12/01/2014
les livres ne font ni bien ni mal. Cinq ou six cents oisifs, parmi vingt millions d'hommes, les lisent et les oublient
...De nos jours , les livres ont en effet un pouvoir limité, au delà de 140 signes le lecteur (si j'ose le qualifier ainsi) décroche ; le buzz positif ou négatif se doit d'être répandu sur le monde virtuel ou de ne pas être .
Les proportions restent cependant les mêmes mais, cette fois, avec 20 millions de lecteurs superficiels pour cinq ou six cents lecteurs attentifs . Avec quel résultat ? Bon, mauvais ? Aléatoire , je le pense .
L'écrit sur papier finit au feu avant que d'être tout lu, mais je suis quand même persuadé que le net produit encore plus de scories illisibles et inutiles ( éventuellement comme mon présent avis !).
Et aux mauvais esprits qui disent qu'il ne faut pas lire, qu'un livre peut faire du mal, simplement en se basant sur la chute d'un volume de l'Encyclopédie sur leur gros orteil , je dirai que Voltaire, sans être passé par cette épreuve, pronait l'édition de petits livres peu chers capables de toucher la majorité du peuple .
Plaisir infini ?
« A Marie-Anne Fiquet du BOCCAGE
Aux Délices, 27 décembre [1758]
Il est vrai, madame, qu'un jour, en me promenant dans les tristes campagnes de Berne avec un illustrissime et excellentissime avoyer de la république 1, on avait aposté le graveur de cette république, qui me dessina 2. Mais, comme les armes de nos seigneurs sont un ours, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de me donner la figure de cet animal. Il me dessina ours, me grava ours. Comment ce beau chef-d'œuvre est-il tombé entre vos belles mains ? Pour vous, madame, quand on vous grave, c'est sur les Grâces, c'est sur Minerve qu'on prend modèle.
Dans ce charmant assemblage,
L'ignorant, le connaisseur,
L'ami, l'amant, l'amateur,
Reconnaissent du Boccage.
Je suis très-touché de la mort de Formont 3, car je ne me suis point endurci le cœur entre les Alpes et le mont Jura.
Je l'aimais, tout paresseux qu'il était. Pour moi, j'achève le peu de jours qui me restent dans une retraite heureuse. Je rends le pain bénit dans mes paroisses je laboure mes champs avec la nouvelle charrue; je bâtis nel gusto italiano 4; je plante sans espérer de voir l'ombrage de mes arbres, et je n'ai trouvé de félicité que dans ce train de vie.
Je vous avoue que je trouve l'acharnement contre Helvétius aussi ridicule que celui avec lequel on poursuivit le Peuple de Dieu de ce Père Berruyer 5. Il n'y a qu'à ne rien dire; les livres ne font ni bien ni mal. Cinq ou six cents oisifs, parmi vingt millions d'hommes, les lisent et les oublient. Vanité des vanités, et tout n'est que vanité 6. Quand on a le sang un peu allumé, et qu'on est de loisir, on a la rage d'écrire. Quelques prêtres atrabilaires, quelques clercs, ont la rage de censurer. On se moque de tout cela dans la vieillesse, et on vit pour soi. J'avoue que les fatras de ce siècle sont bien lourds. Tout nous dit que le siècle de Louis XIV était un étrange siècle. Vous, madame, qui êtes l'honneur du nôtre, conservez vos bontés pour l'habitant des Alpes qui connaît tout votre mérite, et qui est au nombre des étrangers vos admirateurs. Mille amitiés, je vous en prie, à M. du Boccage.
Mes nièces et moi, nous baisons humblement les feuilles de vos lauriers. »
1 Cet avoyer de Berne, Steiger, avait envoyé à Voltaire les livres anglais dont il parle dans sa lettre du 2 novembre 1758 à de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/01/je-parle-un-peu-en-homme-qui-a-des-tours-et-des-machicoulis-5235452.html
; et c'est ce qu'il appelle les bavards anglais; voir lettre du 27 décembre 1758 à de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/26/comment-diable-peut-on-avoir-un-beau-frere-catechiste.html
2 On ne connait pas cette gravure .
3 En novembre 1758 : voir page 268 : http://books.google.fr/books?id=n7dBAAAAcAAJ&pg=PA268&lpg=PA268&dq=Jean-Baptiste-Nicolas+Formont&source=bl&ots=XEletW08u1&sig=KGQLhEtzfIvs2iAW8ZM90wq51fk&hl=fr&sa=X&ei=2rXSUvCdE4Wl0QWis4HQAw&ved=0CDgQ6AEwAQ#v=onepage&q=Jean-Baptiste-Nicolas%20Formont&f=false
V* lui a encore écrit le 3 octobre 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/11/allez-vous-faire-f-avec-votre-paris-je-ne-l-aime-point-je-ne.html
5 L'Histoire du peuple de Dieu, du jésuite Joseph Berruyer, 1728, en sept volumes lui attira bien des moqueries, notamment celles des auteurs du Dictionnaire néologique ; mais c'est la suite de cet ouvrage en huit volumes, 1758, qui valut à son auteur la condamnation de la Sorbonne et celle du pape, sans compter un mandement de Beaumont, archevêque de Paris . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac-Joseph_Berruyer
et : http://www.berruyer.fr/celebres/genealogie-3-3-isaac.html
Voir aussi lettre du 30 avril 1756 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/03/les-hommes-sont-inconsequents-c-est-qu-ils-sont-injustes-ce.html
et du 3 mai 1756 à d'Argental :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/03/il-n-y-a-que-le-coeur-qui-soit-inepuisable-je-voudrais-bien.html
Dictionnaire néologique : 1727 , abbé Desfontaines: http://books.google.fr/books?id=ZLcUAAAAQAAJ&printsec...
et 1748 : abbé Desfontaines , Pierre-François Guyot et Louis Fuzelier : http://books.google.fr/books?id=zA4tAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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