03/01/2010
Il est juste, Monsieur, que je prenne les intérêts des pauvres
Pour Ma'mzelle Wagnière ...
Il est de petits bonheurs que l'on ne divulgue pas toujours, pas tout de suite, pas du tout parfois .
http://www.youtube.com/watch?v=PNvlGHNOZuo&feature=re...
http://www.youtube.com/watch?v=PPo89bGFRs4&NR=1
http://www.youtube.com/watch?v=2GPczm5LbJM&feature=re...
http://www.youtube.com/watch?v=KFTAODkuOf8&feature=re...
Oui, ce que vous vous venez d'entendre fait partie de ces petits bonheurs, mais allons plus loin dans ce qui motive mon plaisir du jour ...
Ci- dessous la transcription, d'une lettre dictée par Volti au brave Jean-Louis Wagnière.
J'ai eu le bonheur de tenir cette lettre, de la lire très aisément, Wagnière ayant une bonne écriture ( Volti aussi d'ailleurs, il restera lisible jusqu'à son dernier billet 3 jours avant sa mort ).
Grande émotion d'avoir sous les yeux quelques mots ["de ma reconnaissance" et "voltaire" ] écrits par cette main qui a fait tant pour le bien des humains ses frères.
Cette lettre, vue en octobre , je ne l'oublierai jamais. Elle montre une bribe de la vie de cet homme : souci du sort des pauvres, lutte contre un clergé injuste et rapace, protection de ses propres intérêts, connaissant les lois, plein d'esprit , charmeur et diplomate .
Je l'ai dit, je le répète, c'est un grand homme qui mérite qu'on s'y attache et le fasse connaitre davantage, l'humanité y gagnerait .
Ferney 3è janvier 1759
De la main de Wagnière Secrétaire de Voltaire .
Adressée à Mr Fabry.
Il est juste, Monsieur, que je prenne les intérêts des pauvres
habitants de ferney, quoique je ne sois pas encor leur seigneur n’ayant
pû signer jusqu’à présent le contract avec Monsieur Du Boisy .
Monsieur l’Intendant de Bourgogne, Monsieur le Président de
Brosses, et quelques autres magistrats, m’ont fait l’honneur de
me mander qu’ils feraient tout ce qui dépendrait d’eux pour
adoucir la vexation qu’éprouvent ces pauvres gens ; le sieur Nicot
procureur à gex mande aux communiers de fernex que le curé de Moëns leur persécuteur, est venu le trouver pour leur dire qu’il
les poursuivrait à toute outrance, ce sont ses propres mots, et j’ai la
lettre . je vous supplie, monsieur, d’en avertir monsieur l’Intendant qui
est le père des communautés ; vous partagez ses fonctions et ses
sentiments. Il est bon de lui représenter : 1° qu’il est bien
étrange qu’un curé ait fait à des pauvres pour 1500£ de frais
pour une rente de trente livres. 2° que les communiers de ferney
ayant plaidé sous le nom de pauvres, tels qu’ils le sont, peuvent
être en droit d’agir, in forma pauperum, selon les lois romaines,
reconnües en Bourgogne. 3° que le curé de Moëns ayant fait le
voïage de Dijon et de Mâcon, pour d’autres procès dont il s’est
chargé encore ; il n’est pas juste qu’il ait compté dans les frais
aux pauvres de ferney, tous les voïages qu’il a entrepris pour faire
d’autres malheureux.
Si vous voulez bien, Monsieur, donner ces informations à
Monsieur l’Intendant, comme je vous en supplie, faites moi
la grâce de les accompagner de la protestation [de ma reconnaissance]* et de mon attachement pour lui.
Je profite de cette occasion pour vous parler d’une
autre affaire . un genevois, nommé Mons.r Mallet, vassal de ferney, a gaté tout le grand chemin dans la longueur d’environ quatre cent toises,
au moins, en faisant bâtir sa maison, et n’a point fait
rétablir ce chemin, il est devenu de jour en jour plus
impraticable. Ne jugez vous pas qu’il doit contribuer au moins
contribuer une part considérable à cette réparation nécessaire ;
le reste de cette petite route étant continuellement sous les eaux
et la communication étant souvent interrompüe , n’est il pas de
l’interêt de mes paÿsans qu’ils travaillent à leur propre
chemin . je suis d’autant plus en droit de le demander, que
je leur fais gagner à tous depuis deux mois plus d’argent
qu’ils n’en gagnaient auparavant dans une année ? ne dois-je pas
presenter requête à Monsieur l’Intendant pour cet objet de
police ? je me chargerai, si on ordonne des corvées de donner
aux travailleurs un petit salaire.
Je vous repête, Monsieur, que je me charge de tous ces soins,
quoi que la terre de ferney ne m’appartienne pas encore ; je n’ai
qu’une promesse de vente, et une autorisation de toute la famille
de monsieur de Budé, pour faire dans cette terre tout ce que
je jugerai à propos ;
Ce que le conseil de Monseigneur le Comte de la Marche exige
de moi est cause de long retardement de la signature du
contract ; il faut que je spécifie les domaines relevant
de gex et d’autres seigneurs ; je n’ai point d’aveu et
dénombrement, fernex aïant été longtemps dans la maison de
Budé, sans qu’on ait été obligé d’en faire.
Je crois avoir déjà eu l’honneur de vous mander que plusieurs
seigneurs voisins prétendent des droits de mouvance qui ne sont
pas éclaircis ; Genève, l’abbé de Prévesin, la Dame de la Batie, le
seigneur de feuillasse, les Jésuites même, à ce qu’on dit,
prétendent des lods et ventes ; et probablement leurs
prétentions sont préjudiciables aux droits de Monseig.r le Comte
de la Marche qui sont les vôtres . j’ai lieu de croire que vous
pouvez m’aider, Monsieur, dans les recherches pénibles que je
suis obligé de faire ; vos lumières et vos bontés accelereront
la fin d’une affaire que j’ai d’autant plus à cœur qu’elle vous
regarde.
Si vos occupations vous dérobent le temps de rendre compte de
ma lettre à Monsieur l’Intendant, vous pouvez la lui
envoïer.
J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous
dois
Monsieur
Votre très humble et très obéis.t
Serviteur Voltaire
Note : [ * ] = ajout de la main de Voltaire
13:26 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, fabry, ancian, wagnière, du boisy, de brosses, moêns, mallet, budé, la marche
02/01/2010
il est dans ce bas monde Beaucoup plus de rois que d’amis
Un peu de ce qui m'a accompagné pour transcrire cette lettre :
http://www.youtube.com/watch?v=TJcoaIeH3GI&NR=1
http://www.youtube.com/watch?v=3X9LvC9WkkQ&NR=1

Un lien pour une interprètation qui me plait et me touche et qui peut-être éveille quelques souvenirs chez ceux qui ont touché un clavier : http://www.dailymotion.com/video/x18vjb_marche-des-rois_f...

« A Pierre-Robert Le Cornier de Cideville
Ancien Conseiller au parlement à Rouen.
Les rois ne me sont rien, mon bonheur ne se fonde,
Que sur cette amitié dont vous sentez le prix,
Mais hélas Cideville, il est dans ce bas monde
Beaucoup plus de rois que d’amis.
Mon malheur veut que je ne voie guère plus mes amis que les rois. Je suis presque toujours malade. Je n’ai envisagé qu’une fois le roi mon maître depuis son retour et il y a plus de six mois que je ne vous ai vu. Il est bien vrai que nous avons joué à Sceaux des opéras, des comédies, des farces et qu’ensuite m’élevant par degrés au comble des honneurs j’ai été admis au théâtre des petits cabinets entre Montcrif et d’Arboulin. Mais, mon cher Cideville, tout l’éclat dont brille Montcrif ne m’a point séduit. Les talents ne rendent point heureux surtout quand on est malade, ils sont comme une jolie dame dont les galants s’amusent et dont le mari est fort mécontent. Je ne vis point comme je voudrais vivre, mais quel est l’homme qui fait son destin ? Nous sommes dans cette vie des marionnettes que Brioché mène et conduit sans qu’elles s’en doutent. On dit que vous revenez incessamment. Dieu veuille que je profite de votre séjour à Paris un peu plus que l’année passée ! En vérité nous sommes faits pour vivre ensemble. Il est ridicule que nous ne fassions que nous rencontrer.
Adieu mon cher et ancien ami, Mme du Châtelet-Neuton vous fait mille compliments.
V.
2 janvier 1748. »

Volti faisait-il partie de ces rois de la com' ?
Je crois que oui, incontestablement, il a excellé dans cet art !
Autres rois !
Rois d'un jour ? d'une vie ?
http://www.youtube.com/watch?v=qpF4p0wR1Lg
Amour-roi ? Dédicace spéciale pour une bloggueuse qui se reconnaitra …
http://www.youtube.com/watch?v=MuZ4-cdGgQE&NR=1
17:56 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, cideville, rouen, montcrif, arbouville, chatelet, destin, sceaux
01/01/2010
réparer par sa bienveillance (s’il est possible) l’opprobre dont Elle m’a comblé.
Mes bonnes résolutions pour 2010 et au delà :

Je vous souhaite d'avoir une année passionnée, passionnante, comme cette musique.
http://www.youtube.com/watch?v=xlcVu8SLDdo&feature=re...
http://www.youtube.com/watch?v=8gdUWdDVriI&NR=1
http://www.youtube.com/watch?v=4o3eiEHmJUA&feature=ch...

Je vous souhaite de ne pas connaitre les affres de la disgrâce que connait Volti et qui lui donnent bien du tourment ce jour de l'an 1753 .
« Au chevalier Charles-Nicolas de La Touche
1er janvier [1753]
J’ai l’honneur de vous confier, Monsieur, la copie de la lettre que j’envoie au roi de Prusse et que j’ai minutée devant vous [V* s’y disait « obligé de mettre aux pieds (du roi) (s)on sort et les bienfaits et les distinctions dont (il) (l’)av(ait) honoré » -ordre du mérite et clé de chambellan – « (s)a résignation est égale à sa douleur . (Il) ne (s)e souviendra que de ces mêmes bienfaits »…]. Elle n’est pas d’un homme qui ait à se reprocher d’avoir jamais manqué personnellement à Sa Majesté. Elle ne peut me refuser la liberté de sortir de ses Etats. J’ose espérer même qu’après m’avoir arraché à ma patrie et à tout ce que j’avais de plus cher, après m’avoir demandé au roi par son ministre, après m’avoir donné des assurances si réitérées et si tendres de me rendre heureux, elle ne me laissera point partir sans quelques paroles de consolation. Elle doit cet adoucissement à mon état, et je l’attends de la générosité de son caractère ; et je me mets sous votre protection, Monsieur, comme un Français, comme un domestique du roi, comme un officier de sa maison. Je n’ai jamais cessé de lui appartenir ; il me fait même une pension, outre le brevet de son gentilhomme ordinaire qu’il m’a conservé. Il ne m’a cédé à Sa Majesté prussienne qu’en me conservant tous mes droits dans ma patrie. Vous êtes ici le protecteur des Français ; je vous demande instamment , Monsieur, de couronner vos bontés ; de parler à M. de Podevils d’une manière touchante, et de l’engager par la plus pressante sollicitation à représenter au roi son maître combien il est digne de sa grandeur et de sa bonté de laisser sortir à son gré un étranger malheureux et malade, qu’il a eu deux ans et demi auprès de sa personne, et qui conservera toujours pour ses anciennes bontés la plus respectueuses reconnaissance, et combien il est digne encore d’un monarque tel que lui d’adoucir par des paroles de bienveillance le tort à jamais irréparable qu’il m’a fait.
Personne n’est plus en état que vous, Monsieur, de me rendre les meilleurs offices, et par le poste que où vous êtes et par la confiance qu’on doit avoir en vous. Je vous supplie d’ajouter cette marque de bonté à toutes celles que vous m’avez données. Je ne peux vous offrir que les tristes témoignages d’une reconnaissance aussi tendre, aussi respectueuse qu’inutile ; mais c’est assez pour une âme aussi belle que la vôtre.
V.
J’ajoute que je vous supplie de demander le secret à M. de Podevils jusqu’à mon départ, comme j’ose le demander au roi de Prusse.

« A Frédéric II, roi de Prusse
[1er janvier 1753]
Sire,
Ce n’est sans doute que dans la crainte de ne pouvoir plus me montrer devant Votre Majesté que j’ai remis à vos pieds des bienfaits qui n’étaient pas des liens dont j’étais attaché à votre personne [clé de chambellan et ordre du mérite]. Vous devez juger de ma situation affreuse, de celle de toute ma famille. Il ne me restait qu’à m’aller cacher pour jamais et déplorer mon malheur en silence. M. Federsdoff [a rapporté de la part du roi clé et croix] qui vient me consoler dans ma disgrâce me fait espérer que Votre Majesté daignerait écouter envers moi la bonté de son caractère, et qu’Elle pourrait réparer par sa bienveillance (s’il est possible) l’opprobre dont Elle m’a comblé. Il est bien sûr que le malheur de vous avoir déplu n’est pas le moindre que j’éprouve. Mais comment paraître ? comment vivre ? Je n’en sais rien. Je devrais être mort de douleur. Dans cet état horrible, c’est à votre humanité à avoir pitié de moi. Que voulez-vous que je devienne et que je fasse ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que vous m’avez attaché à vous depuis seize années. Ordonnez d’une vie que je vous ai consacrée et dont vous avez rendu la fin si amère. Vous êtes bon, vous êtes indulgent, je suis le plus malheureux homme qui soit dans vos Etats, ordonnez de mon sort.
V. »

« Au chevalier Charles-Nicolas de La Touche
A vous seul [1er janvier 1753]
Voici, Monsieur, une aventure que je vous confie avec le secret qu’on me recommande, et avec un abandonnement entier à votre protection et à vos conseils. J’ai renvoyé au roi ma clef et mon ordre et ma pension à trois heures et demie. Il m’a envoyé Federsdoff à quatre me dire de n’en rien faire, qu’il réparerait tout, que je lui écrivisse une autre lettre. Je lui ai écrit, mais sans démentir la première, et je ne prendrai aucune résolution sans vos bontés et sans vos conseils. Comme j’ai eu l’honneur de vous prendre à témoin de mes sentiments dans ma première lettre, et que le roi sait que selon mon devoir je vous ai confié mes démarches, ce sera à vous à être arbitre. Vous êtes actuellement un ministre de paix, on la propose, dictez les conditions. Je ne peux sortir, je ne peux que vous renouveler ma respectueuse reconnaissance.
V.
On parle de souper, je ne peux être assez hardi, si vous n’y êtes pas pour me seconder. Moi, souper ?

12:25 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, la touche, frédéric, federsdoff
31/12/2009
lui mettre d’autre sang dans les veines ; celui qu’il a est un composé de vitriol et d’arsenic
Surprise ?
http://www.youtube.com/watch?v=wrEX6nSP1-c
Je ne veux cependant pas la mort du lecteur ! A consommer avec modération ! s'il en est encore temps, méfiez vous de la galette des rois "faite maison" !....
« A Etienne-Noël Damilaville
31è décembre 1764
Les gens de bien, et surtout mon cher frère, doivent savoir que Jean-Jacques a fait un gros libelle [Lettres écrites de la montagne, de JJ Rousseau en réponse aux Lettres de la campagne de Tronchin (automne 1763) ] contre la parvulissime république de Genève, dans l’intention de soulever le peuple contre les magistrats [V* en citait ce passage à François Tronchin : « Quand vous prendriez un mauvais parti, prenez-le tous ensemble, par cela seul, il deviendra le meilleur » ; V* commente : « ce qui veut dire : si vous êtes tous d’accord pour poignarder le Conseil, vous aurez raison ».]. Le Conseil de Genève est occupé à examiner le livre, et à voir quel parti il convient de prendre.
Dans ce libelle, J.-J. fâché qu’on ait brûlé Emile m’accuse d’être l’auteur du Sermon des Cinquante [qui est effectivement de V*].Ce procédé n’est pas assurément d’un philosophe ni d’un honnête homme. Je voudrais bien savoir ce qu’en pense M. Diderot ; et s’il ne se repent pas un peu des louanges prodiguées à Jean-Jacques dans l’Encyclopédie [dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie]. Vous remarquerez que pendant que J.-J. faisait cette belle manœuvre à Genève, il faisait imprimer le Sermon des cinquante, et d’autres brochures, par son libraire d’Amsterdam Marc-Michel Rey, sous le titre de Collection complète des œuvres de M. de V. [V*, le 24 novembre a écrit une lettre de reniement à M.-M. Rey]. Cela peut être adroit, mais cela n’est pas honnête.
Mon cher frère avait bien raison de me dire quand Jean-Jacques maltraita si fort les philosophes dans son roman d’Emile, que cet homme était l’opprobre du parti. Je prie mon cher frère de me mander s’il a reçu le paquet du médecin anglais. Ce médecin aurait dû faire l’opération de transfusion à J.-J. et lui mettre d’autre sang dans les veines ; celui qu’il a est un composé de vitriol et d’arsenic. Je le crois un des plus malheureux hommes qui soit au monde, parce qu’il est un des plus méchants.
Omer travaille à un réquisitoire [prononcé le 9 mars 1765] pour le Dictionnaire philosophique. On continue toujours à m’attribuer cet ouvrage auquel je n’ai point de part. Je crois que mon neveu qui est conseiller au parlement, l’empêchera de ma désigner [« Mme Denis ma nièce a écrit à d’Hornoy mon neveu … et lui a insinué d’elle-même qu’il devait aller, si cela était nécessaire, parler à Omer au palais, et lui dire que s’il fait une sottise il ne doit pas au moins me nommer dans sa sottise ; qu’il offenserait … une famille nombreuse qui sert le roi dans la robe et dans l’épée ; qu’il est sûr que le Portatif n’est point de moi, et que cet ouvrage est d’une société de gens de lettres… »].
Voilà, mon cher frère, toutes les nouvelles que je sais. La philosophie est comme l’ancienne Eglise, il faut qu’elle sache souffrir pour s’affermir et pour s’étendre.
Je crois qu’on commence aujourd’hui l’édition de la Destruction, [ouvrage de d’Alembert Sur la destruction des Jésuites en France…] c’est un livre qui ne sera point brûlé, mais qui fera autant de bien que s’il l’avait été.
J’embrasse tendrement mon cher frère, et je me recommande à ses prières dans les tribulations où les méchants m’ont mis. Les orages sont venus des quatre coins du monde, et ont fondu sur ma petite barque que j’ai bien de la peine à sauver.
Voltaire. »
13:50 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : voltaire, damilaville, rouseau, diderot, rey, émile, sermon, cinquante
30/12/2009
Laissons passer les fadeurs du jour de l’an

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
30è décembre 1774
Ah ! mon cher ange ! il faut que je vous gronde . M. de Thibouville, M. de Chabanon, Mme du Deffand m’apprennent que je venais vous voir au printemps . Oui, j’y veux venir, mais …
Je n’y vais que pour vous, cher ange que vous êtes . Je ne puis me monter à d’autres qu’à vous . Je suis sourd et aveugle, ou à peu près . Je passe les trois quarts de la journée dans mon lit, et le reste au coin du feu . Il faut que j’aie toujours sur la tête un gros bonnet, sans quoi ma cervelle est percée à jour . Je prends médecine trois fois par semaine, j’articule très difficilement, n’ayant pas, Dieu merci, plus de dents que je n’ai d’yeux et d’oreilles .
Jugez d’après ce beau portrait qui est très fidèle, si je suis en état d’aller à Paris in fiochi ? Je ne pourrais me dispenser d’aller à l’Académie et je mourrais de froid à la première séance.
Pourrais-je fermer ma porte, n’ayant point de portier, à toute la racaille des polissons soi-disant gens de lettres qui auraient la sotte curiosité de venir voir mon squelette ? et puis , si je m’avisais à l’âge de quatre vingt et un ans de mourir dans votre ville de Paris,, figurez-vous quel embarras, quelles scènes et quel ridicule ! Je suis un rat de campagne qui ne peut subsister à Paris que dans quelque trou bien inconnu . Je n’en sortirais pas dans le peu de séjour que j’y ferais . Je n’y verrais que deux ou trois de vos amis, après qu’ils m’auraient prêté serment de ne point déceler le rat de campagne aux chats de Paris ?. J’arriverais sous le nom d’une de mes masures appelées terres, de sorte qu’on ne pourrait m’accuser d’avoir menti si j’avais le malheur insupportable d’être reconnu .
Gardez-vous donc bien , mon cher ange, d’autoriser ce bruit affreux que je viens vous voir au printemps . Dites qu’il n’en est rien, et je vais mander expressément qu’il n’en est rien.
Cependant consolez-vous de vos pertes, jouissez de vos nouveaux amis, de votre considération, de votre fortune, de votre santé, de tout ce qui peut rendre la vie supportable. Vous êtes bien heureux de pouvoir aller au spectacle ; c’est une consolation que tous vos vieux magistrats se refusent je ne sais pourquoi . C’était celle de Cicéron et de Démosthène . Notre parterre de la Comédie n’est rempli que de clercs de procureurs et de garçons perruquiers . Nos loges sont parées de femmes qui ne savent jamais de quoi il s’agit, à moins qu’on ne parle d’amour . Les pièces ne valent pas grand chose, mais je n’en connais pas de bonne depuis Racine, et avant lui il n’y a qu’une quinzaine de belles scènes, tout au plus .Mais je ne veux pas ici faire une dissertation.
Mon jeune homme m’occupe beaucoup . Si je puis parvenir seulement à écarter un témoin imbécile et très dangereux, je suis sur qu’il gagnera son procès tout d’une voix. Il faudrait un avocat au Conseil bien philosophe, bien généreux, bien discret, qui prît la chose à cœur, et qui signât une requête au garde des Sceaux, pour obtenir la liberté de se mettre en prison, et de se faire pendre si le cas y échoit .Ces lettres du Sceau après les cinq ans de contumace ne se refusent jamais . Laissons passer les fadeurs du jour de l’an, et le tumulte du carnaval, après quoi nous verrons à qui appartiendra la tête de cet officier . Son maître commence à prendre la chose fort à cœur, mais non pas si chaudement que moi .Je regarde son procès comme la chose la plus importante et qui peut avoir les suites les plus heureuses, mais il faut que d’Hornoy m’aide . Ce sera à lui de disposer les choses de façon que rien ne traîne, et que ce ne soit qu’une affaire de forme . Je vais travailler de mon côté à écarter ce sot témoin, seul obstacle qui m’embarrasse ; si je ne réussis pas dans cette entreprise très sérieuse, je parviendrai du moins à procurer quelque fortune à cet officier auprès de son maître . Les Fréron et les Sabatier ne m’empêcheront pas de faire du bien tant que je vivrai.
Adieu, mon cher ange, amusez-vous, secouez-vous, occupez-vous, aimez toujours un peu le plus vieux, sans contredit, de tous vos serviteurs, qui vous aimera tendrement tant qu’il aura un souffle de vie .
Voltaire. »
19:11 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : voltaire, argental, etallonde, deffand, thibouville, chabanon, paris, sourd, aveugle