25/03/2009
il est bon d’égayer les affligés
A force de fréquenter Volti, je prends goût de plus en plus pour ce gaillard étonnant en lisant sa prose, beaucoup moins ses vers, je suis allé voir une représentation de sa première tragédie qui lui a valu un succès monstre "Oedipe". Jusqu'à cet après-midi, je prononçais "Eu-dipe" alors que le bon usage est de dire "é-dipe" ; je me coucherai avec un modeste savoir de plus !
Tragédie : oui ! Tout le monde connait cet Oedipe, parricide et époux de sa propre mère par ignorance et fatalité du destin , origine du trop fameux complexe d'Oedipe cher aux psy ! Pour moi, soirée agréable, bonne performance d'acteurs qui ont su me faire oublier une chaise mal placée (tant pis pour moi, j'aurais dû faire une réservation ; tant mieux pour moi, j'ai pu entrer ). Si un jour, vous avez l'occasion d'assister à cette pièce, allez-y sans crainte et sans haine ! Si vous êtes déçus, dîtes moi pourquoi !
Sans vouloir être trop moqueur -quoique, si ! - , attendez-vous à "un suspense" comme le dit si naïvement un présentateur enthousiaste (trop, à mon avis, trop !). C'est un peu le même "suspense" que dans Titanic ou dans les Dix commandements : le paquebot va-t-il couler, Moïse va-t-il redescendre du mont Sinaï ? Oedipe va-t-il vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants ( qui seront du même coup ses frères et soeurs et les petits enfants de Jocaste, comprenne qui peut !! ) ? ou va-t-il être puni et subir le châtiment mérité par ses crimes ? Vous le saurez dans le prochain épisode de "Fantasia chez les Thébains I ".
"A Claude-Philippe Fyot de La Marche
Il y a longtemps que je n’ai eu l’honneur d’écrire à celui qui sera toujours mon premier président. J’ai bien des choses à lui dire. Premièrement son parlement m’afflige [le parlement de Bourgogne a « cessé de rendre justice pour faire dépit au roi »]. Le roi se soucie fort peu qu’on juge ou non les procès auxquels je m’intéresse [Croze, contre le curé de Moëns qui a blessé gravement son fils, et les jeunes de Crassier contre les jésuites d’Ornex qui les ont spoliés] mais moi je m’en soucie .Voilà une plaisante vengeance d’écolier de dire : je ne ferai pas mon thème parce que je suis mécontent de mon régent. C’est pour cela au contraire qu’il faut bien faire son thème. J’apprends que vous faites tous vos efforts pour parvenir à une conciliation. Qui peut y réussir mieux que vous ? Vous serez le bienfaiteur de votre compagnie, c’est un rôle que vous êtes accoutumé à jouer. Je vous demande pardon de donner des fêtes quand la province souffre [le 24, représentation de Cassandre-Olympie, et le 7 mars il y avait eu Le Droit du Seigneur, suivi d’un bal], mais il est bon d’égayer les affligés. Il y en a de plus d’une sorte. Il vient de se passer au parlement de Toulouse une scène qui fait dresser les cheveux sur la tête. On l’ignore peut-être à Paris, mais si on en est informé, je défie Paris tout frivole, tout opéra-comique qu’il est, de n’être pas pénétré d’horreur. Il n’est pas vraisemblable que vous n’ayez appris qu’un vieux huguenot de Toulouse, nommé Calas, père de cinq enfants, ayant averti la justice que son fils ainé, garçon très mélancolique, s’était pendu, a été accusé de l’avoir pendu lui-même en haine du papisme pour lequel ce malheureux avait, dit-on, quelque penchant secret. Enfin le père a été roué ; et le pendu tout huguenot qu’il était a été regardé comme un martyr et le parlement a assisté pieds nus à des processions en l’honneur du nouveau saint. Trois juges [il corrigera plus tard : « Je me suis trompé sur le nombre des juges … Ils étaient treize, cinq ont constamment déclaré Calas innocent . S’il y avait eu une voix de plus en sa faveur, il était absous »] ont protesté contre l’arrêt. Le père a pris Dieu à témoin de son innocence en expirant, a cité ses juges au jugement de Dieu, et a pleuré son fils sur la roue. Il y a deux de ses enfants dans mon voisinage qui remplissent le pays de leurs cris [ deux versions existent dans la relation des faits selon Voltaire , soit un –Donat Calas-, soit deux]. J’en suis hors de moi. Je m’y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l’horreur du fanatisme. L’intendant de Languedoc est à Paris .Je vous conjure de lui parler ou de lui faire parler. Il est au fait de cette aventure épouvantable. Ayez la bonté, je vous en supplie, de me faire savoir ce que j’en dois penser. Voilà un abominable siècle, des Calas, des Malagrida, des Damiens, la perte de toutes nos colonies, des billets de confession et l’opéra-comique.
Mon cher et respectable ami, ayez pitié de ma juste curiosité. Je soupçonne que c’est vous qui m’a écrit il y a environ deux mois, mais les écritures quelquefois ressemblent à d’autres .Quand vous aurez la bonté de m’écrire mettez un M au bas de la lettre, cela m’avertit .Je devrais vous reconnaitre à votre style et à vos bontés, mais mettez un M. car quand je vous renouvelle mon tendre et respectueux attachement je mets un V.
V
A Ferney 25 mars 1762. »
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