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04/11/2010

Je voudrais vous entendre dans ce beau jour où vous prononcerez sans le savoir votre éloge en faisant celui de votre prédécesseur

 

 

Fatigué fatigué :  http://www.deezer.com/listen-3018672

La fièvre monte : http://www.deezer.com/listen-4651201

Que cette guerre est triste ! Guerre des hommes : http://www.deezer.com/listen-4651209

 

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« A Claude-Philippe Fyot de La Marche [i]

 

A Ferney 4 novembre [1761]

 

Je sors de la fièvre, mon respectable et digne appui, mon maître dans le chemin de la vertu et des arts ; mais mon sang n'est allumé que par le plaisir que me fait votre lettre du 30 octobre. Je voudrais vous entendre dans ce beau jour où vous prononcerez sans le savoir votre éloge en faisant celui de votre prédécesseur.[ii]

 

Je vous remercie tendrement de la bonté que vous avez de permettre que vos graveurs travaillent pour Corneille. Quoi ! Votre amitié va même jusqu'à souffrir que j'aie l'honneur de vous envoyer le portrait d'un homme aussi médiocre que maigre ? Je l'enverrai par pure obéissance . J'y ferai travailler dès que je serai aux Délices.

 

C'est donc cette maudite guerre qui empêche Mme la marquise de Paulmy de venir vous voir ! Car son droit chemin serait par Berlin, et non par le mont Crapac [iii] ! Que cette guerre est triste ! Et que de maux de toute espèce elle cause!

 

Pour ma guerre avec le fétiche [iv] elle n'est que ridicule. Si je veux de monsieur votre frère [v] pour arbitre ? Oui sans doute ; en pouvez-vous douter ? Et s'il avait voulu de vous, quel autre arbitre eussé-je pu prendre ! Mais il a refusé le père et le fils ; acceptera-t-il le frère ? Il a osé dire à monsieur votre fils qui me l'a mandé, qu'il avait fait une vente réelle ; et moi je lui abandonne tout mon bien si sa vente n'est pas simulée. L'objet est ridicule [vi]: j'en conviens, mais le procédé est infâme ; et si cette lâcheté est prouvée en justice, comme elle le sera, quelque crédit qu'il ait dans l'antre de Gex, comment peut-il rester dans le parlement ?

 

Mon affaire ne doit pas contenir deux lignes. Si vous avez fait une vente réelle, je paie. Si vous m'avez trompé, faites vite une vraie vente : vendez votre charge. Voilà un plaisant premier président de Besançon ! Oui, Monsieur, je m'en rapporte à monsieur votre frère et je suis sur qu'il sera indigné comme l'est toute la province et tout Genève. Pour moi, je ne sens que vos bontés, et c'est avec le plus profond respect.

 

 

V. »

 

ii Il succède à Jean de Berbisey au parlement de Dijon .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Premiers_pr%C3%A9sidents_du_...

 

iii = Les Carpathes car elle doit aller en Pologne rejoindre son mari ambassadeur.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Ren%C3%A9_de_Voyer_d...

 

iv « le fétiche » = le président De Brosses qui écrivit : Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l'ancienne religion de l'Egypte avec la religion actuelle de Nigritie , 1760

http://books.google.fr/books?id=bsecIlNrohYC&printsec...

 

v Charles-Philippe Fyot de Neuilly, premier président du parlement de Dôle.

 

vi De fait il s'agit de « douze moules de bois » (dit Mme Denis) valant « douze écus » (dit De Brosses) livrés par Charlot Baudry à V*. V* refuse de payer s'il n'est pas prouvé que la vente du bois par De Brosses est antérieure à la signature du contrat d'acquisition de Tournay.

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 http://www.dailymotion.com/video/x58pah_generique-woody-w...

http://www.youtube.com/watch?v=bFdeuh6_1-I

 

 

 

 

 

 

 

 

 

03/11/2010

il n'a pas hésité à calomnier son bienfaiteur, dans l'espérance que sa fausse éloquence ferait excuser son infâme procédé

 Lettre écrite le 7 août 2011 pour parution le 3 novembre 2010 .

 

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« A Etienne-Noël Damilaville

 

3 novembre 1766

 

Je reçois votre lettre du 27, mon cher et vertueux ami . Vous ne me mandez point ce que pense le public de la folie et de l'ingratitude de Jean-Jacques . Il semble qu'on ait trouvé de l'éloquence dans son extravagante lettre à M. Hume 1. Les gens de lettres ont donc aujourd'hui le goût bien faux et bien égaré . Ne savent-ils pas que la première loi est de confirmer son style à son sujet ? C'est le comble de l’impertinence d'affecter de grands mots quand il s'agit de petites choses . La lettre de Rousseau à M. Hume est aussi ridicule que le serait M. Chicaneau,2 s'il voulait s'expliquer comme Cinna, et comme Auguste . On voit évidemment que ce charlatan, en écrivant sa lettre, songe à la rendre publique ; l'art y paraît à chaque ligne ; il est clair que c'est un ouvrage médité et destiné au public . La rage d'écrire et d'imprimer l'a saisi au point qu'il a cru que le public enchanté de son style lui pardonnerait sa noirceur et qu'il n'a pas hésité à calomnier son bienfaiteur, dans l'espérance que sa fausse éloquence ferait excuser son infâme procédé .

 

L’enragé qu'il est m'a traité beaucoup plus mal encore que M. Hume ; il m'a accusé auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg de l'avoir fait condamner à Genève, et de l’avoir fait chasser de Suisse . Il le dit en Angleterre à quiconque veut l'entendre ; et pourquoi le dit-il ? parce qu'il veut me rendre odieux . Et pourquoi veut-il me rendre odieux ? parce qu'il m'a outragé, parce qu'il m'écrivît il y a plusieurs années des lettres insolentes et absurdes, pour toute réponse à la bonté que j'avais eue de lui offrir une maison de campagne auprès de Genève .

 

C'est le plus méchant fou qui ait jamais existé, un singe qui mord ceux qui lui donnent à manger est plus raisonnable et plus humain que lui .

 

Comme je me trouve impliqué dans ses accusations contre M. Hume, j'ai été obligé d'écrire à cet estimable philosophe un détail succinct de mes bontés pour Jean-Jacques, et de la singulière ingratitude dont il m'a payé 3; je vous en enverrai une copie .

 

En attendant, je vous demande en grâce de faire voir à vos amis ce que je vous écris . M. d'Alembert s'est cru obligé de se justifier de l'accusation intentée contre lui par Jean-Jacques d'avoir voulu se moquer de lui 4. L'accusation que j'essuie depuis près de deux ans est un peu plus sérieuse . Je serais un barbare si j'avais en effet persécuté Rousseau, mais je serais un sot si je ne prenais pas cette occasion de le confondre, et de faire voir sans réplique qu'il est le plus méchant fou qui ait jamais déshonoré la littérature .

 

Ce qui m'afflige, c'est que je n'ai aucune nouvelle de Meyrin 5. Je me porte toujours fort mal . Je vous embrasse tendrement et douloureusement . »


1 Il s'agit de la lettre écrite par Rousseau le 10 juillet . Sur cette querelle Hume-Rousseau, voir lettre à d'Alembert du 15 octobre : page 100 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800389/f105.image.r=.langFR

du 14 juillet à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/06/26/c-est-une-chose-abominable-que-la-mort-des-hommes-et-que-les.html

2 Personnage des Plaideurs, de Racine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Plaideurs

3 Il s'agit de la Lettre de M. de Voltaire à M. Hume, datée du 24 octobre et imprimée, à laquelle il va ajouter des notes ; http://www.voltaire-integral.com/Html/26/03_Hume.html

Voir lettre à Damilaville du 28 octobre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/27/j-etais-fourre-dans-la-querelle-du-philosophe-bienfaisant-et.html

Le 17 novembre (ou décembre), V* propose au libraire Lacombe de « donner au public ma lettre à Hume avec des remarques historiques et critiques assez curieuses » qui paraitront sous le titre de Notes sur la Lettre de M. de Voltaire à M. Hume :

http://www.voltaire-integral.com/Html/26/04_Notes_Hume.html

Lettre à Lacombe : page 128 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800389/f133.image.r=.langFR

4 Voir lettre du 28 octobre .

5 A savoir la réponse de Diderot , que V*, par code, nomme Meyrin .

nous sommes des philosophes très voluptueux, et sans cela nous serions bien indignes de vous

Chanson ? Avec un seveux sur la langue : Samson  http://www.deezer.com/listen-680117

On y joint Dalila, la tondeuse la plus rapide du Moyen-Orient : http://www.deezer.com/listen-4259756

Hommage à La Popelinière : http://www.deezer.com/listen-1070711

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M. et Mme de La Popelinière

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« A Nicolas-Claude Thiriot

 

Ce 3 novembre [1735] à Cirey

 

Ami des arts, sage voluptueux,

Languissamment assis au milieu d'eux,

Juge éclairé, sans orgueil, sans envie,

Chez Pollion [i] vous passez votre vie,

Heureux par lui, si l'on peut être heureux.

Moi je le suis , mais c'est par Émilie.[ii]

Mon cœur s'épure au feu de son génie,

Ah croyez-moi, j'habite au haut des cieux,

J'y resterai, j'ose au moins le prétendre,

Mais si d'un ciel et si pur, et si doux,

Chez les humains il me fallait descendre

Ce ne serait que pour vivre avec vous.

 

Nous avons ici le marquis Algarotti [iii], jeune homme qui sait les langues et les mœurs de tous les pays, qui fait des vers comme l'Arioste, et qui sait son Loke et son Neuton. Il nous lit des dialogues qu'il a faits sur des parties intéressantes de la philosophie [iv]. Moi qui vous parle j'ai fait aussi mon petit cours de métaphysique car il faut bien se rendre compte à soi-même des choses de ce monde [v].

 

Nous lisons quelques chants de Jeanne La Pucelle, ou une tragédie de ma façon, ou un chapitre du Siècle de Louis XIV. De là nous revenons à Neuton et à Loke, non sans vin de champagne, et sans excellente chère , car nous sommes des philosophes très voluptueux, et sans cela nous serions bien indignes de vous et de votre aimable Pollion. Voilà un compte assez exact de ma vie . Voilà ce qui fait, mon cher Thiriot, que je ne suis point avec vous. Mais comptez que ma vie en est plus douce en sachant combien la vôtre est agréable. Mon bonheur fait bien des compliments au vôtre. Faites ma cour à ce charmant bienfaiteur.

 

Buvez ma santé tous les deux

Avec ce champagne mousseux

Qui brille ainsi que son génie.

Moi chez la sublime Émilie

Dans nos soupers délicieux

Je bois à vous en ambroisie.

 

 Je lui ai tout au moins autant d'obligations que vous en avez avec M. de La Popelinière. Ce qu'elle a fait pour moi dans l'indigne persécution que j'ai essuyée [vi], et la manière dont elle m'a servi m'attacherait à son char pour jamais, si les lumières singulières de son esprit, et cette supériorité qu'elle a sur toutes les femmes ne m'avaient déjà enchainé. Vous savez si mon cœur connait l'amitié ; jugez quel attachement infini je dois avoir pour une personne dans qui je trouve de quoi oublier tout le monde, auprès de qui je m'éclaire tous les jours, à qui je dois tout. Mon respect et ma tendre amitié pour elle sont d'autant plus forts que le public l'a si indignement traitée [vii]. On n'a connu ni ses vertus ni son esprit supérieur. Le public était indigne d'elle.

 

 Vous m'allez dire qu'en vivant dans le sein de l'amitié, et de la philosophie je devrais ne point sentir ces piqures d'épingle de l'abbé Desfontaines, et ces calomnies dont on m'a noirci. Non, mon ami. Du même fond de sensibilité que j'idolâtre le mérite et les bontés de Mme du Châtelet, je suis sensible à l'ingratitude, et je voudrais qu'un homme témoin de tant de vertus ne fût point calomnié. Arrangez tout pour le mieux avec l'abbé Prévost [viii]. Je lui aurai une véritable obligation. J'ai peur seulement que cette scène traduite de Shakespeare ne soit imprimée dans d'autres journaux [ix]. J'ai peur même que l'abbé Asselin ne l'ai donnée à l'abbé Desfontaines. Mais ne pourriez-vous pas parler ou faire parler à l'abbé Desfontaines même ? ne lui reste-t-il aucune pudeur ? Je vous avertis qu'on va imprimer le Jules César à Amsterdam. J'y enverrai le manuscrit correct . Après cela il faudra bien qu'il paraisse en France. On prépare en Hollande une nouvelle édition [x] de mes folies en prose et en vers. Voici encore de la besogne pour moi. Il faut que je passe le rabot sur bien des endroits, il faut assommer mon imagination par un travail pénible. Mais ce n'est qu'à ce prix qu'on peut faire quelque honneur à son pays. Labor improbus omnia vincit [xi]. Si ceux qui sont à la tête des spectacles aiment assez les beaux-arts pour protéger notre grand musicien Rameau, il faudra qu'il donne son Samson. Je lui ferai tous les vers qu'il voudra [xii]. Mais il aurait besoin d'un peu de protection. Que dites-vous d'un nommé Hardion [xiii] à qui on avait donné Samson à examiner, et qui a fait tout ce qu'il a pu pour empêcher qu'on ne le jouât ? Nous avons besoin d'un examinateur raisonnable, mais surtout que Rameau ne s'effarouche point des critiques. La tragédie de Samson doit être singulière, et dans un goût tout nouveau comme sa musique. Qu'il n'écoute point les censeurs. Savez-vous bien que M. de Richelieu a trouvé sa musique détestable ? Hélas ! M. de Richelieu l'a eu chez lui sans le connaitre. Adieu, écrivez-moi.

 

V. »

 

i= La Popelinière ; cf. lettre du 15 juillet 1735

http://search.babylon.com/imageres.php?iu=http://jp.ramea...

Voir:  Mme de La Popelinière qui défendit Rameau : http://jp.rameau.free.fr/deshayes-bio.htm

 

ii Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil marquise du Châtelet, à Cirey.

 http://www.enotes.com/literary-criticism/emilie-du-chatelet

http://iopscience.iop.org/0031-9120/31/4/023/pdf/pe6410.pdf

 

iii V* écrivit, comme souvent avec les noms propres , avec une orthographe erronée : Argalotti.

 

iv Il Neutonianismo per le dame, édité en 1737.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Francesco_Algarotti

http://bibliophilie.blogspot.com/2008/05/voltaire-la-phys... 

v En 1738, V* publiera les Éléments de la philosophie de Newton.

 http://www.voltaire-integral.com/Html/22/29_Elements_Tabl...

vi Condamnation des Lettres philosophiques et poursuite de V* qui trouva refuge à Cirey en mai 1734. Lettres du 8 mai 1734 à Cideville, 22 juin à La Condamine, 1er novembre 1734 à la comtesse de La Neuville.

 

vii Le 3 juillet, suite aux « calomnies » dont la vie et les sentiments de Mme du Châtelet sont l'objet, V* écrivit l'Épître sur la calomnie. Maintenant il s'agit de « vers dont Mme du Châtelet a à se plaindre » (cf. lettre à Thiriot du 25 novembre) ; c'est l'Épître à Algarotti de V*, datée du 15 octobre, écrite le 7, que va faire imprimer Desfontaines dans ses Observations du 19 novembre, malgré que V* lui ait «  fait sentir que ce qui est bon entre amis devient très dangereux entre les mains du public. »

 http://www.monsieurdevoltaire.com/article-epitre-sur-la-c...

Epître à Algarotti : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-epitre-a-m-le-c...

 

viii L'abbé Prévost a écrit à Thiriot et il édite Le Pour et le Contre.

 Le Pour et le Contre : http://www.voltaire-integral.com/Html/09/06PETIT.htm#LE%2...

 

ix Il envoie cette traduction à l'abbé Asselin le 4 janvier 1736 en disant que la dernière scène de sa Mort de César est « une traduction assez fidèle de la dernière du Jules César de Shakespeare. » Voir la lettre du 4 octobre 1735 à d'Olivet à propos de la représentation de la pièce donnée au collège d'Harcourt et son impression « pirate ».

 Voir pages 432, 436, 440,  : http://books.google.fr/books?id=3RJEAAAAYAAJ&pg=RA1-P...

 

x Édition Ledet, d'Amsterdam.

http://www.monsieurdevoltaire.com/article-memoire-6016652...

 

xi Un travail acharné vient à bout de tout.

 

 

xii

Dès l'automne 1733, V* avait composé le livret ; cf. lettre du 8 mai à Cideville.

http://www.google.fr/imgres?imgurl=http://jp.rameau.free....

 

 

 

xiii Conservateur de la Bibliothèque royale Hardion, Jacques (1686-1766), membre de l’Académie française (1730), censeur royal.

02/11/2010

Il faudrait que les ouvrages utiles n’appartinssent à personne

Note rédigée le 11 août 2011 pour parution le 2 novembre 2010 .

 

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Folon, magnifique poète de l'image .


 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

 

2è novembre 1764

 

Mon cher frère, comptez que je ne me suis pas alarmé mal à propos sur ce Portatif qu'on m'imputait, et qu'il a été nécessaire de prendre à la cour des précautions 1 qui ont coûté beaucoup à ma philosophie 2. Le mal vient de ce que des frères zélés m'ont nommé d'abord . Il faudrait que les ouvrages utiles n’appartinssent à personne . On doute encore de l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ . Qu'importe l'auteur d'un livre pourvu qu'il fasse du bien aux bonnes âmes ? Je ne sais pourquoi frère Protagoras 3 ne m'écrit point ; je n'en compte pas moins sur son zèle fraternel . Hélas ! si les philosophes s'entendaient, ils deviendraient tout doucement les précepteurs du genre humain .

 

Avez-vous entendu parler de la nouvelle édition du Testament du cardinal de Richelieu ?4 On croit m'avoir démontré que ce Testament est authentique ; mais je me sens de la pâte des hérésiarques 5, je n'ai jamais été plus ferme dans mon opinion, et vous entendrez bientôt parler de moi 6; cela vous amusera ; je m'en rapporterai entièrement à votre jugement . Mais surtout, mon cher frère, écr l'Inf. »


1 Voir lettres précédentes : à Damilaville : du 19 octobre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/18/j...

à d'Alembert du 19 octobre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/16/a-l-age-de-soixante-et-onze-ans-malade-et-presque-aveugle-je.html

aux d'Argental : du 3 octobre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/03/alcibiade-faisait-couper-la-queue-a-son-chien-pour-empecher.html

On lui avait dit qu'on avait parlé du Dictionnaire philosophique comme d'un livre dangereux au roi, qui faisait faire une enquête, que l'abbé d'Estrées l'avait dénoncé au procureur général ; le résident Montpéroux avait signalé au duc de Praslin l'indignation des Genevois et la condamnation du livre à Genève .

2 V* a en particulier écrit une lettre de reniement à Mme d'Argental pour que son mari qui est à Fontainebleau en fasse usage à la cour ;

page 85 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f90.image.r=.langFR

Il a fait demander par d'Argental, l'intervention du duc de Praslin . Ayant appris que le roi consulterait sans doute le président Hénault, il a écrit à celui-ci le 20 octobre, alors que -à la grande indignation de Mme du Deffand-, il ne lui avait pas envoyé de condoléances à la mort de son ami d'Argenson ;

page 89 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f90.image.r=.langFR

Il a aussi fait appel à la solidarité des Académiciens en écrivant à Duclos le 20 octobre et aussi ce 2 novembre .

Page 90 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f95.highres

et page 94 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f95.highres

3 D’Alembert .

4 Maximes d’État ou Testament politique d'Armand du Plessis, cardinal-duc de Richelieu , 1764, qui contient un essai de Foncemagne sur l'authenticité du document .

http://www.archive.org/stream/maximesdtatout01richuoft#page/n7/mode/2up

5Hérésiarque = Auteur d'une hérésie. Chef ou l'un des chefs d'une secte hérétique. Luther et Calvin sont des hérésiarques.

6 Il publie les Doutes nouveaux sur le testament attribué au cardinal de Richelieu, en date de 1765, mais réellement de 1764 .http://www.voltaire-integral.com/Html/25/16_Doutes_nouveaux.html

 

il serait beaucoup plus utile et plus convenable de leur couper la main droite pour les empêcher d'écrire et de leur arracher la langue de peur qu'ils ne parlent

Note rédigée le 9 août 2011 pour parution le 2 novembre 2010

 

 

 

« Au chevalier Jacques de Rochefort d'Ally

 

2 novembre [1768]

 

L'enterré ressuscite un moment, Monsieur, pour vous dire que s'il avait une éternité, il vous aimerait pendant tout ce temps là . Il est comblé de vos bontés : il lui est encore arrivé deux gros fromages par votre munificence . S'il avait de la santé il trouverait son sort très préférable à celui du rat retiré du monde dans un fromage de Hollande 1. Mais quand on est vieux et malade, tout ce qu'on peut faire c'est de supporter la vie et de se cacher .

 

Je vous ai envoyé quatre volumes du Siècle de Louis XIV et de Louis XV ; mais en France les fromages arrivent beaucoup plus sûrement par le coche que les livres . Je crois qu'il faudra tout votre crédit pour que les commis à la douane des pensées vous délivrent le récit de la bataille de Fontenoy et la prise de Minorque . La société s'est si bien perfectionnée qu'on ne peut plus rien lire sans la permission de la chambre syndicale des libraires . On dit qu'un célèbre janséniste a proposé un édit par lequel il sera défendu à tous les philosophes de parler à moins que ce ne soit en présence de deux députés de la Sorbonne qui rendront compte au prima mensis 2 de tout ce qui aura été dit dans Paris dans le cours du mois .

 

Pour moi, je pense qu'il serait beaucoup plus utile et plus convenable de leur couper la main droite pour les empêcher d'écrire et de leur arracher la langue de peur qu'ils ne parlent . C'est une excellente précaution dont on s'est déjà servi, et qui a fait beaucoup d'honneur à notre nation . Ce petit préservatif a même été essayé avec succès dans Abbeville sur le petit fils d'un lieutenant-général 3. Mais ce ne sont là que des palliatifs . Mon avis serait qu'on fît une Saint Barthélémy de tous les philosophes, et qu'on égorgeât dans leur lit tous ceux qui auraient Locke, Montagne, Bayle, dans leur bibliothèque . Je voudrais même qu'on brûlât tous les livres excepté la Gazette ecclésiastique et le Journal chrétien .

 

Je resterai constamment dans ma solitude jusqu'à ce que je voie ces jours heureux où la pensée sera bannie du monde, et où les hommes seront parvenus au noble état des brutes . Cependant , Monsieur, tant que je penserai et que j'aurai du sentiment, soyez sûr que je vous serai tendrement attaché . Si on faisait une Saint Barthélémy de ceux qui ont des idées justes et nobles, vous seriez sûrement massacré un des premiers . En attendant, conservez-moi vos bontés . Je me mets aux pieds de madame de Rochefort . »

 

 

1 Allusion à la fable de La Fontaine : Le rat qui s'est retiré du monde : http://damienbe.chez.com/fables7.htm#r4

2 Réunion de La Sorbonne le premier jour de chaque mois, comme le terme l'indique .

3 Le chevalier de La Barre ; la sentence fût adoucie et en réalité on se contenta de le décapiter et de brûler le corps .

j'ai commencé par admirer avant de travailler.

A tous les (z)héros des tapis verts, réels ou virtuels : 

" De bonne foi, vaut-il mieux mêler des cartes, ou ponter au pharaon/poker  ? C'est l'occupation de ceux qui n'ont point d'âme."

J'ai plaisir à citer Volti pour un sujet qui me hérisse le poil ( enfin n'exgérons pas ! tous les poils, plus exactement ) : cette foutue mode du poker.

De quoi je me mêle ? Pourquoi critiquer ces males/females guerrier(e)s qui s'affrontent à coups de petits bouts de carton illustrés ? Pourquoi critiquer ces people qui affichent glorieusement leur attachement à ce qu'ils considèrent comme la meilleure façon d'exister, de se faire peur, d'engranger gloire, et pognon (à coup sûr pour ceux qui jouent les hommes-sandwich, qui comme tous sandwichs sont entourés de papiers gras , car grassement payés ) .

Hors du poker  point de salut, semble clamer une bande de mous du genou et glorieux imbéciles . J'ai eu la joie ineffable de voir ces tables virtuelles autour desquelles vous voyez des avatars bouffis d'orgueil et ennuyeux comme la pluie (que la pluie me pardonne, au moins elle peut être utile, elle ! ).

Retenez bien : "occupation de ceux qui n'ont point d'âme", juste la grosse tête, du temps et de l'argent à perdre et une jugeotte à faire rire une limace.

Hello, happy tax payer, je te relance d'un instant de réflexion ! Tu n'as pas ça sur la table, ni en poche ! Dommage ! Je vais me régaler seul avec Volti .

Goldoni.jpg

Carlo Goldoni, "le révérend père Goldoni"

Secret admirer : http://www.deezer.com/listen-1215246

Travailler, maintenant : d'abord "putser" (pour ceux qui vivent loin du pays romand, c'est épousseter, nettoyer, faire les "à fond" ) : http://www.deezer.com/listen-3189934

Et puis, leçon dont n'ont pas besoin une grande part de la population dite active : http://www.deezer.com/listen-6865867

Entre deux siestes : http://www.deezer.com/listen-3364828

Et puis un sommet de la pensée (détournée) : Travailler plus pour payer plus ! Oups !!

Cherchez l'erreur : http://www.dailymotion.com/video/x2ezfx_4-proces-d-sarkoz...

 

 

 

« A Giovanni Paolo Simone Bianchi

à Rimini.

 

[2 novembre 1761]

 

Vous avez prononcé, Monsieur, l'éloge de l'art dramatique,[i] et je suis tenté de prononcer le vôtre. Je regardai cet art dès mon enfance comme le premier de tous ceux à qui ce beau mot est attaché. On me dira : Vous êtes orfèvre, M. Josse,[ii] mais je répondrai que c'est Sophocle qui m'a donné mes lettres de maîtrise, et que j'ai commencé par admirer avant de travailler.

 

Je vois avec plaisir que dans l'Italie, cette mère de tous les beaux-arts, plusieurs personnes de la première considération, non seulement font des tragédies, mais les représentent. M. le marquis Albergati a fait des imitateurs. Ni vous, ni lui, ni moi, Monsieur, ne prétendons qu'on fasse de l'Europe la patrie des Abdérites [iii]. Mais quel plus noble amusement les hommes bien élevés peuvent-ils imaginer ? De bonne foi, vaut-il mieux mêler des cartes, ou ponter au pharaon ? C'est l'occupation de ceux qui n'ont point d'âme. Ceux qui en ont doivent se donner des plaisirs dignes d'eux.

 

Y a-t-il une meilleure éducation que de faire jouer Auguste à un jeune prince et Émilie à une jeune princesse ? On apprend en même temps à bien prononcer sa langue, et à la bien parler. L'esprit acquiert des lumières et du goût ; le corps acquiert des grâces, on a du plaisir et on en donne très honnêtement. Si j'ai fait bâtir un théâtre chez moi,[iv] c'est pour l'éducation de Mlle Corneille, c'est un devoir dont je m'acquitte envers la mémoire du grand homme dont elle porte le nom.

 

Ce qu'il y avait de mieux au collège des jésuites de Paris où j'ai été élevé, c'était l'usage de faire représenter des pièces par les pensionnaires, en présence de leurs parents. Plût à Dieu qu'on n'eût que cette récréation à reprocher aux jésuites ! Les jansénistes ont tant fait par leurs clabauderies que les jésuites ont fermé leurs théâtres. On dit qu'ils fermeront bientôt leurs écoles [v]; ce n'est pas mon avis. Je crois qu'il faut les soutenir et les contenir,[vi] leur faire payer leurs dettes quand ils sont banqueroutiers ; les pendre même, quand ils enseignent le parricide [vii]; se moquer d'eux quand ils sont d'aussi mauvais critiques que frère Berthier [viii]. Mais je ne crois pas qu'il faille livrer notre jeunesse aux jansénistes, attendu que cette secte n'aime que le traité de la grâce de saint Prosper [ix], et se soucie peu de Sophocle, d'Euripide, de Térence ; quoique par une de ces contradictions si ordinaires aux hommes, Térence ait été traduit par les jansénistes de Port-Royal.

 

Faites aimer l'art de ces grands hommes (je ne parle pas des jansénistes), je parle de Sophocle, vous serez secondé en deçà des Alpes. Malheur aux barbares jaloux, à qui Dieu a refusé un cœur et des oreilles. Malheur aux autres barbares qui disent : on ne doit enseigner la vertu qu'en monologue, le dialogue est pernicieux. Eh ! Mes amis, si l'on peut parler de morale tout seul, pourquoi pas deux, et trois ?[x]

 

Pour moi, j'ai envie de faire afficher : on vous donnera mardi un sermon en dialogue, composé par le révérend père Goldoni. N'êtes vous pas indigné comme moi, de voir des gens qui se disent gravement : passons notre vie à gagner de l'argent, cabalons, enivrons-nous quelquefois, mais gardons-nous d'aller entendre Polyeucte.[xi]

 

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec une estime infinie votre très humble et très obéissant serviteur.

 

Voltaire

gentilhomme ordinaire

de la chambre du roi. »

 

iTragedie di Lauriso Tragiense, pastore arcade. Con due ragionamenti del medesimo sopra la composizione delle tragedie, 1761.

http://biblioteca.comune.massa.ms.it/cgi-bin/easyweb/ewge...

 

 

ii Réplique de Sganarelle dans L'Amour médecin , A 1, sc 1, de Molière.

http://books.google.fr/books?id=Kd4Rp7VQui0C&pg=PA268...

 

,

iii C'est à dire des fous ; cf. Fables de La Fontaine, VIII, 26.

http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/democrite.htm

 

 

iv Après son petit théâtre de Tournay, V* fait bâtir un théâtre dans une grange de son domaine de Ferney ; cf. lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental.

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/24/o...

 

 

v Le parlement de Paris leur a déjà interdit d'enseigner le 6 août 1761 suite à l'examen de certains de leurs livres ; le roi demanda un sursis d'un an pour l'exécution de l'arrêt.

 

vi Cf. La Balance égale, février 1762.

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/49_Balance.html...

 

 

vii Pour ces affaires, voir lettres du 31 mai à Damilaville et Thiriot, et du 26 octobre à d'Argence.

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/05/30/i...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/26/b...

 

 

viii Directeur du Journal de Trévoux, qui critiqua le Panégyrique de Louis XV et l'Essai sur l'histoire générale. V* riposta par la Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Berthier (novembre 1759).

 

ix Prosper d'Aquitaine auteur de De gratia Dei et libero arbitrio hominis

http://www.cosmovisions.com/Prosper.htm

http://christroi.over-blog.com/ext/http://www.levangileau...

 

 

x Allusion à la polémique sur l'excommunication des comédiens ; cf. lettres du 6 mai à Ecouchard Le Brun, 31 mai à Damilaville et Thiriot, 21 juin à d'Argental, du 7 août à Mlle Clairon.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Excommunication_des_acteurs

 

 

xi Voir le Pot pourri,article IX :

http://www.voltaire-integral.com/Html/25/15_Pot_pourri.html

et la lettre du 15 septembre 1761 à d'Alembert où il parle de son commentaire sur Polyeucte.

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/15/c...

 

 

 

 

 

On nous exagère de petits succès et on nous accable de grands impôts

 

 

 

 

« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

Ile Jard à Strasbourg.

 

Aux Délices 1er novembre [1758]

 

Il me parait, Madame, qu'on passe sa vie à voir des révolutions. L'année passée au mois d'octobre le roi de Prusse voulait se tuer [i]. Il nous tua au mois de novembre [ii]. Il est détruit cette année en octobre [iii], nous verrons si nous serons battus le mois prochain. On appelle victoires complètes des actions qui sont des avantages bien médiocres [iv], on chante des Te Deum quand à peine il y a de quoi chanter un De profundis. On nous exagère de petits succès et on nous accable de grands impôts. On dit le monarque portugais blessé à l'épaule [v], le monarque espagnol blessé au cerveau [vi], le roi ou soi-disant tel, de Suède, gardé à vue [vii], et celui de Pologne buvant et mangeant à nos dépens tandis que les Prussiens boivent et mangent encore aux dépens des Saxons [viii]. Des autres rois, je n'en parle pas. Portez-vous bien, madame, et voyez d'un œil toujours tranquille la sanglante tragédie et la ridicule comédie de ce monde.

 

Je tremble toujours que quelque balle de fusil ne vienne balafrer le beau visage de monsieur votre fils à qui je présente mes respects.

 

Avez-vous le bonheur de posséder Mme de Broumath ?[ix]

 

Voulez-vous bien permettre, madame, que je mette dans ce paquet un petit billet pour Collini [x] qui vous est attaché ? Pardonnez cette liberté grande. En voici encore une autre. Je vous demande en grâce quand vous enverrez à Strasbourg de vouloir bien dire au coureur qu'il aille chemin faisant laver la tête au banquier Turkeim [xi] et lui signifier que je meurs de faim s'il ne songe pas à moi.

 

Pardon , Madame, mais dans l'occasion on a recours à ce qu'on aime.

 

Mille tendres respects.

 

V. »

 

i Cf. lettre de consolation de V* à Frédéric le 15 octobre 1757.

 

ii Le 5 novembre à Rossbach.

 

iii Le 14 octobre, victoire des Autrichiens à Hochkirchen.

 

iv On retrouve ici les termes du joueur d'échecs .

 

v Attentat du 4 septembre.

 

vi Thiriot écrivit : « l'esprit attaqué d'affaiblissement » et ajouta qu'on lui conseillait d'abdiquer ; Ferdinand VI dit le Sage mourut fou en août 1759.

 

vii Il était surveillé de près par les États.

 

viii Auguste III, roi de Pologne, Électeur de Saxe, pays envahi en août 1756 par les Prussiens.

 

ix Mme Zuckmantel de Brumath, dame de Bouxières.

 

x V* qui s'était séparé de Collini, son secrétaire, essayait d'obtenir pour lui une place chez l'Électeur palatin et de l'aider à se faire rembourser l'argent qu'on lui avait pris à Francfort lors de leur arrestation en 1753. Dans le billet joint, il lui demandait aussi de « passer chez Turkeim ».

 

xi Banquier de Strasbourg chargé de verser à V* les intérêts de l'argent prêté au duc de Wurtemberg.