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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

L’homme, en général, est un animal bien lâche ; il voit tranquillement dévorer son prochain, et semble content, pourvu q

...

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Aux eaux de Rolle en Suisse, par Genève, 23 juillet 1766 1

Un Genevois, nommé Ballessert , qui est à Paris, et qui a remporté un prix à je ne sais quelle académie, par un excellent ouvrage 2, veut se présenter devant mes anges pour obtenir par leur protection une audience de M. le duc de Choiseul. Je ne sais s’il veut lui parler des affaires de Genève, ou s’il a quelque autre grâce à lui demander ; mais je supplie mes divins anges de daigner lui accorder toute la faveur qu’ils pourront : ce sera une nouvelle grâce que j’aurai reçue d’eux.

Je me flatte que mes anges voudront bien m’envoyer le petit paquet 3 en toile cirée, pour lequel je leur ai présenté requête. J’ai écrit à M. de Chauvelin 4 . Pour peu qu’il connaisse l’amour-propre des auteurs, il n’aura pas été médiocrement surpris que je sois en tout de son avis.

Je ne dormirai point jusqu’à ce que j’aie la consultation des avocats 5. Hélas ! mes anges, nous ne sommes pas heureux en consultations. Celle de l’avocat 6 qui joue si bien la comédie n’a point réussi . Celle qui devait porter les juges à l’humanité n’a pas empêché qu’on ne traitât de pauvres jeunes gens, coupables d’extravagances, en coupables de parricides ; et enfin la consultation de Beaumont pour les Sirven ne vient point. Les horreurs du fanatisme qui vous environnent semblent avoir glacé la main d’Élie . Il me paraît au contraire qu’on devrait s’encourager plus que jamais à combattre l’atrocité des jugements injustes. On dit que cet infortuné jeune homme, qui n’avait que vingt et un ans, est mort avec la fermeté de Socrate ; et Socrate a moins de mérite que lui  car ce n’est pas un grand effort, à soixante et dix ans, de boire tranquillement un gobelet de ciguë ; mais mourir dans des supplices horribles, à l’âge de vingt et un ans, cela demande assurément plus de courage. Cette barbarie m’occupe nuit et jour. Est-il possible que le peuple l’ait soufferte ? L’homme, en général, est un animal bien lâche ; il voit tranquillement dévorer son prochain, et semble content, pourvu qu’on ne le dévore pas : il regarde encore ces boucheries avec le plaisir de la curiosité.

Mes anges, j’ai le cœur déchiré.

Permettez que je joigne ici un petit mot pour Lekain 7, malgré toute l'horreur qui me subjugue . »

1 L'édition de Kehl, et les suivantes , sont amputées du dernier paragraphe biffé sur la copie Beaumarchais .

2 Jacques Balexserd, né à Genève en 1726 et mort en 1774 ; Dissertation sur l'éducation physique des enfants […] Ouvrage qui a remporté le prix, le 21 mai 1762, à la Société hollandaise des sciences (Harlem), 1762, in-8° : https://books.google.fr/books?id=Ots04VEFMowC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

3 La copie de la tragédie du Triumvirat.

4 Lettre perdue .

6 L'édition Besterman donne Pierre Jabineau de La Voute pour l'avocat indiqué ici .

Note selon Beuchot : « Huerne de Lamothe, auteur du Mémoire en forme de dissertation sur la question de l’excommunication , auteur , avocat au parlement, né à Sens, est mort vers 1790 . Au lieu des mots, qui joue si bien la comédie, j’ai été tenté de mettre, qui loue si bien la comédie. Mais je m’en suis tenu au texte de toutes les éditions. »

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20/10/2021 | Lien permanent

Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instr

... Merci ami Voltaire de flatter un peu mon égo de Français !

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

[vers le 6 novembre 1765]1

Vous m’avez écrit, madame, une lettre tout animée de l’enthousiasme de l’amitié. Jugez si elle a échauffé mon cœur, qui vous est attaché depuis si longtemps. Je n’ai point voulu vous écrire par la poste ; ce n’est pas que je craigne que ma passion pour vous déplaise à M. Jeannel, je le prendrais volontiers pour mon confident ; mais je ne veux pas qu’il sache à quel point je suis éloigné de mériter tout le bien que vous pensez de moi. Mme la duchesse d’Anville veut bien avoir la bonté de se charger de mon paquet ; vous y trouverez cette Philosophie de l’Histoire de l’abbé Bazin ; je souhaite que vous en soyez aussi contente que l’impératrice Catherine seconde, à qui le neveu de l’abbé Bazin l’a dédiée. Vous remarquerez que cet abbé Bazin, que son neveu croyait mort, ne l’est point du tout ; qu’il est chanoine de Saint-Honoré, et qu’il m’a écrit pour me prier de lui envoyer son ouvrage posthume. Je n’en ai trouvé que deux exemplaires à Genève, l’un relié, l’autre qui ne l’est pas ; ils seront pour vous et pour M. le président Hénault, et l’abbé Bazin n’en aura point.

Si vous voulez vous faire lire cet ouvrage, faites provision, madame, de courage et de patience. Il y a là une fanfaronnade continuelle d’érudition orientale qui pourra vous effrayer et vous ennuyer ; mais votre ami 2, en qualité d’historien, vous rassurera, et peut-être, dans le fond de son cœur, il ne sera choqué ni des recherches par lesquelles toutes nos anciennes histoires sont combattues, ni des conséquences qu’on en peut tirer ; quelque âge qu’on puisse avoir, et à quelque bienséance qu’on soit asservi, on n’aime point à avoir été trompé, et on déteste en secret des préjugés ridicules que les hommes sont convenus de respecter en public. Le plaisir d’en secouer le joug console de l’avoir porté, et il est agréable d’avoir devant les yeux les raisons qui vous désabusent des erreurs où la plupart des hommes sont plongés depuis leur enfance jusqu’à leur mort. Ils passent leur vie à recevoir de bonne foi des contes de Peau d’Âne, comme on reçoit tous les jours de la monnaie sans en examiner ni le poids ni le titre.

L’abbé Bazin a examiné pour eux, et, tout respectueux qu’il paraît envers les faiseurs de fausse monnaie, il ne laisse pas de décrier leurs espèces.

Vous me parlez de mes passions, madame ; je vous avoue que celle d’examiner une chose aussi importante a été ma passion la plus forte. Plus ma vieillesse et la faiblesse de mon tempérament m’approchent du terme, plus j’ai cru de mon devoir de savoir si tant de gens célèbres, depuis Jérôme et Augustin jusqu’à Pascal, ne pourraient point avoir quelque raison ; j’ai vu clairement qu’ils n’en avaient aucune, et qu’ils n’étaient que des avocats subtils et véhéments de la plus mauvaise de toutes les causes. Vous voyez avec quelle sincérité je vous parle ; l’amitié que vous me témoignez m’enhardit ; je suis bien sûr que vous n’en abuserez pas. Je vous avouerai même que mon amour extrême pour la vérité, et mon horreur pour des esprits impérieux qui ont voulu subjuguer notre raison, sont les principaux liens qui m’attachent à certains hommes, que vous aimeriez si vous les connaissiez. Feu l’abbé Bazin n’aurait point écrit sur ces matières si les maîtres de l’erreur s’étaient contentés de dire :  nous savons bien que nous n’enseignons que des sottises, mais nos fables valent bien les fables des autres peuples ; laissez-nous enchaîner les sots, et rions ensemble ;  alors on pourrait se taire, mais ils ont joint l’arrogance au mensonge ; ils ont voulu dominer sur les esprits, et on se révolte contre cette tyrannie.

Quel lecteur sensé, par exemple, n’est pas indigné de voir un abbé d’Houteville qui, après avoir fourni vingt ans des filles à Laugeois, fermier général, et étant devenu secrétaire de l’athée cardinal Dubois, dédie un livre sur la religion chrétienne à un cardinal d’Auvergne, auquel on ne devait dédier que des livres imprimés à Sodome ?4

Et quel ouvrage encore que celui de cet abbé d’Houteville ! quelle éloquence fastidieuse ! quelle mauvaise foi ! que de faibles réponses à de fortes objections ! Quel peut avoir été le but de ce prêtre ? Le but de l’abbé Bazin était de détromper les hommes, celui de l’abbé d’Houteville n’était donc que de les abuser.

Je crois que j’ai vu plus de cinq cents personnes de tout état et de tout pays dans ma retraite, et je ne crois pas en avoir vu une demi-douzaine qui ne pensent comme mon abbé Bazin 5. La consolation de la vie est de dire ce qu’on pense. Je vous le dis une bonne fois.

Je vous demande en grâce de brûler ma lettre quand vous l'aurez lue . Il est bon de se remettre devant les yeux ces vérités,mais il est encore mieux de les jeter au feu .6

Ne doutez pas, madame, que je n’aie été fort content de M. le chevalier de Magdonal 7 ; j’ai la vanité de croire que je suis fait pour aimer toutes les personnes qui vous plaisent. Il n’y a point de Français de son âge qu’on pût lui comparer ; mais ce qui vous surprendra, c’est que j’ai vu des Russes de vingt-deux ans qui ont autant de mérite, autant de connaissances, et qui parlent aussi bien notre langue.

Il faut bien pourtant que les Français valent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.

Non-seulement, madame, je suis pénétré d’estime pour M. Crafford, mais je vous supplie de lui dire combien je lui suis attaché. J’ai eu le bonheur de le voir assez longtemps, et je l’aimerai toute ma vie. J’ai encore une bonne raison de l’aimer, c’est qu’il a à peu près la même maladie qui m’a toujours tourmenté . Les conformités plaisent. Voici le temps où je vais en avoir une bien forte avec vous : des fluxions horribles m’ôtent la vue dès que la neige est sur nos montagnes . Ces fluxions ne diminuent qu’au printemps, mais à la fin le printemps perd de son influence, et l’hiver augmente la sienne. Sain ou malade, clairvoyant ou aveugle, j’aurai toujours, madame, un cœur qui sera à vous, soyez-en bien sûre. Je ne regarde la vie que comme un songe ; mais, de toutes les idées flatteuses qui peuvent nous bercer dans ce rêve d’un moment, comptez que l’idée de votre mérite, de votre belle imagination, et de la vérité de votre caractère, est ce qui fait sur moi le plus d’impression. J’aurai pour vous la plus respectueuse amitié jusqu’à l’instant où l’on s’endort véritablement pour n’avoir plus d’idées du tout.

Ne dites point, je vous prie, que je vous aie envoyé aucun imprimé. »

1 Quoique V* ait noté « A Mme du Deffand , mars 1765 » sur la copie, cette date ne peut être retenue ; elle a été écrite près de l'hiver et non fin du printemps . Elle prend place entre la lettre de Mme Du Deffand du 26 octobre ( avec mention de Mac Donald, etc.) et la lettre de V* à celle-ci du 20 novembre 1765 . La date exacte peut être établie par le premier paragraphe de la lettre du 7 novembre 1765 à la marquise de Florian : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/10/correspondance-annee-1765-partie-32.html

et voir : https://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/mortier14112009.pdf

2 Le président Hénault .

3 La Vérité sur la religion chrétienne prouvée par les faits, 1722 ; voir : https://data.bnf.fr/fr/10692411/claude_francois_houtteville/

et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6545451r.texteImage

5 Certains s'étonnent qu'une demi-douzaine de personnes aient eu le courage de soutenir leurs opinions religieuses face aux sarcasmes de V*.

6 Paragraphe rayé sur le manuscrit manque sur toutes les éditions ; il est pris sur la copie Wyart .

7 James Mac-Donald, baronnet, mort à Frescati en Italie le 26 juillet 1766, âgé d’environ vingt-quatre ans ; voir lettre du 16 octobre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/14/les-exceptions-rares-n-otent-rien-a-la-force-des-lois-generales.html

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28/02/2021 | Lien permanent

les livres ne font ni bien ni mal. Cinq ou six cents oisifs, parmi vingt millions d'hommes, les lisent et les oublient

...De nos jours , les livres ont en effet un pouvoir limité, au delà de 140 signes le lecteur (si j'ose le qualifier ainsi) décroche ; le buzz positif ou négatif se doit d'être répandu sur le monde virtuel ou de ne pas être .

Les proportions restent cependant les mêmes mais, cette fois,  avec 20 millions de lecteurs superficiels pour cinq ou six cents lecteurs attentifs . Avec quel résultat ? Bon, mauvais ? Aléatoire , je le pense .

 L'écrit sur papier finit au feu avant que d'être tout  lu, mais je suis quand même persuadé que le net produit encore plus de scories illisibles et inutiles ( éventuellement comme mon présent avis  !).

Et aux mauvais esprits qui disent qu'il ne faut pas lire, qu'un livre peut faire du mal, simplement en se basant sur la chute d'un volume de l'Encyclopédie sur leur gros orteil , je dirai que Voltaire, sans être passé par cette épreuve, pronait l'édition de petits livres peu chers capables de toucher la majorité du peuple .

 Plaisir infini ?

 bibliotheque-infini.jpg

« A Marie-Anne Fiquet du BOCCAGE

Aux Délices, 27 décembre [1758]

Il est vrai, madame, qu'un jour, en me promenant dans les tristes campagnes de Berne avec un illustrissime et excellentissime avoyer de la république 1, on avait aposté le graveur de cette république, qui me dessina 2. Mais, comme les armes de nos seigneurs sont un ours, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de me donner la figure de cet animal. Il me dessina ours, me grava ours. Comment ce beau chef-d'œuvre est-il tombé entre vos belles mains ? Pour vous, madame, quand on vous grave, c'est sur les Grâces, c'est sur Minerve qu'on prend modèle.

 

Dans ce charmant assemblage,

L'ignorant, le connaisseur,

L'ami, l'amant, l'amateur,

Reconnaissent du Boccage.

 Je suis très-touché de la mort de Formont 3, car je ne me suis point endurci le cœur entre les Alpes et le mont Jura.

Je l'aimais, tout paresseux qu'il était. Pour moi, j'achève le peu de jours qui me restent dans une retraite heureuse. Je rends le pain bénit dans mes paroisses je laboure mes champs avec la nouvelle charrue; je bâtis nel gusto italiano 4; je plante sans espérer de voir l'ombrage de mes arbres, et je n'ai trouvé de félicité que dans ce train de vie.

Je vous avoue que je trouve l'acharnement contre Helvétius aussi ridicule que celui avec lequel on poursuivit le Peuple de Dieu de ce Père Berruyer 5. Il n'y a qu'à ne rien dire; les livres ne font ni bien ni mal. Cinq ou six cents oisifs, parmi vingt millions d'hommes, les lisent et les oublient. Vanité des vanités, et tout n'est que vanité 6. Quand on a le sang un peu allumé, et qu'on est de loisir, on a la rage d'écrire. Quelques prêtres atrabilaires, quelques clercs, ont la rage de censurer. On se moque de tout cela dans la vieillesse, et on vit pour soi. J'avoue que les fatras de ce siècle sont bien lourds. Tout nous dit que le siècle de Louis XIV était un étrange siècle. Vous, madame, qui êtes l'honneur du nôtre, conservez vos bontés pour l'habitant des Alpes qui connaît tout votre mérite, et qui est au nombre des étrangers vos admirateurs. Mille amitiés, je vous en prie, à M. du Boccage.

Mes nièces et moi, nous baisons humblement les feuilles de vos lauriers. »

1 Cet avoyer de Berne, Steiger, avait envoyé à Voltaire les livres anglais dont il parle dans sa lettre du 2 novembre 1758 à de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/01/je-parle-un-peu-en-homme-qui-a-des-tours-et-des-machicoulis-5235452.html

; et c'est ce qu'il appelle les bavards anglais; voir lettre du 27 décembre 1758 à de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/26/comment-diable-peut-on-avoir-un-beau-frere-catechiste.html

 2 On ne connait pas cette gravure .

4 Dans le goût italien .

5 L'Histoire du peuple de Dieu, du jésuite Joseph Berruyer, 1728, en sept volumes lui attira bien des moqueries, notamment celles des auteurs du Dictionnaire néologique ; mais c'est la suite de cet ouvrage en huit volumes, 1758, qui valut à son auteur la condamnation de la Sorbonne et celle du pape, sans compter un mandement de Beaumont, archevêque de Paris . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac-Joseph_Berruyer

et : http://www.berruyer.fr/celebres/genealogie-3-3-isaac.html

et : http://books.google.fr/books?id=4GJAAAAAcAAJ&pg=RA1-PA203&lpg=RA1-PA203&dq=L%27Histoire+du+peuple+de+Dieu,+du+j%C3%A9suite+Joseph+Berruyer&source=bl&ots=zbxRX0HanJ&sig=Sp0uIeTGe3OxIkBDPKpNwidnMoY&hl=fr&sa=X&ei=Va3SUtudEfL40gWWooGYBA&ved=0CFUQ6AEwCA#v=onepage&q=L%27Histoire%20du%20peuple%20de%20Dieu%2C%20du%20j%C3%A9suite%20Joseph%20Berruyer&f=false

Voir aussi lettre du 30 avril 1756 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/03/les-hommes-sont-inconsequents-c-est-qu-ils-sont-injustes-ce.html

et du 3 mai 1756 à d'Argental :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/03/il-n-y-a-que-le-coeur-qui-soit-inepuisable-je-voudrais-bien.html

Dictionnaire néologique : 1727 , abbé Desfontaines: http://books.google.fr/books?id=ZLcUAAAAQAAJ&printsec...

et 1748 : abbé Desfontaines , Pierre-François Guyot et Louis Fuzelier : http://books.google.fr/books?id=zA4tAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

6 Ecclésiaste, I, 2.

 

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12/01/2014 | Lien permanent

Ces sentiments sont d'autant plus vrais qu'il daigne m'en faire part dans une lettre qui n'est point une lettre d'affair

... Ce qui, par ailleurs n'empêche nullement d'avoir aussi une tête bien faite . Est-ce le cas monsieur le président ?

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Indissociables en fait

 

 

« A [Jacob Favre ?]1

15è janvier 1764 à Ferney

Monsieur,

Je croirais manquer à mon devoir, et à mon attachement pour vous et pour le Conseil, si je ne vous instruisais pas que j'ai reçu une lettre de la main de M. le duc de Choiseul 2, dans laquelle il veut bien me communiquer combien il a été content de M. de Crommelin, et à quel point il est satisfait des officiers du pays de Genève, qui sont excellents et qui servent le roi très bien 3. Ce sont ses propres paroles . Il s'exprime sur messieurs du Conseil de Genève en termes remplis de sensibilité et d'envie de leur plaire . Ces sentiments sont d'autant plus vrais qu'il daigne m'en faire part dans une lettre qui n'est point une lettre d'affaires ; il parait que c'est son cœur qui parle, et c'est ce qui m'autorise à vous prier, monsieur, d'en dire un mot au Conseil, déjà assez instruit des démarches de M. le duc de Choiseul .

Vous savez sans doute que M. le cardinal de Bernis a salué le roi à Versailles le 9 de ce mois .

Voulez-vous bien, monsieur, présenter mon respect à monsieur le premier syndic 4, et être persuadé de celui avec lequel j'ai l'honneur d'être

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

 

1L'édition Tronchin donne cette lettre comme adressée à François Tronchin . V* venait d'adresser une série de lettres sur ce sujet à Jacob Favre, premier syndic en 1763, et il semble donc logique de le désigner comme le destinataire de la présente .

2 Lettre qui n'est pas connue .

3 Le duc est colonel général du régiment suisse .

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20/01/2019 | Lien permanent

Courage, le royaume de Dieu n'est pas loin ; les esprits s'éclairent d'un bout de l'Europe à l'autre

... Si au moins c'était vrai !

Hélas, avec ou sans Dieu, l'extême- droite espagnole progresse, d'une manière inquiétante pour ceux qui ont encore pour deux sous de jugeotte . Esprits éclairés ? vous êtes plutôt aveuglés .

A qui le tour maintenant ?

https://www.lefigaro.fr/international/en-espagne-l-extreme-droite-s-affirme-dans-le-jeu-politique-20191111

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

24è septembre 1764

Vous savez je crois , mon cher frère, ce que c'est que ce Dictionnaire philosophique que des malavisés m'ont imputé si injustement . C’est un ouvrage qui me parait bien fort . Je l'ai fait acheter à Genève, il n'y en avait alors que deux exemplaires . Le consistoire des prêtres pédants sociniens l'a déféré aux magistrats . Alors les libraires en ont fait venir beaucoup . Les magistrats l'ont lu avec édification, et les prêtres ont été tout étonné de voir que ce qui eût été brûlé il y a trente ans est aujourd'hui très bien reçu de tout le monde . Il me paraît qu'on est beaucoup plus avancé à Genève qu'à Paris . Votre parlement n’est pas encore philosophe . Je voudrais bien avoir des factums des capucins . Mais pourquoi faut-il qu'il y ait des capucins ? Courage, le royaume de Dieu n'est pas loin ; les esprits s'éclairent d'un bout de l'Europe à l'autre . Quel dommage encore une fois, que ceux qui pensent de la même manière ne soient pas tous frères ! Que ne suis-je à Paris ! Que ne puis-je rassembler le saint troupeau ! Que ne puis-je mourir dans les bras des véritables frères ! Interim écr l'inf. »

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12/11/2019 | Lien permanent

Mais ne faut-il pas que l’amour du bien public marche le premier ?





« A Frédéric, prince héritier de Prusse

A Cirey, le 20 mai [1738]

Monseigneur,

Vos jours de poste sont comme les jours de Titus ; vous pleureriez si vos lettres n’étaient pas des bienfaits. Vos deux dernières, du 31 mars et 19 avril, dont Votre Altesse royale m’honore, sont de nouveaux liens qui m’attachent à elle ; et il faut bien que chacune de mes réponses soit un nouveau serment de fidélité que mon âme, votre sujette, fait à votre âme, sa souveraine.

La première chose dont je me sens forcé de parler, est la manière dont vous pensez sur Machiavel.[le 31 mars Frédéric a écrit : « Votre histoire du Siècle de Louis m’enchante. Je voudrais seulement que vous n’eussiez point rangé Machiavel, qui était un malhonnête homme, au rang des autres grands hommes de son temps… » V* sera chargé de publier l ‘Anti-Machiavel de Frédéric.] Comment ne seriez-vous point ému de cette colère  vertueuse où vous êtes presque contre moi, de ce que j’ai loué le style d’un méchant homme ? C’était aux Borgia, père et fils, et à tous ces petits princes qui avaient besoin de crimes pour s’élever, à étudier cette politique infernale ; il est d’un prince tel que vous de la détester. Cet art qu’on doit mettre à côté de celui des Locuste [empoisonneuse du temps de Claude et de Néron] et des Brinvilliers, a pu donner à quelques tyrans une puissance passagère, comme le poison peut provoquer un héritage ; mais il n’a jamais fait ni de grands hommes, ni des hommes heureux : cela est bien certain. A quoi peut-on donc parvenir par cette politique affreuse ? Au malheur des autres et au sien même. Voilà les vérités qui sont le catéchisme de votre belle âme.

Je suis si pénétré de ces sentiment, qui sont vos idées innées,[cf. les théories cartésiennes] et dont le bonheur des hommes doit être le fruit, que j’oubliais presque de rendre grâce à Votre Altesse Royale de la bonté qu’elle a de s’intéresser à mes maux particuliers. Mais ne faut-il pas que l’amour du bien public marche le premier ? Vous joignez donc, Monseigneur, à tant de bienfaits, celui de daigner consulter pour moi des médecins. Je ne sais qu’une seule chose, aussi singulière que cette bonté, c’est que les médecins vous ont dit vrai. Il y a longtemps que je suis persuadé que ma maladie, s’il est permis de comparer le mal avec le bien, est, tout comme mon attachement à votre personne, une affaire pour la vie.

Les consolations que je goûte dans ma délicieuse retraite et dans l’honneur de vos lettres sont assez fortes pour me faire supporter des douleurs encore plus grandes. Je souffre très patiemment ; et quoique les douleurs soient quelquefois longues et aiguës, je suis très éloigné de me croire malheureux. Ce n’est pas que je sois stoïcien, au contraire, c’est parce que je suis très épicurien, parce que je crois la douleur un mal et le plaisir un bien, et que tout bien compté et bien pesé, je trouve infiniment plus de douceurs que d’amertumes dans cette vie.

Dans ce petit chapitre de morale je volerai sur vos pas, si Votre Altesse Royale le permet, dans l’abîme de la métaphysique. Un esprit aussi juste que le vôtre ne pouvait assurément regarder la question de la liberté comme une chose démontrée. Ce goût que vous avez pour l’ordre et l’enchaînement des idées vous a représenté  fortement Dieu comme maître unique et infini de tout ; et cette idée, quand elle est regardée seule, sans aucun retour sur nous -mêmes, semble être un principe fondamental d’où découle une fatalité inévitable dans toutes les opérations de la nature. Mais aussi une autre manière de raisonner semble encore donner à Dieu plus de puissance, et en faire un être, si j’ose le dire, plus digne dans nos adorations : c’est de lui attribuer le pouvoir de faire des êtres libres. La première méthode semble en faire le Dieu des machines, et la seconde le Dieu des êtres pensants. Or ces deux méthodes ont chacune leur force et leur faiblesse. Vous les pesez dans la balance du sage ; et malgré le terrible poids que les Leibnitz et les Wolf mettent dans cette balance, vous prenez encore ce mot de Montaigne : que sais-je ? pour votre devise.

Je vois plus que jamais, par le mémoire sur le czarovitz, [en janvier, V* a demandé pour sa future Histoire de la Russie sous Pierre le Grand des renseignements sur la vie de « l’impératrice Marthe appelée depuis Catherine », sur les mœurs et genre de mort du tsarévitch] que Votre Altesse Royale daigne m’envoyer, que l’histoire a son pyrrhonisme aussi bien que la métaphysique. J’ai eu soin dans celle de Louis XIV, de ne pas percer plus qu’il ne faut dans l’intérieur du cabinet. Je regarde les grands évènements de ce règne comme de beaux phénomènes dont je rends compte, sans remonter au premier principe. La cause première n’est guère faite pour le physicien, et les premiers ressorts des intrigues ne sont guère faits pour l’historien. Peindre les mœurs des hommes, faire l’histoire de l’esprit humain dans ce beau siècle, et surtout l’histoire des arts, voilà mon seul objet. Je suis bien sûr de dire la vérité quand je parlerai de Descartes, de Corneille, du Poussin, de Girardon, de tant d’établissements utiles aux hommes ; je serais sûr de mentir si je voulais rendre compte des conversations de Louis XIV et de Mme de Maintenon.

Si vous daignez m’encourager dans cette carrière, je m’y enfoncerai plus avant que jamais ; mais en attendant je donnerai le reste de cette année à la physique, et surtout la physique expérimentale. J’apprends, par toutes les nouvelles publiques, qu’on débite mes Eléments de Newton, mais je ne les ai point encore vus ; il est plaisant que l’auteur et que la personne à qui ils sont dédiés [Mme du Châtelet] soient les seuls qui n’aient point l’ouvrage. Les libraires de Hollande se sont précipités, sans me consulter, sans attendre les changements que je préparais ;[cf. lettre à Thiriot du 20 juin 1737 et Pitot du 1er mai 1738] ils ne m’ont ni envoyé le livre, ni averti qu’ils le débitaient. C’est ce qui fait que je ne peux avoir moi-même l’honneur de l’adresser à Votre Altesse Royale ; mais on en fait une nouvelle édition plus correcte [Prault, à Paris, prétendue de Londres avec « permission tacite »] que j’aurai l’honneur de lui envoyer.

Il me semble, Monseigneur, que ce petit commercium embrasse tous les arts. J’ai eu l’honneur de vous parler de morale, de métaphysique, d’histoire, de physique ; je serais bien ingrat si j’oubliais les vers. Et comment oublier les derniers que Votre Altesse Royale vient de m’envoyer ? Il est bien étrange que vous puissiez écrire avec tant de facilité dans une langue étrangère. Des vers français sont très difficiles à faire en France, et vous composez à Remusberg [Rheinsberg] comme si Chaulieu, Chapelle, Gresset, avaient l’honneur de souper avec Votre Altesse Royale. »
[lettre incomplète]

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20/05/2010 | Lien permanent

N.B. – Il n'y a que moi dans le monde qui joue bien les pères

... Si tu le dis , ami Voltaire !

 

Mis en ligne le 8/8/2017 pour le 1er octobre 2015

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

1er octobre [1760] 1

Charmante madame Scaliger, la lettre , le savant commentaire du 24 redoublent ma vénération . M. le duc de Villars s’habille pour jouer à huis clos Gengis Kan . La Denis se requinque ; deux grands acteurs par parenthèse . On rajuste mon bonnet, et je saisis ce temps pour vous remercier, pour vous dire la centième partie de ce que je voudrais dire . Je suis devenu un peu sourd mais ce n'est pas à vos remarques, ce n'est pas à vos bontés .

Je ne haïrais pas : Vivez heureuse – allons – mon bonheur

[ est la mort,

ou : allons, cieux, donnez-moi la mort 2.

On pourrait dire, voilà ce qu'elle écrit aux brigands d'Arabie, mais j'aime mieux aux tentes d'Arabie 3. Où en serait la poésie si on n'usait pas de cette catachrèse madame Scaliger , si on ne disait pas les pavillons de France pour les pavillons des Français ? Non seulement c'est une figure très permise mais très usitée .

Pourquoi vous empresser

De repaître vos yeux du sang qu'on va verser

est en effet dur et faux, dur à cause du repaître, faux à cause d'empresser . Je vous remercie bien de cette bonne 4.

Mettons :

Qui peut vous retenir et pourquoi vous forcer

A repaître vos yeux du sang qu'on va verser 5 .

Alors repaître non seulement peut passer, mais il est à sa place, car l'odieux retombe sur ceux qui forceraient Argire à être le témoin du supplice de sa fille . Orbassan ne sait pas que le père est resté là pour écouter les consolations et les promesses de Tancrède .

De vos chevaliers peut signifier qui veut être des vôtres, mais j'aimerais mieux :

Noble Argire excusez un de ces chevaliers

Qui contre le croissant déployant leur bannière,

Dans des combats si saints vont cueillir des lauriers dignes

Vous voyez le moins grand de ces fameux guerriers ,

je venais – pardonnez , dans l'état où vous êtes

je mêle

Si j'ajoute à vos pleurs mes larmes indiscrètes 6.

Vous remarquerez que Tancrède, ayant dit à ses écuyers et au bonhomme qu'il vient combattre les Arabes il est très en droit de dire ensuite à Orbassan :

C'est celui qui m'amène et celui que je veux .

Mais comme vous l'avez très bien remarqué, il ne faut pas qu'il dise d'abord je viens pour elle seule, mais je viens enfin pour elle .

Voilà à peu près tous les ordres de ma souveraine exécutés en courant, toutes les judicieuses critiques scaligériennes ont trouvé un V docile, un V reconnaissant, un V prompt à se corriger ; et quelquefois un V opiniâtre qui discute comme un pédant, et qui encore vous supplie à genoux d'accepter ses changements, de faire ôter ce détestable car tu m'as déjà dit que cet audacieux 7, et il vous conjure plus que jamais d'ajouter au pathétique du tableau de Clairon au 5, ce morceau plus pathétique encore :

Arrêtez vous n'êtes point mon père .

Vous avez sans doute ce morceau de Lorédan :

Cette âme qu'enflammait un courage intrépide

Semble encore s'arrêter pour voir Aménaïde,

Il la nomme, et les pleurs coulent de tous le yeux

Et d'un cruel remords je ne puis me défendre .

AMÉNAÏDE : Courant à travers des chevaliers :

Barbare – laisse là ton remords odieux .

Tancrède cher amant etc.8

Il me semble que grâce à vos bontés tout est à présent assez arrondi, malgré la multitude de tant d'idées étrangères à Tancrède qui me lutinent depuis un mois .

Mme Denis partage toute ma reconnaissance . Divins anges veillez sur moi . Je vous adore du culte de dulie et de latrie 9.

N.B. – Il n'y a que moi dans le monde qui joue bien les pères . »

1 L'édition de Kehl supprime les passages relatifs aux corrections : Je ne haîrais pas […] Tancrède cher amant etc , et le N.B. .

2 Tancrède , IV, 4 ; le texte est : Vivez heureuse … et moi, je vais chercher la mort .

3 Voir lettre d'octobre - novembre 1760 aux d'Argental :

4 En allant à la page suivante, V* a oublié un mot , peut-être remarque ?.

5 Tancrède , III, 5 ; le couplet a été profondément remanié, et repaître a disparu .

6 Tancrède , III, 4 .

7 V* a déjà discuté de ce passage dans la lettre à Lekain du 24 septembre 1760 :

8 Tancrède, ibid .

9 Sur le culte de latrie, « dulie = culte de respect et d'honneur, par opposition au culte de latrie, qu'on rend à Dieu seul. », dulie qui donne « aduler » et latrie qui donne « idolâtrie ».

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01/10/2015 | Lien permanent

Est-ce l'infâme amour-propre dont on ne se défait jamais bien ?

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L'AMOUR%20PROPRE.jpg

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« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental

 

A Ferney par Genève 6 avril {1759]

 

Mon divin ange, je ne sais par où commencer pour vous répondre sur tous les articles de votre lettre et sur toutes vos bontés . Je cède d'abord aux mouvements du plus noble zèle en apprenant que les blancs-poudrés et les talons rouges ne se mêleront plus avec les Auguste et les Cléopâtre 1. Si cela est, le théâtre de Paris va changer de face . Les tragédies ne seront plus des conversations au bout desquelles on apprendra pour la bienséance tragique qu'il y a eu un peu de sang répandu . On voudra de la pompe, du spectacle, du fracas . J'ai toujours insisté sur ce point trop négligé parmi nous, et puisque enfin on met la réforme dans nos troupes je sens que je pourrai encore servir, non pour aucun ministre, mais pour mes anges ; et si M. le duc de Choiseul est un des anges, il prendra part de ma dernière campagne . Les Fanime sont un peu à l'eau de rose : vous aurez quelque chose de plus fort 2. Mais il faut du secret et du temps 3. Je vous avoue qu'il ne serait pas mal de consoler et d'encourager ma languissante vieillesse en faisant jouer Rome sauvée et Oreste . Est-ce l'infâme amour-propre dont on ne se défait jamais bien ? Est-ce confiance en quelques pédants étrangers, amateurs passionnés de ces deux drames, qui me fait désirer de les voir reparaitre ? Vous savez que votre inconstante ville de Paris m'a tantôt honni tantôt flatté, qu'il y a des temps malheureux, des temps heureux, et peut-être voici le bon temps .

 

 

A vous seul ce qui suit

 

Il y a deux mois que ce fripon de roi de Prusse m'écrit tous les huit jours . Il veut absolument que j'imprime cette ode pour sa sœur que j'aimais véritablement et qu'il fait semblant de regretter . A la bonne heure . Je l'imprimerai et même avec un peu de prose et remarquez que ni dans les vers ni dans la prose ce fripon de héros n'est point loué du tout . Remarquez encore que le tout sera daté du 18 février 4. Ce dix-huit février est très important . Et pourquoi ? Me direz-vous . C'est à cause du 22 mars . Et que fait ce 22 mars ? C'est que le 22 mars le résident de France était chez moi 5. Motus . Chut . Il arrive un gros paquet de Frédéric . Chacun est empressé, chacun ouvre les yeux . Il était très visible que le paquet avait été ouvert sur la route et recacheté, il  venait de Breslau . Il contenait une lettre tendre par laquelle il m'offrait toujours cette clef qui n'ouvre rien, ce cordon qui sied si mal à un homme de lettres 6, vingt mille francs de pension dont je n'ai que faire, et son amitié dont je suis désabusé . Il aurait mieux fait de réparer à l'image de la margrave les indignes outrages faits à ma nièce 7 plus déshonorants pour lui que sensibles pour elle . Après cette lettre venait l'oraison funèbre d'un maître cordonnier 8 dans laquelle il se moque assez plaisamment de quelques rois ses confrères, puis une grande épître en vers dignes d'un bel esprit de café, puis une ode au prince Henri, et enfin une autre ode au prince Ferdinand de Brunswik, intitulée La Fuite des Français . Jusque là tout va bien . Il a raison de se moquer de nous . Mais il y a deux strophes contre le roi, et contre les siens, mais deux strophes terribles, qui respirent la plus violente haine, le plus cruel mépris, les plus sensibles outrages 9. Nous restons confondus ma nièce, le résident et moi . Malheureusement ces deux strophes sont ce qu'il a fait de moins mauvais en sa vie ; on sait que mon métier a été de corriger ses œuvres ; on craint qu'on ne m'impute d'avoir mis une virgule à cet écrit . Le roi de Prusse donne toujours trois ou quatre copies de ce qu'il fait . Le résident qui est sûr que le paquet a été décacheté n'hésite pas, il conclut avec ma nièce et avec moi qu'il faut l'envoyer à M. le duc de Choiseul avec la lettre de Frédéric le grand et le fou, et avec la réponse que je lui fais, réponse par laquelle je lui déclare que je n’accepte aucune de ses faveurs ; le résident envoie le tout .

 

Voila, mon très cher ange, à quel point nous en sommes . J'ai écrit de mon côté à M. le duc de Choiseul 10, car je mourais de peur d'avoir reçu le paquet . Comment donner dans ces circonstances l'éloge de la sœur quand je suis sûr qu'on déteste le frère et qu'on a raison de le détester ? Souvenez-vous donc des dates du 18 février, et du 22 mars afin que je ne sois pas pendu comme Pangloss . Les vers contre le roi, contre ce qu'il aime, contre la nation sont si offensants, si humiliants que M. le duc de Choiseul ne les aura pas montrés . Mais il aura sans doute averti le roi des sentiments du marquis de Brandebourg, et peut-être même de mes refus . Ce dernier point me plairait beaucoup et me pourrait même servir un jour, si je vais faire un tour à Paris à quatre-vingts ans. 11»

 

 

1 Les petits-maîtres ne seront plus admis sur la scène de la Comédie Française, ceci à partir du 13 avril 1759, le comte de Lauraguais ayant offer tune grosse somme pour dédommager les Comédiens . Le Comte, incité par ses amis Lekain, sociétaire actif de la Comédie Française, et Voltaire, loue les sièges et banquettes placés sur le plateau. Ensuite, il les fait démonter, ce qui permet les grands décors en perspective des tragédies et l’ameublement des comédies de plus en plus réalistes .

2 Tancrède . V* a pensé à utiliser l'espace libéré sur scène : « ... que je fus aise quand j'appris que le théâtre était purgé de blsncs-poudrés, coiffés au rhinocéros et à l'oiseau royal ! Je riais aux anges en tapissant la scène de boucliers et de gonfanons » écrira-t-il à la comtesse d'Argental le 18 juin : page 260 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f265.image.r=tome+37.langFR

et lettre du 19 mai : page 248 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f253.image.r=tome+37.langFR

3 Il dira que sa pièce, malgré ses 66 ans, a été écrite en trois semaines comme autrefois Zaïre ; voir lettre du 19 mai .

4 V* a envoyé son Ode sur la perte que l'Allemagne a faite de Son Altesse Royale Mme la margrave de Bareith au margrave avec un billet daté du 17 février 1759 ; voir page 218, lettre à Frédéric-Guillaume : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f223.image.r=.langFR

Frédéric lui avait demandé de la composer le 23 janvier .

Voir page 208 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f213.image.r=tome+37.langFR

5 Dans ses Mémoires, V* dira qu'il a appelé le résident , M. de Montpéroux . Sur le manuscrit, 22 semble ajouté après coup .

6 La clef de chambellan et le cordon de l'Ordre du mérite prussien . On ne trouve pas ces offres précises dans les lettres de Frédéric ; on y verrait peut-être une réponse à une demande de V*.

7 Allusion renouvelée aux avanies de Francfort, où elle avait été « trainée dans le ruisseau » jusqu'à la prison ... en 1753 ; voir lettres du 20 juin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/21/nous-avons-douze-soldats-aux-portes-de-nos-chambres.html

et 8 juillet 1753 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/08/b69f85f3f4bb3d0eb001b2c5347a626a.html

8 Deux lettres du roi sont amalgamées ici, celle à laquelle répond V* le 22 mars (voir lettre ci-dessus) et celle du 2 mars (de Breslau) à laquelle il répond le 27 et qui contient les fameux vers : page 223 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f228.image.r=.langFR

9 Extrait de ces strophes , citées dans ses Mémoires par V* : « Je vois leur vil assemblage / Aussi vaillant au pillage / Que lâche dans les combats / ... Quoi votre faible monarque , / Jouet de La Pomadour , / Flétri par plus d'une marque / Des opprobres de l'amour ... / Au hasard remêt les rênes / De son empire aux abois / ... ».

10 Ministre des Affaires étrangères de puis 1758 ; V* a pour habitude d'écrire : Choiseuil .

11 Cela va lui permettre surtout d'obtenir de Choiseul le brevet des droits seigneuriaux sur Ferney .

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06/04/2011 | Lien permanent

c’est un créateur, c’est un homme qui a débrouillé le chaos, et ce n’est qu’à de tels génies qu’appartient la gloire, le

... bonne ou mauvaise .

Il va falloir être encore bien patient pour reconnaître la "gloire" méritée d'un homme/une femme en notre XXIè siècle débutant .

Le chaos est là, il ne manque pas de bras pour le faire croître, des guignols-candidats aux plus hautes fonctions administratives et/ou législatives jusqu'à ceux qui les écoutent, et pire, les adulent .

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Chaos technique ! KO ideologique !

 

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov

A Ferney 30 juin 1761

Monsieur, en attendant que je puisse arranger le terrible événement de la mort du czarovits 1 qui m’arrête, et que j’achève les autres chapitres du second volume, j’ai entrepris un autre ouvrage qui ne dérobera point mon temps, et qui me laissera toujours prêt à vous servir sur-le-champ : c’est une édition des tragédies de Pierre Corneille, avec des remarques sur la langue et sur le goût, lesquelles seront d’autant plus utiles aux étrangers et aux Français mêmes, qu’elles seront revues par l’Académie française, qui préside à cette entreprise. Ce Corneille est parmi nous, dans la littérature, ce que Pierre-le-Grand est chez vous en tout genre ; c’est un créateur, c’est un homme qui a débrouillé le chaos, et ce n’est qu’à de tels génies qu’appartient la gloire, les autres n’ont que de la réputation.

Le produit de cette édition, qui sera magnifique, est pour les descendants de Pierre Corneille, famille noble tombée dans la pauvreté. J’ai le plaisir de servir à la fois ma patrie et le sang d’un grand homme. L’édition, ornée des plus belles gravures, se fait par souscription, et on ne paie rien d’avance. Elle coûtera environ quatre ducats l’exemplaire. Plusieurs  princes donnent leur nom. Il serait bien honorable pour nous, et bien digne de votre magnificence, que le nom de Sa Majesté l’Impératrice parût à la tête. Pour le vôtre, monsieur, et pour ceux de quelques-uns de vos compatriotes touchés de vos exemples, j’ose y compter. Nous imprimons la liste des souscripteurs ; je serais bien découragé, si je n’obtenais pas ce que je demande. Chacun souscrit pour plusieurs exemplaires .2

Cette édition de Corneille, avec des estampes, me fait penser qu’il serait beau d’orner de gravures chaque chapitre de l’Histoire de Pierre-le-Grand 3; ce serait un monument digne de vous. Le premier chapitre aurait une estampe qui représenterait des nations différentes aux pieds du législateur du Nord.

La victoire de Lesna, celle de Pultava, une bataille navale ; les voyages du héros, les arts qu’il appelle dans son pays, les triomphes dans Moscou et dans Pétersbourg ; enfin chaque chapitre serait un sujet heureux, et vous auriez érigé, monsieur, le plus beau monument dont l’imprimerie pût jamais se vanter. Je soumets cette idée à vos lumières et à votre attachement pour la mémoire de Pierre-le-Grand, à votre esprit patriotique que vous m’avez communiqué. Disposez de moi tant que je serai en vie. Les étincelles de votre beau feu vont jusqu’à moi.

Que votre excellence agrée les respects et le tendre attachement de Voltaire . »

1 V* consacra la totalité du chapître X, livre II, à la condamnation d'Alexis Petroitch ; il suivit en général les idées suggérées par Schouvalov dans ses lettres .

2 Cette phrase est ajoutée entre les lignes .

3 Cette suggestion ne fut pas retenue .

 

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06/06/2016 | Lien permanent

vous m'avouerez qu'il n'est pas plaisant de montrer à l'Europe qu'on a besoin de précepteurs

... Ah Covid , à quoi nous as-tu condamnés ?

 

 

« A Jacob Tronchin

27 décembre 1765

Il me vient une idée, monsieur, je vous la soumets ainsi qu'à vos amis . L’amour du bien public peut inspirer des sottises comme il peut aussi faire bien rencontrer . Si mon idée est mauvaise moquez-vous-en ; la voici .

Si la médiation vient pour la seconde fois en attendant une troisième, vous m'avouerez qu'il n'est pas plaisant de montrer à l'Europe qu'on a besoin de précepteurs .

La grande question qu'on agitera sera celle de l'effet des représentations . Il peut arriver que les médiateurs soient frappés de la raison qu'apportent les citoyens . Faudra-t-il, disent-ils, que nos remontrances soient toujours sans effet, que nous servirait un droit qu'on pourrait toujours rendre inutile, etc. ?

Si donc le Conseil voulait spécifier quelques cas où ce droit aurait toute sa plénitude, ne serait-ce pas un moyen de ramener le peuple ?

Je suppose qu'on accorde que, quand la majorité des citoyens viendra se plaindre de l'infraction d'une loi reconnue, le Conseil portera la requête des Deux Cents et si la majorité des Deux Cents trouve la plainte fondée, elle sera portée au Conseil général . Il me semble qu'alors le Conseil ne perd rien de sa dignité ni de son autorité, le peuple est très content, et la confiance doit renaître 1.

Je ne parle point des autres articles ; je suis persuadé qu'on les arrangera sans peine . Si on voulait donner parole qu'on ne refusera pas la proposition que je vous fais, peut-être je serais à portée de la faire accepter avec une respectueuse reconnaissance par les principaux citoyens, peut-être j'aurais des moyens de les porter à y consentir . »

1 Voici la réponse du Conseil, du 28 décembre : « L'avis a été que le dit noble Tronchin doit aller à Ferney ; et répondre de bouche au sieur de Voltaire que le Conseil persiste et persistera toujours à soutenir le règlement de la médiation que cette proposition renverserait en un point essentiel, et qu'il ne veut ni ne peut en aucune façon transiger sur l'institution dont le dépôt est confié à ses soins . »

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18/04/2021 | Lien permanent

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