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14/11/2021

Épargnez-vous, je vous en supplie, les frais d'une gravure pour une brochure, qui entre nous, n'en vaut pas trop la peine

... Avis à tout.e  candidat.e à l'élection présidentielle : épargnez-nous la vision de vos trombines en quadrichromie et vos laïus mensongers sur des flyers qui vont encombrer nos poubelles et dévaster nos forêts . Vous ferez des économies, et n'oubliez pas que vous allez aussi nous infliger la punition de vous voir ( et entendre, je ne dis pas écouter ) sur toutes les chaines TV, ce qui est largement suffisant pour nous dégoûter de vous .

Débat et des bas | Un dessin par jour

 

 

 

« A Jacques Lacombe

Vous êtes trop bon, monsieur, et je ne prétends point du tout qu'il vous en coûte pour m'envoyer des livres ; passe encore si vous les aviez imprimés . Épargnez-vous, je vous en supplie, les frais d'une gravure pour une brochure, qui entre nous, n'en vaut pas trop la peine . Je vous dirai franchement que la pièce m'a paru plutôt une satire de Rome qu'une tragédie . Je ne puis penser qu'une pièce de théâtre sans intérêt se fasse jouer ni lire . Les notes m'ont paru plus intéressantes que la pièce . Une estampe vous coûterait beaucoup, ne ferait nul bien à l'édition, et n'en augmenterait point le prix .

Je vous prie d'ailleurs de considérer que la représentation d'un orage ne caractérise point les proscriptions de trois coquins . Cet orage m'a paru fort étranger au sujet ; j'aimerais mieux, dans une tragédie, un beau vers qu'une belle estampe . Enfin , je sais que vous ferez plaisir à l'auteur de ne vous point mettre en frais pour cette bagatelle . Toutes vos lettres augmentent les sentiments d'estime et d'amitié que vous m'avez inspirés .

Votre très humble et très obéissant serviteur.

V.

20è auguste 1766. 1»

1 L'édition Supplément ua recueil supprime la dernière ligne .

Fi ! que cela est horrible de se rétracter ! Je ne veux pas vous en croire

... Poutine , Loukachenko et Erdogan, beau trio de tordus, unis par la malfaisance : https://actu.orange.fr/monde/crise-migratoire-pologne-bel...

 

 

 

« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont

Le 20 auguste 1766

J’ai reçu, mon cher Cicéron, une lettre du 8 août (puisque les Velches ont fait août d’auguste)1 . Cette lettre m’a transporté de joie. J’ai vu que le plus généreux de tous les hommes me donne le titre de son ami ; je veux mériter et conserver, jusqu’au dernier moment de ma vie, un titre qui m’est si cher. J’ai sur-le-champ dressé de petits mémoires pour M. le duc de Praslin, M. le duc de Choiseul et M. de Saint-Florentin, que Mme de Saint-Julien, parente de M. le duc de Choiseul, et qui est actuellement chez moi, doit porter à Paris. Elle part dans deux jours, et nous servira de tout son pouvoir.

Mais aujourd’hui je reçois une lettre du 11 août qui me perce le cœur. Vous n’y êtes plus mon ami, vous m’écrivez Monsieur. Fi ! que cela est horrible de se rétracter ! Je ne veux pas vous en croire ; je m’en tiens à la première lettre, et je déchire la seconde. J’ai déjà répondu à la première, et cette petite réponse vous parviendra dans le paquet de M. Damilaville 2, dont Mme de Saint-Julien a bien voulu encore se charger.

Je vous répète ici combien je m’intéresse à l’affaire qui vous regarde, et à quel point je suis étonné que M. de La Luzerne n’ait pas pleinement gagné son procès. Je suis persuadé que vous viendrez à bout de tout ; mais je vous dirai toujours que, si nous n’obtenons pas l’évocation pour les Sirven, je suis bien sûr que vous obtiendrez les suffrages de tout le public. L’esquisse du mémoire que vous eûtes la bonté de m’envoyer, il y a quelques mois, me parut devoir produire un morceau admirable, fait pour être lu avec avidité par tous les ordres de l’État, et pour confirmer la haute réputation où vous êtes. La véritable éloquence, et même la langue, sont d’ordinaire trop négligées à votre barreau, et les plaidoyers de nos avocats n’entrent point encore dans les bibliothèques des nations étrangères. Je ne connais guère que votre mémoire pour les Calas qui ait eu de la réputation en Europe ; il a été jusqu’à Moscou.

Adieu, mon cher Cicéron, je me mets aux pieds de madame votre femme. Ne m’ôtez jamais le beau titre que vous m’avez donné. »

1 Cette évolution est conforme aux lois phonétiques du français, qui d'augustum ( ou plutôt d'agustu) a fait aoust ( toujours écrit tel dans les présentes lettres ) puis aout, prononcé d'abord a. out ( le t s'entendant ), puis a.ou (t sourd ), enfin août prononcé ou, comme saoul, de satullum a fini par se prononcer sou dès l'époque de V* . Voir faon, de favonem, etc. Linguistiquement parlant, le français se caractérise par la disparition de toutes les syllabes latines qui n'étaient ni initiales, ni accentuées, par la disparition d'un certain nombre de consonnes intervocaliques, notamment t et d, par la disparition des consonnes finales non protégées par un e muet, ainsi que par la réduction des voyelles intérieures en hiatus, comme dans eage qui a donné âge, etc. Dans le cas d'août, la prononciation en deux syllabes est encore attestée au XVIIè siècle comme il appert par la chanson de marins , Le Trente et un du mois d'août . On l'entend d'ailleurs parfois ici ou là, par exemple dans une chanson à la mode dans les années 60 , La Gadoue, de Petula Clark : https://www.youtube.com/watch?v=B14y1krpq-c

13/11/2021

je n’entends plus rien aux affaires de ce monde . J’y vois quelquefois des abominations qui atterrent l’esprit et qui lient la langue

... Trop d'opprimés ! vraiment trop ! désespérément trop  .

Patatras. La neutralité sert toujours l'oppresseur, jamais l'opprimé (108)  - L'1dex

https://1dex.ch/2019/08/patatras-la-neutralite-sert-toujo...

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

20 auguste 1766

Je suis tantôt aux eaux, tantôt à Ferney, mon cher frère : je vous ai écrit 1 par Mme de Saint-Julien, sœur de M. le marquis de La Tour du Pin, commandant en Bourgogne, et parente de M. le duc de Choiseul. Elle est venue avec monsieur son frère, et a bien voulu passer quelques jours dans ma retraite. Elle a la bonté de se charger d’une lettre pour vous, dans laquelle il y en a une pour M. de Beaumont. En voici une autre que je vous envoie pour ce défenseur de l’innocence.

J’ai vu M. Boursier, pour qui vous avez toujours eu les mêmes bontés ; il n’a pas été embarrassé un moment des calomnies qu’on a fait courir sur sa manufacture ; il est toujours dans les mêmes sentiments 2. C’est bien dommage que ses forces ne répondent pas à son zèle, car il est comme moi dans sa soixante-treizième année. Il désirait fort d’être secondé par des personnes d’un âge mûr, qui semblent avoir tourné leurs vues d’un autre côté. Il se plaint beaucoup d’un de ses camarades qui ne lui a pas répondu. Pour moi, mon cher ami, je n’entends plus rien aux affaires de ce monde . J’y vois quelquefois des abominations qui atterrent l’esprit et qui lient 3 la langue. On dit que, dans certaines îles, quand on a coupé la jambe à un nègre, tous les autres se mettent à danser.

Le gros recueil dont vous m’avez parlé ne paraîtra donc point ? Cela est triste pour ceux qui veulent s'instruire . Il me semble que la proposition qu'on avait faite à votre ami, était bien convenable .

J'attends enfin le mémoire de M. de Beaumont . Je suis toujours très persuadé que ce mémoire mettra le sceau à sa réputation, mais pour les Sirven, ils pourront bien n'être justifiés que par le public . Cela suffit, c'est le premier des tribunaux 4.

Je vous demande en grâce de me faire avoir le mémoire de feu M. de La Bourdonnais . Il manque à mon petit recueil des causes véritablement célèbres.

Adieu . Vos sentiments sont ma plus chère consolation. »

2 Ces sept mots sont absents sur le manuscrit de la copie contemporaine Darmstadt B.

3 Ce mot est remplacé par tuent dans toutes les éditions .

4 Les deux paragraphes précédents, omis dans la copie Beaumarchais-Kehl manquent dans toutes les éditions .

12/11/2021

Quand on peut, avec des paroles, tirer une famille d’honnêtes gens de la plus horrible calamité, on doit dire ces paroles . Je vous le demande en grâce.

... L'actualité du côté de la Pologne et de l'Ukraine, avec la maltraitance des réfugiés doit inciter les dirigeants des autres pays à crier contre ces injustices, sans tarder . Il est temps que Loukachenko, ce sale individu soutenu par le petit Poutine , se fasse corriger par l'Europe . Bernard Guetta ne doit pas rester le seul lanceur d'alerte : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrant...

 

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

19 août [1766] comme disent les Velches,

car ailleurs on dit auguste. 1

Je demande pardon à mon héros de ne lui point écrire de ma main, et je lui demande encore pardon de ne lui pas écrire gaiement ; mais je suis malade et triste. Sa missionnaire a l’air d’un oiseau 2 ; elle s’en retourne à tire-d’aile à Paris. Vous avez bien raison de dire qu’elle a une imagination brillante, et faite pour vous. Elle dit que vous n’avez que trente à quarante ans, tout au plus . Elle me confirme dans l’idée où j’ai toujours été que vous n’êtes pas un homme comme un autre. Je vous admire sans pouvoir vous suivre. Vous savez que la terre est couverte de chênes et de roseaux : vous êtes le chêne, et je suis un vieux roseau tout courbé par les orages. J’avoue même que la tempête qui a fait périr ce jeune fou de chevalier de La Barre m’a fait plier la tête. Il faut bien que ce malheureux jeune homme n’ait pas été aussi coupable qu’on l’a dit, puisque non-seulement huit avocats ont pris sa défense, mais que, de vingt-cinq juges, il y en a eu dix qui n’ont jamais voulu opiner à la mort.

J’ai une nièce dont les terres sont aux portes d’Abbeville ; j’ai entre les mains l’interrogatoire ; et je peux vous assurer que, dans toute cette affaire, il y a tout au plus de quoi enfermer pour trois mois à Saint-Lazare des étourdis dont le plus âgé avait vingt et un ans, et le plus jeune quinze ans et demi.

Il semble que l’affaire des Calas n’ait inspiré que de la cruauté. Je ne m’accoutume point à ce mélange de frivolité et de barbarie , des singes devenus des tigres affligent ma sensibilité, et révoltent mon esprit. Il est triste que les nations étrangères ne nous connaissent, depuis quelques années, que par les choses les plus avilissantes et les plus odieuses.

Je ne suis pas étonné d’ailleurs que la calomnie se joigne à la cruauté. Le hasard, ce maître du monde, m’avait adressé une malheureuse famille qui se trouve précisément dans la même situation que les Calas, et pour laquelle les mêmes avocats vont présenter la même requête. Le roi de Prusse m’ayant envoyé cent écus 3 d’aumône pour cette famille malheureuse, et lui ayant offert un asile dans ses États, je lui ai répondu avec la cajolerie qu’il faut mettre dans les lettres qu’on écrit à des rois victorieux. C’était dans le temps que M. le prince de Brunswick 4 faisait à mes petits pénates le même honneur que vous avez daigné leur faire. Voilà l’occasion du bruit qui a couru que je voulais aller finir ma carrière dans les États du roi de Prusse : chose dont je suis très éloigné, presque tout mon bien étant placé dans le Palatinat et dans la Souabe. Je sais que tous les lieux sont égaux, et qu’il est fort indifférent de mourir sur les bords de l’Elbe ou du Rhin. Je quitterais même sans regret la retraite où vous avez daigné me voir, et que j’ai très embellie. Il la faudra même quitter, si la calomnie m’y force ; mais je n’en ai eu jusqu’à présent nulle envie.

Il faut que je vous dise une chose bien singulière. On a affecté de mettre dans l’arrêt qui condamne le chevalier de La Barre, qu’il faisait des génuflexions devant le Dictionnaire philosophique ; il n’avait jamais eu ce livre. Le procès-verbal porte qu’un de ses camarades et lui s’étaient mis à genoux devant le Portier des Chartreux 5, et l’Ode à Priape de Piron ; ils récitaient les Litanies du Con 6 ; ils faisaient des folies de jeunes pages ; et il n’y avait personne de la bande qui fût capable de lire un livre de philosophie. Tout le mal est venu d’une abbesse dont un vieux scélérat a été jaloux, et le roi n’a jamais su la cause véritable de cette horrible catastrophe. La voix du public indigné s’est tellement élevée contre ce jugement atroce que les juges n’ont pas osé poursuivre le procès après l’exécution du chevalier de La Barre, qui est mort avec un courage et un sang-froid étonnant, et qui serait devenu un excellent officier.

Des avocats m’ont mandé qu’on avait fait jouer dans cette affaire des ressorts abominables. J’y suis intéressé par ce Dictionnaire philosophique qu’on m’a très faussement imputé. J’en suis si peu l’auteur que l’article Messie, qui est tout entier dans le Dictionnaire encyclopédique, est d’un ministre protestant, homme de condition, et très homme de bien ; et j’ai entre les mains son manuscrit, écrit de sa propre main.

Il y a plusieurs autres articles dont les auteurs sont connus ; et, en un mot, on ne pourra jamais me convaincre d’être l’auteur de cet ouvrage. On m’impute beaucoup de livres, et depuis longtemps je n’en fais aucun. Je remplis mes devoirs ; j’ai, Dieu merci, les attestations de mes curés et des états de ma petite province. On peut me persécuter, mais ce ne sera certainement pas avec justice. Si d’ailleurs j’avais besoin d’un asile, il n’y a aucun souverain, depuis l’impératrice de Russie jusqu’au landgrave de Hesse, qui ne m’en ait offert. Je ne serais pas persécuté en Italie ; pourquoi le serais-je dans ma patrie ? Je ne vois pas quelle pourrait être la raison d’une persécution nouvelle, à moins que ce ne fût pour plaire à Fréron.

J’ai encore une chose à vous dire, mon héros, dans ma confession générale : c’est que je n’ai jamais été gai que par emprunt. Quiconque fait des tragédies et écrit des histoires est naturellement sérieux, quelque Français qu’il puisse être. Vous avez adouci et égayé mes mœurs, quand j’ai été assez heureux pour vous faire ma cour. J’étais chenille, j’ai pris quelquefois des ailes de papillon ; mais je suis redevenu chenille.

Vivez heureux, et vivez longtemps : voilà mon refrain, la nation a besoin de vous. Le prince de Brunswick se désespérait de ne vous avoir pas vu ; il convenait avec moi que vous êtes le seul qui ayez soutenu la gloire de la France. Votre gaieté doit être inaltérable ; elle est accompagnée des suffrages du public, et je ne connais guère de carrière plus belle que la vôtre. Agréez mes vœux ardents et mon très-respectueux hommage, qui ne finira qu’avec ma vie.

V.

Oserais-je vous conjurer de donner ce mémoire 7 à M. de Saint-Florentin, et de daigner l’appuyer de votre puissante protection et de toutes vos forces ? Quand on peut, avec des paroles, tirer une famille d’honnêtes gens de la plus horrible calamité, on doit dire ces paroles . Je vous le demande en grâce. »

1 Initiale, date et post-scriptum autographes .

2 Mme de Saint-Julien, dont Voltaire parle dans sa lettre du 20 août 1766 à Damilaville : « Je suis tantôt aux eaux, tantôt à Ferney, mon cher frère. Je vous ai écrit par Mme de Saint-Julien, sœur de M. le marquis de La Tour du Pin, commandant en Bourgogne, et parente de M. le duc de Choiseul. Elle est venue avec monsieur son frère, et a bien voulu passer quelques jours dans ma retraite. »

Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin, épousa le 18 décembre 1748 François-David Bollioud de Saint-julien, baron d'Argental .

3 L'édition de Kehl et suivantes mettent « cinq cents livres » ; voir lettre du 11 août 1766 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/11/06/on-voit-les-choses-de-loin-sous-des-points-de-vue-si-differents-qu-il-est-b.html

6 Pantagruel, livre III, chap. 26 , de Rabelais .

7 Pour les d’Espinas ou d’Espinasse ; voir note de V* à la lettre du octobre 1766 à Richelieu : « Affaires des religionnaires, Vivarais ; Intendance de Languedoc . Jean-Pierre Espinas, d’une honnête famille de Château-Neuf, paroisse de Saint-Félix, près de Vernons en Vivarais, ayant été vingt-trois ans aux galères pour avoir donné à souper et à coucher dans sa maison à un ministre de la religion prétendue réformée, et ayant obtenu sa délivrance par brevet du 23 de janvier 1763, se trouvant chargé d’une femme mourante et de trois enfants réduits à la mendicité, remontre très humblement à Sa Majesté que son bien ayant été confisqué pendant vingt-six ans, à condition que la troisième partie en serait distraite pour l’entretien de ses enfants, jamais lesdits enfants n’ont joui de cette grâce. Il conjure Sa Majesté de daigner lui accorder la possession de son patrimoine, pour soulager sa vieillesse et sa famille. » (Note de Voltaire.)

11/11/2021

Je la prendrais, cette route, si les hommes qui aiment la vérité avaient du zèle ; mais on n’en a point, on est arrêté par mille liens, on demeure tranquillement sous le glaive

... Pessimiste ! mais pas si loin de la réalité actuelle. Le glaive est le profit à tout prix, y compris celui de la détérioration du climat . COP26 : mascarade !

Boris Johnson file en jet privé dîner avec un climatosceptique notoire -  Egalite et Réconciliation

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

18 auguste 1766 1

Ils en ont menti, les vilains Velches ; ils en ont menti, les assassins en robe. Je peux vous le dire en sûreté dans cette lettre . C’est par une insigne fourberie qu’on a substitué le Dictionnaire philosophique au Portier des Chartreux 2, que l’on n’a pas osé nommer à cause du ridicule.

Je sais, à n’en pouvoir douter, que jamais livre de philosophie ne fut entre les mains de l’infortuné jeune homme qu’on a si indignement assassiné.

Je ne vois, mon cher frère, que cruauté et mensonge. Il est si faux qu’on m’ait refusé, qu’au contraire on m’a prévenu, et qu’on a même tracé la route que je devais prendre 3. Je la prendrais, cette route, si les hommes qui aiment la vérité avaient du zèle ; mais on n’en a point, on est arrêté par mille liens, on demeure tranquillement sous le glaive, exposé non-seulement aux fureurs des méchants, mais à leurs railleries. Les fanatiques triomphent. Que deviendra votre ami 4? quel rôle jouera-t-il, quand l’ouvrage auquel il a travaillé vingt années devient l’horreur ou le jouet des ennemis de la raison ? Ne sent-il pas que sa personne sera toujours en danger, et que ce qu’il peut espérer de mieux est de se soustraire à la persécution, sans pouvoir jamais prétendre à rien, sans oser ni parler ni écrire ?

Le chevalier de Jaucourt, qui a mis son nom à tant d’articles, doit-il être bien content ? Enfin six ou sept cent mille sots huguenots ont abandonné leur patrie pour les sottises de Jean Chauvin, et il ne se trouvera pas douze sages qui fassent le moindre sacrifice à la raison universelle, qu’on outrage ? Cela est aussi honteux pour l’humanité que l’infâme persécution qui nous opprime.

Je dois être très mécontent que vous ne m’ayez pas écrit un seul mot de votre ami, que vous ne m’ayez pas même fait part de ses sentiments. Je vois bien que les philosophes sont faits pour être isolés, pour être accablés l’un après l’autre, et pour mourir malheureusement sans s’être jamais secourus, sans avoir seulement eu ensemble la moindre intelligence ; et quand ils ont été unis, ils se sont bientôt divisés, et par là même ils ont été en opprobre aux yeux de leurs ennemis. Ce n’était point ainsi qu’en usaient les stoïciens et les épicuriens . Ils étaient frères, ils faisaient un corps, et les philosophes d’aujourd’hui sont des bêtes fauves qu’on tue l’une après l’autre.

Je vois bien qu’il faut mourir sans aucune espérance. Cependant ne m’abandonnez pas, écrivez à M. Boursier sur la manufacture, sur M. Tonpla, sur toutes les choses qu’il entendra à demi-mot. Je ne vous dirai pas aujourd’hui, mon cher frère  écrasez l’infâme, car c’est l’infâme qui nous écrase . Voici un petit mot pour le prophète Élie5. »

1 Dans la copie contemporaine Darmstadt B. manque la dernière phrase .

2 Allusion au fait que le Dictionnaire philosophique saisi chez le chevalier de La Barre a été condamné au feu en même temps que le chevalier . Sur Le Portier des Chartreux, voir note 13 de https://satires18.univ-st-etienne.fr/texte/contre-le-franc-de-pompignan-et-autres-adversaires-de-voltaire/le-pauvre-diable

et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511476g/f9.item

et lettre à Jean-Robert Tronchin du 6 juillet 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/18/ce-n-est-point-avoir-vaincu-que-de-ne-pas-poursuivre-vivemen.html

3 Offre de service de Frédéric II de juillet 1766 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1766/Lettre_6409

4 Diderot .

Nous avons plus de commentaires que de lois ; et ces commentaires se contredisent . Je ne connais qu'un juge équitable, encore ne l'est-il qu'à la longue : c'est le public 

... Ce mal français perdure , hélas .

 

 

« A Jean-Baptiste-Jacques Élie de Beaumont

Le 19 auguste [1766] 1

Je ne conçois plus rien, mon cher Cicéron, à la jurisprudence de ce siècle . Vous rendez l'affaire de M. de La Luzerne claire comme le jour, et cependant les juges ont semblé décider contre lui . Je souhaite que d'autres juges lui soient plus favorables . Mais que peut-on espérer ? Tout est arbitraire .

Nous avons plus de commentaires que de lois ; et ces commentaires se contredisent . Je ne connais qu'un juge équitable, encore ne l'est-il qu'à la longue : c'est le public . Ce n'est qu'à son tribunal que je veux gagner le procès des Sirven . Je suis très sûr que votre ouvrage sera un chef-d’œuvre d'éloquence qui mettra le comble à votre réputation . Votre succès m'est nécessaire pour balancer l'horreur où me plongera longtemps la catastrophe affreuse du chevalier de La Barre qui n'avait à se reprocher que les folies d'un page , et qui est mort comme Socrate . Cette affaire est un tissu d'abominations qui inspire trop de mépris pour la nature humaine .

Vous plaidez, en vérité, pour le bien de madame votre femme comme Cicéron pro domo sua 2. Je ne vois pas qu'on puisse vous refuser justice . Vous aurez une fortune digne de vous, et vous ferez des Tusculanes après vos Oraisons .

Je croyais que Mme de Beaumont était entièrement guérie . Ne doutez pas, mon cher monsieur, du vif intérêt que je prends à elle . Je sens combien sa société doit vous consoler des outrages qu'on fait tous les jours à la raison . Que ne pouvez-vous plaider contre le monstre du fanatisme ! Mais devant qui plaideriez-vous ? Ce serait parler contre Cerbère au tribunal des furies . Je m'arrête pour écarter ces affreux objets, pour me livrer tout entier au doux sentiment de l'estime et de l’amitié la plus vraie . »

1 L'édition de Kehl suivant la copie Beaumarchais et suivie des éditions place la lettre en 1769 ; Charrot a fait remarquer l'erreur .

2 Pour sa maison, ce qui veut dire, en fait pour lui .

10/11/2021

franc, loyal, bienfaisant, bon à montrer aux amis et aux ennemis 

... En connaissez-vous au moins un ? Je vous le souhaite . Il se peut aussi que ce soit vous . Trop beau ? ...

 

 

« Au chevalier Pierre de

Taulès, etc.

à l'hôtel de France

à Genève

Lundi matin 18è auguste, à Ferney

Vous êtes, monsieur, un digne compatriote de Henri IV, franc, loyal, bienfaisant, bon à montrer aux amis et aux ennemis . Comptez que vous êtes selon mon cœur. Je suis bien fâché que vos comités vous prennent tout entier. Si vous pouvez quelquefois vous échapper pour venir philosopher avec un solitaire, vous ferez une bonne œuvre dont je vous aurai bien de l’obligation. Je ne vous ai encore vu qu’en grande compagnie, et jamais à mon aise . Je suis pénétré de vos bontés, je vous aime de tout mon cœur, et je veux vous le dire à tête reposée. Mme Denis joint ses prières aux miennes ; nous vous sommes également dévoués.

Mille tendres respects.

V. »