04/01/2010
il n’avait été qu’un enfonceur de portes ouvertes
« A Etienne-Noël Damilaville
Ferney 3 janvier 1766
M. le duc de Choiseul m’a écrit, mon cher frère, qu’il avait parlé pour la pension de M. d’Alembert [L’Académie des Sciences avait demandé le report de la pension de Clairaut, mort en mai 1765, sur d’Alembert, ce qui n’est pas encore fait .] , qu’il n’y avait nul mérite et qu’il n’avait été qu’un enfonceur de portes ouvertes.
Voilà ses propres paroles [Exact, dans le billet de Choiseul du 26 décembre 1765. Il dira ensuite qu’il ne se soucie pas de l’opinion de d’Alembert et « hait à mort la vanité et la présomption philosophique »], je vous prie instamment de les rapporter à notre cher philosophe. Avouons donc que M. le duc de Choiseul a une belle âme. Ce qu’il a fait pour les Calas le prouve assez. Rendons-lui justice. Il y a eu malentendu dans la protection qu’il a donnée à l’infâme pièce de Palissot [Les Philosophes, qui suscitent polémiques ]. Il lui avait fait entendre que les philosophes décrieraient le ministère. Nous ne devons pas avoir de meilleur protecteur que ce ministre généreux qui a de l’esprit comme s’il n’était pas grand seigneur, qui a fait de très beaux vers [Ode contre le roi de Prusse au printemps 1759 qui répondait à une ode de Frédéric contre Louis XV ; en réalité l’ode n’est pas de Choiseul, mais sans doute de Palissot], même étant ministre, qui a sauvé bien des chagrins à de pauvres philosophes, qui l’est lui-même autant que nous, qui le paraîtrait davantage si sa place le lui permettait.
Mon cher frère, tout est tracasserie, et personne ne s’entend. On m’a rendu compte de la prétendue lettre à Mme du Deffand [Est-ce celle du 16 octobre 1765 où il lui reproche son aversion pour les pauvres philosophes, ou celle du 6 novembre 1765 où il présente sa Philosophie de l’Histoire , lettre qu’il lui demande de brûler ? ], dont quelques fragments ont couru sous mon nom. Elle n’en a point donné de copies ; quelques indiscrets en ont retenu des bribes. Il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie que je reprochais à Mme du Deffand. Vous savez en pareil cas combien on augmente ou combien on altère le texte.
Lisez ces vers [L’Epitre à Henri IV sur ce qu’on avait écrit à l’auteur que plusieurs citoyens de Paris s’étaient mis à genoux devant la statue équestre de ce prince, pendant la maladie du dauphin.] avec vos amis ; mais n’en laissez point prendre de copies. Je ne veux pas me brouiller avec les moines de Sainte-Geneviève ; Soufflot trouverait mes vers mauvais [l’Epître disait : « La fille qui naquit aux chaumes de Nanterre / Pieusement célèbre en ce temps ténébreux (Ste Geneviève) / De l’empire français n’est point la protectrice. » . Soufflot est l’architecte de l’église Ste Geneviève.].
Je vous embrasse tendrement.
Voltaire. »
05:20 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, damilaville, choiseul, d alembert, palissot, du deffand, soufflot, geneviève, louis xv, prusse
09/07/2009
Trublet travaille au Journal chrétien. Il a imprimé que je le faisais bailler
"J’ai depuis six mois une envie de rire qui ne me quitte pas" ! Heureux Volti, tu ne connais pas les méandres de l'administration actuelle et pour tout dire franchement leurs couillonnades .
En deux jours je viens de réaliser -enfin !!- qu'il ne faut pas conserver un mode logique de pensée ni d'action, quand tout un monde bureaucrate s'est évertué à penser pour vous, même en dépit du bon sens.
Donc plus de décision, même mineure, qui ne soit approuvée par la hiérarchie, tel est mon crédo de ce jour. Braves gens , soyez patients, le parapluie est ouvert à toute heure désormais , je suis dessous (36ème dessous même, et je ne parle pas de dessous affriolants, malheureusement !)...
Ouh ! que ça me gonfle !!
Enfin, passons, je reste en contact avec Volti, on se téléphone et on se fait une bouffe ...
« A Jean le Rond d’Alembert
Mon cher philosophe, j’ai la vanité de croire que vous avez la même idée que moi, vous voulez que Diderot entre à l’Académie. Vous le voulez et il faut en venir à bout. Je vous le répète et je ne vous trompe pas, il se fera un mérite de vous servir vous et les penseurs. Quoi ! vous imaginez qu’il vous en veut parce qu’il a donné du pain à Palissot, fils de son homme d’affaires, et qu’il a souffert dans son antichambre son ancien préfet Fréron [du collège de Clermont, futur collège Louis le Grand]! Il a laissé jouer la palissoterie, pour rire, pour complaire à l’extravagance d’une pauvre malade [Mme de Robecq, fille de la maréchale de Luxembourg et maitresse de Choiseul ; elle protégeait les philosophes, et La Vision se moquait de cette protection.]. Je vous jure que si cette malade était morte le jour de la représentation jamais l’auteur de La Vision [l’abbé Morellet] n’eût été à la Bastille. D’ailleurs il abandonne Palissot aux coups de bâton si quelqu’un veut prendre la peine de lui en donner. Il y a très grande apparence qu’il protègera Diderot. Il ne sera pas difficile d’avoir pour nous Mme de P. L’évêque d’Orléans [Louis Sextius de Jarente de La Bruyère qui détenait la feuille des bénéfices, successeur de Boyer] ne parlera pas contre lui comme eût fait le mage Yébor [anagramme de Boyer, archimage dans Zadig] qui signait toujours l’ane évêque de Mirepoix au lieu de signer l’anc. Il croyait mettre l’abréviation d’ancien, et il signait son nom tout au long [plaisanterie de V* qu’il citait à Frédéric, Boyer ayant une signature peu lisible].
En un mot il faut mettre Diderot à l’Académie. C’est la plus belle vengeance qu’on puisse tirer de la pièce contre les philosophes. L’Académie est indignée contre Lefranc de Pompignan [suite à son discours de réception le 10 mars 1760 où il attaquait les philosophes et l’Encyclopédie]. Elle lui donnera avec grand plaisir un soufflet à tour de bras. Je ferai un feu de joie lorsque Diderot sera nommé et je l’allumerai avec le réquisitoire de Joly de Fleury [contre l’Encyclopédie, prononcé devant le parlement en 1759] , et le déclamatoire de Lefranc de Pompignan. Ah qu’il serait doux de recevoir à la fois Diderot et Helvétius ! Mais notre siècle n’est pas digne d’un si grand coup. Bonsoir âme ferme que j’aime.
J’ai depuis six mois une envie de rire qui ne me quitte pas ; ne pourrais-je avoir quelques anecdotes sur Gauchat [Gabriel Gauchat auteur du Catéchisme du livre de l’esprit 1758 et de Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits contraires à la religion 1753-1763, cité dans le réquisitoire contre l’Encyclopédie], Moreau [Jacob-Nicolas Moreau, auteur de Nouveau mémoire pour servir à l’histoire des cacouacs 1757], Chaumeix [Abraham Chaumeix auteur de Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie 1758-1759], Hayer [le père Hayer, un des rédacteurs de La religion vengée 1755-1763], Trublet [ le 23 juin V* a écrit : « Trublet travaille au Journal chrétien. Il a imprimé que je le faisais bailler. »] et leurs complices ?
Voltaire
9 juillet 1760. »
Gauchat : http://books.google.fr/books?id=PHlIAAAAMAAJ&pg=RA2-P...
Moreau : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacob-Nicolas_Moreau
Chaumeix : http://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Chaumeix
Trublet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas-Charles-Joseph_Trublet
20:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, diderot, d alembert, cacouac, philosophe, vision
02/01/2009
J'ai résolu de me moquer des gens ...!
"A Jean Le Rond d'Alembert
Mon cher et digne soutien de la raison expirante, je pourrais vous dire : si vous voulez voir un beau tour, faites le . Mais vous êtes nécessaire à la bonne cause, vous êtes dans la fleur de l'âge, vous êtes Secrétaire de quarante gens pleins d'esprit ; je suis inutile, je suis sur le bord de ma fosse, je n'ai rien à risquer, je serai très volontiers le chat qui tirera les marrons du feu . Le non magis m'a tant fait rire,[sujet proposé pour le prix d'éloquence latine par l'Université de Paris :"non magis Deo quam regibus infensa est ista quae vocatur hodie philosophia" = la philosophie "n'est pas plus ennemie de Dieu que des rois", ce qui revient à dire qu'elle n'est l'ennemie ni des uns ni des autres ], tout malingre que je suis, que je n'ai pu en dormir de la nuit, et que j'ai passé les premières vingt-quatre heures de l'année 1773 à me brûler la patte en tirant vos marrons.[ Il écrit Le Discours de maître Belleguier ]
Tout ce que je crains, c'est que les pauvres diables ne se doutent de leur sottise, et ne changent leur non magis en non minus , ce qui rendrait ma nuit blanche absolument inutile.
Mandez moi je vous prie, tout ce que vous savez sur ces belles choses, et tout ce qui peut ranimer ma vieillesse, car j'ai résolu de me moquer des gens jusqu'à mon dernier soupir. Je suis volontiers comme Arlequin condamné à mort, à qui le juge demanda de quel genre de mort il voulait périr. Il choisit fort sensément de mourir de rire.
N'oubliez pas le charmant Savatier [=Sabatier : chassé par d'Alembert pour avoir écrit "des impertinences contre ce que nous avons de plus estimable dans la littérature" ; ce "petit maraud" sera chassé et bastonné pour avoir espionné le comte de Lautrec au profit de la partie adverse dans un procès, après être entré au service du comte ]. Dîtes-moi, si vous le savez, le nom du procureur et de l'avocat, car il s'agit du salut de la république, et il ne faut rien négliger.
Vous ne me parlez point des Lois de Minos que M. de Rochefort doit vous avoir prêtées à vous seul. Je vous avertis en honnête conjuré, que si ces Lois sont sifflées les pattes du chat sont coupées, je n'aurait point le prix de l'Université, et la bonne cause ira à tous les diables.
On m'a envoyé un livre de maître Pompignan, évêque du Puy-en-Velay, contre le théisme, le déisme, l'athéisme et le jansénisme.[La religion vengée de l'incédulité par l'incrédulité elle-même 1772 ]. Cela m'a paru parfait en son genre. C'est, ou je me trompe fort, un chef-d'oeuvre de bavarderie et de bêtise . Dieu nous conserve ce cher homme !
Vous ne m'avez pas répondu sur la correspondance de Luc . [V. a proposé La Harpe comme correspondant littéraire de Frédéric II suite au décès de Thiriot ]
Adieu, mon cher ami ; mes respects à Laurent [valet et espion de l'abbé R* ] et à Tartuffe [abbé de Radonvilliers , académicien protecteur des ennemis des philosophes ], mais mille sincères et tendres amitiés à tous vos amis.
V.
1er janvier 1773."
Mes premières 24 heures de la nouvelle année n'ont pas été aussi studieuses que celles de Voltaire début 1773 ; il a fait l'impasse sur le réveillon, pas moi ( au fait quelqu'un peut-il me dire depuis quand on fête le réveillon ? Merci d'avance ). Réveillon entre amis, sans gueule de bois , mais tout de même petit flirt avec la loi du 0,5g, couché à 3h et journée à vaquer à des occupations de bricolo en plein air, beau soleil mais -1° quand même, neige gelée partout, réchauffé au Ricola, puis pour faire bonne mesure un petit entrainement de 120 flèches en écoutant Hugue Aufray chantant Bob Dylan et Pierrot interpretant ses érotiques : je ne suis pas sectaire, surtout touche à tout ce qui peut rendre la vie plus agréable.
"j'ai résolu de me moquer des gens jusqu'à mon dernier soupir" : malheureusement, contrairement à V*, certains se moquent de nous et ça ne fait rire personne, je songe aux faiseurs de promesses . Il est juste qu'on se moque d'eux autant qu'il est nécessaire et s'ils ne changent pas, ne comprennent pas, qu'ils aillent au diable ! Comme moi aussi je fais des promesses que je n'arrive pas à tenir toujours, je m' "autodérisionne", ça fait moins mal que hara kiri (seppuku pour les puristes !) et le Grand Babu me donnera un coup de main.
17:10 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, d alembert, arlequin, rire, minos, lois