31/01/2019
Il voudrait que ses créanciers et ses débiteurs produisissent leurs livres devant des arbitres, et qu’on traitât les choses humainement, terme que ne connaît guère la justice
... Le fisc et les propriétaires, de nos jours, ont le même comportement , la même inhumanité . Mon cher Voltaire mettre des gens à la rue ne les tourmente pas le moins du monde , que n'es-tu encore de ce monde pour dénoncer cette brutalité .
« A Anne-Robert-Jacques Turgot
24è janvier 1764, au château de Ferney
par Genève 1
J’ai longtemps envié, monsieur, le bonheur des parents de M. de Pourceaugnac qui ont l’agrément d’être sous vos lois 2. Je pourrais encore porter envie à ceux qui s’en vont à la Guyane, dans le pays d’Eldorado, sous M. le chevalier Turgot 3. Je sais la manière charitable et empressée dont les évêques et les abbés réguliers de France ont reçu cette colonie 4.
Je vous ai d’ailleurs envoyé un petit livre 5 pour vous amuser, et je souhaite que les gens qui aiment la lecture aient permis que ce petit livre parvînt jusqu’à vous.
Si vous vous ressouvenez, monsieur, du plaisir infini que vous m’avez fait quand vous avez bien voulu être ermite aux Délices 6, je vous demande aujourd’hui une autre grâce, qui s’accorde à merveille avec votre cœur.
Un sieur de Ladouz, négociant de vos cantons, à peu près ruiné par l’incendie de sa maison à Bordeaux, a pour rafraîchissement un procès énorme à Limoges, et pour comble de bonheur, tous ses documents sont brûlés. Il demande qu’on n’achève pas en frais et en procédures de perfectionner sa situation. Il voudrait que ses créanciers et ses débiteurs produisissent leurs livres devant des arbitres, et qu’on traitât les choses humainement, terme que ne connaît guère la justice. Quel autre arbitre, quel autre juge humain pourrait-il avoir que vous ?
J’ose vous demander en grâce, monsieur, d’engager les Limousins à vous laisser le maître de cette affaire . Ayez cette pitié pour un pauvre diable d’incendié ; je ne connais point de meilleur onguent pour la brûlure que d’être entre vos mains.
J’imagine que vous n’avez guère d’autres plaisir à Limoges que celui d’y faire du bien. Mais pourquoi avez-vous eu la cruauté de n’être pas intendant de Bourgogne 7 ? Quand vous serez à Paris, j’emploierai votre protection pour obtenir une place de quinze-vingts ; car je perds les deux yeux, comme le vieux Tobie, et le fiel des poissons du lac de Genève ne me rendra pas la vue. C’est pourquoi je vous certifie d’une autre main que de la mienne les tendres et respectueux sentiments que j’aurai pour vous, jusqu’à ce que mon curé, avec lequel je suis en procès, ait le plaisir de m’enterrer.
V.»
1 D'après une copie du XIXè siècle . L'original conservé à la bibliothèque municipale de Falaise a été détruit pendant la seconde guerre mondiale . On a ici le texte de l'édition Lettres inédites .
2 Turgot est alors intendant à Limoges .
3 Etienne-François Turgot , frère de Anne-Robert-Jacques Turgot a été nommé gouverneur général de Cayenne .
4 Choiseul embarrassé par quelques milliers de colons, surtout alsaciens, qu'il avait recrutés pour la nouvelle colonie de la Guyane, avait demandé aux évêques de les héberger et d'essayer de les utiliser . Sa requête a eu peu de succès ; voir sa lettre du 27 novembre 1763 à V* .
5 Traité sur la tolérance .
6 En novembre 1760 ; voir lettre du 26 octobre 1760 à Turgot : « Vous arrivez, monsieur, dans ma chapelle de village quand la messe est dite . Mais nous la recommencerons pour vous . Cette chapelle est un théâtre de polichinelle où nous jouons des pièces nouvelles avant qu'on les abandonne au bras séculier de Paris. »
7 Ferney dépend de la généralité de Dijon .
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30/01/2019
J'espère qu'en effet on finira par rire de tout ceci selon la louable coutume de la nation
... Frenchies for ever !
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
24è janvier 1764 à Ferney
J'ai des remerciements à faire à monseigneur mon héros de la pitié qu'il a eue du sieur Ladouz, incendié à Bordeaux, et si j'osais je prendrais encore la liberté de lui recommander ce pauvre Ladouz ; mais mon héros n'a besoin des importunités de personne quand il s'agit de faire du bien .
On a ri de Grenoble à Gex d'une lettre de M. le gouverneur de Guyenne 1 à M. le commandant de Dauphiné 2 dans laquelle il demande quelle est l'étiquette quand on pend les gouverneurs de province . J'espère qu'en effet on finira par rire de tout ceci selon la louable coutume de la nation . Je ris aussi, quoiqu’un pauvre diable de quinze-vingts ne soit pas trop en joie .
On n'a pu envoyer à monseigneur le maréchal les exemplaires cornéliens, attendu qu'on n'a pas encore les estampes, que la liste des souscripteurs n'est pas encore imprimée, et qu'il y a toujours des retardements dans toutes les affaires de ce monde .
Je crois que M. le cardinal de Bernis finira par être archevêque 3, mais d'Alembert doute qu'ayant fait Les Quatre Saisons il fasse encore la pluie et le beau temps . On prétend que l’Électeur palatin se met sur les rangs pour être roi de Pologne 4. Je le trouve bien bon , et je suis fort fâché, pour ma part, qu'il veuille se ruiner pour une couronne qui ne rapporte que des dégoûts .
Je me mets aveuglément aux pieds de mon héros . »
1 Richelieu lui-même .
2 Voir lettre du 7 novembre 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/10/30/il-ne-s-agit-pas-tous-les-jours-mes-divins-anges-de-conspira-6101089.html
La lettre de Richelieu ne question n'est pas connue .
3 Bernis obtint le 30 mai suivant l'évêché d'Albi, dont le revenu est de 120 000 livres .
4 Il devient en fait électeur de Bavière en 1777 .
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29/01/2019
D'ailleurs, on ne risque rien en tentant cette voie
... Consulter le citoyen de base, et non plus seulement ses représentants élus, parlementaires et sénateurs . Je suis assez estomaqué d'entendre crier "Macron démission" alors que le vrai pouvoir de décision est entre les mains d'élus de base qui se défilent de toute responsabilité quand ça va mal, et qui tirent la couverture à eux quand le vent est favorable . Si un RIC peut donner des lois, à quoi serviront encore les élus ? Tenter cette voie seule ? risqué, très risqué .
« A Charles-Manoël de Végobre, Avocat
à Genève
Je ne pus répondre, monsieur, à la lettre dont vous m'honorâtes ces jours passés, j'étais au lit assez malade . J'ai vu depuis le sieur Sirven 1. Il me vient en idée de faire demander pour lui un sauf-conduit à la cour . Il échapperait par ce moyen à toutes les poursuites, il reverrait sa patrie sans danger, et il aurait le temps de faire civiliser son affaire . Je vous prie de lui en parler, et de lui demander qu'il approuve ce projet . Je ne veux rien faire sans son aveu . D'ailleurs, on ne risque rien en tentant cette voie . J'attends là-dessus vos ordres, que vous pouvez adresser chez M. Souchay.
J'ai l'honneur d'être avec les sentiments les plus vrais, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
22è janvier 1764 à Ferney. 2»
2 Une mention de Manoël sur le manuscrit précise qu'il a reçu la lettre le 23 et répondu le 24 .
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28/01/2019
Mais il y a des temps où il ne faut pas irriter les esprits qui ne sont que trop en fermentation
... Que tous les dirigeants se le disent , en soient persuadés , et en tiennent compte
Et que les pantins, de leur côté, se libèrent, coupent les ficelles
« A Etienne-Noël Damilaville
22è janvier 1764 1
Vos lettres, mon cher frère, sont une grande consolation pour le quinze-vingts des Alpes . Il est certain que les inondations ont arrêté quelquefois les courriers ; mais il n'est pas moins vrai que les premières personnes de l’État n'ont pu recevoir de Tolérance par la poste . Vous savez qu'on me fait trop d'honneur en me soupçonnant d'être l'auteur de cet ouvrage . Il est au-dessus de mes forces . Un pauvre faiseur de contes n'en sait pas assez pour citer tant de pères de l’Église, avec du grec et de l'hébreu . Quel que soit l'auteur il paraît qu'il n'a que de bonnes intentions . J'ai vu des lettres des hommes les plus considérables de l'Europe, qui sont entièrement de l'avis de l'auteur, depuis le commencement jusqu'à la fin . Mais il y a des temps où il ne faut pas irriter les esprits qui ne sont que trop en fermentation . J'oserai conseiller à ceux qui s'intéressent à cet ouvrage, et qui veulent le faire débiter, d'attendre quelques semaines, et d'empêcher que la vente ne soit trop publique .
Si jamais mon cher frère peut parvenir à me faire avoir l’homélie de Christophe, je me croirai dans le chemin du salut . Voici un petit billet pour frère Thieriot . Je crains bien qu'il ne tâte aussi de la banqueroute de ce notaire 2. C'était une chose inouïe autrefois qu'un notaire pût être bon banqueroutier . Mais depuis que Mazade, Porlier, conseillers au parlement, Bernard, maître des requêtes, ont fait de belles faillites, je ne suis plus étonné de rien . Ce maître Bernard, surintendant de la maison de la reine, beau-frère du premier président de la première classe du parlement de France, et monsieur son fils l'avocat général , ont emporté à Mme Denis et à moi, environ quatre-vingts mille livres, et M. le président de Molé a toujours été si occupé des remontrances sur les finances, qu'il a toujours oublié de me faire rendre justice de monsieur son beau-frère .
Est-il vrai que M. de Laverdy a déjà fait beaucoup de retranchements dans les dépenses publiques et dans les profits de quelques particuliers ? Si cela est, il sauve quelques écus, mais il doit des millions.
Je me flatte qu'enfin l'épidémie des remontrances va cesser comme la mode des pantins 3. Mais celle de l'opéra-comique subsistera longtemps ; c'est là le génie de la nation .
J'espère que Briasson m'enverra enfin mes planches, et que nous aurons bientôt tout l'ouvrage, en dépit des ennemis de la raison . Je ne savais pas que ce malheureux Bougainville fût un de ces ennemis ; je ne le connaissais que comme un homme médiocre, fils d'un sot notaire, qui a été encore de part dans une banqueroute qu'on m'a faite .
Je ne sais aucune nouvelle du tripot de la comédie, ni des autres tripots qui se croient plus essentiels . Je serai affligé si la pièce de frère Saurin essuie un affront 4; c'est un des frères les plus persuadés ; je souhaite qu'il soit un des plus zélés . Frère Helvétius est-il à Paris ? Tâchez d'avoir quelque chose d'édifiant à me dire touchant le petit troupeau . Cultivez la vigne, mon cher frère et écr l'inf . »
1 L'édition de Kehl, suivant la copie Beaumarchais, et les éditions ultérieures, mêle des extraits de cette lettre à celle du 27 janvier 1764 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1764-partie-4.html
2 Un certain Deshayes qui fit une banqueroute de trois millions de francs .
3 Ce fut longtemps la mode d'en avoir un dans sa poche . Voir : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article761
4 Blanche et Guiscard, pièce adaptée de Tancrède and Sigismunda (1745), de Thomson . V* ne se souvient plus qu'elle a été jouée le 26 septembre 1763 et n'a eu que trois représentations .Voir : https://books.google.fr/books?id=u8YH5JPEHyoC&pg=PA484&lpg=PA484&dq=Blanche+et+Guiscard+helv%C3%A9tius&source=bl&ots=Rnip6WF8ai&sig=ACfU3U0XY35wrWTkk87-qpGFLgDt0LD8og&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjlwbvHnpDgAhXIzoUKHd7lDVQQ6AEwCnoECAMQAQ#v=onepage&q=Blanche%20et%20Guiscard%20helv%C3%A9tius&f=false
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27/01/2019
mon curé qui s'enivre tous les jours pourra boire plus que moi à votre santé
... Je n'en dirai pas plus . Son zèle à célébrer l'eucharistie vient sans doute de la qualité du vin offert par les paroissiens , enfin, je le suppose .
Tchin tchin !
« A Jean-Philippe Fyot de La Marche
Aux Délices, près de Genève,
le 20 janvier 1764
Monsieur,
Comme M. le duc de Praslin n'avait encore point reçu de réponse de vous le 12 de ce mois, j'ai présumé que vous ne pouviez pas répondre avant que d'avoir trouvé les moyens les plus convenables de tarir enfin la source de tous les procès qui subsistent depuis deux cents ans au sujet des terres possédées autrefois dans le pays de Gex par les ducs de Savoie, le canton de Berne et la république de Genève . Il est triste que nos rois depuis Charles IX n'aient pas fait enregistrer leurs traités au parlement de Dijon : cette précaution aurait prévenu toutes les difficultés qui nous désolent ; mais aujourd’hui il n'est guère praticable que l'on fasse enregistrer des traités dont le dernier est fait il y a cent ans, et dont le premier a plus de deux cents années . J'espère , monsieur, que les bontés dont vous honorez Mme Denis et moi, ne permettront pas que nous perdions tout l'avantage et tout l'agrément que ces mêmes traités nous assurent dans notre terre de Ferney .
Nous vous présentons nos très humbles remerciements de la grâce que vous nous avez faite de nous donner des délais ; et nous vous supplions de vouloir bien agréer que M. le duc de Praslin se serve de la voie du Conseil pour arranger cette affaire, qui est en effet une affaire d’État, attendu les promesses faites en dernier lieu par le roi aux républiques de Berne et de Genève .
Permettez encore, monsieur, que j'aie l'honneur de vous dire que, si nous étions obligés de plaider au parlement pour les droits de Ferney, M. le président De Brosses serait le moment d'après obligé de soutenir le même procès ; il se trouve précisément dans le même cas que moi, au sujet de la terre de Tournay, dont je n'ai que l'usufruit et dont il est le propriétaire . Le curé de Tournay n'attend que la première audience où l'on plaiderait la cause de Ferney, pour redemander la dîme que M. De Brosses partage avec la République de Genève, et par un usage funeste que les parlements n'ont point encore aboli, les décisions d'un concile de Latran sur les dîmes, et ce qu'on appelle le droit commun, l'emporteraient sur les traités faits par les souverains ; le président De Brosses perdrait le plus beau de ses droits . Oserais-je , monsieur, vous supplier de lui communiquer cette lettre ? Il s'agit de ses intérêts comme des miens . J’ai eu le malheur qu'un chicaneur de l'antre de Gex 1 a persuadé à M. De Brosses que je dégradais son bois de Tournay . Monsieur son frère le bailli 2 a été témoin, lorsqu'il est venu dans le pays, que , non seulement je n'ai rien dégradé, mais que j'ai même planté dans ce bois et que je n'y ai pas seulement pris jusqu'à présent une seule branche pour me chauffer ; j'ai embelli et amélioré sa terre , j'y ai dépensé plus d'un tiers au-delà de nos conventions, quoiqu’elle ne me rapporte qu'environ douze cents livres de rente, au lieu des trois mille cinq cents pour lesquelles elle m'a été donnée dans le contrat . Si M. le président De Brosses avait pu être instruit de toutes ces vérités, il aurait eu plus de confiance en moi et j'aurais eu le plaisir de rendre sa terre de Tournay la plus agréable de la province ? C'est à quoi j'avais mis toute mon application, et tous ceux qui ont vu Tournay peuvent lui en rendre témoignage . Quoi qu'il en soit, monsieur,son intérêt est évidemment joint au mien dans l'affaire des dîmes ; je me mets entièrement entre vos mains ; j'attends tout de votre protection : mon curé qui s'enivre tous les jours pourra boire plus que moi à votre santé ; mais il n'aura jamais autant de reconnaissance et d'attachement que j'en ai pour vous .
Je suis avec un profond respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
Une fluxion que j'ai depuis six mois sur les yeux, et qui me menace de la perte de la vue, me prive de l'honneur de vous écrire de ma main. »
1 Girod .
2 Claude-Charles De Brosses, grand bailli de Gex . Sur l'affaire du bois, voir lettre du 22 janvier 1761 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/22/rien-n-est-si-bon-que-la-messe-mais-les-assassins-ne-doivent-5748368.html et correspondance ultérieure .
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mais quand j'aurai perdu tous mes sens, je m'intéresserais toujours à vous
...
« A Etienne de Champflour d'Allagniat 1
à Clermont
Auvergne
20è janvier 1764 au château de Ferney
par Genève
Votre souvenir, monsieur, me fait toujours un grand plaisir . Notre connaissance date d'environ vingt-deux années 2. Je suis devenu bien vieux et bien infirme, et je ne suis plus qu'un vieux laboureur retiré à sa campagne . Je suis menacé de perdre la vue avant de perdre la vie . Je ne sais guère de condition plus sotte dans le monde que celle d'un vieillard aveugle ; mais quand j'aurai perdu tous mes sens, je m'intéresserais toujours à vous . Mes terres sont malheureusement dans un climat assez triste, quoique dans un très bel aspect . Je vivrai et je mourrai dans le château que j'ai bâti, et où je voudrais bien vous recevoir .
J'ai l'honneur d'être de tout mon cœur, monsieur,votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
2Voir lettre du 18 octobre 1740 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1740-partie-9-87556490.html
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26/01/2019
Ce n’est pas un petit renversement du droit divin et humain que la perte d’un conte à dormir debout, et d’un 5è acte qui pourrait faire le même effet sur le parterre, qui a le malheur d’être debout à Paris
... C'est un petit renversement du droit législatif et présidentiel que la tenue de comptes à dormir debout , et une 11è mobilisation ictérique ne peut faire le même effet sur les badauds qui ont le malheur d'être encore debout à Paris .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
Aux Délices près de Genève,
le 20 janvier 1764
Ce n’est pas un petit renversement du droit divin et humain que la perte d’un conte à dormir debout, et d’un 5è acte qui pourrait faire le même effet sur le parterre, qui a le malheur d’être debout à Paris. J’ai écrit à mes anges gardiens une lettre ouverte que j’ai adressée à M. le duc de Praslin 1; j’adresse aussi mes complaintes douloureuses et respectueuses à M. Jeannel, qui, étant homme de lettres, doit favoriser mon commerce. Je conçois après tout que, dans le temps que l’Anti-financier causait tant d’alarmes, on ait eu aussi quelques inquiétudes sur l’Anti-intolérant . Ce dernier ouvrage est pourtant bien honnête, vous l’avez approuvé. MM. les ducs de Praslin et de Choiseul lui donnaient leur suffrage ; Mme de Pompadour en était satisfaite. Il n’y a donc que le sieur évêque du Puy et ses consorts qui puissent crier. Cependant, si les clameurs du fanatisme l’emportent sur la voix de la raison, il n’y a qu’à suspendre pour quelque temps le débit de ce livre, qui aurait le crime d’être utile ; et, en ce cas, je supplierais mes anges d’engager frère Damilaville à supprimer l’ouvrage pour quelque mois, et à ne le faire débiter qu’avec la plus grande discrétion. Ah ! si mes anges pouvaient m’envoyer la petite drôlerie de l’hiérophante de Paris, qu’ils me feraient plaisir ! car je suis fou des mandements depuis celui de Jean-George. Mes anges me répondront peut-être qu’ils ne se soucient point de ces bagatelles épiscopales, qu’ils veulent qu’Olympie meure au cinquième acte, que c’est là l’essentiel . Je leur enverrai incessamment des idées et des vers. Mais pourquoi avoir abandonné la conspiration ? pourquoi s’en être fait un plaisir si longtemps pour y renoncer ? Si vous trouvez les Roués passables, que ne leur donnez-vous la préférence que vous leur aviez destinée ? Si vous trouvez les Roués insipides, il ne faut jamais les donner. Répondez à ce dilemme : je vous en défie ; au reste, votre volonté soit faite en la terre comme au ciel 2! Je me prosterne au bout de vos ailes.
N.B. – J’ai écrit une lettre fort bien raisonnée à M. le duc de Praslin sur les dîmes 3.
Respect et tendresse. »
1 Cette lettre n'est pas connue, non plus que celle que V* dit envoyer à Jeannel . M. Besterman se demande si la correspondance de V* n'était pas à cette époque systématiquement interceptée, mais on voit mal pourquoi on aurait visé des lettres adressées à des officiels, de la perte desquelles V* a beau jeu de se plaindre auprès de ses correspondants . On peut se demander si ce ne sont pas ces derniers qui ont préféré ne pas faire état des lettres reçues de V*.
2 Rappel du pater noster rapporté par Matthieu, VI, 10, etc.
3 Lettre non connue .
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