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10/05/2011

il serait trop ridicule que l’éternel architecte changeât et rechangeât continuellement les petits évènements de notre petit globule ; il ne s'occupe ni de nos souris, ni de nos chats, ni de nos jésuites

 

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« A Claude-Philippe Fyot de La Marche

 

Aux Délices 19è mai 1762

 

J'ai été sur le point, Monsieur, d'aller voir le Pierre que je commente i; car pour le Pierre aux filets et aux deux clefs, il n'y a pas d'apparence que je lui fasse jamais ma cour . J'aime bien mieux celui qui a si bien peint les Romains que celui au nom duquel un prêtre est le maitre de Rome .

 

Je suis encore très faible ; M. Tronchin prétend qu'il me tirera d'affaire ; je le veux croire, car je serais très embarrassé si je mourais avant d'avoir fini mon ouvrage .

 

J'ai reçu vos nouvelles bontés ; je n'ai que des remerciements à vous faire, à vous, Monsieur, et à vos artistes . Les Cramer ii ajoutent à mes remerciements une petite prière ; c'est que votre dessinateur iii et votre graveur aient la bonté de se conformer aux dimensions qu'on a dû leur faire parvenir par la voie d'un libraire de Dijon . Je trouve les dessins fort beaux,et surtout celui de Sophonisbe m'a beaucoup plu . Mais encore une fois, ne vous privez pas de vos plaisirs pour les miens . Je me contenterai bien d'être honoré de six estampes iv, que je devrai à votre complaisance et à votre amitié .

 

Je doute fort que Dieu se mêle des jésuites v, attendu qu'ils ne se sont jamais mêlés de lui, et que s'il se mêlait de pareilles affaires, il nous délivrerai de tous les moines vi; d'ailleurs, la providence bien particulière est, entre nous, une chimère absurde ; la chaîne des événements est immense , éternelle . Les acceptions de personnes, les faveurs , les disgrâces particulières ne sont pas faites de globes qui roulent les uns autour des autres par des lois générales , il serait trop ridicule que l’éternel architecte changeât et rechangeât continuellement les petits évènements de notre petit globule ; il ne s'occupe ni de nos souris, ni de nos chats, ni de nos jésuites, ni de nos flottes, ni même des tracasseries de votre parlement . Vous me feriez grand plaisir de me mander si vous espérez qu'elles finiront vii.

 

Je me flatte que M. Tronchin aura fini de rapetasser ma détestable machine quand il faudra venir vous faire ma cour au mois de juillet ; mais si les lois éternelles de ce monde dérangent toujours ma poitrine et mes entrailles, si je ne peux me transplanter, vous ne feriez pas mal de passer par Ferney en allant à Lyon . J'ai un des plus jolis théâtres, d'assez bons acteurs, et une mauvaise pièce nouvelle, qui forme, toute mauvaise qu'elle est, le spectacle le plus pittoresque, et le plus beau que vous ayez jamais vu viii. Bouchez-vous les oreilles, si vous voulez, mais ouvrez les yeux, et vous aurez beaucoup de plaisir ix. Il y a même par-ci, par-là des morceaux qui ne vous déplairont pas ; j'espère encore venir à La Marche, et de là vous conduire à Ferney ; laissez-moi me bercer de mes chimères ; qu'avons-nous autre chose de bon dans cette vie ?

 

Mon cher et illustre magistrat, je vous respecte et je vous aime bien tendrement.

 

V. »

 

i Pierre Corneille.

ii Éditeurs à Genève de ses Commentaires sur Pierre Corneille.

iii François de Vosges .

iv Il arrive à V* de dire qu'il ne tient pas particulièrement à ce que ses livres soient ornés d’estampes ; cf. lettre à Panckoucke du 12 janvier 1778 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/07/quand-il-s-agira-de-travailler-pour-vous-faire-plaisir-rien1.html

v Lettres du 31 mai 1761 à Damilaville et Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/05/30/il-faut-defendre-les-vivants-et-les-morts-contre-les-gens-d.html

et 2 novembre 1761 à Bianchi : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/01/j-ai-commence-par-admirer-avant-de-travailler.html

Il y est fait rappel de la banqueroute du père La Valette, du procès perdu par la Compagnie de Jésus, la condamnation de certains livres des jésuites et l'arrêt du 6 août 1761 leur interdisant d'enseigner . On examina leurs Constitutions . On prononça la fermeture de leurs collèges, à Rouen, à Rennes, à Paris en février-mars 1762 ; le 6 août 1762, le parlement de Paris prononcera la dissolution de la Compagnie à Paris comme l'avait fait celui de Rouen dans son secteur . Un édit prononcera en novembre 1764 la dissolution de la Compagnie dans toute la France .

vi Il écrit à d'Argence : « quatre-vingt mille autres moines » « qui sont perdus pour l’État et qui en dévorent la substance » , et à La Chalotais qu'il félicite pour le réquisitoire contre les jésuites prononcé à Rennes.

vii Le parlement refuse de juger « pour faire dépit au roi » ; voir lettre du 25 mars : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/25/il-est-bon-d-egayer-les-affliges.html

viii Il a « fait venir Lekain à Ferney » pour « connaitre (s)on ouvrage, écrit-il à Collini le 23 avril ; il a « vu l'effet de la pièce . C'est un très beau coup d’œil ... Mais (il a) senti à la représentation qu'il manquait beaucoup de nuances à ce tableau ». Voir page 36 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80036m/f41.image.r=.langFR

Voir la lettre aux d'Argental du 8 mars 1762 sur le théâtre de Ferney et sur la mise en scène : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/03/08/1.html

et la signification de Cassandre-Olympie, dans la lettre du 22 février 1762 aux mêmes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/02/22/voila-bien-du-bruit.html

ix A Thibouville, le 25 février 1762, il écrit que c'est une pièce « qui est toute d'appareil et de spectacle » «  et qui d'ailleurs n'est guère du ton ordinaire » ; voir page 8 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80036m/f13.image.r=.langFR

 

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