05/01/2022
je suis bien surpris que son humanité ait résisté à vos sollicitations
... Mais pas surpris de voir qu'il y a des limites à la résistance . Vous députés, vous vous permettez de bloquer un projet de loi , puis vous sautez comme des cabris enragés en hurlant "déshonneur" parce que le président qui en a marre de vos gesticulations, a la franchise suicidaire de dire "Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu'au bout. C’est ça, la stratégie" .
Quand la manière douce est inefficace , il faut bien faire un électrochoc ; déplaisant ? Oui .
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/pas...
« A Louis-Jules Baron Mancini-Mazarini, duc de Nivernais 1
Au château de Ferney, par Genève, 29 septembre 1766 2
Oserai-je, monseigneur le duc, prendre la liberté de vous importuner ? Vous me le pardonnerez, car il s’agit de faire du bien et de mettre le comble à vos bienfaits envers une famille que vous avez daigné tirer de l’état le plus horrible.
Vous avez, monseigneur, fait sortir des galères par votre protection le sieur d’Espinas 3, d’une très bonne famille de Languedoc. Il avait subi ce supplice pendant vingt-trois années, et il était condamné aux galères perpétuelles pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant. Son bien fut confisqué selon l’usage, et le tiers du revenu fut retenu pour la nourriture de ses enfants, qui n’en ont jamais rien touché. Sa femme, qui est respectable par sa vertu et par ses malheurs, est retirée à Lausanne, où elle est au pain des pauvres. Je sais que votre bonté, qui ne s’est point lassée, s’est employée encore en faveur de cette famille infortunée. Vous avez fait ce que vous avez pu pour lui obtenir grâce entière et pour lui faire rendre son bien. Vous en avez parlé à M. de Saint-Florentin, et je suis bien surpris que son humanité ait résisté à vos sollicitations généreuses. Je le crois actuellement adouci, et l’on me fait espérer qu’un mot de votre bouche achèvera de le rendre favorable à une si juste demande.
Permettez donc que je vous supplie de vouloir bien encore lui parler de cette affaire, avec ce don de la persuasion que la nature vous a donné parmi tant d’autres.
Vous verrez incessamment le mémoire de M. de Beaumont en faveur d’une famille encore plus malheureuse ; vous en jugerez. Votre suffrage servira beaucoup à déterminer celui du public, et par conséquent celui du Conseil. Le style et le fond des choses sont également soumis à votre pénétration. Je ne suis que votre confrère à l’Académie, mais je vous reconnais pour mon supérieur en tout le reste. J’achève ma vie sans avoir le bonheur de vous faire ma cour ; mais ce n’est pas sans vous être sincèrement attaché.
Je suis avec un profond respect, monseigneur, etc. »
1 Voir : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/louis-jules-mancini-mazarini-duc-de-nivernais
et : https://data.bnf.fr/fr/12977027/louis-jules_mancini-mazarini_nivernais/
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Jules_Mancini-Mazarini
2 Le manuscrit olographe est passé à la vente Dubrunfaut à Paris le 12 décembre 1884 .
3 Voir lettre du 14 septembre 1766 à Mme de Saint-Julien : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/17/soyez-sure-madame-que-vous-n-etes-pas-faite-seulement-pour-p-6355537.html
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04/01/2022
Voilà une fort sotte affaire, mais la plupart des affaires de ce monde sont fort sottes, et l'on est bien heureux quand l’atrocité ne se joint pas à la sottise
... Pass vaccinal plutôt que Pass sanitaire, that's the question ! Le ridicule de cette discussion devrait entrer sans plus attendre dans le livre Guinness au titre de l'inutilité parlementaire d'une opposition qui ne sait quoi inventer pour se faire valoir, au mépris du simple bon sens . Il y a vraiment quelque chose de pourri dans le royaume de France .
https://www.ladepeche.fr/2022/01/04/pass-vaccinal-a-la-su...
Et pendant ce temps-là des gens meurent .
« A Etienne-Noël Damilaville 1
29 septembre 1766
Vous semblez craindre, mon cher ami, par votre lettre du 23, que l’on ne fasse quelque difficulté sur le bel exorde que vous avez mis à votre certificat . Je ne vous en ai pas moins d’obligation, et je la sens dans le fond de mon cœur. Je compte faire imprimer ce certificat 2 avec les autres, que j’enverrai à tous les journaux ; je n’aurai pas de peine à confondre la calomnie. Il me semble que nous sommes dans le siècle des faussaires ; mais mon étonnement est que les faussaires soient si maladroits. Comment peut-on insérer, dans des lettres déjà publiques, des impostures si atroces et si aisées à découvrir ? Ce qui me fâche beaucoup, c’est que ces lettres se vendent à Genève. Mme la comtesse de Brionne 3, qui daigne venir à Ferney, ne sera-t-elle pas bien régalée de ce beau libelle ? Elle y trouvera sa maison outragée. Je ne sais où prendre ce M. Deodati, qui me doit un témoignage authentique de la vérité : c’est à lui qu’est écrite la lettre si indignement falsifiée et dans laquelle on a substitué une satire insolente aux justes éloges que je donnais à un prince rempli de mérite .
Je reconnais votre cœur,mon cher ami, à votre empressement de trouver ce Deodati, et de lui faire remplir son devoir . Je ne sais point sa demeure ; je lui ai écrit une lettre à cachet volant et je l'ai adressée à M. Marin . Voilà une fort sotte affaire, mais la plupart des affaires de ce monde sont fort sottes, et l'on est bien heureux quand l’atrocité ne se joint pas à la sottise .
Je n'entends point parler du mémoire de M. de Beaumont ; mais je reçois tous les jours des reproches de ce qu'il réclame dans l'affaire de sa femme une loi odieuse contre laquelle il s'élève ailleurs . J'avoue que j'aurais voulu qu'il eût témoigné sa douleur de recourir à une telle loi et qu'il eût fait sentir que son unique objet était la lésion faite à sa femme par la vente d'un bien de famille faite à trop vil prix . Le mémoire pouvait être plus droitement fait qu'il ne l'est, et alors il aurait fait une impression plus favorable sur les esprits . S'il est obligé de faire un nouveau mémoire comme cela peut très bien arriver, je vous supplie de l'engager à se servir de tout son esprit pour détourner l'odieux qu'on s'efforce de jeter sur sa cause . Vous savez si je m'intéresse à M. et Mme de Beaumont .
Adieu, mon cher ami ; je suis bien malade. Je vous répète que je serai très fâché de mourir sans avoir vu Platon, et surtout sans vous avoir revu avec lui. Je vous embrasse de toutes les forces qui me restent. Écr. l’inf.»
1 Copie contemporaine Darmstadt B. sans la formule finale ; L'édition de Kehl amalgame cette lettre à celle du 26 septembre 1766 .
2 C’est celui qui est page 580 : https://fr.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier#580
3 Voir un quatrain de Voltaire sur le buste de Mme de Brionne : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1764/Lettre_5666
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Vous devriez bien abandonner vos ouailles quelques moments
... pour réfléchir et penser au reste du monde , vous tous, prêtres, pasteurs, imams, rabbins, moines de toutes couleurs et prétendus prophètes .
Au hasard, moi l'énergumène (comme le chante le Grand Georges ), j'ai trouvé un cardinal qui fait pencher la balance en faveur des femmes, contrairement à ce détestable Zemmour : https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2021-12/cantal...
Amen .
« A Jacob Vernes
26è septembre 1766 à Ferney
Voici, monsieur, où en est l’affaire de cette malheureuse et innocente famille des Sirven. Il a fallu deux années de soins et de peines réitérées pour rassembler en Languedoc les pièces justificatives. Nous les avons enfin arrachées. Le mémoire de M. de Beaumont est déjà signé par plusieurs avocats . Nous avons déjà demandé un rapporteur . M. le duc de Choiseul nous protège ; il m’écrit ces propres mots de sa main, dans la dernière lettre dont il m’honore :
Le jugement des Calas est un effet de la faiblesse humaine, et n’a fait souffrir qu’une famille ; mais la dragonnade de M. de Louvois a fait le malheur du siècle.
Avouez, monsieur le curé huguenot, que M. le duc de Choiseul est une belle âme, et que ces paroles doivent être gravées en lettres d’or. Pour celles de Vernet 1, si on peut les écrire, ce n’est qu’avec la matière dont Ézéchiel faisait son déjeuner 2. Quant à Jean-Jacques, il suffit de vous dire qu’il y avait autrefois à Paris un pauvre homme nommé Chianpot-la-Perruque 3, qui se plaignait que la cour et la ville étaient liguées contre lui. Vous devriez bien abandonner vos ouailles quelques moments, pour venir converser dans un château où il n’y a pas une ouaille. »
1 Lettres critiques d’un voyageur anglais ; voir la note page 492 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/502
2 « … des excréments sortis de l'homme. » , voir Ézéchiel, IV, 12 : https://saintebible.com/ezekiel/4-12.htm
3 Voir lettre du 21 septembre 1750 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/09/21/df40a821fb169cb0faa0ca782bd67517.html
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03/01/2022
Je ne crois pas m’être servi d’expressions si plates et si ridicules
... Et pourtant si : votre mémoire est défaillante sur commande mon cher Zemmour, ou alors vous n'êtes pas le vrai auteur de votre livre "La France n'a pas dit son dernier mot" : https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-comment-eric-zemmour-parle-t-il-des-femmes-dans-son-dernier-livre-2198430.html
et rappelez vous de vos déclarations https://www.franceinter.fr/politique/articles-livres-disc...
Je ne vous salue pas .
« A Jacques Lacombe
À Ferney, 26è septembre 1766
Je suis obligé, monsieur, de recourir à votre témoignage pour confondre une singulière imposture. Un éditeur s’est avisé de recueillir quelques-unes de mes lettres qui ont couru dans Paris 1. Elles sont toutes falsifiées, et presque toutes les falsifications sont des outrages odieux faits aux personnes les plus considérables du royaume. Ce recueil est imprimé à Amsterdam, sous le nom de Genève. Il est connu dans toute l’Europe, hors à Paris, où il est justement prohibé.
Il y a dans ce recueil une lettre que je vous écrivis en 1763 2, au sujet de la reine Christine. Je vous prie de me dire si les paroles suivantes sont effectivement dans l’original que vous pouvez avoir :
La réputation de son père était si grande qu’on aurait tenu compte à cette princesse de toutes les sottises attachées à son sexe, et même du mal qu’elle n’aurait pas osé faire à ses sujets. Il faut être né bien dépravé et bien stupide pour ne pas briller sur le trône, et pour ne point s’immortaliser par de bonnes actions, plus faciles à faire que les grandes et belles actions. Quoi qu’il en soit, ce livre est toujours un monument précieux qui pourrait servir d’exemple à d’autres princes qui auraient la folle gloriole d’abdiquer.
Je ne crois pas m’être servi d’expressions si plates et si ridicules. Presque tout le reste de la lettre imprimée est très indignement défiguré. Je vous prie de m’envoyer un certificat dans lequel vous fassiez éclater votre juste indignation contre le faussaire. On ne peut réprimer le brigandage de la librairie qu’en le dévoilant.
Je vous serai obligé de m’envoyer les feuilles de la pièce 3 que vous imprimez. Je souhaite que cet ouvrage soit accueilli avec quelque indulgence, afin que l’auteur puisse joindre à la seconde édition quelques morceaux de littérature qu’il m’a confiés 4, et qui me paraissent très curieux. Je vous prie de compter pour jamais sur l’estime et l’amitié qui m’attachent à vous.
V.»
1 Voir l’Appel au public, page 579 : https://fr.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier
2 Voir lettre du 10 juin 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/06/09/quand-on-a-abdique-un-trone-il-faut-etre-sage.html
On la trouve dans les Lettres de Voltaire à ses amis du Parnasse,pages 111-114 , mais le passage cité ici par V* est interpolé .
3 Le Triumvirat.
4 La première édition du Triumvirat contient ces deux morceaux, qu’on peut voir page 587 https://fr.wikisource.org/wiki/Du_gouvernement_et_de_la_divinit%C3%A9_d%E2%80%99Auguste/%C3%89dition_Garnier
et page 1 https://fr.wikisource.org/wiki/Des_conspirations_contre_les_peuples/%C3%89dition_Garnier
et voir aussi lettre du 17 novembre 1766 à Lacombe : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/03/correspondance-annee-1766-partie-46.html
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02/01/2022
Si vous êtes chèvre, madame, il n’y a personne qui ne veuille devenir bouc ; mais vous m’avouerez que de vieux singes, devenus tigres, sont une horrible espèce
... J'adore ce sens du compliment "à la Voltaire" !

Avis aux vieux singes et vielles guenons ! Zemmour , Le Pen et Mélenchon, vous êtes découverts .
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
Place Vendôme
à Paris
26è Septembre 1766
Si vous êtes chèvre, madame, il n’y a personne qui ne veuille devenir bouc ; mais vous m’avouerez que de vieux singes, devenus tigres, sont une horrible espèce. Comment se peut-il faire que les êtres pensants et sensibles ne cherchent pas à vivre ensemble dans un coin du monde, à l’abri des coquins absurdes qui le défigurent ? Je jouis de cette consolation depuis quelques années ; mais il y a des êtres qui me manquent : j’aurais voulu vivre surtout avec vous et vos amis. Il est vrai que le petit nombre de sages répandus dans Paris peut faire beaucoup de bien en s’élevant contre certaines atrocités, et en ramenant les hommes à la douceur et à la vertu. La raison est victorieuse à la longue ; elle se communique de proche en proche. Une douzaine d’honnêtes gens qui se font écouter produit plus de bien que cent volumes : peu de gens lisent, mais tout le monde converse, et le vrai fait impression.
Votre petit Mazar 1, madame, a pris, je crois, assez mal son temps pour apporter l’harmonie dans le temple de la discorde. Vous savez que je demeure à deux lieues de Genève : je ne sors jamais ; j’étais très malade quand ce phénomène a brillé sur le noir horizon de Genève. Enfin il est parti, à mon très grand regret, sans que je l’aie vu. Je me suis dépiqué en faisant jouer sur mon petit théâtre de Ferney des opéras-comiques pour ma convalescence ; toute la troupe de Genève, au nombre de cinquante, a bien voulu me faire ce plaisir. Vous croyez bien que l’auteur de la Henriade a fait jouer Henri IV. Nous avons tous pleuré d’attendrissement et de joie quand nous avons vu la petite famille se mettre à genoux devant ce bon roi. Tout cela est consolant, je l’avoue mais il y a trop de méridiens entre vous et moi : mon malheur est que mon château n’est pas une aile du vôtre ; c’est alors que je serais heureux. Madame Denis pense comme moi ; permettez-nous d’embrasser M. Grimm. Adieu, madame ; vivez heureuse. Agréez mon très tendre respect. »
1 Mozart ! Gabriel Cramer écrit en post- scriptum le 3 septembre 1766 à Johann Rudolf Sinner : « Nous avons ici un jeune Allemand qui m'est fort recommandé de Paris, il a neuf ans ; il joue du clavecin comme on n'en a jamais joué ; il déchiffre tout dans le moment, il compose sur tous les sujets possibles dans le moment, cela est gai, enfant, plein d'esprit, enfin on n'ose pas en parler de peur de n'être pas cru. »
Dans l'édition Garnier, Georges Avenel se contente de donner en note, sèchement : « Joueur de clavecin . » !
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01/01/2022
Tout va comme il plait à Dieu
... et le président est son prophète !

Bonne année à tous
« A Etienne-Noël Damilaville
26 septembre 1766 1
Je n'ai point reçu, mon cher ami, de réponse de M. Deodati . Il faut ou qu'il ne soit point à Paris ou qu'il soit malade, ou qu'il ne sache pas remplir les premiers devoirs de la société . Il me doit le témoignage de la vérité . Ma famille juge que la chose est importante . Je serai peut être forcé de m'adresser à monsieur le lieutenant de police .
Je vous ai déjà mandé que M. le duc de Choiseul et M. le duc de Praslin souhaitaient M. de Chardon pour rapporteur . J'ignore les sentiments présents de M. de Beaumont sur ce choix ; mais le point principal est l'impression de son mémoire . Je me flatte que M. d'Argental en aura le premier exemplaire .
Il me semble que le temps est favorable pour faire imprimer cet ouvrage, et pour disposer les esprits . L'automne est un temps d'indolence et de désœuvrement pendant lequel on est avide de nouveautés .
Vous savez sans doute que le sieur Saucourt 2, juge d'Abbeville, n'a pas voulu juger les autres accusés, et l'on croit qu'il se démettra de sa place . C'est ainsi qu'on se repent après que le mal est fait . J'attends votre paquet dans lequel j'espère trouver des consolations .
Si M. Boulanger, auteur du bel article Vingtième, vivait encore, il serait bien étonné que le blé coûte quarante francs le setier, et qu'on n'y mette point bon ordre . Tout va comme il plait à Dieu . Voulez-vous bien mon cher mai, envoyer cette lettre au libraire Lacombe ? Il y a aussi une lettre à lui adressée dans ce maudit recueil, et Lacombe sera sans doute plus honnête que Deodati .
Bonsoir , mon très cher ami . »
1 L'édition de Kehl amalgame cette lettre ébrégée et la lettre du 29 septembre 1766, également incomplète, sans destinataire . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-annee-1766-partie-39.html
2 Belleval de Saucourt .
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31/12/2021
Il est vrai que j'ai été indigné de certaines barbaries velches, mais je me suis consolé en songeant combien il y a de Français aimables, à la tête desquels vous êtes
... Mam'zelle Wagnière ; je suis heureux de vous connaitre, et je vous souhaite tout ce qui peut vous être agréable .

« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental
26è septembre 1766
Mon cher ange, je vous supplie de présenter mes tendres respects à M. le duc de Praslin . Je suis pénétré des sentiments de bonté dont il veut toujours m'honorer . Je lui souhaite une santé affermie, c'est la seule chose qui peut lui manquer , et c'est celle sans laquelle il n'y a point de bonheur .
Il est vrai que j'ai un beau sujet 1 , mais c'est une belle femme qui me tombe entre les mains à l'âge de près de soixante-treize ans : je la donnerai à exploiter à quelque jeune homme . Je vous ai déjà dit que j'étais comme le chevalier Condom 2 qui s'est fait une grande réputation pour avoir procuré du plaisir à la jeunesse quand il ne pouvait plus en avoir .
La Harpe et Chamfort viennent chez moi à la fin de l'automne, ainsi vous aurez deux tragédies . De quoi diable avez-vous à vous plaindre ?
Je ne hais pas absolument les Roués ; je trouve qu'ils se font lire, et qu'il n'y a pas un seul moment de langueur . Je trouve qu'elle est fortement écrite, et je crois même qu'elle ferait plaisir au théâtre, si Mlle Clairon jouait Fulvie, Mlle Lecouvreur Julie, Baron Auguste, et Lekain Pompée . Il n'est pas mal d'ailleurs d'avoir une pièce dans ce goût afin que tous les genres soient épuisés .
À l'égard des ouvrages philosophiques, tels que Cicéron, Lucrèce, Sénèque, Epictète, Pline, Lucien en faisaient contre les superstitions de leur temps, je ne me pique point d'imiter ces grands hommes . Vous savez que je ne fais aucun ouvrage dans ce goût, je vis chez des Velches et non pas chez les anciens Romains . Je suis sur les frontières d'une nation qui connait par cœur Rose et Colas, et qui ne lit point le De Natura deorum . La calomnie a beau m'imputer quelquefois des écrits pleins d'une sagesse hardie qui n'est pas celle des Velches, mais qui est celle des Montagne, des Charon , des La Motte Le Vayer, des Bayle, je défie qu'on me prouve jamais que j'aie la moindre part à ces témérités philosophiques . Il est vrai que j'ai été indigné de certaines barbaries velches, mais je me suis consolé en songeant combien il y a de Français aimables, à la tête desquels vous êtes avec l'hôte chez qui vous logez . Il n'y a point de mois où l'on ne voie paraître en Hollande, tantôt un excellent ouvrage Fréret, tantôt un moins bon, mais pourtant assez bon de Boulanger, tantôt un autre éloquent et terrible de Bolingbroke . On a réimprimé Le Vicaire savoyard, dégagé du fatras d’Émile, avec quelques ouvrages du consul Maillet 3 . Toute la jeunesse allemande apprend à lire dans ces ouvrages, ils deviennent le catéchisme universel depuis Bade jusqu'à Moscou . Il n'y a pas à présent un prince allemand qui ne soit philosophe . Je n'ai assurément aucune part dans cette révolution qui s'est faite depuis quelques années dans l'esprit humain . Ce n'est pas ma faute si ce siècle est éclairé, si la raison a pénétré jusque dans les cavernes . J'achève paisiblement ma vie sans sortir de chez moi . Je bâtis un village, je défriche des terres incultes, et je suis seulement fâché que le blé vaille actuellement chez nous quarante francs le setier . J’ai bâti une église, et j'y entend la messe . Je ne vois pas pourquoi on voudrait me faire martyr . On peut m'assassiner, mais on ne peut me condamner, et d'ailleurs quand on m’assassinerait à soixante-treize ans, j'aurais toujours probablement plus vécu que mes assassins, et j'aurais plus rendu de service aux hommes que maître Pasquier . Mais j'espère que cela n'arrivera pas, et je vous réponds que j'y mettrai bon ordre . J'ai peu de temps à vivre d'une manière ou d'une autre ; je vivrai et je mourrai attaché à mon cher ange avec mon culte ordinaire d'hyperdulie .
P.S. – Que dites-vous de Mme la comtesse de Brionne qui va des Pyrénées aux Alpes comme on va de Versailles à Paris ? Elle voulait venir incognito, je l'en défie ; est-ce qu'elle serait philosophe ? »
1 Première allusion aux Scythes ; il est clair , par ce paragraphe, que V* a déjà dû en parler à d'Argental dans une lettre qu'on ne connait pas .
2 Inventeur du contraceptif qui porte le nom du pays d'origine du chevalier Condom . Voir : https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1996_num_84_309_4323
3 Benoît de Maillet ; voir les Noteboocks, I, 420-426 où V* a recopié plusieurs pages « d'extraits » de son ouvrage . On connait aussi Antoine Maillet du Clairon, consul de France à Amsterdam . Voir : https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1991_num_44_3_4193
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_de_Maillet
et https://data.bnf.fr/en/atelier/13012786/antoine_maillet-duclairon/
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