07/11/2010
5 novembre 1764 - 7 novembre 2010 : Post scriptum
Pour faire suite à la lettre du 5 novembre 1764, de Voltaire à la Comtesse d'Argental, parue le 7 novembre 2010, voici quelques liens ...
AMITIÉ
http://www.youtube.com/watch?v=t7AT31EtZZw
page 13 :
AMOUR
http://www.youtube.com/watch?v=bc2Rsd7n7JM
page 14 :
ANTHROPOPHAGES
http://www.youtube.com/watch?v=vkTdQGsb580
page 22 :
CARACTÈRES
http://www.youtube.com/watch?v=S_FRkMqE-Mw&feature=player_embedded
page 51 :
et
http://www.monsieurdevoltaire.com/article-33605204.html
LA CHINE
http://www.youtube.com/watch?v=9Yu9Ds8DQV4&feature=related
page 70 :
FRAUDE
http://www.youtube.com/watch?v=21f4U3Q7c0o
http://www.youtube.com/watch?v=rjAj2NuF4Dw&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=afyw-ezvixQ&feature=related
page 159 :
GLOIRE
http://www.youtube.com/watch?v=zmCEjoSnfWA
page 164 :
GUERRE
http://www.youtube.com/watch?v=d_CMxW3_bkk
page 165 :
LOIS
http://www.youtube.com/watch?v=_xQMdfIk2X0
lois http://www.youtube.com/watch?v=46YJdSn-Utc
loi http://www.youtube.com/watch?v=fiMGPPVtx9Y&feature=re...
page 197 :
LUXE
http://www.youtube.com/watch?v=mATwZKhw1rw
page 205 :
VERTU
http://www.youtube.com/watch?v=AyE_ZLSFVdY
page 271 :
et
http://www.monsieurdevoltaire.com/article-poeme-sur-la-vraie-vertu-54413744.html
CHAINE DES ÉVÈNEMENTS
page 55 :
17:55 | Lien permanent | Commentaires (0)
toutes ces misères ne troublent pas plus mon repos que la lecture de l'Alcoran ou celle des Pères de l'Église
« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
[vers le] 5 novembre 1764 aux Délices
Madame l'ange est suppliée d'être l'arbitre entre M. de Foncemagne et moi [i] ; si elle me condamne je me tiens pour très bien condamné [ii]. Je sais bien que j'ai affaire à forte partie, car c'est plutôt contre Mme la duchesse d'Aiguillon et M. le maréchal de Richelieu que contre M. de Foncemagne que je plaide [iii]. Il me semble que le procès est assez curieux.
Quant au portatif je ne plaide point et je décline toute juridiction. Il est très avéré que cet ouvrage (horriblement imprimé , quoiqu'il ne l'ait pas été chez les Cramer ) est fait depuis plusieurs années [iv], ce qui est très aisé à voir, puisque à l'article Chaîne des évènements, page 70, il est parlé de soixante mille Russes en Poméranie.
Il n'est pas moins certain que la plupart des articles étaient destinés à l'Encyclopédie, par quelques gens de lettres, dont les originaux sont encore entre les mains de Briasson. S'il y a quelques articles de moi, comme Amitié, Amour, Anthropophages, Caractères, la Chine, Fraude, Gloire, Guerre, Lois, Luxe, Vertu, je ne dois répondre en aucune façon des autres. L'ouvrage n'a été imprimé que pour tirer de la misère une famille entière. Il me parait fort bon, fort utile, il détruit les erreurs superstitieuses que j'ai en horreur, et il faut bénir le siècle où nous vivons qu'il se soit trouvé une société de gens de lettres et dans cette société des prêtres qui prêchent le sens commun. Mais enfin je ne dois pas m'approprier ce qui n'est pas de moi [v]. L'empressement très inconsidéré de deux ou trois philosophes de Paris, de donner de la vogue à cet ouvrage au lieu de ne le mettre qu'en des mains sures m'a beaucoup nui. Enfin, la chose a été jusqu'au roi qu'il fallait détromper [vi], et vous n'imagineriez jamais de qui je me suis servi pour lui faire connaitre la vérité [vii]. Je n'ai pas les mêmes facilités auprès de maitre Omer mon ennemi, qui me désigna indignement et très mal à propos il y a quelques années dans son réquisitoire contre Helvétius [viii]. Son frère l'ancien intendant de Bourgogne a fait venir le livre pour le lui remettre, et pour en faire l'usage ordinaire.
Cet usage ne me parait que ridicule, mais il est pour moi de la dernière importance qu'on sache bien qu'en effet l'ouvrage est de plusieurs mains, et que je le désavoue entièrement. C'est le sentiment de toute l'Académie. Je lui en ai écrit par le secrétaire perpétuel [ix]. Quelques académiciens qui avaient vu les originaux chez Briasson ont certifié une vérité qui m'est si essentielle. Au reste j'ai pris toutes mes mesures depuis longtemps pour vivre et mourir libre, et je n'aurai certainement pas la bassesse de demander, comme M. d'Argenson, la permission de venir expirer à Paris entre les mains d'un vicaire. Un des Omer disait qu'il ne mourrait pas content qu'il n'ait vu pendre un philosophe ; je peux l'assurer que ce ne sera pas moi qui lui donnerai ce plaisir.
Soyez bien persuadée, Madame, que d'ailleurs toutes ces misères ne troublent pas plus mon repos que la lecture de l'Alcoran ou celle des Pères de l'Église, et soyez encore plus persuadée de mon tendre et inviolable respect.
Voulez-vous bien, Madame, donner à M. de Foncemagne ma réponse dans laquelle je ne crois avoir manqué à aucun des égards que je lui dois ?
N.B. - Je reçois la petite lettre de M. le duc de Praslin. C'était, ne vous déplaise, M. l'évêque d'Orléans [x] qui avait déjà parlé, mais je préfère la protection de M. de Praslin à celle de tout le clergé. Pour M. le duc de Choiseul, il m'a écrit : Vieux Suisse, vieille marmotte, vous vous agitez comme si vous étiez dans un bénitier, et vous vous tourmentez pour bien peu de chose [xi].
Je ne suis pas tout à fait de son avis, [xii]»
i L'Arbitrage entre M. de Voltaire et M. de Foncemagne (1765) que V* ne donne pas sous son nom. C'est la reprise du débat sur l'authenticité du Testament politique ... du cardinal de Richelieu. Foncemagne vient de donner une nouvelle édition du Testament en ajoutant un Essai sur l'authenticité. V* répondit par les Doutes nouveaux sur le Testament attribué au cardinal de Richelieu.
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Laur%C3%A9ault_de_Foncemagne
ii V* remercia les d'Argental le 27, de lui avoir signalé une erreur, après leur avoir répondu sèchement le 14 novembre suite à leurs critiques.
iii V* considère Foncemagne comme « l'avocat » de Richelieu et de la duchesse d'Aiguillon en ce qui concerne « le testament de leur grand oncle » ; cf. lettre du 5 novembre à d'Argental.
iv Le Dictionnaire philosophique a été imprimé clandestinement en juillet à Genève chez Grasset ; cf. lettre du 19 octobre à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/18/j...
v Cf. lettres du 19 octobre à Damilaville et à d'Alembert pour connaitre les articles que V* invoque pour sa défense.
vi Cf. lettre du 20 octobre à d'Argental et celle du 19 octobre à d'Alembert.
vii V* pense sans doute au président Hénault, que le roi aurait consulté, auquel il a écrit le 20 octobre ; cf. lettre du 2 novembre à Damilaville .
viii A savoir le livre De l'esprit en 1759 ; V* verra son Poème sur la loi naturelle condamné en même temps.
ix V* écrivit le 20 octobre et le 2 novembre à Duclos et la lettre du 20 fut lue à l'Académie le 27.
x Louis Sextius de Jarente de La Bruyère.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Sextius_Jarente_de_La_...
xi Le duc avait écrit le 27 octobre à peu près ces paroles, mais aussi « vous désavouez le livre sans que l'on vous en parle, à la bonne heure ; mais vous ne me persuaderez jamais qu'il n'est pas de vous ; le silence sur cet ouvrage était très prudent ; vos lettres multipliées sont une preuve de plus qu'il est de vous et que vous avez peur. Soyez tranquille, et tout le sera à votre égard ... »
xii Il manque la fin sur la copie .
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06/11/2010
Voilà bien le temps d'aimer ses terres et d'encourager l'agriculture, car en conscience c'est le seul commerce qui nous reste.
http://www.deezer.com/listen-896045
La vie de château :
http://www.deezer.com/listen-2426707
Au château :
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http://www.deezer.com/listen-5867172
Un architecte renommé ? que je conseille, peut-être un peu tard, à Volti :
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« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine
5 novembre [1759]
A la fin c'est trop de silence
En si beau sujet de parler.
Ces paroles, ma chère nièce, sont tirées de Malherbe [i] que vous ne connaissez guère, et vont fort bien au sujet. Comment vous trouvez-vous des trois vingtièmes [ii] et de la chute des actions sur les fermes, et tout ce qui s'ensuit ? Voilà bien le temps d'aimer ses terres et d'encourager l'agriculture, car en conscience c'est le seul commerce qui nous reste. Nous faisons pitié à nos alliés et à nos ennemis.
Que vous êtes sage d'avoir achevé votre château![iii] Mais aurez-vous le courage d'y demeurer ? Il faut que je vous avertisse que celui de Ferney est entièrement bâti et couvert. Et sans vanité, c'est un morceau d'architecture qui aurait des approbateurs, même en Italie. N'allez pas croire que je n'aie sacrifié qu'à l'agréable ; j'y ai joint l'utile ; et Ferney est devenu une terre de sept à huit mille livres de rente dans le pays le plus riant de l'Europe [iv]. Ajoutez à ces avantages l'agrément unique d'être libre, et de ne payer aucun droit de quelque nature que ce puisse être [v]. Je veux me bercer de l'idée que vous viendrez un jour nous voir dans toute notre beauté. Il faut que vous veniez reconnaitre des domaines qui, selon les droits de la nature, doivent appartenir à votre fils [vi]. C'est un grand dommage que Ferney ne soit pas en Picardie. Mais une terre libre mérite bien qu'on passe le mont Jura. Je ne suis point mécontent de la masure de Tournay ; j'y ai bâti au moins le plus joli des théâtres, quoique le plus petit. Nous y avons joué trois fois la chevalerie [vii], pour nous consoler des malheurs de la France. Cette chevalerie est comme le château de Ferney ; cela ne veut pas dire que l'architecture en soit aussi belle ; cela veut dire seulement que j'ai pris autant de peine pour l'achever.
Après en avoir donné trois représentations, nous avons joué Mérope. Soyez très convaincue que vous et M. le chevalier de Florian et le jurisconsulte [viii], vous auriez été bien étonnés, et que vous auriez fondu en larmes.
Nous avions à nos Délices M. le marquis de Chauvelin, ambassadeur à Turin, et madame sa femme, députés de M. le duc de Choiseul et de la tribu d'Argental pour savoir comment j'étais venu à bout de la chevalerie. Ce voyage ne les a guère détournés de la route de Turin ; et je peux vous dire qu'ils ne sont pas mécontents d'avoir allongé leur chemin. Ils auraient beau courir tous les théâtres de l'Europe, ils ne verraient rien de si plaisant qu'un Français suisse qui a fait la pièce, le théâtre, et les acteurs. Votre sœur a joué comme Mlle Dumesnil, je dis comme Mlle Dumesnil dans son bon temps. Cela parait un conte, une exagération d'oncle ; cela est pourtant très vrai, et je le sais de cent personnes qui me l'ont toutes attesté par leurs larmes. Moi qui vous parle, je vous apprends que je suis un assez singulier vieillard . Ah ! Ma chère nièce, que nous vous avons regrettée ! C'est à présent qu'il faudrait être chez nous. Notre Carthage est fondée. Nous avons eu l'insolence de recevoir M. et Mme de Chauvelin avec une magnificence à laquelle ils ne s'attendaient pas [ix]. Mais on ne peut trop faire pour de tels hôtes ; il n'y a rien de plus aimable dans le monde ; ils réunissent tous les talents et toutes les grâces : ils séduiraient un amiral anglais, et feraient tomber les armes des mains du roi de Prusse.
Je suis excédé de plaisir et de fatigue ; voila pourquoi je ne vous écris point de ma main, mais mon cœur qui vous écrit, c'est lui qui vous dit combien il vous regrette, vous et les vôtres. »
i Ode à monsieur le grand écuyer de France.
http://www.poesies.net/malherbesoeuvrescompletes1.txt : poésie XXVII , vers 1-2
ii Impôts proposés par Silhouette et qui vont provoquer sa chute ; cf. lettre du 15 juin à Thiriot.
iv Ce qui ne l'empêchera pas de se plaindre des six mois de neige sur le Jura qui le rendent « aveugle » !
v V* a obtenu le brevet de conservation des droits seigneuriaux ; cf. lettre du 29 juin.http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/29/l...
vi En fait c'est Mme Denis qui héritera et ne tardera pas à vendre le domaine au marquis de Villette.
vii Tancrède.
viii Le fils de Mme de Fontaine : Alexandre de Dompierre d'Hornoy, 1742-1828, fils de Nicolas-Joseph de Dompierre .
http://gillesdubois.blogspot.com/2008/01/la-famille-aroue...
ix Dans le Public Advertiser de Londres le 27 novembre : « après la représentation ... au milieu de la cour, un magnifique feu d'artifice fut tiré au son d'une musique martiale ; l'étoile de Saint Georges vomissait d'innombrables fusées et en dessous des girandoles donnaient une représentation vivante de la cataracte du Niagara. »
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05/11/2010
un héros ne répond guère à un pauvre diable de Suisse
Note rédigée le 5 août 2011 pour parution le 5 novembre 2010 .
http://www.youtube.com/scherzoquartet#p/u/9/PwlHqoYPIQo : Valse qui met du tendre au coeur .
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
Aux Délices près de Genève 5 novembre [1757]
Je sais bien que quand on fait des marches savantes, quand on a quatre-vingt mille hommes et de grandes affaires, un héros ne répond guère à un pauvre diable de Suisse . Mais en vérité, Monseigneur, je vous ai mandé une anecdote aussi singulière, assez intéressante pour devoir me flatter que vous voudrez bien ne me pas laisser dans l'incertitude inquiétante si vous avez reçu ou non ma lettre 1. Les choses sont toujours dans le même état . On 2 persiste dans la première résolution qu'on avait prise, on dit qu'on l'exécutera si on est poussé à bout . Je vous ai mandé que j'avais pris la liberté de conseiller qu'on s'adressât à vous préférablement à tout autre 3. Je vous demande en grâce au moins de mander par un secrétaire à votre ancien courtisan le Suisse V, si vous avez reçu la lettre dans laquelle je vous faisais part d'une chose aussi singulière .
Mme Denis se porte toujours fort mal et vous présente ses hommages aussi bien que le solitaire votre admirateur affligé de votre silence . »
1 Lettre écrite vers le 27 septembre, où V* disait que Frédéric II était résolu à se tuer s'il était « sans ressource », et il demandait à Richelieu de « joindre la qualité d'arbitre à celle de général » et d'accepter d'engager des pourparlers en vue d'une paix entre Frédéric et Louis XV , par l'intermédiaire de la margravine .
2 « On » = Frédéric ; « la résolution » = celle de se tuer ; voir lettre du 15 octobre : page 48 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f53.image.r=.langFR
3 Vers le 25 septembre il avait écrit à la margravine Wilhelmine, de Bayreuth : « J'imagine que le maréchal de Richelieu serait flatté qu'on s'adressât à lui . Je crois qu'il est nécessaire de tenir une balance ... » ; de plus, V* a fait demander par Jean-Robert Tronchin au cardinal de Tencin de servir d'intermédiaire : lettre du 20 octobre : page 282 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f285.image....
16:12 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il y a un casuiste qui a examiné si la Vierge eut du plaisir dans la coopération de l'obombration du Saint Esprit ; il tient pour l'affirmative
« A Frédéric II de Prusse
A Bruxelles [vers le 5 novembre 1742]
Sire,
Je suis bien heureux que le plus sage des rois soit un peu content de ce vaste tableau que je fais des folies des hommes [i]. Votre Majesté a bien raison de dire que le temps où nous vivons a de grands avantages sur ces siècles de ténèbres et de cruauté,
Et qu'il vaut mieux, ô blasphèmes maudits !
Vivre à présent qu'avoir vécu jadis.[ii]
Plût à Dieu que tous les princes eussent pu penser comme mon héros ; il n'y aurait eu ni guerre de religion ni bûchers allumés pour y brûler de pauvres diables qui prétendaient que Dieu est dans un morceau de pain d'une manière différente de celle qu'entend saint Thomas. Il y a un casuiste [iii] qui a examiné si la Vierge eut du plaisir dans la coopération de l'obombration du Saint Esprit ; il tient pour l'affirmative, et en apporte de fort bonnes raisons. On a écrit contre lui de beaux volumes, mais il n'y a eu dans cette dispute ni hommes brûlés ni villes détruites. Si les partisans de Luther, de Zwingle, de Calvin et du pape en avaient usé de même, il n'y aurait eu que du plaisir à vivre avec ces gens là.
Il n'y a plus guère de querelles fanatiques qu'en France. Le janséniste et le moliniste y entretiennent une discorde qui pourrait bien devenir sérieuse, parce qu'on traite ces chimères sérieusement.
Le prince n'a qu'à s'en moquer, et les peuples en riront ; mais les princes qui ont des confesseurs sont rarement des rois philosophes.
J'envoie à Votre Majesté une petite cargaison d'impertinences humaines [iv] qui seront une nouvelle preuve de la grande supériorité du siècle de Frédéric sur les siècles de tant d'empereurs ; mais Sire, toutes ces preuves-là n'approchent point de celles que vous en donnez.
J'ai ouï dire que, tout général que vous êtes d'une armée de cent cinquante mille hommes, Votre Majesté se fait représenter paisiblement des comédies dans son palais. La troupe qui a joué devant elle n'est pas probablement comme ses troupes guerrières ; elle n'est pas , je crois, la première de l'Europe.[v]
Je pense avoir trouvé un jeune homme d'esprit [vi] et de mérite, qui fait fort joliment des vers, et qui sera très capable de servir aux plaisirs de mon héros, de conduire ses comédiens, et d'amuser celui qui peut tenir la balance entre les princes de ce monde. Je compte être dans quinze jours à Paris, et alors j'en donnerai des nouvelles plus positives à Votre Majesté.
J'espère aussi lui envoyer deux ou trois siècles de plus [vii], mais il me faut autant de livres que vous avez de soldats, et ce n'est guère qu'à Paris que je pourrai trouver ces immenses recueils dont je tire quelques gouttes d'élixir.
Je me flatte qu'à présent Votre Majesté jouit de la belle collection du cardinal de Polignac [viii].
Roi très sage, voila donc comme
Vous avez, pour vingt mille écus,
Tout le salon de Marius !
Mais pour ces antiques vertus
Qu'on ne rapporte plus de Rome,
Le don de penser toujours bien,
D'agir en prince, et vivre en homme,
Tout cela ne vous coûte rien.
Je viens de voir les Hanovriens et les Hessois en ordre de bataille, ce sont de belles troupes, mais cela n'approche pas encore de celles de Votre Majesté, et elles n'ont pas mon héros à leur tête. On ne croit pas que cet hiver elles sortent de leur garnison. On disait qu'elles allaient à Dunkerque ; le chemin est un peu scabreux, quoiqu'il paraisse assez beau.
Sire, que Votre Majesté conserve ses bontés à son éternel adorateur ! »
i V* reçut de grands compliments de Frédéric le 13 octobre sur les chapîtres, qu'il avait envoyés, de l'Histoire universelle ( qui deviendra l'Essai sur les Moeurs) : « cette histoire singulière ... réfléchie, impartiale, et chatrée de tous les dé&tails inutiles ... »
ii Défense du Mondain.
iii Thomas Sanchez dans les Disputationum de sancto matrimonii sacramento libri (1598).
iv Nouveaux chapitres de l'Histoire, d'après la réponse de Frédéric du 15 novembre.
v Frédéric partage ce jugement : «... ce sont proprement des danseurs, dont la famille de Cochoi (Marianne et Barbe Cochois) font la comédie. » dira-t-il.
vi La Bruère.
vii V* le 14 novembre écrit au roi qu'il en est à Chrles Quint dans son Essai sur les moeurs.
viii Il l'a achetée à la mort du cardinal en avril 1742 ; elle comprenait une collection de staues et d'antiquités.
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04/11/2010
après cela, il faut boucher les yeux, les oreilles et l'entendement d'une nation . Mais on n'y parviendra pas
Note rédigée le 6 août 2011 pour parution le 4 novembre 2010.
http://www.youtube.com/scherzoquartet#p/u/2/CwtfmWVtsyE
« A Jean Le Rond d'Alembert
4è novembre 1767
Mon cher philosophe, car il faut toujours vous appeler de ce nom respectable que la cour ne respecte guère, le philosophe M. de Chabanon aura donc le bonheur de vous embrasser ? Vous lèverez donc les épaules ensemble sur l'avilissement où l'on veut jeter les lettres, sur la conspiration contre la raison et contre la liberté, sur les sottises dont vous êtes environné, sur la barbarie où l'on va nous replonger si vous n'y mettez ordre .
Monsieur de Chabanon a un beau plan de tragédie 1 et a fait un premier acte qui annonce le succès des quatre autres . Mais pour qui travaille-t-il ? quels comédiens ? et quels spectateurs ? Le temps des beaux-arts est passé . Et la philosophie qui faisait l'honneur de ce siècle est persécutée . La Sorbonne est dans la boue, mais les gens de lettres sont sub gladio 2. L'approbateur de Bélisaire est toujours destitué 3. Rien ne marque plus le dessein formé d'empêcher la nation de penser . C'était tout ce qui lui restait . Battue par le prince de Brunsvik et par le margrave de Brandenbourg, par les Anglais et par le roi de Maroc, sans argent, sans commerce et sans crédit, si elle ne se met pas à penser que deviendra-t-elle ? Votre cour de parlement fait conduire en place de Grève un lieutenant général 4 avec bâillon en bouche,sans daigner alléguer le moindre délit . On coupe la main, la langue et la tête à un jeune gentilhomme 5 et on jette tout cela dans un grand feu, pour n'avoir pas salué des capucins et pour avoir chanté deux vieilles chansons . Et les gens coupables de ces assassinats judiciaires sont honorés . Vraiment, après cela, il faut boucher les yeux, les oreilles et l'entendement d'une nation . Mais on n'y parviendra pas . Les hommes s'éclaireront malgré les tigres et les singes . Vous ne voulez pas être martyr mais soyez confesseur . Vos paroles feront plus d' effet qu'un bûcher . Mon cher philosophe , criez toujours comme un diable .
Je vous aime autant que je hais ces monstres . »
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Laissez aux parisiens l'opéra-comique et les réquisitoires. La France est au comble de la gloire, il faut lui laisser ses lauriers
« A Etienne-Noël Damilaville
premier commis des bureaux du vingtième
Quai Saint-Bernard à Paris
4 novembre 1763
Mon cher frère, et mes chers frères ; vous avez bien raison de dire que les peuples du Nord l'emportent aujourd'hui sur ceux du Midi ; ils nous battent, et ils nous instruisent. M. d'Alembert se trouve dans une position qui me parait embarrassante. Le voilà entre l'impératrice de Russie et le roi de Prusse i, et je le défie de me dire qui a le plus d'esprit des deux. Jean-Jacques dans je ne sais quel de ses ouvrages ii, avait dit que la Russie redeviendrait bientôt esclave, malheureuse, et barbare. L'impératrice l'a su, elle me fait l'honneur de me mander que tant qu'elle vivra elle donnera très impoliment un démenti à Jean-Jacques iii. Ne trouvez-vous pas comme moi cet impoliment fort joli ? Sa lettre est charmante, je ne doute pas qu'ellle n'en écrive à M. d'Alembert de plus spirituelles encore, attendu qu'elle sait très bien se proportionner.
Gardez-vous bien, je vous en supplie, de solliciter Mlle Clairon pour faire jouer Olympie iv. C'est assez qu' on la joue dans toute l'Europe, et qu'on la traduise dans plusieurs langues. On vient de la représenter à Amsterdam et à La Haye avec un succès semblable à celui de Mérope. On va la jouer à Pétersbourg. Laissez aux parisiens l'opéra-comique et les réquisitoires. La France est au comble de la gloire, il faut lui laisser ses lauriers : le mandement du digne frère de Pompignan m'a paru un ouvrage digne du siècle v. On m'a montré pourtant une petite réponse d'un évêque son confrère vi, il me parait que ce confrère n'entre pas assez dans les détails, apparemment qu'il les a respectés, et que l'évêque du Puy s'étant retiré dans le sanctuaire, on n'a pas voulu l'y souffleter.
Mes chers frères
écr[asez] l'Inf[âme]. »
i D'Alembert s'est vu offrir le poste de président de l'Académie de Berlin et vient de revenir récemment ; Catherine II lui avait offert de devenir précepteur de son fils et avait proposé de faire imprimer l'Encyclopédie en Russie.
ii Dans Le Contrat social.
Chapître II, 8 : Du peuple. « L’empire de Russie voudra subjuguer l’Europe, et sera subjugué lui-même. Les Tartares, ses sujets ou ses voisins, deviendront ses maîtres et les nôtres, cette révolution me paraît infaillible. Tous les rois de l’Europe travaillent de concert à l’accélérer. »
iii Ce qu'elle écrit exactement dans sa lettre de septembre 1763.
Lettre 1 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-34382830.html
iv Mme Denis s'en chargera . Dans le Registre de Répertoire et de Lecture de la Comédie française, le 12 décembre : « Une lettre de Mlle Clairon à Monsr Lekain nous apprend que Mme Denis lui fait part ... du désir intérieur qu'elle a pénétré en monsieur de Voltaire que la Comédie française se disposât à jouer Olympie » ; ce après quoi les Comédiens écrivirent à V* pour lui demander l'honneur d'avoir à jouer la tragédie.
v Le 8 octobre, D'Alembert parle de cette « grosse instruction pastorale contre (eux)tous » et qu'il sent insultante particulièrement pour lui ; cf. lettre du 15 décembre.Il s'agit de l'Instruction pastorale sur la prétendue philosophie des incrédules modernes, 1763 , de Georges Lefranc de Pompignan.
http://books.google.be/books?id=FtNPR0mHu8AC&printsec...
vi L'instruction pastorale de l'humble évêque d'Alétopolis à l'occasion de l'instruction pastorale de Jean-Georges, humble évêque du Puy, écrite par V*.
http://www.voltaire-integral.com/Html/25/02_Instruction.h...
05:39 | Lien permanent | Commentaires (0)