04/11/2010
Laissez aux parisiens l'opéra-comique et les réquisitoires. La France est au comble de la gloire, il faut lui laisser ses lauriers
« A Etienne-Noël Damilaville
premier commis des bureaux du vingtième
Quai Saint-Bernard à Paris
4 novembre 1763
Mon cher frère, et mes chers frères ; vous avez bien raison de dire que les peuples du Nord l'emportent aujourd'hui sur ceux du Midi ; ils nous battent, et ils nous instruisent. M. d'Alembert se trouve dans une position qui me parait embarrassante. Le voilà entre l'impératrice de Russie et le roi de Prusse i, et je le défie de me dire qui a le plus d'esprit des deux. Jean-Jacques dans je ne sais quel de ses ouvrages ii, avait dit que la Russie redeviendrait bientôt esclave, malheureuse, et barbare. L'impératrice l'a su, elle me fait l'honneur de me mander que tant qu'elle vivra elle donnera très impoliment un démenti à Jean-Jacques iii. Ne trouvez-vous pas comme moi cet impoliment fort joli ? Sa lettre est charmante, je ne doute pas qu'ellle n'en écrive à M. d'Alembert de plus spirituelles encore, attendu qu'elle sait très bien se proportionner.
Gardez-vous bien, je vous en supplie, de solliciter Mlle Clairon pour faire jouer Olympie iv. C'est assez qu' on la joue dans toute l'Europe, et qu'on la traduise dans plusieurs langues. On vient de la représenter à Amsterdam et à La Haye avec un succès semblable à celui de Mérope. On va la jouer à Pétersbourg. Laissez aux parisiens l'opéra-comique et les réquisitoires. La France est au comble de la gloire, il faut lui laisser ses lauriers : le mandement du digne frère de Pompignan m'a paru un ouvrage digne du siècle v. On m'a montré pourtant une petite réponse d'un évêque son confrère vi, il me parait que ce confrère n'entre pas assez dans les détails, apparemment qu'il les a respectés, et que l'évêque du Puy s'étant retiré dans le sanctuaire, on n'a pas voulu l'y souffleter.
Mes chers frères
écr[asez] l'Inf[âme]. »
i D'Alembert s'est vu offrir le poste de président de l'Académie de Berlin et vient de revenir récemment ; Catherine II lui avait offert de devenir précepteur de son fils et avait proposé de faire imprimer l'Encyclopédie en Russie.
ii Dans Le Contrat social.
Chapître II, 8 : Du peuple. « L’empire de Russie voudra subjuguer l’Europe, et sera subjugué lui-même. Les Tartares, ses sujets ou ses voisins, deviendront ses maîtres et les nôtres, cette révolution me paraît infaillible. Tous les rois de l’Europe travaillent de concert à l’accélérer. »
iii Ce qu'elle écrit exactement dans sa lettre de septembre 1763.
Lettre 1 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-34382830.html
iv Mme Denis s'en chargera . Dans le Registre de Répertoire et de Lecture de la Comédie française, le 12 décembre : « Une lettre de Mlle Clairon à Monsr Lekain nous apprend que Mme Denis lui fait part ... du désir intérieur qu'elle a pénétré en monsieur de Voltaire que la Comédie française se disposât à jouer Olympie » ; ce après quoi les Comédiens écrivirent à V* pour lui demander l'honneur d'avoir à jouer la tragédie.
v Le 8 octobre, D'Alembert parle de cette « grosse instruction pastorale contre (eux)tous » et qu'il sent insultante particulièrement pour lui ; cf. lettre du 15 décembre.Il s'agit de l'Instruction pastorale sur la prétendue philosophie des incrédules modernes, 1763 , de Georges Lefranc de Pompignan.
http://books.google.be/books?id=FtNPR0mHu8AC&printsec...
vi L'instruction pastorale de l'humble évêque d'Alétopolis à l'occasion de l'instruction pastorale de Jean-Georges, humble évêque du Puy, écrite par V*.
http://www.voltaire-integral.com/Html/25/02_Instruction.h...
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