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17/11/2023

Ma foi il n'y a plus que l'Opéra-Comique qui soutienne la réputation de la France

... Ou presque !

 

« A Marie-Justine-Benoîte Favart 1

23è mars 1768 au château de Ferney 2

Vous ne sauriez croire, madame, combien, je vous suis obligé . Ce que vous avez bien voulu m'envoyer 3 est plein d'esprit et de grâces, et je crois toujours que le dernier ouvrage de M. Favart est le meilleur . Ma foi il n'y a plus que l'Opéra-Comique qui soutienne la réputation de la France . J'en suis fâché pour la vieille Melpomène, mais la jeune Thalie de l'hôtel de Bourgogne éclipse bien par ses agréments la vieille majesté de la reine du théâtre . Permettez-moi d'embrasser M. Favart . J'ai l'honneur d'être, avec les sentiments que je dois à tous deux, madame, votre très humble et très obéissant serviteur 

Voltaire .

Pardonnez, madame, le papier s'est trouvé coupé 4. »

2 Édition Charles-Simon Favart : Mémoires et correspondance littéraires, dramatiques et anecdotiques, 1808 .

Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8230x/f5.item ;

voir page 245 : https://books.google.fr/books?id=bq9AAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=voltaire&f=false

3 Mme Favart a dû envoyer Les Moissonneurs, de Favart et Voisenon, représentés le 27 janvier 1768 et publiés peu après ; voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5680863x

4 Ces mots sont écrits en bas dans la marge . La lettre ne comporte qu'un feuillet, et il était considéré comme plus courtois d'envoyer une double feuille, même si le second feuillet restait blanc .

16/11/2023

il faut sagesse et silence

... Dans notre monde moderne ce sont désormais des denrées monnayables et rares .

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Emouvant Sound of silence : https://www.youtube.com/watch?v=02i0OosnMuw&ab_channe...

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

23 mars 1768

Cette lettre est pour M . d'Alembert et pour vous . Je demande le secret à l'un et à l'autre . Si la stance d'une certaine ode 1 courait, vous sentez quelles suites horribles elle pourrait avoir . J'ai tout lieu de craindre qu'on n'ait pris le manuscrit avec le second chant . Mais il faut sagesse et silence . »

1 Dans la copie de Darmstadt , Grimm note : « Il était apparemment question de la stance des bourgeois pesants et bizarres dans le Galimatias pindarique ». Sa conjecture est exacte en ce qui concerne la pièce, non en ce qui concerne la strophe . Sur celle-ci, voir la lettre précédente : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/11/15/m-6471177.html

Quel est parmi nous le barbare ? C'est ce pédant dur et tranquille, Gonflé d'un orgueil imbécile Et qui pense avoir mérité Le droit d'accabler ses semblables Pour l'avoir jadis acheté

... La question se pose au procès Dupont-Moretti . La réponse sera-t-elle identique ?

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert, de

l'Académie française, etc. à Paris

23è mars 1768

Je pense que vous vous moquez de moi, mon cher philosophe ; moi, soixante et treize ans ! J'en ai bien soixante-quatorze sonnés ; les belles caricatures qu'on a faites de moi me font naître le 20 novembre 1694, et je suis né le 20 février 1. Pensez-vous qu'à mon âge, pouvant à peine aller de ma chambre à mon jardin, j'aille faire une visite à Catherine à Moscou ou à Pétersbourg ? Et si j'avais la force et la taille de l'hetman des cosaques qui vint il y a quelques mois à Ferney 2, croyez-vous que je restasse plus de huit jours chez les descendants des Huns ?

Je vendrai peut-être Ferney que j'avais très embelli pour Mme Denis, et qui est assurément un des plus agréables châteaux de France . Je pourrai le vendre pour faire face à nos affaires que notre métier d'aubergiste de l'Europe et les fêtes données par maman ont un peu dérangées . Mais les grands seigneurs de Paris qui nous doivent des dix années d'arrérages nous ont plus dérangés encore . Si elle ne sait pas se faire payer, elle sera pauvre . Si elle réussit, elle sera riche .

Elle se moque du monde de vous dire que son voyage n'était pas nécessaire, et je l'en gronde comme je le dois . Si je vends Ferney je me retirerai dans la terre de Tournay qui est contiguë . Le château n'est pas si beau, mais je n'aime pas le faste .

Je vous demande en grâce, mon cher ami, de me dire si La Harpe ne vous a pas confié une certaine ode où il se trouvait cette strophe :

Quel est parmi nous le barbare ?

Ce n'est point le brave officier

Qui de Champagne ou de Navarre

Dirige le courage altier .

C'est ce pédant dur et tranquille,

Gonflé d'un orgueil imbécile

Et qui pense avoir mérité

...............................

Le droit d'accabler 3 ses semblables

Pour l'avoir jadis acheté, 4

etc.

Il serait bien triste que cela parût, surtout dans le moment présent . Je n'ai rien a ajouter sur l'infidélité et sur la conduite étrange de La Harpe, sinon qu'après l'avoir grondé il faut lui pardonner . Vous ne sauriez croire à quel point votre amitié me console, et un peu de philosophie me soutiendra jusqu’au moment où mon corps sera rendu aux quatre éléments, et où ma faculté de penser sera avec ma capacité de digérer . »

1 V* est officiellement né le 21 novembre 1694 .

2 Comte Kyril Grigorievitch Rasoumovski, feld-maréchal des armées russes Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/10/10/gardez-vous-du-tonnerre-il-rode-entre-nous-deux-6342589.html

3 Au-dessus de la ligne, V* a noté d'égorger .

4 Ces vers pourraient avoir été destinés à l'origine au Galimatias pindarique sur un carrousel donné par l'impératrice de Russie, probablement écrit en 1768 . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-epitres-sur-un-carroussel-donne-par-l-imperatrice-de-russie-38606361.html

et https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome8.djvu/504

15/11/2023

le polisson de gazetier est fort mal informé

... Il s'est fié à l'IA , hélas , la meilleure et la pire des choses pour qui veut s'informer via le net, l'IA étant parfaitement incapable de distinguer le vrai du faux, le mauvais du bon autrement que par des calculs statistiques, et pire encore, absolument capable d'inventer des informations . Nous allons désormais passer plus de temps à démêler le vrai du faux , la presse people ne sera plus la seule à nous faire perdre notre temps : https://leclaireur.fnac.com/article/381446-jo-2024-lia-ut...

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« A Marie-Jeanne Pajot de Vaux, Maîtresse

des comptes

à Lons-le-Saulnier 1

Franche-Comté

Mon cher Pâté, si vous lisez la gazette de Berne vous y aurez vu que j'ai été obligé de m'enfuir de France, mais vous verrez aussi par ma lettre que le polisson de gazetier est fort mal informé .

Mme Denis a été obligée d'aller à Paris pour arranger nos affaires qui sont un peu délabrées . Elle a donné des fêtes, des opéras-comiques, des comédies, des soupers de deux cents couverts ; elle a entretenu quatre-vingt domestiques . Tout cela ruine le plus aisément du monde, et ne se répare pas facilement . Il a fallu qu’elle allât mettre ordre à des affaires abandonnées depuis quinze ans . Celles de votre frère et de votre belle-sœur sont bonnes . Je souhaite que les vôtres, mon cher Pâté, le soient aussi .

Ferney est bien embelli . Ne pourrai-je avoir le bonheur de vous y posséder ? Je vous renouvelle les sentiments que je conserverai toute ma vie pour vous et pour monsieur de Vaux .

Votre vieux Papa V.

22è mars 1768 à Ferney . »

1 Née Marie-Jeanne Dupuits , épouse de Claude-Ignace de Vaux ; voir page 39 : https://books.openedition.org/pufc/3160

14/11/2023

Vous pouvez vendre en toute sûreté au porteur ce qu'il vous demandera

... Sauf à Poutine qui rachète les armes qu'il a vendues au temps où il n'y avait pas de résistance à sa politique de voleur assassin .

https://korii.slate.fr/et-caetera/russie-vendu-armes-monde-entier-maintenant-essaye-recuperer-equipement-militaire-kremlin-ukraine-guerre

 

 

« A Gabriel Grasset rue Verdaine 1

Vous pouvez vendre en toute sûreté au porteur ce qu'il vous demandera .

22è mars 1768. »

 

« A Albrecht Friedrich von Erlach 2

[22 mars 1768]3

[Se plaint d'une affirmation de la gazette de Berne .]

3 Cette lettre n'est connue que par la réponse d'Erlach du 24 mars 1768, qui n'apprend du reste pas grand-chose de plus sur la nature de la plainte de V* à l'égard du gazetier de Berne .

nous avons surtout été les dupes de tous ceux qui ont continuellement mangé à notre table et qui n'ont pas eu ensuite la plus légère attention pour vous et pour moi

... La reconnaissance du ventre n'est plus de mise, pas plus que chez le patriarche ferneysien .

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« A Marie-Louise Denis

22è mars [1768]

Je vous prie, ma chère nièce, de considérer que jamais vous ne retrouverez ce que Jacob Tronchin, tout émerveillé de son lot de quatre-vingt-dix mille livres, vous a proposé, et qu'il ne proposera plus . Il vous faut une somme considérable d'argent comptant pour être agréablement meublée à chez vous Paris . Je vous l'ai dit, je vous le répète, il n'y a point de fermier qui donnât trois mille livres par an de la terre . Les Detournes en ont offert cent soixante mille livres et se sont dédits le lendemain . Les Genevois achètent à bon marché et vendent cher . M. de Boisy nous a trompés en distrayant de sa terre une montagne et un pré considérable qu'il a vendus depuis à d'autres 1. Le président De Brosses m'a trompé plus indignement . Nous avons été les dupes de tous ceux avec qui nous avons eu affaire, excepté dans les acquisitions de l’Ermitage, et du domaine Déodati 2, et nous avons surtout été les dupes de tous ceux qui ont continuellement mangé à notre table et qui n'ont pas eu ensuite la plus légère attention pour vous et pour moi . Vous sentez que le séjour de Ferney ne peut être supportable à une femme de Paris qu'en y ayant une cour ; et c'est ce qui n'est plus possible 3.

A peine êtes-vous partie que tout le monde est tombé sur moi , jusqu'à Shwert qui veut qu'on lui paye des mémoires soldés et payés depuis six ans, les sœurs de charité redemandent les terres que la Burdet a vendues, Brunet fait un procès pour des broussailles, Mme de Monthoux est devenue insolvable . On m'a présenté de Genève vingt mémoires que je ne connaissais pas . Il faut payer au fermier de la chambre des finances de Genève des cens et lods et ventes, dont Boisy n'avait eu garde de me donner connaissance . Il faut payer considérablement à Mme Donop 4. Je ferai face à tout, j'acquitterai tout, mais il faut absolument vendre ce château d'Armide ou vous résoudre à n'en tirer jamais rien . Les premiers moments de la défaite du Conseil ont fait penser quelques Genevois à se retirer dans des terres au pays de Gex . Dans trois mois ils n'y songeront plus : ils supporteront tranquillement leur petite honte, vous n'avez que ce moment et vous le laissez échapper . Cent mille francs d'argent comptant valent mieux pour vous dans la situation où vous êtes que quatre terres de Ferney ; soit que vous vivez avec l'abbé 5, soit avec l'enfant 6 il vous faut une maison commode, et des soupers agréables . Vous retrouverez à Paris vos anciens amis qui n’écrivaient point à Ferney, mais qui ne vous quitteront pas, tant qu'ils pourront se rassembler chez vous à souper . Vous serez à portée de veiller sur votre fortune, à portée des bons médecins, et de tous les secours . Vous irez aux spectacles dans une petite loge, voilà votre vie arrangée .

Tout ce que je crains à présent, c'est que vous ne puissiez pas vendre Ferney dont le prix baisse tous les jours . Envoyez-moi à tout hasard une procuration pour le vendre . Je ne ferai rien sans Christin . Je tâcherai de renouer avec Tronchin . Envoyez la procuration chez Damilaville qui me la fera tenir contresignée pour plus de sûreté . Je recommande encore le maréchal et les héritiers du prince de Guise . Je ne vous ai parlé que d'affaires . Mon cœur n'en est pas moins tendre pour vous . »

1  Le marché a été conclu en octobre 1768 .

3 Les causes du départ de Mme Denis sont loin d'être claires . Wagnière lui-même n'en était pas bien informé . Il peut pourtant être intéressant de savoir ce qu'il en dit à Damilaville dans une lettre presque exactement contemporaine de celle-ci, à savoir du 21 mars 1768 ; la voici .

« Je n'ai point le cœur moins navré que vous, monsieur,de la séparation de Mme Denis d'avec M. de Voltaire . Son départ est réellement un problème bien difficile à résoudre . Les causes qu'en donne votre ami sont trop peu essentielles pour qu'on les croie . On ne s'imaginera jamais qu'un départ aussi précipité et la manière dont il a traité Mme Denis, M. et Mme Dupuits soient occasionnés par le besoin de l’arrangement de leurs affaires, et pour la raison qu'il vous donne encore dans sa lettre d'aujourd'hui .

Le commencement de la querelle vient de ce qu'elle lui dit que les Repré[sentant]s de Genève ne l'aimaient pas plus que les Négatifs, et cela en plaisantant . Sur ces seules paroles il la força de partir, et réforma sa maison, en convenant avec elle de dire que leurs affaires demandaient absolument sa présence à Paris .

Par toutes les réflexions que j'ai pu faire et par ce qu'il m'a dit, j'ai vu que son parti était pris dès longtemps ; qu'il était las d'être l'aubergiste de tous les passants et de la dépense que l'on faisait . Voilà, monsieur, les seules raisons que je connais d'une séparation bien extraordinaire, et qui doit le paraître à tout le monde .

Il veut vivre seul, il ne veut recevoir personne, pas même ses amis les plus attachés à lui qui lui ont offert de venir le voir .

J'ignore absolument si la personne dont vous me parlez a déployé son caractère dans cette aventure . Je vous avoue en bon Suisse que je ne le crois pas, quoique je la connaisse bien . Elle est utile parce qu'elle joue aux échecs, aussi voilà toute son utilité . Mais jamais elle n'aura d'empire, et je suis intéressé à y veiller .

M. de Voltaire ne m' a pas caché qu'il ne voulait point que Mme Denis revint dans ce pays ; il voulait vendre la terre pour aller à Tournay ; je ne sais encore s'il le fera , il n'a aucune résolution fixe . Cela me mettrait au désespoir . Je lui ai dit tout ce qu'on peut dire ; je désirerais qu'il finit sa carrière heureusement . Je l'aime, je lui suis attaché comme à un père depuis quatorze ans, et je vous assure qu'il faut que je l'aime bien pour ne m'être pas séparé de lui , lorsque au bout de quatorze ans qu'il m'a rendu un petit service qu'il m'avait offert, il me le fait sentir souvent d'une manière humiliante et bien sensible à mon cœur ; lorsqu'ayant perdu ma jeunesse et ma santé pour remplir mon devoir et cherché à lui plaire, je me vois sans la moindre fortune et sans le moindre fruit de mes peines . Malgré tout cela je donnerais ma vie pour prolonger la sienne, tant je lui suis tendrement attaché et j'oublie tous mes chagrins .

Je vous ai parlé avec confiance, je parle à son vrai ami, et je ne parle qu'à cet ami seul, et je le supplie de ne pas faire mention d'un seul mot de tout ceci à qui que ce soit, pas même à Mme Denis, et je suis bien sûr de votre discrétion sans quoi je serais perdu et regardé comme un traître à mon maître . Il est dune défiance étonnante ; le moindre mot lui fait ombrage, il en tire des conséquences qui n'y ont nul rapport .

J'ai réussi à le détourner d'aller en Suisse où il voulait aller s'établir .

Quoique M. de La Harpe lui ait fait une indiscrétion qui aurait pu retomber sur moi et qu'il soit d'une arrogance insupportable, cependant son sort fait pitié, et il sera perdu ; et pour que M. de Voltaire l'oublie, il ne faut absolument pas lui en parler davantage ; c'est une remarque que j'ai faite depuis longtemps .

Il se porte très bien, il est fort gai, et quelquefois de mauvaise humeur . Il travaille, il s'amuse ; et j'espère que la belle saison lui fera perdre l'envie de quitter la maison qu'il a bâtie, et qu'il finira tranquillement ses jours dans son agréable retraite .

Je suis pénétré de tout ce que vous voulez bien me dire d'obligeant ; je sens tout le prix de votre amitié .

Si l'on débite des sottises dans vos quartiers, il n'y a sorte de bêtises que l'on ne dise pas ici .

Adieu, monsieur, conservez votre bienveillance à une personne qui la mérite par ses sentiments pour vous .

J'ai pris la liberté de vous adresser il y a quelques jours un paquet sans adresse pour Mme Denis pour des affaires particulières . Je la plains bien, car je l'aime sincèrement ; c'est le meilleur cœur du monde . »

5 Abbé Mignot .

6 Mme Dupuits .

Les chagrins, les inquiétudes, les repentirs, les craintes, aigrirent son sang et pourrirent son cul...il était haï du public...dans le temps qu'il était loué par des lâches

... Je verrais bien ce constat concernant  Poutine, et quelques autres tel Erdogan, Bachar al-Assad, Xi Jin Ping, Kim Jung un, Trump, et tant d'autres encore :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dictature

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https://www.nicolasvadot.com/fr/chroniques/la-dictature-de-linstantaneite/

 

 

« Au chevalier Pierre de Taulès

21è mars 1768

J'ai déjà eu , monsieur, l'honneur de vous répondre 1 sur l'accord honnête de deux puissants monarques pour partager ensemble les biens d'un pupille. Je vous ai dit même, il y a longtemps, que j'avais déjà fait usage de cette anecdote. Je ne vous ai pas laissé ignorer que, dans la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV (commencée il y a plus d'un an, et retardée par les amours du chauve Gabriel Cramer), il est marqué2 expressément que ce fait est tiré du dépôt improprement nommé des Affaires étrangères. Les Anglais disent archives, ils se servent toujours du mot propre ; ce n'est pas ainsi qu'en usent les Welches. Je vous répéterai encore ce que j'ai mandé à M. le duc de Choiseul 3, c'est que la vérité est la fille du temps 4, et que son père doit la laisser aller à la fin dans le monde.

Comme il y a assez longtemps que je ne lui ai écrit, et que ma requête en faveur de la vérité était jointe à d'autres requêtes touchant les grands chemins de Versoix, il n'est pas étonnant qu'il ait oublié les grands chemins et les anecdotes.

A l'égard du cardinal de Richelieu, je vous jure que je n'ai pas plus de tendresse que vous pour ce roi ministre. Je crois qu'il a été plus heureux que sage, et aussi violent qu'heureux. Son grand bonheur a été d'être prêtre. On lui conseilla de se faire prêtre lorsqu'il faisait ses exercices à l'Académie, et que son humeur altière lui faisait donner souvent sur les oreilles. J'ajoute que, s'il a été heureux par les événements, il est impossible qu'il l'ait été dans son cœur. Les chagrins, les inquiétudes, les repentirs, les craintes, aigrirent son sang et pourrirent son cul. Il sentait qu'il était haï du public autant que des deux reines, en chassant l'une et voulant coucher avec l'autre, dans le temps qu'il était loué par des lâches, par des Boisrobert, des Scudérys, et même par Corneille. Ce qui fit sa grandeur abrégea ses jours. Je vous donne ma parole d'honneur que, si j'avais vécu sous lui, j'aurais abandonné la France au plus vite.

A l'égard de son testament, s'il en est l'auteur, il a fait là un ouvrage bien impertinent et bien absurde un testament qui ne vaut pas mieux que celui du maréchal de Belle-Isle.

Si, parmi les raisons qui m'ont toujours convaincu que ce testament était d'un faussaire, l'article du comptant secret n'est pas une raison valable, ce n'est, à mon avis, qu'un canon qui crève dans le temps que tous les autres tirent à boulets rouges; et pour un canon de moins, on ne laisse pas de battre en brèche.

Demandez à M. le duc de Choiseul, supposé (ce qu'à Dieu ne plaise!) qu'il tombât malade, et qu'il laissât au roi des mémoires sur les affaires présentes, s'il lui recommanderait la chasteté ? s'il lui parlerait beaucoup des droits de la Sainte-Chapelle de Paris ? s'il lui proposerait de lever deux cent mille hommes, quand on en veut avoir cent mille ? et s'il ferait un grand chapitre sur les qualités requises dans un conseiller d'État ? etc.

Certainement, au lieu d'écrire de telles bêtises dignes de l'amour-propre absurde du petit abbé de Bourzeis, conseiller d'État ad honores, M. le duc de Choiseul parlerait au roi du pacte de famille, qui lui fera honneur dans la postérité; il pèserait le pour et le contre de l'union avec la maison d'Autriche, il examinerait ce qu'on peut craindre des puissances du Nord, et surtout comment on s'y peut prendre pour tenir tête sur mer aux forces navales de l'Angleterre. Il ne s'égarerait pas en lieux communs, vagues, et pédantesques, il n'intitulerait pas ce mémoire du nom ridicule de testament politique, il ne le signerait pas d'une manière dont il n'a jamais signé. Il est plaisant qu'on ait fait dire au cardinal de Richelieu, dans ce ridicule testament, tout le contraire de ce qu'il devait dire, et rien de ce qui était de la plus grande importance ; rien du comte de Soissons, rien du duc de Weimar ; rien des moyens dont on pouvait soutenir la guerre dans laquelle on était embarqué ; rien des huguenots qui lui avaient fait la guerre, et qui menaçaient encore de la faire ; rien de l'éducation du dauphin, etc., etc., etc.

Je ne finirais pas, si je voulais rapporter tous les péchés d'omission et de commission qui sont dans ce détestable ouvrage. Les hommes sont, depuis très longtemps, la dupe des charlatans en tout genre.

Je ne suis point du tout surpris, monsieur, que l'abbé de Bourzeis se soit servi de quelques expressions du cardinal. Corneille lui-même en a pris quelques-unes. J'ai vu cent petits-maîtres prendre les airs du cardinal de Richelieu, et je vous réponds qu'il y avait cent pédants qui imitaient le style du cardinal.

Si le cardinal a souvent dit fort trivialement qu'il faut tout faire par raison, malgré le sentiment du Père Canaye, il est tout naturel que l'abbé de Bourzeis ait copié cette pauvreté de son maître.

Au reste, monsieur, je hais tant la tyrannie du cardinal de Richelieu que je souhaiterais que le testament fût de lui, afin de le rendre ridicule à la dernière postérité. Si jamais vous trouvez des preuves convaincantes qu'il ait fait cette impertinente pièce, nous aurons le plaisir, vous et moi, de juger qu'il fallait plutôt le mettre aux Petites-Maisons que sur le trône de France, où il a été réellement assis pendant quelques années. Je vous garderai le secret et vous me le garderez. Je vous demande en grâce de faire mes tendres compliments au philosophe orateur et poète, M. Thomas, dont je fais plus de cas que de Thomas d'Aquin.

Je vous renouvelle mes remerciements et les assurances de mon attachement inviolable.

Laissons là le cardinal de Richelieu, tant loué par notre Académie, et aimons Henri IV, votre compatriote et mon héros. 

V.»

3 Lettre inconnue .

4 Dans la Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye, de Saint-Evremond : https://fr.wikisource.org/wiki/Conversation_du_mar%C3%A9chal_d%E2%80%99Hocquincourt_avec_le_p%C3%A8re_Canaye