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23/06/2024

Les personnages odieux sont toujours à la glace

... Toujours vrai. Voir Poutine et Kim Jung-un, modèles de jovialité n'est-ce pas ?

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Nous sommes joyeux ! Vive les pompes funèbres !

 

 

 

« A Marie-Louise Denis

17è décembre 1768

Je dois vous confier, ma chère nièce, que défunt La Touche m'apparut hier au soir, dans le temps qu'on cachetait ma lettre qui doit vous être parvenue par Lyon 1 . Il me dit qu'il avait fait jouer chez Pluton, comme de raison, sa rapsodie, et qu'il avait remarqué que la fin du IIIè acte qui n'est qu'une satire des prêtres plutoniques, avait glacé l’auditoire .  « On a trouvé des vers assez bien faits, me dit-il, mais cela ne suffit pas, il faut attendrir les diables, et faire pleurer les furies . Les personnages odieux sont toujours à la glace. J'aurais dû faire parler la pauvre Arzame à laquelle on s'intéresse, au lieu de ces prêtres d'enfer qui révoltent . »

Alors il me montra ce qu'il avait substitué à la fin de ce IIIè acte . Cette nouvelle leçon m' a paru infiniment supérieure à l'autre ; elle est touchante ; elle est neuve, et en expliquant le système de la religion des Perses, elle est orthodoxe dans toutes les religions du monde .

Je vous avoue que nous avons pleuré, Wagnière et moi, quand La Touche nous récitait ce petit morceau . Le meilleur effet qu'il puisse faire c'est d’écarter toute idée de satire, et de repousser toutes les allusions indiscrètes . Par là M. Marin est bien plus à son aise . Sa bonne volonté ne peut plus être combattue par la crainte de donner prise à la malignité .

Il y a encore un parti à prendre pour prévenir toutes les chicanes, c'est de ne point intituler la pièce Les Guèbres, mais si l'on veut, Les Deux frères, ou Les Deux Officiers, tragédie, dont la plupart des acteurs sont de simples citoyens, dans le goût des tragédies bourgeoises . Voilà comment on pourrait l'annoncer à peu près au théâtre . L'intitulé des Guèbres ressemble trop à celui des Scythes, et pourrait être trop dangereux .

Je vous prie de communiquer aux anges le changement que La Touche a fait en enfer . Il y a encore quelques petits point d'aiguille . La Touche avoue qu'il n' a jamais pu s'empêcher de faire ses pièces en douze ou quinze jours, mais qu'il a mis ensuite beaucoup de temps à les corriger. Je crois que celle-ci peut avoir un grand succès, il ne s'agit que de jouer naturellement et avec onction . Non seulement ce succès serait une chose très plaisante et très amusante pour vous, mais il peut procurer des choses très agréables . Je ne vois plus nulle difficulté à la lire aux comédiens et à la jouer . Je pense qu'il faut que je renvoie les trois premiers actes bien copiés par Bigex dont on ne connaît point l'écriture . À l’égard des deux derniers, je pense qu'il n'y a plus rien à faire .

Voilà tout ce que je peux vous dire aujourd’hui sur cette facétie dont peut-être on peut tirer un grand parti .

Voici un petit billet pour les deux enfants 2. Mme de Florian est-elle arrivée ?

Je vous embrasse le plus tendrement du monde.

 

Changements pour le IIIè acte.

Scène 4è

après ces vers

Cesene

Va, dans ce jour de sang je juge que nous sommes

Les plus infortunés de la race des hommes,

( ôtez tout ce qui suit et mettez ainsi )

Cesene

Va, dans ce jour de sang je juge que nous sommes

Les plus infortunés de la race des hommes. –

Va fille trop fatale à ma triste maison,

Objet de tant d'horreurs, de tant de trahison ;

Je ne me repens point de t'avoir protégée.

Le traître expirera : mais mon âme affligée

N 'en est pas moins sensible à ton cruel destin.

Me pleurs coulent sur toi, mais ils coulent en vain ;

Tu mourras : aux tyrans rien en peut te soustraire ;

Mais je te pleure encore en punissant ton frère .

( aux soldats )

Allons auprès du mien : donnons-lui nos secours

Et sauvons s'il se peut ses déplorables jours .

 

Scène 5è

Arzame seule

Il va frapper Arzame ; il me plaint, il me pleure !

Mon frère va mourir, il faut bien que je meure

Ou par l'arrêt sanglant de mes persécuteurs

Ou par mes propres mains, ou par tant de douleurs . –

Ô mort ! Ô destinée ! Ô Dieu de la lumière,

Créateur incréé de la nature entière,

Être immense et parfait, seul être de bonté,

Pourquoi tant d’injustice et de calamité ?

Quel pouvoir exécrable infecta ton ouvrage ?

La nature est ta fille et l'homme est ton image.

Arimane a-t-il pu défigurer ses traits

Et créer le malheur ainsi que les forfaits ?

Est-il ton ennemi ? Que ta puissance affreuse

Arrache donc la vie à cette malheureuse.

J'espère encore en toi ; j'espère que la mort

Ne pourra malgré lui détruire tout mon sort .

Oui, je naquis pour toi puisque tu m'as fait naître ;

Mon cœur me l'a trop dit, je n'ai point d'autre maître .

Cet être malfaisant qui corrompt ta loi

Ne m'empêchera pas d'aspirer jusqu'à toi.

Par lui persécutée, avec toi réunie,

J'oublierai dans ton sein les horreurs de ma vie.

Il en est une heureuse et je veux y courir ;

C'est pour vivre avec toi que tu me fais mourir. »

2 Cette lettre aux Dupuits n'est pas connue .

 

 

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