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21/02/2011

L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère

Rien de neuf sous le soleil, qui doit tenir bon et éclairer ministres et travailleurs -des vrais, eux !- ; les uns pérorent et les autres ont la tête dans le guidon ; vous savez qui !

Ceux qui ne sont pas ministres se reconnaissent , ils ne parlent pas de leurs vacances avec jets privés et frais de séjour payés par les contribuables/corvéables autochtones .

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Un peu de musique discordante pour arroser tout ça :http://www.deezer.com/listen-5469020

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

18 février [1760]

 

L'éloquent Cicéron, Madame, sans lequel aucun Français ne peut penser, commence toujours ses lettres par ces mots : si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi, je me porte bien . J'ai le malheur d'être tout le contraire de Cicéron . Si vous vous portez mal, j'en suis fâché, pour moi , je me porte mal ; heureusement je me suis fait une niche dans laquelle on peut vivre et mourir à sa fantaisie ; c'est une consolation que je n'aurais pas eue à Craon, auprès du révérend père Stanislas, et de Frère Jean des Entommeures de Menoux i. C'est encore une grande consolation de s'être formé une société de gens qui ont une âme ferme et un bon cœur ; la chose est rare , même dans Paris . Cependant, j'imagine que c'est à peu près ce que vous avez trouvé . J'ai l'honneur de vous envoyer quelques rogatons, assez plats ; votre imagination les embellira ; un ouvrage, tel qu'il soit, est toujours assez passable quand il donne l'occasion de penser. Puisque vous avez, Madame, les poésies de ce roi ii qui a pillé tant de vers et tant de villes, lisez donc son Épître au maréchal de Keit sur la mortalité de l'âme ; il n'y a qu'un roi, chez nous autres chrétiens, qui puisse faire une telle épître. Me Joly de Fleury assemblerait les chambres contre tout autre, et on lacérerait l'écrit scandaleux. Mais apparemment qu'on craint encore les aventures de Rosbac, et qu'on ne veut pas fâcher un homme qui a fait tant de peur à nos âmes immortelles . Le singulier de tout ceci, c'est que cet homme qui a perdu la moitié de ses États, et qui défend l'autre par les manœuvres du plus habile général, fait tous les jours encore plus de vers que l'abbé Pellegrin iii; il ferait bien mieux de faire la paix iv; dont il a , je crois, autant besoin que nous . J'aime encore mieux avoir des rentes sur la France que sur la Prusse . Notre destinée est de faire toujours des sottises, et de nous en relever ; nous ne manquons presque jamais une occasion de nous ruiner et de nous faire battre, mais au bout de quelques années, il n'y parait pas . L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère . Nous n'avons pas aujourd'hui de grand génie dans les beaux-arts, à moins que ce ne soit M. Lefranc de Pompignan ou M. l'évêque son frère v, mais nous aurons toujours des commerçants et des agriculteurs . Il n'y a qu'à vivre, et tout ira bien.

 

Je conçois que la vie est prodigieusement ennuyeuse quand elle est uniforme . Vous avez à Paris la consolation de l'histoire du jour, et surtout la société de vos amis. Moi, j'ai ma charrue, et des livres anglais, car j'aime autant les livres de cette nation que j'aime peu leurs personnes . Ces gens-là n'ont pour la plupart du mérite que pour eux-mêmes . Il y en a bien peu qui ressemblent à Bolingbroke ; celui-là valait mieux que ses livres, mais pour les autres Anglais leurs livres valent mieux qu'eux .

 

J'ai l'honneur de vous écrire rarement, Madame, ce n'est pas seulement ma mauvaise santé et ma charrue qui sont en cause. Je suis absorbé dans un compte que je me rends à moi-même par ordre alphabétique, de tout ce que je dois penser sur ce monde-ci et sur l'autre, le tout, pour mon usage, et peut-être après ma mort, pour l'usage des honnêtes gens vi. Je vas dans ma besogne aussi franchement que Montaigne va dans la sienne, et si je m'égare, c'est en marchant d'un pas un peu plus ferme . Si nous étions à Craon, je me flatte que quelques-uns des articles de ce dictionnaire d'idées ne vous déplairaient pas ; car je m'imagine que je pense comme vous sur tous les points que j'examine ; si j'étais homme à venir faire un tour à Paris, ce serait pour venir vous y faire ma cour ; mais je déteste Paris sincèrement, et autant que je vous suis attaché . Songez à votre santé, Madame, elle sera toujours précieuse à ceux qui ont le bonheur de vous voir, et à ceux qui s'en souviennent avec le plus grand regret .

 

V. »

 

i Le jésuite Menoux, confesseur du roi Stanislas, assimilé ici au personnage de Rabelais .

Père Menoux : Page 153 : http://books.google.fr/books?id=evNRAAAAMAAJ&pg=PA153...

 

ii Sur ces poésies de Frédéric, voir lettre du 26 janvier à Louise-Dorothéa von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/26/j...

 

iii Simon-Joseph Pellegrin a composé entre autres une Apologie de M. de Voltaire adressée à lui-même,critique de La Henriade, (mais que certains, dont V*, attribuèrent à l'abbé Desfontaines ).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Simon-Joseph_Pellegrin

 

iv V* fut un des négociateurs, voir lettres du 30 novembre 1759 à d'Argental et 26 janvier 1760 à la duchesse de Saxe-Gotha (ci-dessus note ii) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/o...

 

v Que V* cite souvent comme étant le collaborateur de Caveirac qui a rédigé une Apologie de la révocation de l' Edit de Nantes.

 

vi Première allusion, dans sa correspondance, au Dictionnaire philosophique depuis le dernier séjour en Prusse où avaient été rédigés les articles : « Abraham », « Baptème », « (population de) l'Amérique » ; cf. lettres à Frédéric des 5 septembre et fin septembre-début octobre 1752 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/05/v...

et page 4 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f8.image.r=....

 

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