Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/02/2016

Puissent les fanatiques et les hypocrites être écrasés ! Mais, quand on ne peut les exterminer, il faut vivre loin d'eux

... Soit en les fuyant, soit en les faisant fuir ; cette seconde option me convenant davantage, évidemment , de même qu'elle serait volontiers adoptée par tous ces malheureux migrants chassés par les guerres civiles .

 Afficher l'image d'origine

Combien de couleuvres à avaler avant la paix ?  ou alors négociateurs parler avec langues fourchues ? Uhgh !              

 

« A Ponce-Denis Ecouchard Le Brun

Au château de Ferney, 15 février [1761]

Il y a longtemps, monsieur, que je ne suis surpris de rien, mais je suis affligé qu'on traite si légèrement l'honneur d'une famille respectable . Si un gentilhomme en ac, arrivé de Gascogne, voyait sa fille insultée dans les feuilles de Fréron ; si on disait d'elle qu'elle est élevée par un bateleur de l'Opéra, il en demanderait vengeance, et l'obtiendrait . L'honneur d'une famille n'a rien de commun avec de mauvaises critiques littéraires . Le déni de justice dont on nous menace en cette occasion n’est qu'une suite de l'indigne mépris que la nation a toujours fait des belles-lettres qui font sa gloire . Que Fréron dise que la fille d'un conseiller au Châtelet ce qu'il a dit de Mlle Corneille, il sera mis au cachot, sur ma parole ; mais il aura outragé la descendante du grand Corneille impunément, parce que l'impertinence française ne considère ici que la parente d’un auteur élevée par un auteur . Telle est, monsieur, la manière de penser, orgueilleuse et basse à la fois, des légers citoyens de Paris .

C'est une chose honteuse que M. de Malesherbes soutienne ce monstre de Fréron, et que le Journal des savants ne soit payé que du produit des feuilles scandaleuses d'un homme couvert d'opprobre . Mais vous m'ouvrez une voie que je crois qu'il faut tenter, c'est celle de M. le comte de Saint-Florentin 1; il hait Fréron, il protège beaucoup L’Écluse . Vous avez en main, monsieur, le certificat de Mme Denis, celui du résident de France à Genève, la procuration de L’Écluse même ; ne pourriez-vous pas faire adresser toutes ces pièces à M. de Saint-Florentin, avec une lettre de M. Corneille, qui lui représenterait l'outrage fait à lui et à sa fille, les mots : de belle éducation au sortir du couvent ! etc . , mots qui seuls sont capables d'empêcher cette demoiselle de se marier ?

Une lettre forte et touchante, telle que vous savez les écrire, ferait peut-être quelque effet . Il est certain que si cette démarche est sans succès, elle n'est pas dangereuse ; il est donc clair qu'on doit la faire .

Le pis-aller, après cela, monsieur, serait de livrer ce coquin à l'indignation du public, en démontrant sa calomnie . L'Écluse est un homme de cinquante ans, très raisonnable, et qui a de l'esprit ; mais nous sommes éloignés de lui confier l'éducation de Mlle Corneille . Je vous répète, monsieur, que nous avons pour elle les soins et les égards que nous aurions pour une Montmorency, que nous y mettons notre gloire . Non seulement Mlle Corneille est devenue notre fille, mais nous la respectons ; et une preuve de nos attentions, c'est qu'elle ne sait rien de l'indigne outrage que le dernier des hommes a osé lui faire .

Je ne vous écris point de ma main, parce que j'ai un peu de goutte .

J'aoute seulement, monsieur, que si M. de Saint-Florentin ne punit pas le coquin, si vous dédaignez de lui donner cent coups de bâton en présence de M. Corneille père, ce sera toujours au moins une petite consolation de démontrer dans tous les journaux qu'il n'est qu'un lâche calomniateur .

Je vois bien qui sont les gens dont vous me parlez, qui se donnent le petit plaisir de faire aboyer ce misérable ; mais les jésuites ont très grand tort avec moi . Il ne tenait qu'à eux de faire taire leur frère Berthier ; les rieurs ne sont pas pour eux, et je fais pis que de me moquer d'eux, puisque je viens de les chasser d'un domaine qu'ils avaient usurpé sur des orphelins ; c'est toujours quelque chose d'avoir fait une telle blessure à une des têtes de l’hydre . Puissent les fanatiques et les hypocrites être écrasés ! Mais, quand on ne peut les exterminer, il faut vivre loin d'eux . Cependant il est dur d'être en même temps loin de vous .

Votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 Le comte de Saint-Florentin avait dans son département l'essentiel des affaires intérieures : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ph%C3%A9lypeaux_de_Saint-Florentin

 

 

13/02/2016

goûtez longtemps les plaisirs de l'esprit, après avoir goûté tous les autres

... Souhaits épicuriens, souhaits bienvenus que l'on peut faire à l'orée de l'année  du singe .

De même qu'on peut souhaiter bonne route aux nouveaux ministres, qui, pas plus que leurs prédécesseurs, n'auront le temps de faire avancer le schmilblick, sous la férule du très politique Fanfoué qui fait appel au ban et arrière-ban de possibles alliés en 2017 .

 Afficher l'image d'origine

 

On rit jaune !

 

 

« A Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de La Popelinière

Au château de Ferney, pays de Gex,

15 février 1761

J'aime autant les romans orientaux, monsieur , que je déteste les romans suisses 1 : recevez mes remerciements, et croyez que mon estime pour vous est égale au plaisir que vous m'avez fait . J'ai dévoré votre Daïra ; je vais la faire lire à Mlle Corneille . Je ne peux mieux commencer son éducation . On dit que vous avez eu le malheur d'être loué par Fréron 2. Cela est triste ; mais le suffrage des honnêtes gens doit vous consoler . S'il est vrai, monsieur, que vous ayez fait imprimer vos comédies 3, je vous prie de ne me point oublier dans la distribution de vos grâces . Vous devez avoir reçu autant de compliments que vous avez donné de Daïra . Continuez, monsieur, à cultiver cette aimable partie de la littérature , et goûtez longtemps les plaisirs de l'esprit, après avoir goûté tous les autres . Vous serez connu par de beaux ouvrages et de belles actions .

J'ai l'honneur d'être, avec une estime et un attachement bien véritables, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 Spécialement La Nouvelle Héloïse, bien entendu .

2 L'éloge avait en effet paru dans L’Année littéraire du 2 janvier 1761 , I, 1, 40 .

3 La Popelinière ne publia jamais que son roman oriental de Daïra dont le titre peut avoir inspiré V* pour un personnage des Lettres d'Amabed, Déra ; voir :https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Lettres_d%E2%80%99Amabed

 

12/02/2016

Je ne vois point le bout de nos malheurs, mais je songe actuellement à du sucre

...

 

 

envie de sucre.png

 

"A Jean-Robert Tronchin

Banquier

à Lyon

Un tant soit peu de goutte au poignet droit, mon très cher correspondant, me prive du petit agrément de vous écrire de ma maigre main . Huile et pâté viendront quand ils pourront ; Mme Denis, M. de Chimène et Mlle Corneille vous font mille compliments . Je ne vois point le bout de nos malheurs, mais je songe actuellement à du sucre . J'ai fait venir des épiceries de Hollande par le Rhin ; mais j'ignore s'il vaut mieux tirer le sucre de Hollande que de France ; je soupçonne qu'il doit être très cher chez vous 1. Mandez-moi je vous prie ce qui en est, et conseillez-moi ; c'est une bagatelle , je le sais, mais comme j'aime l'économie dans une grosse maison, cela donne l'air d'un père de famille ; on dit, voilà un homme bien entendu, il fait venir vingt quintaux de sucre de Hollande quand il est trop cher en France, il fera une bonne maison .

Je n'avais pas cru que M. Tourton, qui doit payer au 1er janvier, fût homme à différer jusqu'au milieu de février ; cela n'est pas d'un homme supérieur dans son état tel qu'il devrait l'être ; en tout cas, le délai est médiocre, et j'espère bientôt boucher quelques trous . Je tâcherai, en bâtissant des retraites agréables, de ne me point ruiner . Je vous embrasse tendrement, vous savez à quel point je vous suis dévoué . Mille amitiés à tout ce qui vous entoure .

V.

Aux Délices 14è février 1761. »

11/02/2016

Chacun se peint dans ses romans

... Mais pour autant on peut opter pour la peinture réaliste, hyperréaliste, ou abstraite .

Afficher l'image d'origine

Quelle est l'option de Nicolas dans son autobiographie qui en cache plus qu'elle n'en révèle ? Je crois bien qu'il correspond au précepteur de La nouvelle Héloïse croqué par Voltaire, se payant sur pièce (ou sur la bête , si j'ose dire), l'un sur son élève, l'autre se gavant de nos impôts .

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental, envoyé

de Parme etc.

rue de la Sourdière

à Paris

11è février 1761

Voilà le cas de mourir . Tout abandonne V. V. a écrit deux lettres à M. le duc de Choiseul 1: point de réponse . Je lui pardonne, il est surchargé . Petit-fils Prault n'a pas daigné m'envoyer un Tancrède . Je ne lui pardonne pas . Mais que mes anges ne m'instruisent ni de la santé de Mlle Clairon, ni d'aucune particularité du tripot, ni du retour de M. de Richelieu, ni de la façon dont certaine épître dédicatoire a été reçue 2, ni de l'unique représentation de la chevalerie 3, ni du Père de famille 4, c'est là le comble du malheur . À quoi dois-je attribuer ce détestable silence ? Mon cher ange a-t-il toujours mal aux yeux, comme moi à tout mon corps ? Le secrétaire que je préfère à tous les secrétaires d’État serait-il malade ?5 ou serait-elle malade ? Mes anges sont-ils absorbés dans la lecture du roman de Jean-Jacques ou de celui de La Popelinière ? Chacun se peint dans ses romans . Le héros de La Popelinière est un homme auquel il faut un sérail : celui de Jean-Jacques est un précepteur qui prend le pucelage de son écolière pour ses gages . Si jamais M. d'Argental fait un roman,il prendra pour son héros un homme aimable qui saura aimer, mais qui laissera languir son ancien ami dans l'attente d'une de ses lettres . Hélas, j'écris ; mais avec bien de la peine ; ma main pèse deux cents livres, ma tête aussi . Je ne sais ce que j'ai . Vraiment je suis bien loin de faire une tragédie . La vie est trop courte . Puisse la vôtre être bien longue, ô mes divins anges .

V. »

1 Ces deux lettres ne sont pas connues .

2 Dédicace de Tancrède à Mme de Pompadour .

3 Représentation du 26 janvier 1761 ; voir lettre du 25 janvier 1761 à Damilaville et Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/24/point-de-roman-de-jean-jacques-s-il-vous-plait-je-l-ai-lu-po-5749540.html

4 Ibid .

5 La comtesse d'Argental, que V. appelle couramment Mme Scaliger .

10/02/2016

Vous ne voudriez pas que je mourusse avec la do[u]leur de [me] plaindre de l'homme du monde que j’estime le plus

... Ce qui n'arrivera évidemment pas, tant que Monsieurdevoltaire vivra sous la main de Mam'zelle Wagnière .

 

DSC04457 grand if grand homme.JPG

« A George Lyttelton, premier baron Lyttelton

My lord, je ne peux vous remercier de ma main, étant malade, mais je n'en suis pas moins sensible à tout ce que vous me faites l'honneur de mander . Permettez-moi seulement d'observer, que ce n'est point un I say 1, que j'ai fait avoir des passeports à des seigneurs anglais, c'est un It is true 2. J'ai été assez heureux pour faire avoir des passeports au fils de M. Fox, et à toute la famille de M. Campbell 3, aussi bien qu'à trois autres Anglais malades, que M. le médecin Tronchin m'avait recommandés ; c'est pour moi un devoir et un plaisir, de rendre service à tout gentilhomme de votre nation ; c'est le seul droit que j'ai à vos bontés, mais tout homme en a à votre justice . J'ose donc vous supplier de vouloir bien faire imprimer à la fin de votre livre, et dans les papiers publics, le petit billet ci-joint . Vous ne voudriez pas que je mourusse avec la do[u]leur de [me] plaindre de l'homme du monde que j’estime le plus .

J'ai l'honneur d'être, etc.

Du château de Ferney, en Bourgogne,

par Genève, 10 février 1761.

 

« On s'est trompé , à la page 134 des Dialogues, en disant que M. de Voltaire était banni de France pour ses écrits . Il demeure en France dans le comté de Tournay, dont il est seigneur . C'est un[e] terre libre en Bourgogne dans le voisinage de Genève : il n'a point été exilé . »

1 Je dis .

2 Il est vrai .

3 Choiseul avait adressé aimablement le passeport pour Campbell dans une lettre à V* du 2 août [septembre] 1760 .

des objets tendres et intéressants ; il faudra dessiner une femme blessée à mort, un guerrier qui la regarde avec douleur et avec effroi

... Afficher l'image d'origine

Voltaire sait manier l'humour comme personne, un maître .

10 février 1778, Paris avait l'honneur et la joie de recevoir cet immortel .

10 février 2016, le ministère des Affaires étrangères dit adieu à Laurent Fabius qui va pantoufler au Conseil constitutionnel .

A votre avis, qui, dans 238 ans se souviendra de ce nouveau président pistonné ? Pas moi en tout cas !

 

« A Gabriel Cramer

à Genève

10 février 1761

Monsieur Gabriel saura que ce n'est plus une chaine de galériens qu'il faut graver ; on substitue à cette plaisanterie des objets tendres et intéressants ; il faudra dessiner une femme blessée à mort, un guerrier qui la regarde avec douleur et avec effroi, et un autre guerrier désespéré posant son épée la garde en terre, la pointe appuyée sur son ventre, et prêt à se percer . Il n’y aurait donc qu'à prier Gravelot de subs[ti]tuer 1 cette estampe à l'autre .

Monsieur Cramer est prié d'envoyer deux exemplaires reliés du nouveau volume, et quatre brochés ; s'il peut trouver le Corpus poetarum il fera grand plaisir . »

1 La copie ancienne du manuscrit donne substuer .

Votre livre m'a paru très bien fait, très commode et très utile

 ...   Ah ! vil flatteur, tais-toi ! me dis-je .

Il aura la fin qu'il mérite , au mieux dans la poubelle jaune, peut-être ailleurs pour des cas d'urgence de fesses endurcies en manque de papier de soie .

Afficher l'image d'origine

« A Cosimo Alessandro Collini

Mon cher Collini, vous voilà agrégé au nombre des bons auteurs . Votre livre 1 m'a paru très bien fait, très commode et très utile . Je vous en fais mes compliments et mes remerciements . Je donnerai volontiers les mains à ce que vous me proposez, et à tout ce qui pourra vous être agréable 2.

Vous m'avez envoyé une traduction d'opéra 3, et je vous envoie une tragédie . Il est vrai que je ne prends pas souvent la liberté d'écrire à votre adorable maître ; mais je suis vieux, infirme, et inutile ; je ne dois songer qu'à mourir tout doucement comme font force honnêtes gens, qui ne sont pas plus nécessaires que moi au tripot de ce monde ; je n'ai guère de quoi amuser un grand prince du fond de mes retraites entre le mont Jura et les Alpes ; mais je lui serai attaché jusqu'au tombeau, et je vous aimerai toujours .

V.

Au château de Ferney par Genève

9è février 1761 4. »

2 Il s'agit d'un projet d'édition des oeuvres de V* dont on verra la suite à propos de la lettre du 4 avril 1761 à Collini : voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-16-121758412.html

4 V* avait d'abord noté 10è février .