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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

J'avoue, monseigneur, que l'impertinence est extrême

... Rendez-vous compte : faire un charivari pour l'accueil d'un président ! Ces gens du Sud sont d'une impolitesse remarquable ! Non ? Et le reste du territoire est bien parti pour faire de même . Où va-t-on M'ame Michu ?

Quelques présidents de l'histoire récente nous ont habitué à les voir jugés à propos de casseroles attachées à leurs basques , il est juste que le peuple les fasse résonner . J'aime bien ce genre de manifestation dissonante mais pacifique, et bravo aux énarques (?) pour leur définition qui méritera d'entrer au dictionnaire des cruciberbistes / verbicrucistes : "dispositif sonore portatif , en neuf lettres " = casserole .

Macron parle à 20 h. / Lundi 17 avril : Casserolades ! / Chartres - place  des Halles / Dreux devant la Mairie - ensemble28

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

A Ferney, 9è septembre 1767

Rendez à César ce qui appartient à César 1.

J'avoue, monseigneur, que l'impertinence est extrême 2. S'il sait si bien l'histoire, il doit savoir que le secrétaire d'État Villeroy écrivait Monseigneur aux maréchaux de France.

Incessamment Gallien pourra vous écrire avec la même noblesse de style, dès qu'il aura fait une petite fortune. Je ne manquerai pas d'exécuter vos ordres. Vous savez peut-être qu'en qualité de Français je ne puis aller à Genève . Cela est défendu, mais on viendra chez moi, et je parlerai comme je le dois. De plus, je suis dans mon lit, où une fièvre lente retient ma figure usée et languissante.

Je présume que vous donnerez l'ordre d'achever le paiement de ce que doit Gallien, après quoi vous serez probablement débarrassé de ce petit fardeau. Je joins ici les mémoires. Vos paquets sont francs, et ce n'est point une indiscrétion de ma part.

Quant à l'article des spectacles 3, j'ose espérer que vous aurez la bonté d'entrer [dans 4] mes peines. Je ne connais aucun des acteurs, excepté Mlle Dumesnil et Lekain. La petite Durancy avait joué chez moi aux Délices, à l'âge de quatorze ans. Je ne lui ai donné quelques rôles que sur la réputation qu'elle s'est faite depuis. J'ai fait un partage assez égal entre elle et Mlle Dubois. Il me paraît que ce partage entretient une émulation nécessaire. Si Mlle Durancy ne réussit pas, les rôles reviennent nécessairement aux actrices qui sont plus au goût du public, et vos ordres décident de tout. Le pauvre d'Argental a été bien loin de pouvoir se mêler dans ces tracasseries; il a été longtemps malade, et sa femme a été un mois entier à la mort. M. de Thibouville, qui a beaucoup de talent pour la déclamation, n'a fait autre chose qu'assister à quelques répétitions. Il est mon ami depuis trente ans, et celui de ma nièce. Vous ne voulez pas nous priver de cette consolation, surtout dans le triste état où la vieillesse et la maladie me réduisent.

Daignez agréer mon respect et mon attachement avec votre bonté ordinaire. »

2Le fils de Hennin, éditeur de la Correspondance, 1825, explique cette phrase : « Lorsque P.-M. H[ennin] voulut prendre Gallien pour secrétaire, il crut devoir en écrire au duc de Richelieu. Il commença sa lettre par Monsieur le maréchal au lieu de monseigneur, par inadvertance sans doute […] . Le maréchal-duc en écrivît donc à V*, qui en parla à P.-M. Hennin, lequel écrivit une autre lettre au duc […]. 

Richelieu en voulut longtemps à Hennin malgré les explications qui furent données ; voir lettre du 12 septembre 1767 à Richelieu : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/06/correspondance-annee-1767-partie-47.html

3 Il s'agit d'une nouvelle querelle qui vient de naître à la Comédie française . La Correspondance littéraire signale que Thibouville et d'Argental y auraient été mêlés .

4 Le mot manque dans le manuscrit original .

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22/04/2023 | Lien permanent

Vous m'auriez rendu un très-bon service si vous aviez pu m'en avertir plus tôt

 Avant la morsure ?

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« A M. Pierre GAMOND le fils, 1

premier valet de chambre

de S. A. R. monseigneur le duc de Lorraine, à Bruxelles 2
Aux Délices, près de Genève, 24 octobre 1755 3

Je reçois, monsieur, votre lettre du 16 octobre; je vous remercie des éclaircissements que vous voulez bien me donner, j'y suis d'autant plus sensible que, n'étant pas connu de vous, je ne devais pas m'attendre à cette attention. J'ai toujours ignoré, monsieur, de qui Jean Néaulme avait acheté les fragments informes d'une prétendue Histoire universelle qu'il a imprimée sous mon nom. Tout ce que je sais, c'est qu'il a fait une très-mauvaise action. Il m'écrivit, pour se disculper, qu'il avait acheté le manuscrit à Bruxelles d'une personne qui appartient à la maison où vous êtes. Il faut bien qu'il m'en ait imposé, puisqu'un nommé Roussel, qui débite en Hollande je ne sais quelle feuille satirique intitulée l'Épilogueur ou le Glaneur, me proposa dans cette feuille de me vendre le même manuscrit cinquante louis. Il n'y avait pas moyen d'accepter un marché proposé si indécemment, surtout lorsque je savais qu'on avait tiré plusieurs copies de cet ouvrage qu'on voulait me vendre. Il me paraît, monsieur, que vous n'avez d'autre part à cette manœuvre indigne que la honte avec laquelle vous m'en informez aujourd'hui. Vous m'auriez rendu un très-bon service si vous aviez pu m'en avertir plus tôt. Le libraire Néaulme est inexcusable d'avoir donné sous mon nom une rapsodie si informe. J'ai dû m'élever, dans toutes les occasions, contre cet abus de la librairie, pour ma propre justification et pour l'intérêt de tous les gens de lettres. L'injustice de ceux qui m'ont accusé moi-même en France d'avoir favorisé la publication de cet ouvrage a été pour moi un nouveau sujet de chagrin et un nouveau motif de faire connaître la vérité et, puisqu'on abuse publiquement de mon nom, c'est au public que je dois m'en plaindre. On m'avertit que les libraires de Hollande continuent ce brigandage, et qu'ils ont imprimé encore sous mon nom la Pucelle d'Orléans. Tout ce que je puis faire, c'est de redoubler mes justes plaintes. Je suis persuadé, monsieur, que vous entrez dans ma peine, puisque vous m'écrivez sur un sujet si triste. Me serait-il permis, monsieur, de vous prier d'ajouter une bonté à l'attention que vous avez eue de m'écrire? Ce serait de présenter, dans l'occasion, mes respects à Son Altesse monseigneur le prince Charles de Lorraine 4. J'ai eu l'honneur, autrefois, de lui faire ma cour à Lunéville. Leurs Majestés l'empereur , son frère et l'impératrice m'ont daigné honorer quelquefois des marques de leur générosité. Ainsi je me flatte que Son Altesse royale ne trouverait pas mauvais que je prisse la liberté de l'assurer de ma vénération et de mon attachement pour sa personne.
Je ne peux finir sans vous répéter combien je suis sensible au soin prévenant que vous avez pris. J'ai l'honneur, monsieur, d'être, avec les sentiments que je vous dois, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

VOLTAIRE,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi très-chrétien. »

  

1D'abord homme de chambre du gouverneur général des Pays-Bas Charles de Lorraine, Pierre Gamond, fils d'un tapissier puis contrôleur des garde-meubles de la Cour, devint vers 1754 le premier valet de chambre du prince.

2 Bibliothèque royale de Bruxelles, manuscrit 21575. Sur l'enveloppe, le cachet de Voltaire: d'azur à trois flammes d'or, surmonté d'une couronne comtale. L'envoi de la fin «  J'ai l'honneur, etc. », est de la main de Voltaire.

3 Lire : 25 octobre.

 

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10/04/2012 | Lien permanent

dès les premiers temps de l'Église, les saints Pères se sont élevés contre les ministres sacrés qui emploient aux affair

... Dès les premiers temps, certes, mais seulement aux premiers temps si j'en crois ce que me dit l'Histoire de la glorieuse [sic] et [im]pitoyable Eglise catholique .

Les autres Eglises ne valent pas mieux, qu'elles ne se haussent ni du col, ni de la mitre .

 

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 http://graecorthodoxa.hypotheses.org/2150

 

 

« A Joseph-Nicolas Deschamps de Chaumont 1

A Ferney au pays de Gex

16 décembre 1758.

Monseigneur, c'est un officier de la chambre du roi très chrétien, c'est un de vos diocésains, le possesseur de la comté de Tournay et de la châtellenie de Ferney qui a l'honneur de vous écrire .

Le curé d'un petit village nommé Mouin 2, voisin de ma terre, a suscité un procès à mes vassaux de Ferney, et, ayant souvent quitté sa cure pour aller solliciter à Dijon, il a accablé aisément des cultivateurs uniquement occupés du travail qui soutient leur vie. Il leur a fait pour quinze cents livres de frais pendant qu'ils labouraient leurs champs, et a eu la cruauté de compter parmi ses frais de justice les voyages qu'il a faits pour les ruiner. Vous savez mieux que moi, monseigneur, combien, dès les premiers temps de l'Église, les saints Pères se sont élevés contre les ministres sacrés qui emploient aux affaires temporelles le temps destiné aux autels. Mais si on leur avait dit « Un prêtre est venu avec des sergents rançonner de pauvres familles, les forcer de vendre le seul pré qui nourrit leurs bestiaux, et ôter le lait à leurs enfants » qu'auraient dit les Jérôme, les Irénée, les Augustin ? Voilà, monseigneur, ce que le curé de Mouin est venu faire à la porte de mon château, sans daigner même me venir parler. Je lui ai envoyé dire que j'offrais de payer la plus grande partie de ce qu'il exige de mes communes, et il a répondu que cela ne le satisfaisait pas.

Vous gémissez sans doute que des exemples si odieux soient donnés par des pasteurs catholiques, tandis qu'il n'y a pas un seul exemple qu'un pasteur protestant ait été en procès avec ses paroissiens 3. Il est humiliant pour nous, il le faut avouer, de voir dans des villages du territoire de Genève des pasteurs hérétiques qui sont au rang des plus savants hommes de l'Europe, qui possèdent les langues orientales, qui prêchent dans la leur avec éloquence, et qui, loin de poursuivre leurs paroissiens pour un arpent de seigle ou de vigne, sont leurs consolateurs et leurs pères. C'est une des raisons qui ont dépeuplé le canton que j'habite. Deux de mes jardiniers ont quitté, l'année précédente la vraie religion pour embrasser la protestante. Le village de Rosières avait trente-deux maisons, et n'en a plus qu'une; les villages de Magny et de Boisy ne sont plus que des déserts. Ferney est réduit à cinq familles, ayant droit de commune, et ce sont ces cinq pauvres familles qu'un curé veut forcer d'abandonner leurs demeures pour aller chercher sur le territoire de la florissante Genève le pain qu'on leur dispute dans les chaumières de leurs pères. Je conjure votre zèle paternel, votre humanité, votre religion, non pas d'engager le curé de Moëns à se relâcher des droits que la chicane lui a donnés, cela est impossible; mais à ne pas user d'un droit si peu chrétien dans toute sa rigueur, à donner les délais que donnerait le procureur le plus insatiable, à se contenter de ma promesse, que j'exécuterai aussitôt que mes malheureux vassaux auront rempli une formalité de justice préalable et nécessaire.

J'ajoute à cette prière celle de me donner la permission de bâtir une chapelle dans mon château de Ferney . J'ai le malheur de voir en entrant dans cette terre que mon propre curé était en procès avec son seigneur et l'est par conséquent avec moi . Mais je ne sais point plaider . Je ne sais que secourir les pauvres et faire travailler utilement des malheureux qui étaient prêts à chercher ailleurs de quoi vivre .

J'ai l'honneur d'être avec respect

monseigneur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi Très Chrétien »

1 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Nicolas_Deschamps_de_Chaumont

Le manuscrit fut remis il y a plusieurs années au musée d'Annecy par un donateur anonyme à condition de ne pas être imprimé . Dans les manuscrits et éditions anciennes, le destinataire est seulement « évêque d'Annecy », que des éditions modernes identifient comme Biord ; mais celui-ci ne fut nommé à son poste que le 17 mai 1764 . Le vicaire général Jean-Pierre Biord, assume seulement les tâches administratives, pour soulager l'évêque souffrant . .Autre remarque, si le siège était à Annecy, l'évêché se trouvait en fait à Genève .

Pour une partie de la correspondance de V* avec Biord, voir à partir de page 19 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57191285/texteBrut

2 V* écrit phonétiquement le nom de Moëns . Le prêtre est Philippe Ancian qui n'est guère autrement connu .

3 En insérant une partie de cette lettre dans son Commentaire historique, où il la date à tort de 1759, V* ajoute une note : « Ce qui fait que jamais les curés protestants n'ont de procès avec leurs ouailles, c'est que ces curés sont payés par l'État, qui leur donne des gages: ils ne disputent point la dixième ou la huitième gerbe à des malheureux. C'est le parti que l'impératrice Catherine a pris dans son empire immense. La vexation des dîmes y est inconnue. »- Cette note est de 1776 (Beuchot, qui date la lettre du 15 décembre 1759) .

 

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29/12/2013 | Lien permanent

dans chaque page, depuis la Genèse jusqu'au concile de Trente, vous trouvez le sceau du mensonge

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Le mensonge, sans sceau , sans sots ?

 

 

 

« A Claude-Adrien Helvétius

 

4è octobre 1763

 

Mon frère, le hasard m'a remis sous les yeux le décret de la Sorbonne, et le réquisitoire de maitre Omer [i]. Je vous exhorte à les relire pour vous exciter à la vengeance, en regardant votre ennemi. Je ne crois pas qu'on ait entassé jamais plus d'absurdités et plus d'insolences, et je vous avoue que je ne conçois pas comment vous laissez triompher l'hydre qui vous a déchiré. Le comble de la douleur, à mon gré, est d'être terrassé par des ennemis absurdes. Comment n'employez-vous pas tous les moments de votre vie à venger le genre humain en vous vengeant ? Vous vous trahissez vous-même en n'employant pas votre loisir à faire connaitre la vérité. Il y a une belle histoire à faire, c'est celle des contradictions. Cette idée m'est venue en lisant l'impertinent décret de la Sorbonne. Il commence par condamner cette vérité que toutes les idées nous viennent par les sens, qu'elle avait adoptée autrefois, non pas parce qu'elle était vérité, mais parce qu'elle était ancienne [ii]. Ces marauds ont traité la philosophie comme ils traitèrent Henri IV, et comme ils ont traité la bulle [iii], que tantôt ils ont reçue, et qu'ils ont tantôt condamnée.

 

Ces contradictions règnent depuis Luc et Matthieu, ou plutôt depuis Moïse. Ce serait une chose curieuse que de mettre sous les yeux ce scandale de l'esprit humain. Il n'y a qu'à lire et transcrire. C'est un ouvrage très agréable à faire, on doit rire à chaque ligne. Moïse dit qu'il a vu Dieu face à face [iv], et qu'il ne l'a vu que par derrière [v]. Il défend qu'on épouse sa belle-sœur [vi], et il ordonne qu'on épouse sa belle-sœur [vii]; il ne veut pas qu'on croie aux songes [viii], et toute son histoire est fondée sur des songes.

 

Enfin, dans chaque page, depuis la Genèse jusqu'au concile de Trente, vous trouvez le sceau du mensonge.

 

Cette manière d'envisager les choses est palpable, piquante, et capable de faire le plus grand effet. Ne seriez-vous pas charmé qu'on fit un tel ouvrage ? Faites-le donc, vous y êtes intéressé ; vous devez décréditer ceux qui vous ont traité si indignement.

 

Si l'idée que je vous propose n'est pas de votre goût, il y a cent autres manières d'éclairer le genre humain. Travaillez , vous êtes dans la force de votre génie ; je me charge de l'impression, vous ne serez jamais compromis [ix].

 

Adieu, soyez sûr que votre Fontenelle [x] n'eût jamais été aussi empressé que moi à vous servir. »

 

[Adresse] : [xi]

 

 

i Écrit contre le livre d'Helvétius De l'esprit, contre l'Encyclopédie et le Poème sur la loi naturelle en janvier et février 1759.

ii Un des objets de la polémique avec « le pédant Larcher » en 1767, c'est un critère que récuse V* dans la Philosophie de l'Histoire.

ix Ce jour, à Damilaville, V* demande de prier Diderot de persuader Helvétius qui « a du loisir, de la science et des richesses » : « qu'il écrive quelque chose de net, de convaincant, qu'il le fasse imprimer à ses dépens, on le distribuera sans le compromettre. Je m'en chargerai ; il n'aura qu'à m'envoyer le manuscrit ... »

x « votre héros Fontenelle » écrivait-il me 15 septembre.

xi Adresse inachevée car V* « ne sait où est Helvétius » et il confie « ce petit mot » à Damilaville.

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04/10/2010 | Lien permanent

Il y a des sots, il y a des fanatiques et des fripons mais je n'ai aucun commerce avec ces animaux, et je laisse braire

... Aussi n'ai-je jamais été tenté par une carrière politique où ces animaux trouvent leur pitance .

 Entre les ânes à deux pattes et ceux à quatre, vous voyez où va ma préférence

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« A M. Jean le ROND d'ALEMBERT.

Aux Chênes 1, 29 août [1757].

Me voici, mon cher et illustre philosophe, à Lausanne; j'y arrange une maison où le roi de Prusse pourra venir loger quand il viendra de Neufchâtel, s'il va dans ce beau pays, et s'il est toujours philosophe. Il m'a écrit, en dernier lieu, une lettre héroïque et douloureuse 2. J'aurais été attendri, si je n'avais songé à l'aventure de ma nièce, et à ses quatre baïonnettes.
Je recommande à mon prêtre moins d'hébraïsme et plus de philosophie; mais il est plus aisé de copier le Targum 3 que de penser. Je lui ai donné Messie 4 faire; nous verrons comme il s'en tirera. Je n'ai point vu notre théologal de l'Encyclopédie; ce prêtre est allé à Évian, en Savoie. Il déménage Dieu le conduise ! Il est impossible que dans la ville de Calvin, peuplée de vingt-quatre mille raisonneurs, il n'y ait pas encore quelques calvinistes; mais ils sont en très-petit nombre et assez bafoués. Tous les honnêtes gens sont des déistes par Christ. Il y a des sots, il y a des fanatiques et des fripons mais je n'ai aucun commerce avec ces animaux, et je laisse braire les ânes sans me mêler de leur musique 5.
On dit que vous viendrez leur donner une petite leçon. N'oubliez pas alors les Délices, et venez faire un petit tour au Chêne; c'est le nom de mon ermitage lausannais. Les uns ont leurs chèvres, les autres ont leurs ormes 6; mais il faut être dans les lieux qu'on a choisis, et non pas dans ceux où l'on vous envoie. J'aimerais mieux être à Tobolsk de mon gré, qu'au Vatican par le gré d'un autre. J'ai encore de la peine à concevoir qu'on ne prenne pas de l'aconit, quand on n'est pas libre. Si vous avez un moment de loisir, mandez-moi comment vont les organes pensants de Rousseau, et s'il a toujours mal à la glande pinéale. S'il y a une preuve contre l'immatérialité de l'âme, c'est cette maladie du cerveau ; on a une fluxion sur l'âme comme sur les dents. Nous sommes de pauvres machines. Adieu vous et M. Diderot, vous êtes de belles montres à répétition, et je ne suis plus qu'un vieux tournebroche mais ce tournebroche est monté pour vous estimer et vous aimer plus que personne au monde . Ainsi pense la machine de ma nièce.
Je rouvre ma lettre, je me suis à grand'peine souvenu de ma face, j'en ai si peu ! Si vous voulez me fourrer à côté de Campistron et de Crébillon, ma face est à vos ordres. Mme de Fontaine fera tout ce que vous ordonnerez. J'aimerais mieux avoir la vôtre aux Délices. »

1 Où V* loue une belle maison ; voir lettre du 3 avril à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/04/03/je-vous-ai-deja-dit-que-tout-est-francais-a-lausanne.html
Le Chêne était la dernière rue de Lausanne, du côté de Genève, et celle qui
servait de communication entre la ville et la belle promenade publique nommée
Montbenon. (Note de M. Golowkin.)

2 Elle doit avoir été écrite vers le 12 août comme il le mentionne dans une lettre à sa soeur . Elle est suivie d'une « épigramme » que Wilhelmine jugea « trop forte » et garda, on ne la pas retrouvée .

« Je vous remercie de la part que vous prenez à mes succès et à mes malheurs . J'ai à peu près toute l'Europe contre moi, il ne me reste qu'à vendre cher ma vie et la liberté de ma patrie ; mes yeux seraient devenus des sources de larmes si ces temps d'horreurs ne faisaient que je trouve ma digne et respectable mère heureuse de ne pas voir ce qui arrive et ce qui peut arriver encore . » « Fr .»

4 Polier de Bottens, pasteur . Voir note page 62 et suiv. : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411336j/f65.image

5 D'Alembert avait reçu une lettre de « personnes respectables » de Genève et en avait fait part à V*, cette lettre ayant été publiée en une brochure . V* ne garda pas complètement le silencec ar dansz une pièce Les Torts : il met :

Le fanatisme est terrassé

Mais il reste l'hypocrisie .

Ce à quoi répondra l'horloger-poête David Rival par des vers pleins de malice envers V* :

Quant à vous célèbre Voltaire ,

Vous eûtes tort, c'est mon avis .

Vous vous plaisez dans ce pays

Fêtez le saint qu'on y révère …

Voir lettre du 24 décembre 1757 à Elie Bertrand : page 333 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f336.image

6 La maison de campagne des Ormeaux , près de Saumur, où le comte d'Argenson est exilé .

 

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13/12/2012 | Lien permanent

Ces énergumènes, plus intolérants et plus intolérables que les jésuites, voulaient faire regarder l’intérêt de l’argent

... Qu'on se rassure [sic], notre monde moderne ne contient plus aucun de ces énergumènes, la race des banquiers et agioteurs les a éradiqués, le dollar est roi, l'argent appelle l'argent inéluctablement, le péché s'il en était encore question , n'est considéré, au pire, que comme véniel par toutes les églises . Tout comme le minerai et le charbon doivent donner de l'acier, l'argent doit produire encore plus d'argent, sans trêve : pour quoi, pour qui ?

 

 

« A Pierre Rousseau, Directeur du

« Journal encyclopédique »

à Bouillon par Paris

1er octobre 1763

Je peux vous assurer, monsieur, que je partage vos peines autant que j’estime votre journal . Il m’a fait tant de plaisir, que depuis un an c’est le seul que je fasse venir, et que j’ai renvoyé tous les autres .

Soyez encore très sûr qu’on a arrêté pendant plus d’un mois tous les imprimés qui venaient de Genève. La lettre d’un homme qui porte votre nom peut en avoir été la cause ; on peut encore avoir eu d’autres raisons. Je me servirai de l’adresse que vous me donnez, dès que j’aurai quelque chose qui pourra convenir à votre greffe.

Il y a un excellent ouvrage qui paraît à Lyon depuis quelques jours, sous le titre d’Avignon : c’est une lettre d’un avocat à l’archevêque de Lyon, concernant la légitimité du prêt à intérêt 1 ; on y confond l’insolence fanatique de quelques pères de l’Oratoire, chargés aujourd’hui de l’éducation de la jeunesse lyonnaise. Ces énergumènes, plus intolérants et plus intolérables que les jésuites, voulaient faire regarder l’intérêt de l’argent comme un péché, et immoler Lyon au jansénisme. Je vais écrire à l’auteur pour l’engager à vous envoyer l’ouvrage par la voie de M. Naudet.

Je ne sais si vous savez que six cents citoyens de Genève ont fait coup sur coup quatre protestations contre le jugement du conseil qui a fait brûler l’Emile de Jean-Jacques ; ils disent qu’un citoyen de Genève est en droit de tourner en ridicule la religion chrétienne tant qu’il veut, et qu’on ne peut le condamner qu’après avoir conféré amiablement avec lui. Cela est assez plaisant dans la ville de Calvin : un temps viendra où il arrivera la même chose dans la ville 2 où l’on prétend que Simon Barjone a été crucifié la tête en bas. »

1 Par Prost de Royer : Lettre à Mgr l'archevêque de Lyon, dans laquelle on traite du prêt à intérêt à Lyon, appelé dépôt de l'argent, 1763, brochure de 93 pages ; V* lui écrit le même jour . La brochure a été attribuée à tort à V* et réimprimée à ce titre dans Les Choses utiles et agréables , 1769, et même au volume IX des Nouveaux mélanges, 1765-1776, imprimés pourtant sous la surveillance de V* . Voir : https://books.google.fr/books?id=5bVMcbz-vGgC&pg=PA21&lpg=PA21&dq=Lettre+%C3%A0+Mgr+l%27archev%C3%AAque+de+Lyon,+dans+laquelle+on+traite+du+pr%C3%AAt+%C3%A0+int%C3%A9r%C3%AAt+%C3%A0+Lyon,+appel%C3%A9+d%C3%A9p%C3%B4t+de+l%27argent&source=bl&ots=-BzXEICewi&sig=7M9U7i3m0VMvxRJ__aHiOHXFjFk&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwir4_zfxdrdAhVNyxoKHd0GCDQQ6AEwAHoECAkQAQ#v=onepage&q=Lettre%20%C3%A0%20Mgr%20l'archev%C3%AAque%20de%20Lyon%2C%20dans%20laquelle%20on%20traite%20du%20pr%C3%AAt%20%C3%A0%20int%C3%A9r%C3%AAt%20%C3%A0%20Lyon%2C%20appel%C3%A9%20d%C3%A9p%C3%B4t%20de%20l'argent&f=false

et : http://data.bnf.fr/12124955/antoine-francois_prost_de_royer/

et  lettre de V* à Prost de Royer : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1763-partie-32.html

2 Rome .

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27/09/2018 | Lien permanent

tout ce que j'avais était au service de M. Rousseau

... La preuve, France 2 s'y met aussi : https://www.20minutes.fr/arts-stars/serie/2978363-2021021...

 

 

« A Jean-André De Luc 1

M. Marc Chapuis sait que je lui dis à Genève et chez moi en 1754 et en 1755 que tout ce que j'avais était au service de M. Rousseau .

Pour récompense, M. Rousseau m'écrivit de Montmorency en 1759, Monsieur, je ne puis vous aimer, vous corrompez ma république en donnant des spectacles chez vous . Est-ce là le prix de l'asile qu'elle vous a donné ?2

Vous remarquerez qu'il faisait alors des opéras, des comédies et des romans , que sa République depuis ce temps lui a donné peu d'asile ; que l'asile prétendu que m'a donné sa République était une maison de campagne à moi vendue par le conseiller Mallet ; que par mon marché j'en payai soixante et dix-sept mille livres à condition que j'en recevrais tente-huit mille livres quand je la quitterais ; que le conseiller Jaquet disputa avec le conseiller Mallet à qui me vendrait sa maison ; qu'ils rendirent le Petit Conseil arbitre de leurs prétentions ; qu'enfin je n'ai point besoin d'asile, et que j'en donne aux autres dans mes terres .

Je ne répondis point à la lettre de M. Rousseau, et je le plaignis d'outrager un homme qui ne lui avait fait que des offres de service .

Je pris hautement son parti dans son malheur, et lorsqu’on le décréta de prise de corps à Genève, je blâmai publiquement cette dureté, comme je la blâme encore . Ceux qui ont dit que je sollicitai cette sentence me connaissent peu, et sont des calomniateurs .

Si j'avais agi contre M. Rousseau je l'avouerais publiquement et j'agirais encore contre lui, j'en aurais le droit, puisqu'il m'a offensé indignement sans aucune raison .

Il lui a plu de m'écrire il y a trois mois de Môtiers-Travers cette lettre honnête :

Monsieur, s'il est vrai que vous avez dit que je n'ai pas été secrétaire d'ambassade à Venise, vous en avez menti ; et moi j'en ai menti s'il n'est pas vrai que j'aie été secrétaire d'ambassade et que j'en aie eu tous les honneurs 3.

Observez que j'ai à présent en main ses lettres écrites du 8 au 15 août 1744 à M. du Theil premier commis des Affaires étrangères, dans lesquelles il dit ; Il y a quatorze mois que je suis entré au service de M. le comte de Montaigu (ambassadeur à Venise) . J'ai mangé son pain . -- M. l'ambassadeur en me renvoyant comme un valet m'a fait mon compte ; il m'a proposé en termes très nets de souscrire à une réduction, ou de me faire jeter par la fenêtre . J'implore votre protection contre les cruels traitements que M. l'ambassadeur exerce sur le plus fidèle de ses domestiques .-- Je sais que dans les démêlés entre le maître et le domestique , c'est toujours le domestique qui a tort . -- J’aime mieux négliger quelques moyens de défense contre un maître que j'ai servi, que d'être son délateur .4

Cependant, dans cette lettre il se rend délateur de M. le comte de Montaigu son maître .

Il a été le mien dans les Lettres de la montagne, dans ces mêmes lettres où il dit qu'il a été le premier secrétaire d'ambassade . Il m'y accuse d'une brochure que tout le monde sait être du médecin La Mettrie . Il a cru qu'en me calomniant il se justifierait, et il s'est trompé .

Si vous voulez publier ses lettres de Venise il serait couvert d'opprobre .

S'il écrit contre moi je les publierai.

Si la personne qui s'intéresse à lui veut lui rendre un vrai service, elle lui dira exactement la vérité parce qu'il faut qu'il la connaisse pour en rougir, et pour se corriger .

S'il avait entendu ses intérêts et ceux de ses amis, il aurait eu une conduite moins insensée et moins malhonnête . S'il est possible qu'il se repente et qu'il se corrige je lui pardonnerai sincèrement .

Fait au château de Ferney le 19è octobre 1765 5

Voltaire ,

gentilhomme ordinaire du roi. »

4 « Extrait » de la lettre de JJ Rousseau à Jean-Gabriel de La Porte du Theil datée du 8 août 1744 . voir pages 17, 200, 205 251 : https://doc.rero.ch/record/10643/files/Bibliographie_Rousseau_Dufour_volume2.pdf

5 En tête de la lettre, V* a noté « Mémoire ». En fait, de Luc considéra seulement comme une lettre et y répondit le même jour, V* lui répondant immédiatement le 20 octobre .

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17/02/2021 | Lien permanent

Those gracious kings are all a pack of rogues

... Je ne vise pas ici les rois couronnés, mais les détestables rois auto-proclamés de la finance , de l'industrie , du commerce, brasseurs de milliards aux mains sales . S'y ajoutent une foultitude de chefs d'Etats de l'acabit d'un Poutine . Lie de l'humanité  qui nous empoisonne .

 

 

« A Horace Walpole

Du château de Ferney pays de Gex, par Versoix et Lyon

15 juillet 1768 1

Monsieur,

Il y a quarante ans que je n’ose plus parler anglais, et vous parlez notre langue très bien. J’ai vu des lettres de vous, écrites comme vous pensez. D’ailleurs mon âge et mes maladies ne me permettent pas d’écrire de ma main. Vous aurez donc mes remerciements dans ma langue.

Je viens de lire la préface de votre Histoire de Richard III 2, elle me paraît trop courte. Quand on a si visiblement raison, et qu’on joint à ses connaissances une philosophie si ferme et un style si mâle, je voudrais qu’on me parlât plus longtemps. Votre père était un grand ministre et un bon orateur, mais je doute qu’il eût pu écrire comme vous. Vous ne devez pas dire : Quia pater major me est 3.

J’ai toujours pensé comme vous , monsieur, qu’il faut se défier de toutes les histoires anciennes. Fontenelle, le seul homme du siècle de Louis XIV qui fut à la fois poète, philosophe et savant, disait qu’elles étaient des fables convenues ; et il faut avouer que Rollin a trop compilé de chimères et de contradictions.

Après avoir lu la préface de votre histoire, j’ai lu celle de votre roman 4. Vous vous y moquez un peu de moi : les Français entendent raillerie ; mais je vais vous répondre sérieusement.

Vous avez presque fait accroire à votre nation que je méprise Shakespeare. Je suis le premier qui aie fait connaître Shakespeare aux Français ; j’en ai traduit des passages, il y a quarante ans 5, ainsi que de Milton, de Waller, de Rochester, de Driden, et de Pope. Je peux vous assurer qu’avant moi presque personne en France ne connaissait la poésie anglaise ; à peine avait-on même entendu parler de Locke. J’ai été persécuté pendant trente ans par une nuée de fanatiques, pour avoir dit que Locke est l’Hercule de la métaphysique, qui a posé les bornes de l’esprit humain 6.

Ma destinée a encore voulu que je fusse le premier qui aie expliqué à mes concitoyens les découvertes du grand Neuton, que quelques sots parmi nous appellent encore des systèmes. J’ai été votre apôtre et votre martyr . En vérité il n’est pas juste que les Anglais se plaignent de moi.

J’avais dit, il y a très longtemps, que si Shakespeare était venu dans le siècle d’Addison, il aurait joint à son génie l’élégance et la pureté qui rendent Addison recommandable. J’avais dit que son génie était à lui, et que ses fautes étaient à son siècle 7Il est précisément, à mon avis, comme le Lopez de Vega des Espagnols, et comme le Calderon. C’est une belle nature, mais sauvage ; nulle régularité nulle bienséance, nul art ; de la bassesse avec de la grandeur, de la bouffonnerie avec du terrible : c’est le chaos de la tragédie, dans lequel il y a cent traits de lumière.

Les Italiens, qui restaurèrent la tragédie un siècle avant les Anglais et les Espagnols, ne sont point tombés dans ce défaut  ils ont mieux imité les Grecs. Il n’y a point de bouffons dans l’Œdipe et dans l’Electre de Sophocle. Je soupçonne fort que cette grossièreté eut son origine dans nos fous de cour. Nous étions un peu barbares tous tant que nous sommes en deçà des Alpes. Chaque prince avait son fou en titre d’office. Des rois ignorants, élevés par des ignorants ne pouvaient connaître les plaisirs nobles de l’esprit : ils dégradèrent la nature humaine au point de payer des gens pour leur dire des sottises. De là vint notre Mère sotte 8; et avant Molière, il y avait un fou de cour dans presque toutes les comédies . Cette mode est abominable.

J’ai dit, il est vrai, monsieur, ainsi que vous le rapportez, qu’il y a des comédies sérieuses, telles que Le Misanthrope, qui sont des chefs-d’œuvre ; qu’il y en a de très plaisantes, comme George Dandin ; que la plaisanterie, le sérieux, l’attendrissement, peuvent très bien s’accorder dans la même comédie J’ai dit que tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux 9. Oui, monsieur ; mais la grossièreté n’est point un genre. Il y a beaucoup de logements dans la maison de mon père 10; mais je n’ai pas prétendu qu’il fût honnête de loger dans la même chambre Charles-Quint et don Japhet d’Arménie, Auguste et un matelot ivre, Marc-Aurèle et un bouffon des rues. Il me semble qu’Horace pensait ainsi dans le plus beau des siècles : consultez son Art poétique ; toute l’Europe éclairée pense de même aujourd’hui ; et les Espagnols commencent à se défaire à la fois du mauvais goût comme de l’Inquisition ; car le bon esprit proscrit également l’un et l’autre.

Vous sentez si bien, monsieur, à quel point le trivial et le bas défigurent la tragédie, que vous reprochez à Racine de faire dire à Anthiocus, dans Bérénice :

De son appartement cette porte est prochaine,

Et cette autre conduit dans celui de la reine.11

Ce ne sont pas là certainement des vers héroïques  mais ayez la bonté d’observer qu’ils sont dans une scène d’exposition, laquelle doit être simple. Ce n’est pas là une beauté de poésie, mais c’est une beauté d’exactitude qui fixe le lieu de la scène, qui met tout d’un coup le spectateur au fait et qui l’avertit que tous les personnages paraîtront dans ce cabinet, qui est commun aux autres appartements  sans quoi il ne serait point du tout vraisemblable que Titus, Bérénice et Antiochus parlassent toujours dans la même chambre.

Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué 12, dit le sage Despréaux, l’oracle du bon goût, dans son art poétique, égal pour le moins à celui d’Horace. Notre excellent Racine n’a presque jamais manqué à cette règle ; et c’est une chose digne d’admiration qu’Athalie paraisse dans le temple des Juifs et dans la même place où l’on a vu le grand-prêtre, sans choquer en rien la vraisemblance.

Vous pardonnerez encore plus, monsieur, à l’illustre Racine, quand vous vous souviendrez que la pièce de Bérénice était en quelque façon l’histoire de Louis XIV et de votre princesse anglaise, sœur de Charles II . Ils logeaient tous deux de plain-pied à Saint-Germain, et un salon séparait leurs appartements 13.

Vous n’observez, vous autres libres Bretons, ni unité de lieu, ni unité de temps, ni unité d’action. En vérité, vous n’en faites pas mieux, la vraisemblance doit être comptée pour quelque chose. L’art en devient plus difficile, et les difficultés vaincues donnent en tout genre du plaisir et de la gloire.

Permettez-moi, monsieur, tout Anglais que vous êtes, de prendre un peu le parti de ma nation. Je lui dis si souvent ses vérités, qu’il est bien juste que je la caresse quand je crois qu’elle a raison. Oui, monsieur, j’ai cru, je crois, et je croirai que Paris est très supérieur à Athènes en fait de tragédies et de comédies.

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24/02/2024 | Lien permanent

l'hiver de ma vie, et celui de l'année, m'avertissent de ne pas perdre un moment

A finir d'annoter ...

 Hiver, oui, mais allegro :   http://www.deezer.com/listen-1449444

 Ou furioso...

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« A M. de Brenles

 

Colmar, le 5 novembre [1754]

 

Me voilà , monsieur, lié à vous par la plus tendre reconnaissance . Je vous dois faire d'abord l'aveu sincère de ma situation . Je n'ai pas plus de 230 000 livres de France à mettre à une acquisition . Si, avec cette somme, il faut encore payer le sixième, et ensuite mettre un argent considérable en meubles, il me sera impossible d'acheter la terre d'Allaman . Vous savez, monsieur, que quand je vous confiai le dessein que j'ai depuis longtemps de m'approcher de vous, et de venir jouir de votre société, dans le sein de la liberté et du repos, je vous dis que je pouvais au plus mettre 200 000 livres de France à l'achat d'une terre . Tout mon bien en France est en rentes dont je ne peux disposer .

 

Louer une maison de campagne serait ma ressource ; mais je vous avoue que j'aimerais beaucoup mieux une terre . Il est très désagréable de ne pouvoir embellir sa demeure, et de n'être logé que par emprunt .

 

Nous voici au mois de novembre , l'hiver approche ; je prévois que je ne pourrai me transplanter qu'au printemps ; conservez-moi vos bontés . Peut-être pendant l'hiver Allaman ne sera pas vendu, et on se relâchera sur le prix ; peut-être se trouvera-t-il quelque terre à meilleur marché qui me conviendrait mieux ; il y en a , dit-on, à moitié chemin de Lausanne à Genève . Vous sentez à quel point je suis honteux de vous donner tant de peines, et d'abuser de votre bonne volonté . Tout mon regret, à présent, est de ne pouvoir venir vous remercier ; ma santé est si chancelante que je ne peux même faire le voyage nécessaire que je devais faire en Bourgogne . Je ne vis plus que de l'espérance de finir mes jours dans une retraite douce et libre . J'ai vu à Plombières l'avoyer de Berne 1, je ne sais pas son nom ; il est instruit du désir que j'ai toujours eu de me retirer sur les bords de votre beau lac, comme Amédée à Ripaille . Mais il me semble qu'il témoigna à un de mes amis qu'il craignait que ce pays-là ne me convint pas . J'ignore quelle était son idée quand il parlait ainsi ; je ne sais si c'était un compliment, ou une insinuation de ne point venir m’établir dans un pays dont il croyait apparemment que les mœurs étaient trop différentes des miennes .

 

Il vint deux ou trois fois chez moi, et me fit beaucoup de politesses . Vous pourriez aisément, monsieur, savoir sa manière de penser par le moyen de votre ami qui est dans le conseil . Vous pourriez m'instruire s'il sera à propos que je lui écrive, et de quelle formule 2 on doit se servir en lui écrivant .

 

Je voudrais m'arranger pour venir chez vous avec l’approbation de votre gouvernement, et sans déplaire à ma cour . J'aurai aisément des passe-ports de Versailles pour voyager . Je peux ensuite donner ma mauvaise santé pour raison de mon séjour ; je peux avoir du bien en Suisse comme j'en ai sur le duc de Wurtemberg ; en un mot, tout cela peut s'arranger .

 

Il est triste d'autant différer, quand le temps presse ; l'hiver de ma vie, et celui de l'année, m'avertissent de ne pas perdre un moment, et l'envie de vous voir me presse encore davantage .

 

Il n'y a guère d'apparence que je puisse louer, cet hiver, la maison de campagne dont vous me parlez . Ce sera ma ressource au printemps, si je ne trouve pas mieux ; en un mot, il n'y a rien que je ne fasse pour venir philosopher avec vous, et pour vivre et mourir dans la retraite et dans la liberté .

 

Adieu, monsieur ; je n'ai point de termes pour vous exprimer combien je suis sensible à vos bontés . »


1 Nicolas-Frédéric de Steiger, né à Berne en 1729, mourra en décembre 1799 à Augsbourg .

2 V* avait négligé cette précaution en écrivant le 25 décembre 1752 à messieurs les avoyers de Berne .

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10/10/2011 | Lien permanent

il y jouit d'un loisir qui serait encore plus philosophique s'il était moins homme d'État

 

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Il y a un après ... campagne présidentielle .

Beaucoup vont connaître un grand moment de solitude .

Marche et rêve !

 

 

 

« DE M. DARGET 1

6 septembre 1755.

J'ai malheureusement une trop bonne excuse, mon ancien ami, de n'avoir pas encore répondu à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 5 du mois dernier. J'ai toujours été malade, et pendant plus de quinze jours assez considérablement d'un mal de gorge. Je n'ai pu ni m'occuper ni sortir, et cela est vrai au point que je ne verrai que demain pour la première fois votre belle tragédie de l'Orphelin de la Chine. Je vous fais bien sincèrement mon compliment sur ces nouveaux lauriers, et je vous prie d'être persuadé que personne n'en voit orner votre front avec plus de plaisir que moi.
Je n'ai rien vu des manuscrits tronqués qui courent presque publiquement de votre poème de la Pucelle, vous savez que je connais la bonne édition 2, et je verrai bientôt les endroits où l'on a voulu si méchamment introduire des choses qui ne sont pas de vous. Et qui pourrait s'y tromper, mon cher ami ? il n'appartient qu'à vous seul de retoucher vos ouvrages. Il faut bien prendre votre parti sur la publication de ce poème , tous vos amis craignent à Paris qu'il ne soit bientôt imprimé, surtout en Hollande ou en Angleterre; et j'en tremble avec eux, je suis même surpris que cet événement-là ne soit pas arrivé plus tôt; il est très-certain que du Puget, ce Provençal attaché très-peu de temps à la maison du prince Henri, en avait une copie fournie par l'infidélité de Tinois. Il l'avait emportée dans le temps qu'il disparut de Berlin; et peut-être les espérances qu'il avait fondées sur le profit de ce manuscrit entrèrent-elles dans le projet de sa retraite. J'ai su depuis qu'il avait passé en Russie, où il a rentré dans l'obscurité. C'est peut-être à cette copie que vous devez la filiation de toutes celles qui se sont répandues depuis. Grasset, qui vous porte à vous-même votre ouvrage, mais gâté et falsifié, et qui veut vous le vendre cinquante louis, est quelque chose de tout à fait singulier, et qui a dû vous faire rire vous-même. Enfin vous savez à qui vous en prendre de tout cela , vous ne soupçonnerez plus vos admirateurs et vos amis; vous en avez envoyé des copies ici, qui pourront servir de pièces de comparaison. M. Thieriot en a une que je dois entendre ces jours-ci. Les honnêtes gens ne se tromperont pas aux différences et s'il y a des choses que l'on trouve que vous deviez changer, vous le ferez avec cette supériorité qui rend toujours les éditions faites sous vos yeux préférables aux autres.
M. Duverney a été enchanté, monsieur, de recevoir des témoignages de votre souvenir. Sa santé est assez bonne. Il ne passe plus que les étés seulement à Plaisance, et il y jouit d'un loisir qui serait encore plus philosophique s'il était moins homme d'État. Il vous enverra volontiers des ognons de tulipe, marquez-moi la manière de vous les faire parvenir; il ne faut pas qu'il manque rien à un lieu dont vous faites vos délices.
Vous m'avez promis anciennement, et dans les moments heureux de ma liaison avec vous, que vous me procureriez mes entrées à la Comédie française par la présentation d'une de vos tragédies. Je vous rappelle cet engagement, et j'en prends acte pour la première que vous enverrez; vous savez que je sais les lire.
M. de Croismare vous fait mille compliments, il est du comité secret de vos amis à Paris, et mérite assurément à tous égards d'y tenir sa place. Ma mauvaise santé salue vos incommodités; elle s'y intéresse, elle vous plaint. Je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous renouvelle toujours avec un nouveau plaisir, mon cher ami, les aveux de mon attachement bien tendre et bien sincère. »

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12/03/2012 | Lien permanent

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