Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/10/2014

en disant la vérité on peut toujours la présenter sous un jour favorable

... Beaucoup plus facilement que le fatras de mensonges que débite à longueur de journée un vain vindicatif candidat à la présidentielle .

 La vérité est nue et sort du puits, le mensonge pue et sort du fumier . Qui veut encore se salir les mains ?

 

dire-verite-revolutionnaire-34087946.jpg

 

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov

Au château de Tournay par Genève 11 septembre 1759 1

Monsieur, M. de Soltikoff s'est chargé de vous faire parvenir un petit ballot contenant quelques imprimés et quelques manuscrits pour votre bibliothèque . J'offre à Votre Excellence les fruits de ma petite terre, en attendant que je puisse lui envoyer ceux qu'elle a fait naître elle-même, et qui sont le produit de votre glorieux empire . Je n'ai jamais tant désiré de m'attirer l'attention des lecteurs que depuis que je suis devenu votre secrétaire, car en vérité je n'ai que cette fonction , et si vous en exceptez le manuscrit du général Lefort, et quelques autres pièces que j'ai consultées, tout a été fidèlement écrit sur les mémoires que vos bontés m'ont fait tenir . Vous aurez incessamment un volume entier qui est poussé non seulement jusqu'à la victoire de Pultava, mais qui embrasse toutes les suites de cette journée mémorable .

Je vous avouerai que j'ai toujours besoin de nouveaux éclaircissements sur la campagne du Prut . Cette affaire n'a jamais été fidèlement écrite, et le public est aussi incertain qu'il est avide d'en connaître le fond et les accessoires . Le journal de Pierre le Grand passe bien légèrement sur cet important article . Je ne doute pas, monsieur, que vous ne me fassiez communiquer ce qu'on pourra confier de vos archives ; soyez bien sûr que je ne veux être éclairé que pour assurer mieux la gloire de votre grand législateur . Vous savez qu'on ne peut donner du crédit aux belles actions qu’en ne dissimulant rien ; mais qu'en disant la vérité on peut toujours la présenter sous un jour favorable .

On a imprimé depuis deux ans à Londres les mémoires de M. Withworth 2, envoyé d'Angleterre à votre cour dans le commencement du siècle ; ces mémoires ne sont pas trop favorables à l'impératrice Catherine, et ne rendent pas à Pierre le Grand toute la justice qui lui est due ; je suis obligé quelquefois de réfuter plus d'un auteur, surtout le chapelain Nortberg,3 historien passionné de Charles XII, mais très maladroit dans sa passion, et très peu judicieux dans ses idées .

Quelques uns de nos savants de Paris veulent que les Sibériens viennent des Huns, les Huns des Chinois, les Chinois des Égyptiens ; on peut égayer une préface en montrant le ridicule de la plupart de ces chimères . Il n'y a pas grand profit à faire pour l'esprit humain, à rechercher l'ancienne histoire des Huns et des Ours qui ne savaient pas plus écrire les uns que les autres 4. Il s'agit de l'histoire de celui qui a créé des hommes .

Comme il ne faut rien que le vrai dans cette histoire, je vous ai supplié, monsieur, de vouloir bien me dire si je dois employer le discours qu'on attribue à Pierre le Grand en 1714. Mes frères qui de vous aurait pensé il y a trente ans que nous gagnerions ensemble des batailles sur la mer Baltique ? etc5 . Ce discours , s’il est authentique, est un morceau très précieux .

Mon estime pour le jeune M. de Soltikoff augmente à mesure que j'ai l'honneur de le voir . Il est bien digne de vos bienfaits, son goût pour s'instruire, son assiduité à l'étude, son esprit qui est au dessus de son âge, justifient tout ce que votre générosité fait pour lui . Je ne peux , en vous parlant de lui, oublier le général de son nom 6, qui se couvre de tant de gloire, et qui en acquiert une nouvelle sous votre empire . Pour vous , monsieur, vous vous contentez du rôle de Mecenas . Ce rôle n'est pas assurément le moins noble et le moins utile ; il mène à une sorte de gloire indépendante des évènements ; il est fait pour un esprit supérieur ; et pour un cœur bienfaisant . Voilà la gloire véritable .

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux d'un attachement véritable

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire »

1 Original signé avec date et fin à partir de J'ai l'honneur … autographes . L'édition de Kehl date cette lettre de novembre suite à la copie de Beaumarchais .

3 Joran A. Nordberg , Konung Carl den XIItes historia, 1740, traduite Histoire de Charles XII, roi de Suède, 1742-1748 . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%B6ran_Nordberg

5 Voir Histoire de l'empire de Russie … II, v .

6 Sans doute le comte Piotr Soltikof qui avait remplacé Fermor le 29 juin 1759 ; voir lettre du 25 août 1759 à d'Alembert :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/08/24/7ee3c111bfab5da7b657b0c44a4d4b32.html

Voir aussi : http://www.cyclopaedia.fr/wiki/Bataille-de-Kay

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Piotr_Saltykov

 

06/10/2014

quand il s'agit de plaisir on est bien hardi

... Après avoir vaincu une incurable timidité !

 

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

Soit, mon cher monsieur ! Les lettres de change du baron ne m'embarrassent guère . On remédie à tout, excepté à nos batailles perdues et à notre argent mangé ; il y a une fermentation prodigieuse à Paris et à Versailles, on craint des choses très sinistres . Pour nous consoler de tout cela nous jouons la comédie ; les anciens Romains l’ordonnèrent en temps de peste , mais elle est certainement moins souveraine contre la peste que contre le chagrin .

Mme Denis est enchantée des attentions obligeantes de M. Camp . Nous demandons encore vingt-six pieds courants de fleurs à grands pavots . Cela fera un effet charmant . 26 pieds de pavots peuvent se faire en très peu de temps, et être envoyés avec les réseaux . Nous savons bien que nous vous accablons d’importunités, mais quand il s'agit de plaisir on est bien hardi .

J'attends avec impatience notre conseiller d’État pour notre muraille de Chine ; il faut absolument être fermés,1 et concilier ce qu'on doit à la nécessité, à l'agrément, et à l'académie de lésine .

Bonjour famille charmante .

V.

8 septembre [1759] »

1 Ce projet de clôture sembla avoir supplanté chez V* celui du chemin ; le 8 septembre 1759 précisément , De Brosses écrivait à Jallabert : « M. de Voltaire m'avait écrit l'hiver dernier pour le chemin projeté à Genève et ne m'en a pas reparlé depuis [...] » ; et le 29 septembre 1759, il ajoutait : « Il est fâcheux que l'idée de raccommoder le chemin de Pregny n'ait pas été suivie, personne n'y trouvait plus d'avantage que M. de Voltaire ; il n'en a plus parlé depuis ; mais communément ses pensées d'un jour n'ont ni liaison ni relation avec celles du lendemain . »

 

il est supplié de vouloir bien conserver environ ladite somme pour être incessamment employée au palais de Ferney, à la forteresse de Tournay, à la muraille des Délices, en chevaux, théâtre, décorations, filles, etc.

... Les "filles" ne sont pas ici premières, mais elles ont au moins le mérite d'être citées par ce canaillou de Voltaire .

 

 

 

« A Jean-Louis Labat , baron de Grandcour

par Payerne

à Grandcour

à vue d'oiseau sauf erreurs

1° Doit ledit sieur baron tenir compte à François de V. de 90 000 livres tournois

90 000 £

2° Des intérêts payés à mon dit sieur baron payés pour toute l'année

_5 400 £

Total

95 400 £

Sur quoi il faut déduire environ

24 000 £

remboursés en divers paiements depuis la mi-mars jusqu'à la mi-juin

 

Desquelles 24 000 livres les intérêts doivent être payés jusqu'au jour où ils ont été remboursés

 

Lesquels intérêts montent à environ

__ 500 £

Il ne reste donc des 95 400 livres à recevoir de capital que la somme de

66 000 £

M. de Labat ne doit donc plus que les intérêts de ces        66 000 livres lesquels font

_3 960 £

Auxquels en ajoutant les 500 livres d'intérêt des sommes déjà remboursées monte le tout à

70 460 £

 l'autre part

70 460 £

sauf , quelques petites erreurs imperceptibles .

 

 

Bien entendu que François de V. remettra à mon dit baron ses lettres de change à deux usances de 14 900 livres .

François de V . propose humblement ce petit grimoire à déchiffrer au très savant et très judicieux baron qui le prendra en considération, en approuvera le fond, en raffinera les détails, y mettra toute la justesse de son esprit et toute la profondeur de son arithmétique . François de V. présente ses respects à madame la baronne , à la nymphe appétissante 1, et a grande envie d'embrasser son cher baron quand il aura fait les vendanges de sa baronnie .

7 septembre 1759.

N.B.- Qu'il est supplié de vouloir bien conserver environ ladite somme pour être incessamment employée au palais de Ferney, à la forteresse de Tournay, à la muraille des Délices, en chevaux, théâtre, décorations, filles, etc. »

1 Jeanne-Louise, fille du baron ; voir lettre du 4 septembre 1759 à Labat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/04/vite-beaucoup-d-argent-mon-cher-baron-5461140.html

 

05/10/2014

la sangsue commise par les fermes générales exige le centième de cette bonne action . De quel droit ? sangsue !

... Sangsue mille fois  ! ô fisc français qui t'accapare sans trève une part des héritages des particuliers .

Ô la belle république qui fait subsister des droits féodaux !

Hyènes ! Chacals ! Vautours ! vous dépouillez les morts .

Si quelqu'un peut me dire une seule bonne raison pour ce brigandage, je veux bien l'entendre .

 

 

 

« A Jacques-Bernard Chauvelin

A Tournay 7 septembre 1759

non plainte,

non requête,

non procès,

mais très humble consultation,1

toujours centième denier .

Un peu d’attention, sil-vous-plait, monsieur.2

Par contrat passé le 20 august, V... a bien voulu donner 3125 livres comptant, pour tirer son vassal Betens de prison et le dit Betens abandonne son rural au pays de Gex , jusqu'à ce que V. soit remboursé sur les fruits de ce rural , et le tout sans intérêt . Ainsi spécifié au contrat . Or la sangsue commise par les fermes générales exige le centième de cette bonne action .

De quel droit ? sangsue ! Est-ce ici une aliénation ? Un bail à vie ? Est-ce une aliénation de fonds ? Est-ce un bail de plus de neuf ans ?

Le fonds dont je deviens régisseur vaut environ 700 livres par an . Comptez, vous trouverez qu'en quatre ans et demi tout est fini . Pourquoi fourrez-vous votre nez dans un plaisir que je fais à mon vassal de Tournay  ? pourquoi prenez vous votre part d'un argent prêté par pure charité ? Si vous m'échauffez les oreilles je me plaindrai à M. de Chauvelin .

Vous m'avez extorqué là 50 livres avec la petite oie 3. Sachez que je les retiendrai ( car M. de Chauvelin le jugera ainsi ) sur le centième de l'acquisition à vie de Tournay . Je ne veux pas importuner le roi pour avoir un brevet d'exemption . Je suis satisfait de ses bontés . L’État a besoin d'argent . Oui vous aurez votre centième d'acquisition à vie, en protestant que c'est au rusé président Des Brosses à le payer, non à moi . Patience . Mais pour les 50 livres extorquées, vous les rendrez s'il-vous-plait ; ou il n'y a point de justice sur la terre .

Vous êtes chicaneur et vorace, vous dégoûtez de faire du bien .

Si M. de Chauvelin met no en marge de ma pancarte, je me tais ; mais il mettra si .

Le laboureur V. présente ses respects à monsieur le protecteur des édits, et à monsieur l'abbé son frère examinateur des édits .

Il le supplie de permettre que cette lettre pour monsieur l'ambassadeur soit mise dans son paquet .

Du théâtre de Tournay, pays de Gex, pays charmant,

mais où la terre ne rapporte que trois pour un,

pays où j'entretiens les haras du roi à mes dépens

et où je n'ai point d'avoine, ainsi tout va . »

1Ces mots sont écrits dans la marge en face des trois premières lignes .

2 Ces mots sont écrits en marge en face du début du corps de la lettre .

3Avec la petite oie a été ajouté en marge ; cette expression désigne originairement les abattis de l'oie et est employée par figure pour désigner l'accessoire d'une chose ou d'une affaire, ici , les frais annexes .

 

 

Le temps étant fort cher

... Faites votre prix, mon temps est compté, d'où sa valeur . Les enchères sont ouvertes ...

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

[vers le 5 septembre 1759] 1

Le temps étant fort cher , mon cœur tout plein, ma tête épuisée, Pierre le Grand m'occupant du matin au soir, le nouveau semoir à cinq tuyaux demandant ma présence, cinquante maçons me ruinant, l'abbé d'Espagnac me chicanant, trois ou quatre petits procès me lutinant, et mes yeux n'en pouvant plus, je dicte avec humilité le présent mémoire, et je supplie le comité des anges de le lire avec bonté, attention et sans prévention .

1° Pour M. l'abbé d'Espagnac , je n'en parlerai pas pour avoir plus tôt fait . Je me borne à remercier tendrement les dignes ministres qui veulent bien traiter avec lui ; je le soupçonne d'être difficile en affaires, et si les édits du traducteur de Pope 2 sont entre ses mains, je crois que la critique sera épineuse .

2° Je prie tous les anges de députer M. de Chauvelin l'ambassadeur,3 et de lui faire prendre absolument la route de Genève, qui est plus courte que celle de Lyon . Un homme accoutumé à passer les Alpes passera bien le mont Jura . Son chemin sera plus court de 25 lieues en prenant la route de Dijon, St Claude et Annecy ; nous lui promettons de lui jouer une tragédie et une comédie dans la masure appelée château de Tournay, sur un théâtre de Polichinelle, mais dont les décorations sont très jolies . Il me verra faire le vieillard d'après nature ; nous le logerons au Délices ; il peut être sûr d'être très étroitement logé, mais gaiement et dans la plus jolie vue du monde ; on logera son secrétaire et son valet de chambre encore plus mal, mais on lui fera manger des truites . Il verra s'il veut les graves syndics de Genève, les ministres sociniens, et trouvera encore le secret de leur plaire selon son usage .

3° Il trouvera des cœurs sensibles à toutes ses bontés, pénétrés d'estime et de reconnaissance ; on discutera avec lui son mémoire sicilien 4, qui est plein de sagacité et de vues fines et étendues .

4° Madame Scaliger saura qu'il n'y a aucune de ses critiques , excepté celle du billet adultère, que nous n'ayons approuvées . Nous en reconnûmes la justice il y a plus de six semaines, nous fûmes même beaucoup plus difficiles qu'elle, et nous pouvons assurer que nous avons poussé la sévérité aussi loin que si nous avions jugé la pièce d'un autre .

5° Il faut considérer que la pièce ayant été faite en moins d'un mois, on avait voulu essayer seulement s'il en pouvait résulter quelque intérêt ; c'est la première chose dont il faut s'assurer, après quoi le reste se fait aisément . Le fond de la pièce est une femme vertueuse et passionnée, convaincue d'un crime qu'elle n'a pas commis, sauvée du supplice par son amant qui la croit criminelle, méprisée par celui qui l'a sauvée, et pour qui elle avait tout fait, plus désespérée de se voir soupçonnée par son amant qu'elle n'a été affligée d'être conduite au supplice, enfin son amant mourant dans ses bras, et ne reconnaissant la fidélité de sa maîtresse qu'après avoir reçu le coup de la mort, qu'il a cherchée, ne pouvant survivre au crime d'une femme qu’il adorait .

L'intérêt qui doit naître de ce sujet était affaibli par deux défauts dont le premier a été très bien censuré dans l'écrit de Mme Scaliger . Ce défaut consistait dans l'invraisemblance, dans le peu de fondement de l'accusation portée contre Aménaïde, dans l'oubli des accessoires nécessaires pour rendre Aménaïde coupable à tous les yeux, surtout à ceux de Tancrède . La correction de ce défaut ne dépendait que de quelques éclaircissements préliminaires, de quelques détails , de quelques arrangements historiques . C'est un travail auquel on ne s’est pas voulu livrer dans la chaleur de la composition . J'ai traité cette pièce comme la maison que je fais bâtir à Ferney ; je fais d'abord élever les quatre faces , pour voir si l'architecture me plaira, et ensuite je fais les voutes des caves et les égouts ; chacun a sa méthode . Les anges verront par la première édition qu'on leur enverra, que non seulement la partie historique qu'ils désiraient est traitée à fond, mais qu'elle répand encore dans la pièce autant d'intérêt que de lumière, et on espère que madame Scaliger sera contente .

6° Le second défaut consistait dans des longueurs, dans des redites, qui détruisaient l'intérêt au quatrième et cinquième acte . M. de Chauvelin a fait sur ce vice essentiel un mémoire plein de profondeur et de génie . On voit bien d'ailleurs que ce mémoire est d'un ministre public car il propose que Norador 5 soit instruit par ses espions de la condamnation d'Aménaïde, et qu'il envoie sur-le-champ un agent pour déclarer qu'il va mettre tout à feu et à sang, si on touche à cette belle créature . Je prendrai la liberté, quand j'aurai l'honneur de le voir de lui représenter mes petites difficultés sur cette ambassade ; je lui dirai qu'il est bien difficile que Norador soit instruit de ce qui se passe dans la ville lorsqu'on se prépare à lui donner bataille, lorsque les portes sont fermées, les chemins gardés, et si bien gardés qu'on vient de prendre le messager d'Aménaïde, qui les connaissait si bien . Je lui dirai encore que si Norador prenait dans ces circonstances un si violent intérêt à Aménaïde, elle ne pourrait plus guère se justifier aux yeux de Tancrède . Car qui assurera Tancrède que le billet sans adresse qui fait le corps du délit, n'était pas pour Norador ? L'ambassade même de ce Turc ne dit-elle pas clairement que le billet était pour lui ? Il n'y a que le père qui puisse certifier à Tancrède l'innocence de sa fille . Mais comment ce père pourra-t-il lui-même en être convaincu, si sa fille garde longtemps le silence comme on le veut dans ce mémoire ? Ce silence même ne serait-il pas une terrible preuve contre elle ? N'est-il pas absolument nécessaire qu'Aménaïde en voyant Tancrède , au 3è acte, se déclarer son chevalier, avoue à son père dans les transports de sa joie que c’est à lui qu'elle a écrit, et qu'elle n'ose le nommer devant ses persécuteurs, de peur de l'exposer à leur vengeance ? Cela n'est-il pas bien plus vraisemblable, bien plus passionné, bien plus théâtral ?

7° On dit dans le mémoire qu'il n'est pas naturel que Tancrède, dans le 4è acte, coure au combat, sans s'éclaircir avec Aménaïde, qu'elle doit lui dire, Arrêtez, vous croyez avoir combattu pour une perfide qui écrivait à un Turc, et c'est à un bon chrétien, c'est à vous que j'écrivais . Je répondrai à cela, qu'il y a des chevaliers sur la scène, que ces chevaliers sont les ennemis de Tancrède, qu'ils trouveraient Aménaïde aussi coupable de lui avoir écrit contre la loi, que d'avoir écrit à Norador . J'ajouterai que dans la pièce telle qu'elle est, Tancrède n’est point connu , qu'il était en effet très ridicule qu'on le reconnût au commencement du 4è acte, que c'était la principale source de la langueur qui énervait les deux derniers, qu'il y avait encore là une confidente, grande diseuse de choses inutiles, et que tout ce qui est inutile refroidit tout ce qui est nécessaire . J'aurai d'ailleurs beaucoup de remerciements à faire, et quelques objections à proposer, mais j'apprends dans ce moment des nouvelles de mes vaches et de mes semailles, qui sont autrement importantes que les amours de Tancrède et d' Aménaïde . Les sangsues du pays de Gex veulent encor me faire payer un centième denier, parce que j'ai prêté mille écus à un pauvre diable pour le tirer de prison ; je vais faire un beau mémoire pour M. de Chauvelin l'intendant 6 qui me fera encore plus d'objections que monsieur son frère .

Le résultat de tout ceci, c’est que monsieur l’ambassadeur ne peut pas se dispenser de venir voir la pièce aux Délices . Je la fais copier actuellement et je l'enverrai bientôt au chœur des anges de qui je baise le bout des ailes avec toute humilité, pénétré de reconnaissance pour eux tous, et au désespoir d'être heureux loin d’eux . Mais tout le monde me dit que je fais très bien de rester dans mon royaume de Catai et que je suis plus sage que Socrate . Je le crois bien .

N.B.- Que le 3è est tout en action, le 4è en sentiment, le 5è sentiment et action ; vous verrez ! »

1 Le manuscrit est intitulé « Mémoire pour les anges ».

2 Silhouette .

3 Chauvelin et sa femme , en route pour l'Italie passèrent quelques jours avec V* à la fin d'octobre 1759 : voir lettre du 5 novembre 1759 à Mme de Fontaine : 6/11/2010

4 Sur Tancrède dont l'action se passe en Sicile .

5 V* remplaça ce nom par Solamir .

 

04/10/2014

J’expie autant que je peux par les plaisirs les barbaries dont j'attends des nouvelles

... Sinon je deviendrais dingue-méchant-con !

 

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

4 septembre [1759]

Si vous n'avez pas fait usage mon cher correspondant des deux lettres de change de notre baron Labat, je vous prie de me les renvoyer .

Je crois que je recevrai aujourd'hui les fleurs pour le théâtre , et les pompons pour la cavalerie . J’expie autant que je peux par les plaisirs les barbaries dont j'attends des nouvelles . Je crains que le roi de Prusse n'ait donné une nouvelle bataille et qu'il ne l'ait perdue avec la tête ; après quoi les Autrichiens viendront nous demander compte du foin que nous avons mangé en Allemagne, le tout selon les lois du meilleur des mondes possibles .

Votre très humble serviteur

V. »

 

 

 

Que vous faites bien madame de vous délivrer de tous ces banquiers ! Les Olenslagers et tous les gens de son espèce auront à la fin tout l'argent de l'Europe

... Olenslagers et autres banquiers, essayez d'échapper à leurs griffes est tâche difficile sinon impossible, crise ou pas crise ils s'en sortiront plus gras que jamais, de toute éternité .

 

 

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

Aux Délices 4 septembre [1759

Madame, je reçois la lettre dont Votre Altesse Sérénissime m'honore par les mains de l'avocat qu'elle a envoyé dans nos montagnes . Que vous faites bien madame de vous délivrer de tous ces banquiers ! Les Olenslagers et tous les gens de son espèce auront à la fin tout l'argent de l'Europe . Je n'ai nulle nouvelle du marchand baron, il est en pleine Suisse dans sa terre qu'il a gagnée à vendre paisiblement de la mousseline, tandis que tant de terres de ceux qui ne vendent que leur sang sont ravagées . Il sera sans doute fort aise lui-même du parti que Votre Altesse Sérénissime a pris . Je n'ai point vu encore celui qu'elle a envoyé . J'étais dans un de mes ermitages quand il me cherchait dans l'autre . Je l'attends aujourd'hui à dîner mais la poste partira avant qu'il arrive . C'est ce qui me détermine à écrire par le courrier qui d'ailleurs ira plus vite que lui .

J’eus l'honneur madame de vous écrire avant hier 1 et je pris la liberté de mettre dans le paquet une lettre qui peut n'être pas tout à fait inutile à la personne 2 qui la recevra . Vous vous intéressez à elle et je ne devrais pas m'y intéresser . Mais les affaires de ce monde tournent quelquefois d'une manière ridicule . Il est sans doute bien extraordinaire que je sois à portée de servir cette personne . Elle est très capable de n'en rien croire, car avec de très grandes qualités on a quelquefois des caprices . Je n'ose en dire davantage . Plût à Dieu, madame, que je puisse venir me mettre à vos pieds pendant quelques jours . Je me flatte que les yeux de la grande maîtresse des cœurs sont meilleurs que les miens . Ils vous voient tous les jours . Les miens sont punis d'avoir quitté votre cour .

Recevez, madame, les profonds respects de l'ermite V. avec votre indulgence ordinaire . »

1 Ou plutôt trois jours avant, lettre du 1er septembre 1759 :

2 Frédéric II, voir note de la lettre du 1er septembre 1759 à la duchesse,  ci-dessus .