01/07/2019
Si je pouvais écrire longtemps je ne finirais pas sur votre mérite, sur vos talents, sur l'amitié que vous me témoignez et qui m'est bien chère
... On croirait lire du Sarkozy s'adressant à Fillon et la réponse tout aussi aimable du premier ministre choisi au temps d'une politique de nantis malhonnêtes .
« A Philibert-Charles-Marie Varenne de Fénille
Aux Délices près de Genève
25è mai 1764
Ma fluxion sur les yeux monsieur qui m'a privé neuf mois de la vue, et une extinction de voix qui m’empêche de dicter ne peuvent rien contre les remerciements que je vous dois . Vous faites des vers comme j'aime qu'on en fasse . Votre Idoménée est à celui de Crébillon ce que Cinna est à Pertharite 1. Si je pouvais écrire longtemps je ne finirais pas sur votre mérite, sur vos talents, sur l'amitié que vous me témoignez et qui m'est bien chère . Tous les gens de lettres doivent être unis . Il n'y a que les Fréron qui sèment la zizanie dans les champs d'Apollon . Je prie monsieur de Varenne de vouloir bien que cette lettre soit pour vous deux 2. J'écris avec une peine extrême . Partagez tous deux mes sentiments . Il fait de jolis vers comme vous en faites de beaux . Vous êtes amis, pardonnez-moi tous deux de ne vous pas dire le quart de ce que je voudrais vous dire, et comptez l'un et l'autre sur la parfaite estime de votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Le malheur est que Varenne de Fénille n'a jamais écrit d'Idoménée ! V* fait une confusion avec l'Idoménée de Lemierre ; en voulant la corriger, il en fera une seconde un peu plus tard (voir lettre du 28 mai 1764 à Damilaville ). Par ailleurs le compliment qu'il fait ici n'a pas grande valeur tant l'Idoménée de Crébillon lui déplait .Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-...#
2 Le second est le frère du précédent , Jacques Varenne de Béost . Voir : https://data.bnf.fr/fr/13190639/jacques_varenne_de_beost/
et : https://data.bnf.fr/fr/12443470/philibert-charles-marie_varenne_de_fenille/
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30/06/2019
Mais les clameurs ne sont pas des raisons ... Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public
...
« A Jean-François de La Harpe
Aux Délices près de Genève 25è mai 1764
Avec une fluxion sur les yeux qui m’a privé de la vue pendant six mois, avec une extinction de voix qui m’empêche de dicter, il faut pourtant que je vous dise, mon cher confrère, combien vos lettres me font de plaisir. Vous avez l’esprit juste et vrai, votre goût est sûr, vous n’êtes dupe d’aucun préjugé . Vous avez bien raison de dire que je n’ai pas remarqué toutes les fautes de Corneille 1, et cependant on crie sur la moitié que j’ai observée avec des regards très respectueux . Mais les clameurs ne sont pas des raisons. Voudrait-on que j’eusse fait aux beautés de Corneille l’outrage d’encenser les défauts, et qu’à côté de ses admirables scènes (je ne dis pas de ses admirables pièces) j’eusse placé Théodore, Pertharite, Andromède, la Toison d’Or, Tite et Bérénice, Othon, Pulchérie, Agésilas, Suréna ?2
J'ai jugé les ouvrages et non l'auteur . J’ai dit ce que tout homme de goût se dit à lui-même quand il lit Corneille, et ce que vous dites tout haut, parce que vous avez la noble sincérité qui appartient au génie. N’est-il pas vrai que le grand tragique ne se rencontre que dans la dernière scène de Rodogune ? Mais ce sublime, sur quoi est-il fondé ? sur quatre actes bien défectueux. Pourquoi Racine a-t-il été si parfait, sans pourtant faire aucun tableau qui approche de la dernière scène de Rodogune ? C’est que le goût joint au génie ne produit jamais rien de mauvais. C’est à vous, mon cher confrère, à réunir ce que la nature partagea entre deux grands hommes.
Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public. Vous savez avec quelle fureur on affectait de louer cette partie carrée de l’Electre de Crébillon, ce roman ténébreux, ces vers durs et hérissés, ces dialogues où personne ne répond à propos ; cet Itys, cette Clytemnestre, cette Iphianasse. On commence à peine à ouvrir les yeux. Travaillez, mon cher confrère ; faites oublier toutes ces extravagances boursouflées, tous ces vers welches. Il y a de très belles choses dans Rhadamiste, mais j’espère que votre Timoléon vaudra mieux 3. Votre goût pour la simplicité est le vrai goût, et il n’appartient qu’au grand talent. Il est bien singulier que vous n’ayez pas un Corneille commenté . Vous étiez le premier sur la liste. Je suis très affligé de ce contre-temps ; il sera réparé . Il est trop juste que vous ayez votre modèle pour les belles scènes, et les remarques bonnes ou mauvaises de votre ami.
V. »
1 La Harpe lui reprochera plus tard d'en avoir, au contraire, trop remarqué .
2 On arrive ici, sur le manuscrit, en bas de page ; suivent deux pages blanches barrées par V*, en y portant cette mention : « Je ne me suis pas aperçu que j'avais pris quatre feuilles pour deux. »
3 La tragédie Timoléon doit être représentée le 1er août 1764 au Théâtre-Français . Voir : https://archive.org/details/bub_gb_r3omp0VlT9oC
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29/06/2019
C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite
... Jeunes sapeurs-pompiers et jeunes donneurs de sang doivent recevoir notre reconnaissance, non seulement à Paris mais dans toute la France . Bravo à eux .
« A Nicolas-Sébastien Roch de Chamfort
Aux Délices près de Genève 25è mai 1764 1
Je vous fais monsieur des remerciements bien sincères de votre lettre et de votre pièce . La Jeune Indienne 2 doit plaire à tous les cœurs bien faits . Il y a d'ailleurs beaucoup de vers excellents . J'aime à m'attendrir à la comédie pourvu qu'il y ait du plaisant . Vous avez ce me semble très bien réussi dans ce mélange si difficile, je suis persuadé que vous irez très loin . C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite . Je donnerais ic[i] plus d'étendue aux sentiments que vous m'inspirez si mes yeux presque aveugles me le permettaient . Je n'écris qu'avec une difficulté extrême . Mais cette peine est bien adoucie par le plaisir de vous assurer de toute l'estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Manuscrit sur papier légèrement endommagé .
2 Voir lettre de mars 1764 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/19/notre-nation-n-a-de-gout-que-par-accident-6145031.html
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28/06/2019
Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise
... On dirait que Voltaire a bien connu Nicolas Sarkozy et lu sa prose dont "Passions" dernier opus ce ce grand auteur à la sincérité et honnêteté débridées .
« A Charles-Joseph Panckoucke
Aux Délices, 24 Mai 1764 (1).
Vous me mandez, monsieur, que vous imprimez mes romans , et je vous réponds que si j’ai fait des romans, j’en demande pardon à Dieu ; mais tout au moins je n’y ai jamais mis mon nom, pas plus qu’à mes autres sottises. On n’a jamais, Dieu merci, rien vu de moi contre-signé et paraphé Cortiat, secrétaire 1, etc. Vous me dites que vous ornerez votre édition de culs-de-lampes : remerciez Dieu, monsieur, de ce qu’Antoine Vadé n’est plus au monde ; il vous appellerait Welche sans difficulté, et vous prouverait qu’un ornement, un fleuron, un petit cartouche, une petite vignette ne ressemblent ni à un cul ni à une lampe.
Vous me proposez la paix avec maître Aliboron dit Fréron ; et vous me dites que c’est vous qui voulez bien lui faire sa litière 2. Vous ajoutez qu’il m’a toujours estimé et qu’il m’a toujours outragé. Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise. Vous voyez bien qu’il n’a pu faire de moi qu’un ingrat, et qu’il n’est guère possible que j’aie pour lui les sentiments dont vous dites qu’il m’honore. Paix en terre aux hommes de bonne volonté ; mais vous m’apprenez que maître Aliboron a toujours été de volonté très maligne. Je n’ai jamais lu son Année littéraire . Je vous en crois seulement sur votre parole.
Pour vous, monsieur, je vois que vous êtes de la meilleure volonté du monde, et je suis très persuadé que vous n’avez imprimé contre moi rien que de fort plaisant pour réjouir la cour ; ainsi je suis très pacifiquement, monsieur, votre, etc. »
1 Voir lettre du 30 décembre 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/01/01/un-beau-mandement-bien-chretien-bien-seditieux-bien-intolerant-bien-absurde.html
2 V* répond sans bienveillance, et même sans aucune pitié à une suggestion que lui a faite Panckoucke d'établir la paix avec Fréron . Le texte de la lettre en question, à laquelle Fréron a sans doute eu part, ne fut-ce que pour en approuver l'intention est citée avec la lettre du 23 mai 176 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/25/j-ai-un-si-violent-mal-de-gorge-que-je-ne-peux-dicter-et-mes-yeux-sont-si-m.html
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27/06/2019
si quelque vieux capitaine prend le parti d'aller chez lui tirer un baillage au sort
... il rejoindra le général Georgelin dans un poste civil . L'un pour restaurer Notre-Dame de Paris, l'autre pour tenir une mairie où bon lui semblera .
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
à Lausanne
24 mai [1764]
J'ai exécuté vos ordres mon très aimable Major . La lettre dont vous avez la minute est adressée à mon colonel 1. Il me permet de lui écrire ainsi . Je crois qu'il serait fort aise de vous avoir parmi ses capitaines . Il est fait pour sentir tout votre mérite ; et je crois que son acquisition est immanquable si quelque vieux capitaine prend le parti d'aller chez lui tirer un baillage au sort 2. Vous savez qu'on croit à présent Mme Constant entièrement hors de danger . On a longtemps désespéré d'elle . C'était une chose bien cruelle de la voir périr à la fleur de son âge . Tout le monde la regrettait . Je n'ai pu monsieur avoir l'honneur de vous écrire plus tôt parce que mes yeux m'ont refusé le service pendant trois jours . Je vois à peine ce que je vous écris . Si je deviens aveugle, au moins ne deviendrai-je pas insensible à votre mérite et à votre amitié .
V. »
1 La lettre du 23 mai 1764 au duc de Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/25/capable-de-negocier-comme-de-combattre-digne-enfin-non-seulement-de-vous-se.html
2 C'est alors un usage bernois de tirer au sort certains emplois parmi ceux qui sont qualifiés pour le remplir ; si un officier suisse obtient un bailliage, il laissera une place vacante dans le régiment de Choiseul .
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capable de négocier comme de combattre, digne enfin non seulement de vous servir mais encore de souper avec vous
...
« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul
[ vers le 23 mai 1764]
Mon cher colonel, 1
La bavarde marmotte vous importune souvent, mais permettez-moi de vous remercier de la niche que vous faites aux États de Hollande et de Vest Frise de leur enlever M. de Const[ant] . Les braves , et les gens d'esprit doivent servir M. le duc et non pas des bourgmestres ; il est bon d'ailleurs que M. de C. expie le tort qu'a eu le général son père de se battre cinquante ans contre vous . Il est vrai qu'il est fort ingrat envers les Hollandais . Ils ont donné de l'emploi à son fils qui n'a que 12 ans . Le père en capitaine major du régiment des gardes et le seul homme de génie sur lequel on puisse compter dans l'occasion pour défendre Berg ob Zon et Mastrich, il est riche par lui-même, il a de la considération dans son pays, capable de négocier comme de combattre, digne enfin non seulement de vous servir mais encore de souper avec vous etc., etc., etc.
V. »
1 Sur le mot colonel, voir la lettre du 24 mai 1764 à Constant de Rebecque : « La lettre dont vous avez la minute est adressée à mon colonel. Il me permet de lui écrire ainsi . »
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26/06/2019
vous connaissez la Guadeloupe ; vous savez qu'il y a encore cinq ou six familles des anciens habitants du pays
... Ce qui est vrai , ou supposé vrai en 1764 l'est-il encore en 2019 ? Combien de ceux qui réclament l'indépendance sont des Caraïbes ? Aucun, je suis sûr . Combien ne la réclament que pour leur propre intérêt ? Tous , sans aucun doute .
« A Henri Rieu
23 mai [1764 ?]
Mon très cher corsaire, vous connaissez la Guadeloupe ; vous savez qu'il y a encore cinq ou six familles des anciens habitants du pays . Vous savez, et vous m'avez dit que leur peau est rouge, ou du moins j'ai cru vous l'entendre dire 1. Mandez-moi si je me suis trompé , car je veux en avoir le cœur net .
Je vous embrasse bien tendrement .
V. »
1 Le problème de la couleur de la peau des Caraïbes est lié à celui de l'origine des peuples d’Amérique : proviennent-ils, comme le dit la Bible des fils de Noé ? Robert Challe qui connaissait les Antilles, l'évoque deux fois sous cet angle dans le Journal de voyage (Mercure de France , 1979 ), et dans les Difficultés sur la religion,(ed Mortier, 1970 ) . Voir aussi une édition de ce texte dans la collection de la Voltaire Foundation . Voir : https://data.bnf.fr/fr/11895910/robert_challe/
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