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16/01/2015

Avez-vous rien vu de moins vraisemblable que ce qui se passe depuis trois ans ?

... !?!?!?

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Les mots me manquent....

 

 

 

« A Joseph PARIS-DUVERNEY
Aux Délices, 7 janvier [1760].
Je vous souhaite, monsieur, les années du cardinal de Fleury, bien convaincu d'ailleurs que vous avez des vues plus nobles et plus étendues que les siennes ; il n'eût jamais établi l'École militaire 1.
Permettez que je vous propose une action digne de votre caractère. Il s'agit de rendre à la patrie une famille entière, de la plus ancienne noblesse du royaume. Vous avez peut-être connu autrefois le marquis de Langallerie 2, lieutenant général des armées, que son humeur trop vive et l'ineptie de M. de Chamillart obligèrent d'aller servir l'empereur .
J'ai engagé son fils,3 qui est un homme de probité et de mérite, à retourner en France. La religion protestante qu'il professe en Suisse, où il a quelques possessions encore, ne mettra aucun obstacle à son retour. Votre École militaire est la vraie place de ses enfants. Une pension pour eux, sur les économats, paraîtra très-bien appliquée ; un grade de maréchal de camp pour le père n'est qu'un parchemin. D'ailleurs M. le marquis de Gentil Langallerie, âgé de quarante-huit ans, peut rendre service, parlant l'allemand comme le français, et connaissant tous les buissons des pays où l'on fait la guerre.
J'ose confier cette négociation à votre générosité et à votre discrétion. Si vous entreprenez l'affaire, elle réussira. Voulez-vous en parler à Mme de Pompadour ? Je crois servir l'État en servant M. le marquis de Gentil, quoique le roi ne manque pas de braves officiers. J'ai cru, dans cette affaire, ne devoir m'ouvrir qu'à vous, le marquis de Gentil ayant de grands ménagements à garder en Suisse, où il a encore une partie de sa fortune.
Daignez me dire naturellement ce que vous pouvez et ce que vous voulez faire, Auriez-vous cru que le roi de Prusse tînt si longtemps contre les trois quarts de l'Europe ? Avez-vous rien vu de moins vraisemblable que ce qui se passe depuis trois ans ?
Adieu, monsieur, conservez toujours un peu d'amitié pour le plus ancien peut-être de vos admirateurs, pour votre très- attaché, très-humble et très-obéissant serviteur.
Voltaire. »

1 C'est sur l'initiative d'un des frères Pâris-Duverney, Jean Pâris, puis Joseph Pâris-Duverney, que Louis XV avait créé l’École militaire, d'abord installée à Vincennes, avant d'être au Champs de Mars . Voir : http://rde.revues.org/3552#tocto1n1

et : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_militaire_%28France%29

3 Frédéric-Philippe-Alexandre de Genlis, marquis de Langallerie, propriétaire jusqu'en 1750 du château d'Allaman , qui avait épousé une sœur de David-Louis et François-Marc-Samuel Constant de Rebecques , Suzanne-Angélique-Alexandrine ; voir : http://jm.ouvrard.pagesperso-orange.fr/armor/fami/g/gentil.htm

et voir lettre du 27 février 1757 à Vernes : voir page 171 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f174.image.r=vernes

 

Antecedentem scaelestum Persequitur pede pœna claudo / le crime a beau prendre de l'avance, le châtiment au pied boiteux le poursuit

...

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'ÉPINAY
Aux Délices, par Genève, 7 janvier [1760].
Que faites-vous, madame ? où êtes-vous? que dites-vous ? comment vous réjouissez-vous? Est-il vrai que le baron d'Holbach est en Italie, et qu'il reviendra par les Délices ?1 Ce sera une grande consolation pour moi de trouver un homme à qui je ne pourrai parler que de vous. Vous êtes à mes yeux la femme qui a raison; mais le faquin de libraire qui l'a imprimée, et indignement défigurée, en a fait la femme qui a tort. Quoique je fasse peu d'attention à ces petites tribulations, elles ne laissent pas cependant de prendre du temps ; on n'aime pas à voir ses enfants courir les rues mal vêtus et mal élevés. Il n'est pas bien sûr que notre docteur aille auprès du roi de Prusse 2; s'il avait cette faiblesse, vous pourriez lui appliquer ces vers de Corneille :
D'un Romain lâche assez pour servir sous un roi
Après avoir servi sous Pompée et sous moi.3

On dit, madame, qu'il y a une brochure dédiée au Cheval de bronze , qui est assez plaisante 4. Si je pouvais l'avoir par votre protection, je vous serais bien obligé. Monsieur l'envoyé 5 de Francfort, la guerre me paraît traîner furieusement en longueur; ayez la bonté de faire finir ces pauvretés-là le plus tôt que vous pourrez. Si Luc est écrasé ou enchaîné, je ferai danser ce faquin de Schmitt, qui est, je crois, au nombre de vos seigneurs commettanst 6: Antecedentem scaelestum Persequitur pede Pœna claudo. 7
Je suis accablé de bagatelles ; j'en ai cent pieds par-dessus la tête ; bagatelles touchant Pierre le Grand, bagatelles de théâtre, bagatelles d'histoire du siècle, bagatelles de mes masures et du gouvernement de mes hameaux. Je ne peux songer de longtemps à l'Encyclopédie; d'ailleurs, comment traiter Idée et les autres articles? Ma levrette accoucha ces jours passés, et je vis clairement qu'elle avait des idées. Quand j'ai mal dormi ou mal digéré, je n'ai point d'idées; et, pardieu, les idées sont une modification de la matière, et nous ne savons point ce que c'est que cette matière, et nous n'en connaissons que quelques propriétés, et nous ne sommes que de très-plats raisonneurs ; et maître Joly de Fleury n'en sait pas plus que moi sur tout cela. Ce n'est pas la peine d'écrire pour ne point dire la vérité. Il n'y a déjà dans l'Encyclopédie que trop d'articles de métaphysique pitoyables ; si l'on est obligé de leur ressembler, il faut se taire. On m'assure que Diderot est devenu riche ; si cela est, qu'il envoie promener les libraires, les persécuteurs et les sots, et qu'il vienne vivre en homme libre entre Gex et Genève.
Ma philosophe 8, on a grande envie de rendre ce pays de Gex libre et indépendant . Ce serait une bonne affaire pour la philosophie. On trouve une compagnie qui offre de l'argent comptant aux fermiers généraux, et même au roi 9. Pour peu que le plan soit plausible, je vous l'enverrai ; je veux que vous fassiez réussir cette affaire, et que vous en ayez la gloire; vous ameuterez trois ou quatre des Soixante 10, et je vous dresserai une statue à Ferney.
Vous êtes à jamais dans ma tête et dans mon cœur.

V. »

1 On ne connait pas de visite d'Holbach à Voltaire .

3 Corneille ,La mort de Pompée, acte III, scène 4

4 Allusion obscure ; il pourrait s'agir d'une brochure ou chanson telle qu'on en débitait à Paris sur le Pont-Neuf, près du Cheval de bronze ; mais il pourrait aussi s'agir d'une œuvre de V* .

5 Grimm ; il venait d'être chargé des intérêts de la ville de Francfort-sur-le-Main auprès de la cour de France, avec un traitement de 24 000 livres. Les employés du bureau secret de la poste ayant décacheté, en 1761, une lettre dans laquelle monsieur l'envoyé faisait une plaisanterie sur un des ministres de Louis XV, on obligea aussitôt la ville impériale à choisir un autre chargé d'affaires. (Clogenson.)

La phrase qui suit est extrêmement révélatrice des mobiles profonds de V* . s'il ne se soucie aucunement du Canada, ni de l'équilibre européen (pour lequel la France s'est alliée à l'Autriche), il souhaite tout simplement que Frédéric soit battu pour deux raisons : d'une part il aura le plaisir de philosopher avec lui et de lui prouver que le sage est plus heureux que le roi, d'autre part il se vengera de ses ennemis de Francfort .

7Horace : Odes III, ode II, v. 31-32  un peu modifiés : le crime a beau prendre de l'avance, le châtiment au pied boiteux le poursuit . (Mais rarement le Châtiment Quoique en boitant, a manqué le coupable. ).

8 Et non philosophie comme écrit dans l'édition Besterman .

10 Les fermiers généraux . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ferme_g%C3%A9n%C3%A9rale