10/10/2014
Quand on se trouve en état de faire du bien à une demi-lieue de pays cela est fort honnête
... Faire le bien, ne serait-ce qu'à ses voisins, combien sommes-nous à penser comme Voltaire et surtout à agir comme lui ? Cet homme d'esprit ne manquait surtout pas de coeur .
Celui qui suit, (lui/luit avec le Saint Esprit), non plus .
« A Nicolas-Claude Thieriot
Délices 17 septembre [1759]
Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit, mon cher et ancien ami, mais je suis le rat des champs et vous le rat de ville .
Rusticus urbanum murem mus paupere fertur
Accepisse cavo veterem vetus hospes amicum .1
Vous n'en avez pas tant fait . Vous avez laissé là votre rat des champs . Ce n'est pourtant pas comme un rat piqué de votre négligence qu'il n'a point écrit, c'est qu'il a été fort occupé dans tous ses trous . Car tandis que votre destinée vous a fait faire le long voyage de la rue Saint-Honoré à l'Arsenal 2 et que vous avez ainsi couru d'un pôle à l'autre, j'ai bâti, labouré, planté et semé .
Rident vicini glebas et saxa moventem .3
Vous êtes retiré dans Paris monsieur le paresseux . Vous philosophez à votre aise chez M. de Paulmy,4 mais moi il faut que je visite mes métairies ; que je guérisse mes paysans et mes bœufs quand ils sont malades, que je marie des filles, que je mette en valeur des terres abandonnées depuis le déluge . Je vois autour de moi la plus effroyable misère dans le pays le plus riant . Je me donne des airs à remédier un peu à tout le mal qu'on a fait pendant des siècles . Quand on se trouve en état de faire du bien à une demi-lieue de pays cela est fort honnête . J'entends parler de gens qui vous ravagent, qui vous appauvrissent des deux ou trois cents lieues ou avec leur plume ou avec des canons . Ces gens-là sont des héros, des demi-dieux à pendre , mais je les respecte beaucoup . On dit qu'à Paris vous n'avez ni argent ni sens commun . On dit que vous êtes malmenés sur terre et sur mer . On dit que vous allez perdre le Canada . On dit que vos rentes, vos effets publics courent grand risque . Quand je dis vous, j'entends nous, car je vogue dans le même vaisseau . Mais en qualité de pauvre ermite habitant de frontière je parle respectueusement devant un habitant de la capitale .
Comme il faut lire quelquefois après avoir conduit sa charrue et son semoir, dites-moi je vous en prie ce que c'est qu'une histoire des jésuites , ou la morale des jésuites, ou des dogmes des jésuites prouvés par les faits, en trois ou quatre volumes . En un mot c'est une compilation de tout ce qu'ils ont fait de mémorable depuis frère Guignard jusqu'à frère Malagrida 5. J'ai demandé ce livre à Paris mais je n'en sais pas e titre .
Quid novi ?6 Comment vous portez-vous? n'êtes vous pas gras à lard , et assez honnêtement heureux ? Si ita est congratulator . Farewell my dear .7
V. »
1 On dit qu'un rat des champs reçut un rat des villes dans son pauvre trou, vieil hôte traitant un vieil ami ; Horace, Satires, II, vi, 80-81 : voir : http://www.poetryintranslation.com/PITBR/Latin/HoraceSatiresBkIISatVI.htm#_Toc98155109
2 Voir lettre du 11 juin 1759 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/07/30/je-me-soumets-d-ailleurs-au-pape-et-a-l-eglise-avec-toute-la-5419958.html
et lettre du 7 février 1759 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/02/26/ce-qui-est-neuf-n-est-pas-toujours-vrai-5308752.html
3 Les voisins rient de le voir remuer les mottes de terre et les pierres ; Horace, Épîtres, I, xiv, 39 : « à l'intendant de sa terre » : http://www.espace-horace.org/trad/patin/epitres1.htm#xiv
4 Réponse de Thieriot, du 4 octobre 1759 : « M. le marquis de Paulmy n'a guère le loisir de philosopher . Il est tout absorbé dans les affaires de l'ambassade qu'il va faire . Il m'a dit de vous offrir ses services dans ces pays-là […] Nous sommes une demi-douzaine de philosophes dans son voisinage qui n'approuvent pas non plus que M. le comte d'Argenson son ardeur pour la politique [...] »
Paulmy fut ambassadeur de France en Pologne de 1759 à 1765 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine-Ren%C3%A9_de_Voyer_de_Paulmy_d%27Argenson
5 Voir lettre de février 1759 à François Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/03/20/tachez-de-nous-honorer-dimanche-de-votre-presence-reelle-5327905.html
La description de V* peut correspondre à plusieurs ouvrages sur le sujet, et la réponse de Thieriot ne nous renseigne guère plus : « L'histoire des jésuites en 4 vol. n'est pas de fraiche date . Il y a trois ans qu'elle a été achevée . », « Il a paru depuis peu les Jésuites convaincus de lèse-majesté par théorie et par pratique […] Il y a aussi un livre en 2 vol . sous le titre de Problème de la morale […] Il s’est publié aussi une grande quantité de brochures depuis l'affaire de Portugal ... » Le premier de ces livres est Les Jésuites criminels de lèse-majesté dans la théorie et dans la pratique, 1758 ; l'autre na pas été identifié .Voir : http://books.google.fr/books?id=x2k9AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
6 Quoi de neuf ?
7 S'il en est ainsi je te félicite . Adieu mon cher .
15:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
09/10/2014
je suis à peu près réduit à l'état d'Abélard, mais malheureusement pour moi je ne peux pas goûter la consolation de vous dire, c'est avec vous que j'ai perdu le peu que je regrette
... Ah ! qu'en termes galants ces choses là sont dites !
Comment savoir si c'est de l'Abélard ou du cochon ?
Subtil distingo , "à peu près" . Il y encore loin , j'espère avant de revêtir la robe de bure cachant les burettes .
Pour tout vous dire (en fait, non, je ne vous dirai jamais tout ) , j'ai hésité à mettre en titre "Jérusalem est une belle fille que le Seigneur a aimée dès qu'elle a eu du poil et des tétons ", car de nos jours Jérusalem a la grosse tête et pète de tous côtés, n'en déplaise aux Israeliens , autoproclamés maquereaux d'icelle .
« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand
17 septembre [1759]
Il est vrai, madame, que vous êtes dans un couvent 1 comme Héloïse, et que vous avez eu comme elle un oncle chanoine ; il est vrai encore que je suis à peu près réduit à l'état d'Abélard, mais malheureusement pour moi je ne peux pas goûter la consolation de vous dire, c'est avec vous que j'ai perdu le peu que je regrette . Je peux seulement vous assurer que je vous ai toujours trouvée très supérieure à Héloïse, quoique vous ne soyez point aussi théologienne qu'elle . Je vous ai connu une imagination charmante, et une vérité dans l'esprit que j'ai rencontrée bien rarement ailleurs . Si je n'ai point eu l'honneur de vous écrire, c'est que ma retraite m'a fait penser qu'un homme qui avait renoncé à Paris ne devait pas se jouer à ce qu'il a connu dans Paris de plus aimable . J'ai été sensiblement affligé de votre état, et je vous jure qu'il n'a pas peu contribué à me persuader que le meilleur des mondes possibles ne vaut pas grand chose . Je crois avoir renoncé pour le reste de ma vie, à la plus extravagante des villes possibles . Ce n'est pas que j'aie la vanité de me croire plus sage que ses habitants, mais je ne puis regretter aucune des folies des autres, attendu que je suis trop occupé des miennes ; je me suis avisé de devenir un être entièrement libre . J'ai joint à mon petit ermitage des Délices, des terres sur la frontière de France, qui avaient autrefois le beau privilège de ne dépendre de personne . J'ai été assez heureux pour que le roi m'ait rendu tous ces privilèges malgré le Journal de Trévoux et les gazettes ecclésiastiques . J'ai eu l'insolence de faire bâtir un château dans le goût italien . J'ai fait dans un autre une salle de comédie ; j'ai trouvé de bons acteurs, et malgré tout cela je me suis aperçu à la fin que le plus grand plaisir consiste à être journellement et utilement occupé . Je vois que tous les poètes ont eu raison de faire l'éloge de la vie pastorale, que le bonheur attaché aux soins champêtres n’est point une chimère ; et je trouve même plus de plaisir à labourer , à semer, à planter, à recueillir, qu'à faire des tragédies, et à les jouer . Salomon avait bien raison de dire qu'il n'y a de bon que de vivre avec ce qu'on aime, se réjouir dans ses œuvres, et que tout le reste est vanité 2.
Plût à dieu, madame, que vous pussiez vivre comme moi, et que votre société charmante pût augmenter mon bonheur ! Vous voulez que je vous envoie les ouvrages auxquels je m'occupe quand je ne laboure ni ne sème . En vérité, madame, il n'y a pas moyen, tant je suis devenu hardi avec l'âge ; je ne peux plus écrire que ce que je pense, et je pense si librement qu'il n'y a guère d'apparence d'envoyer mes idées par la poste . Il y a pourtant un ouvrage honnête qui est actuellement sur le métier, c'est l'histoire de la création de deux mille lieues de pays par le czar Pierre . Je fais cette histoire sur les archives de Pétersbourg qu’on m'a envoyées ; mais je doute que cela soit aussi amusant que la vie de Charles XII, car Pierre n'était qu'un sage extraordinaire , et Charles un fou extraordinaire qui se battait, comme dom Quichotte, contre des moulins à vent . J'aurai assurément l'honneur de vous envoyer un des premiers exemplaires, mais je serai bien surpris si l'ouvrage est intéressant .
Non, madame, je n'aime des Anglais que leurs livres de philosophie, et quelques-unes de leurs poésies hardies ; et à l'égard du genre dont vous me parlez 3, je vous avouerai que je ne lis que l'Ancien Testament, trois ou quatre chants de Virgile, tout l'Arioste, une partie des Mille et une nuits ; et en fait de prose française, je relis sans cesse les Lettres provinciales . Ce n'est pas que les pièces nouvelles de nos jours, et les Poésies sacrées de M. Lefranc 4 n'aient leur mérite . On m'a parlé aussi d'un livre de son frère l'évêque, intitulé la réconciliation de l'esprit avec la religion,5 ou comme quelques-uns disent, La Réconciliation normande 6, mais on ne peut pas tout lire, et il faut bien se livrer à son goût . Je vous félicite, madame, vous et M. le président Hénault, de vivre souvent ensemble et de vous consoler tous deux des sottises de ce monde par les agréments délicieux de votre commerce : j'espère que vous jouirez longtemps tous deux de cette consolation . Vous avez été gourmands, et quand les gourmands sont devenus sobres, ils vivent cent ans . Si les évènements du temps sont le sujet de vos conversations elles ne doivent point tarir . Il ne laisse pas d'y avoir quelque plaisir à voir tous les jours une sottise nouvelle . C'est encore un avantage que j'ai dans le petit coin du monde que j’habite ; il n'y a point de pays où l'on soit instruit plus tôt de tout ce qui se passe dans l’Europe . Nous savons toujours les aventures d'Allemagne quatre jours avant vous . Le roi de Prusse me faisait l’honneur de m’écrire assez régulièrement avant que les Russes lui eussent donné sur les oreilles . Il n'a pas actuellement le temps d'écrire, je le crois très embarrassé, et à moins d'un prodige, il faudra qu'il soit un exemple des malheurs de l'ambition ; mais s'il succombe, il ne pourra pas au moins reprocher sa perte aux Français .
Adieu, madame, soyez heureuse autant que vous le pourrez . Conservez votre santé, continuez à faire le charme de la société, faites-vous lire les livres qui vous amusent . Vous ne pouvez lire l'Arioste dans sa langue, et, en cela je vous plains beaucoup ; mais croyez-moi faites vous lire la partie historique de l'Ancien Testament d'un bout à l'autre , vous verrez qu'il n'y a point de livre plus amusant 7. Je ne parle pas de l'édification qu'on en retire, je parle de la singularité des mœurs antiques , de la foule des événements, dont le moindre tient du prodige, de la naïveté du style, etc . N'oubliez pas les premiers chapitres d’Ézéchiel que personne ne lit, mais faites-vous surtout traduire le chapitre 16 qu'on n'a pas osé traduire fidèlement et vous verrez que Jérusalem est une belle fille que le Seigneur a aimée dès qu'elle a eu du poil et des tétons, qu’il a couché avec elle, qu'il l'a entretenue magnifiquement, que cependant elle a couché avec mille amants, et que même elle s'est souvent servie quand elle était seule, de …8 je n'ose pas dire quoi . Et au verset 20 du chapitre 23 il est dit qu'Oliban la bien-aimée après avoir tâté de mille amants a donné la préférence à ceux qui ont les talents d'un âne . Enfin cette naïveté que j'aime sur toutes choses, est incomparable . Il n’y a pas une page qui ne fournisse des réflexions pour un jour entier . Mme du Châtelet l'avait commenté d'un bout à l'autre . Si vous êtes assez heureuse pour prendre goût à ce livre, vous ne vous ennuierez jamais, et vous verrez qu'on ne peut rien vous envoyer qui en approche .
Ah madame, que le monde est bête ! et qu'il est doux d'être dehors ! mais il faudrait surtout le fuir avec vous . »
1 Elle avait loué un appartement dans le couvent de Saint-Joseph, rue Saint-Dominique .
2 Ecclésiaste, III, 12,22 , ...
3 Œuvres d’imagination et romans, comme le montre la suite, d'où l'ironie marquée concernant l'Ancien Testament
4 Le F***, Poésies sacrées, 1751 .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Lefranc_de_Pompignan
5 Jean-Georges Le Franc de Pompignan, La Dévotion réconciliée avec l'esprit, 1755 .Voir :http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Georges_Lefranc_de_Pompignan
et : http://books.google.fr/books?id=_m34xi0X8mAC&printsec...
6 La Réconciliation normande est une comédie de Dufresny, jouée et publiée en 1719 ; elle illustre l'expression qui désigne une fausse réconciliation, prélude à de nouvelles guerres .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dufresny
et : http://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/DUFRESNY_RECONC...
7 C'est ce que V* essaiera de montrer dans le Taureau blanc . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-en-ligne-conte-... ; http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-le-taurea... ; http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-le-taurea... ; etc.
et : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-sommaire-des-co...
8 V* a commencé puis rayé , de godemich . Why not ? http://fr.wikipedia.org/wiki/Godemichet
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08/10/2014
je n'en suis pas moins sensible au mérite et aux talents
... Qui sont encore exercés, pour nous rassurer sur notre présent et notre avenir, par de jeunes humains dont quelques uns sont de ma lignée .
Madame Irma, aurons-nous bien un avenir lumineux ?
« A Charles-François de Bicquilley 1
à l'hôtel de la Montagne
rue Champfleury
à Paris
Au château de Tournay en Bourgogne 17 septembre 1759 2
Vous faites mieux des vers, monsieur, que vous ne choisissez vos sujets ; nous sentons bien, vous et moi, que je ne mérite pas les louanges que vous m'avez données, mais je vous avoue que je suis très flatté de ne pas déplaire à quelqu'un qui joint la bonne poésie à la bonne philosophie ; je ne suis plus à présent qu'un vieillard retiré du monde, occupé à l'agriculture, mais je n'en suis pas moins sensible au mérite et aux talents . C'est à ce titre, monsieur, que j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur,
Voltaire . »
1 Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Fran%C3%A7ois_de_Bicquilley
et : http://books.google.fr/books?id=nxqgaSgXT2oC&pg=PA203...
2 La lettre à laquelle V* répond ici ne nous est pas parvenue .
15:11 | Lien permanent | Commentaires (0)
À propos, la gourmande est philosophe aussi , car on l'est avec ses faiblesses
... A chacun son lot !
"Je grossis, mais je me plais ! "
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay
ma philosophe
[vers septembre 1759]
Vos cartons 1 sont pour moi, madame, les cartons de Raphaël quand ils sont ornés d'un mot de votre main . Il y a une suite aux Entretiens chinois 2; mais elle est au magasin de Ferney . On vous la donnera, mais ce serait à vous à donner, et vous ne voulez que recevoir . La gourmande Denis se porte mieux . Le philosophe est à vos pieds . À propos, la gourmande est philosophe aussi , car on l'est avec ses faiblesses . Dieu vous en donne !
V. »
1 On sait que V* écrivait souvent à Mme d'Épinay sur des cartes à jouer durant son séjour à Genève . De son côté elle semble avoir aussi employé ces cartes pour répondre .
2 Les Entretiens chinois de V* (voir : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/v... ) ne furent publiés qu'en 1769, et son Catéchisme chinois ( voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-dictionnaire-philosophique-c-comme-catechisme-chinois-partie-1-120614958.html ) composé de six « entretiens » en 1764 dans le Dictionnaire philosophique . Il est difficile de leur assigner une date de rédaction sûre, mais la présente lettre est un repère intéressant .
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La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d'avoir eu de grands sentiments de religion ? Qu'on est sot à Paris !
... Je confirme, et , comme la peine c'est une sottise capitale .
Idiot, mais pas sot !
« Marie-Louise Denis
et
Voltaire
à [François-Augustin Paradis de Moncrif]1
[septembre 1759]
[…] qu'il nous reviendra pour vous monsieur je crains fort que votre santé, votre paresse et Saint Cloud ne nous privent du plaisir de vous recevoir dans un de nos châteaux, et que vou[s]2 ne nous obligiez de vous aller faire une petite visite à Paris . Mais comment faire quitter à mon oncle sa charrue ? La chose est plus difficile que l'on ne croit . L'absence ne peut altérer la tendre amitié que j'ai pour vous depuis si longtemps et que je vous conserverai toute ma vie .
Denis.
Soyez bien malade mon cher camarade, afin que nous vous guérissions . Venez au temple d’Esculape, faites votre pèlerinage comme les dames de Paris . Nous avons ici depuis deux ans Mme d'Epinay, confessée en chemin, arrivée mourante . Non seulement elle est ressuscitée mais inoculée . Voilà un grand triomphe et un grand exemple . Et moi donc ! ne pourrai-je me citer ? Je m'étais arrangé pour mourir il y a quatre ans et je me trouve plus fort que je ne l'ai jamais été, bâtissant, plantant, rimant, faisant l'histoire de cet empire russe qui nous venge et qui nous humilie .
O fortunatos nimium, sua nam bona morunt, agricola .3
Ainsi je ne me suis point fait enduire de térébenthine 4 et je n'ai point eu besoin d'envoyer chercher des capucins . Maupertuis a vécu comme un insensé et est mort comme un sot . Le roi de Prusse ne pouvait le souffrir mais comme il n'avait encore de niches à faire ni à l'impératrice , ni au roi, il en faisait à Maupertuis et à moi . J'ai pris le parti d'enterrer l'un, et d'être beaucoup plus heureux que l'autre . L'ingratitude du roi de Prusse a fait mon bonheur, et le roi notre bon maître l'a comblé en déclarant mes terres libres . Il ne me manque que de vous voir arriver ici pour prendre comme moi des lettres de vie au bureau de Tronchin .
Je vous embrasse de tout mon cœur . La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d'avoir eu de grands sentiments de religion ?
Qu'on est sot à Paris !
V. »
1 Manuscrit olographe où manque le premier feuillet de Mme Denis ; l'édition Cayrol suggère Cideville comme destinataire, mais celui-ci n'est pas membre d'une académie et de plus il n'y a rien qui le concerne personnellement, de même que le ton de la lettre ne convient pas ; Voltaire à Ferney suggère Chennevières, mais on peut faire les mêmes remarques que pour Cideville . De plus la mention de Saint Cloud doit être retenue, d'où le destinataire ici proposé .
Voir : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-augustin-paradis-de-moncrif
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Augustin_de_Paradis_de_Moncrif
2 Correction du texte de Bestermann, vous , qui ne convient pas .
3 Ô trop heureux les laboureurs, car ils connaissent leur bonheur ; Virgile, Bucoliques, X,458-459.
4 Allusion aux expériences de Maupertuis, V* parle ordinairement de poix-résine . http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Louis_Moreau_de_Maupertuis
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07/10/2014
Si Gabriel et Philibert m'aiment un peu tout est bien
... Voila !...
« A Gabriel Cramer
Vendredi [vers le 15 septembre 1759] 1
Si Candide a été en Saxe, il doit douter plus que jamais du système du docteur Pangloss . Tout ce qu'on apprend de ce malheureux pays tire les larmes . Mon cher Gabriel y a-t-il quelque chose de prêt ?
Nota bene qu'il y a deux ou trois pages a ajouter vers le milieu . Quand les voulez-vous ? Si Gabriel et Philibert m'aiment un peu tout est bien .
V. »
1 Date basée sur deux hypothèses : 1° que l'allusion aux malheurs de la Saxe est relative à la reprise de Dresde par les Autrichiens le 4 septembre 1759 ; 2° que l'ouvrage en cours d'impression est l'Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand .
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l'Académie française et celle des sciences ne raccommoderont pas tant de sottises
... Faites, dites, écrites, tweettées .
« A Jean-Robert Tronchin
à Lyon
Délices 12 [septembre 1759]
Il est vrai que de tous côtés les nouvelles sont affreuses, et que ceux qui ont acquis des billets de loterie et des annuités ont bien mal placé leur argent . Mon cher correspondant, il faut avoir recours à l'académie de lésine car l'Académie française et celle des sciences ne raccommoderont pas tant de sottises . Cependant j'avouerai à M. Camp qu’au lieu de 26 pieds de pavots, il nous en faut trente-six et que notre théâtre veut encore trente six pieds de fleurs, et même un peu plus grosses que celles qu'on nous a envoyées .
J'aimerais mieux des feuilles d’olivier, mais nous n'avons que des cyprès sur terre et sur mer . Beaucoup de honte et point d'argent ne font pas une situation brillante .
Il n'y a nul mal à avoir négocié les billets signés Labat . Nul baron au monde n'a plus de crédit . Les billets du baron de Thundertentrunc 1 ne valaient pas les siens .
Puisse le beau voyage qu'on voulait faire en Angleterre être rompu comme celui du roi !
Je demande mille pardons à monsieur Camp au nom de Mme Denis et au mien pour les importunités de pavots et de fleurs et de réseau et de satin .
N'avez-vous pas devers Lyon une académie de cavales ? J'ai voulu aussi avoir un haras mais je m'en dégoûte . J'ai peu de foin et beaucoup de bêtes . Si on avait besoin dans l'académie d'un bel étalon, poil bai, crins noirs, je l'enverrai au maquereau royal 2 . Mon étalon a neuf ans et demi, et c'est un fier monsieur .
Mille tendres compliments à toute la société .
V.
N.B.- que Mme Denis n’importune plus M. Camp pour trente aunes de réseau d'argent . Voilà une dépense de moins . Mais elle persiste toujours dans l'attente des réseaux précédents et dans les 3 3 pieds de pavots , et dans les 36 pieds de grosses roses et de lis, et dans son amitié pour vous.»
1 Père de Cunégonde dans Candide .
2 D'Argenson, directeur des haras, voir lettre du 5 mars 1759 à Marc-René d'Argenson , marquis de Voyer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/04/10/on-a-tant-ecrit-sur-la-population-que-je-veux-au-moins-peupl-5343933.html
3 Plutôt 36 comme indiqué plus haut .
11:08 | Lien permanent | Commentaires (0)