monsieur son père à Genève

 

 

                            Nous avons été honorés hier samedi de la présence de douze ministres , qui ont amené tous les proposants [= pasteurs non encore consacrés] . Nous avions de plus dans l’orchestre deux ministres qui jouaient très bien du violon . La piété n’est point ennemie des plaisirs honnêtes [Vernes , austère, n’était pas venu fin février voir « L’Enfant prodigue » ; V* lui avait écrit :  « Vous devriez, vous et M. Claparède, quitter votre habit de prêtre, et venir à Montriond en habit d’hommes . Nous vous garderons le secret . On ne se scandalise point à Lausanne ; on y respire les plaisirs honnêtes… »]. On redonne la pièce nouvelle [Zulime, rebaptisée Fanime] demain lundi et mardi . Voilà mon cher prédicateur, toutes les nouvelles qu’on peut mander de Samarie à Jérusalem.

 

                            Votre ami M. Clapparel [Claparède]sait qu’on  n’aurait pas entendu une mouche voler, et que c’est tout ce que peut lui dire David Durand .

 

                            Nous avons quatre lits à Montriond . Je ne sais qui les occupera, mais je sais bien qui je voudrais recevoir chez moi etc. etc.

 

 

                            Voltaire

                            Montriond 20 mars 1757. »

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En ce beau jour de printemps, par une bise à décorner un cocu, si vous voulez faire comme les bestioles ci-dessus, réchauffez-vous, sortez couverts !!

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je mépriserai toujours les fanatiques, en quelque genre que ce puisse être

... Persiste et signe .

Fanatiques (Les) - La folie de croire

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

14 avril [1764]

Mon cher philosophe, auriez-vous jamais lu un chant de la Pucelle , dans lequel tout le monde est devenu fou, et où chacun donne et reçoit sur les oreilles à tort et à travers 1? Voilà précisément le cas de vos chers compatriotes les Français. Parlements, évêques, gens de lettres, financiers, anti-financiers, tous donnent et reçoivent des soufflets à tour de bras ; et vous avez bien raison de rire ; mais vous ne rirez pas longtemps, et vous verrez les fanatiques, maîtres du champ de bataille. L’aventure de ce cuistre de Crevier 2 fait déjà voir qu’il n’est pas permis de dire d’un janséniste qu’il est un plat auteur. Vous serez les esclaves de l’université avant qu’il soit deux ans. Les jésuites étaient nécessaires, ils faisaient diversion ; on se moquait d’eux, et on va être écrasé par des pédants qui n’inspireront que l’indignation. Ce que vous écrit un certain goguenard couronné doit bien faire rougir votre nation belliqueuse 3.

Répandez ce bon mot tant que vous pourrez ; car il faut que vos gens sachent le cas qu’on fait d’eux en Europe. Pour moi, je gémis sérieusement sur la persécution que les philosophes et la philosophie vont infailliblement essuyer. N’avez-vous pas un souverain mépris pour votre France, quand vous lisez l’histoire grecque et romaine ? trouvez-vous un seul homme persécuté à Rome, depuis Romulus jusqu’à Constantin, pour sa manière de penser ? le sénat aurait-il jamais arrêté l’Encyclopédie ? y a-t-il jamais eu un fanatisme aussi stupide et aussi désespérant que celui de vos pédants ?

Vraiment oui, j’ai donné une chandelle au diable ; mais vous auriez pu vous apercevoir que cette chandelle devait lui brûler les griffes, et que je lui faisais sentir tout doucement qu’il ne fallait pas manquer à ses anciens amis 4.

A l’égard des hauts lieux dont vous me parlez, sachez que ceux qui habitent ces hauts lieux sont philosophes, sont tolérants, et détestent les intolérants, avec lesquels ils sont obligés de vivre.

Je ne sais si le Corneille entrera en France, et si on permettra au roi d’avoir ses exemplaires 5. Ce dont je suis bien sûr, c’est que tous ceux qui s’ennuient à Sertorius et à Sophonisbe, etc., trouveront fort mauvais que je m’y ennuie aussi ; mais je suis en possession depuis longtemps de dire hardiment ce que je pense, et je mépriserai toujours les fanatiques, en quelque genre que ce puisse être. Ce qui me déplaît dans presque tous les livres de votre nation, c’est que personne n’ose mettre son âme sur le papier ; c’est que les auteurs feignent de respecter ce qu’ils méprisent ; vos historiens surtout sont de plates gens ; il n’y en a pas un qui ait osé dire la vérité6. Adieu, mon cher philosophe ; si vous pouvez écraser l’infâme, écrasez-la, et aimez-moi ; car je vous aime de tout mon cœur. »

1 Actuel chant XVII .

3 D'Alembert écrit le 6 avril 1764 : « J'ai reçu une lettre charmante de votre ancien disciple [Frédéric II] . Il me mande que depuis qu'il a fait la paix, il n'est en guerre ni avec les cagots ni avec les jésuites, et qu'il laisse à une nation belliqueuse comme la française le soin de ferrailler envers et contre tous . » Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/07/26/temp-06a9e11a9784627005bc79ce12392d46.html

4 D'Alembert écrit dans la lettre citée : « Je vous écris qu'une personne [Mme du Deffand] qui se dit de vos amies, dénigre Macare ; le fruit de cet avertissement ... »

5 Lettre citée : « Nous attendons le Corneille . Il est entre les mains d'un cuistre nommé Martin, qui doit décider si le public pourra le lire . »

6 Ce dernier membre de phrase est un ajout de Renouard, LXII, 286 .

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12/05/2019 | Lien permanent

je vous supplie de lui dire que je prends la liberté d’être horriblement fâché contre lui

... Oui, comment se fait-il Monsieur le Président qu'on ait commémoré le décès de Napoléon en grande pompe et qu'il n'y ait pas un mot aujourd'hui pour exprimer la tristesse d'avoir perdu le 30 mai 1778 l'extraordinaire Voltaire ? Est-ce parce qu'il n'a fait tuer aucun de ses concitoyens, qu'il s'est battu contre l'injustice, pour la liberté ? Et vous, Roselyne Bachelot n'avez-vous rien à dire ? Non ? il est vrai qu'un concert d'Indochine est suffisant pour décérébrer tout mammifère bipède, seule excuse que je vous concèderai .

https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-...

http://www.cosmovisions.com/Voltaire.htm

Voltaire méconnu" - Pèlerinage de Chartres Pentecôte - Notre-Dame de  Chrétienté

VIVE VOLTAIRE !

Cet homme est aimable .

 

 

 

 

« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de La Tude Clairon

Ferney, 12 février 1766

Je vois d’ici, mademoiselle, quel sera le résultat de l’assemblée de vos amis. J’en félicite le public ; mais tâchez que la déclaration du roi, qu’on sollicite et qui est préparée par un excellent mémoire, soit donnée avant votre rentrée. Votre triomphe alors sera complet, et ce sera une grande époque dans l’histoire des beaux-arts. Je ne vois nul obstacle à cette déclaration ; elle est déjà minutée. J’ai été la mouche du coche dans cette affaire. J’ai fourni quelques passages des anciens jurisconsultes en faveur des spectacles, et j’en suis encore tout étonné. Si dans cette aventure vous voyez M. le maréchal de Richelieu, je vous supplie de lui dire que je prends la liberté d’être horriblement fâché contre lui. Que deviendra, s’il vous plaît, un premier gentilhomme de la chambre quand il aura encouru la disgrâce des auteurs et des actrices ? »

 

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30/05/2021 | Lien permanent

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