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02/03/2015

nous ferons une campagne sur terre, attendu qu'il nous est impossible de fourrer notre nez sur mer

... Ce qui vaut pour 1760 doit être pris en parfait contrepied en 2015, où nous devons faire campagne sur mer et dans les airs pour éviter de nous engluer sur terre en cet Orient qui n'a plus rien de fabuleux, qui sent la poudre et le cadavre .

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay
1er mars 1760
Ma respectable philosophe, et, qui pis est, très-aimable, il fait un de ces vents du nord qui me tuent, et que vous bravez. Je suis dans mon lit, et de là je dicte les hommages que je vous rends. L'affaire de mon avanie, et des commis de Saconnex, n'est point du tout terminée. Cette précieuse liberté pour qui j'ai tout fait, pour qui j'ai tout quitté, m'est ravie, ou du moins disputée. J'écris à M. de Chalut de Vérin une prodigieuse lettre 1 : vous devez avoir du crédit dans le corps des Soixante. Qui peut vous connaître et ne pas se rendre à vos volontés ! Voyez si vous pouvez faire donner quelques petits coups d'aiguillon à la bienveillance que M. de Chalut me témoigne. C'est à vous, madame, que je veux devoir mon repos ; il serait bien dur d'être exposé au vent du nord, et de n'être pas libre. Vous sentez bien qu'on fait peu de petits chapitres lorsqu'on a la guerre avec des commis ; on ne peut pas chanter quand on vous serre la gorge. Si vous daigniez faire encore un voyage dans ce pays-ci, on vous donnerait un chapitre par semaine.

 

Je sais bien que Fréron est un lâche scélérat, mais je ne savais pas qu'il eût porté l'infamie jusqu'à se rendre délateur contre les éditeurs de l'Encyclopédie. J'ignore quel est son associé Patte 2, dont vous me faites l'honneur de me parler : ces deux messieurs sont apparemment les parents de Cartouche et de Mandrin ; mais Mandrin et Cartouche valaient mieux qu'eux : ils avaient au moins du courage.
Il y a grande apparence, madame, que nous ferons une campagne sur terre, attendu qu'il nous est impossible de fourrer notre nez sur mer. Mais avec quoi ferons-nous cette campagne, si le parlement ne veut pas que le roi ait de quoi se défendre ? Il paraît aussi déterminé contre la douceur du style de M. Bertin que contre la dureté de la prose de M. Silhouette. Nous nous occupons plus de ces objets sur la frontière qu'on ne fait à Paris, parce que nous voyons le danger de plus près. La perte de nos flottes, de nos armées, de nos finances, n'empêche pas vos chers compatriotes de faire bonne chère sur des culs noirs 3, d'appeler M. Bertin le médecin malgré lui, et de courir siffler les pièces nouvelles.
Je me flatte au moins que le Spartacus de M. Saurin n'aura pas été sifflé : c'est un homme de beaucoup d'esprit, et, de plus, philosophe; c'est dommage qu'il n'ait pas travaillé à l'Encyclopédie.
Est-il vrai, ma belle philosophe, qu'il faut vous donner rendez- vous à Feuillasse 4? Ce serait de votre part un bel exemple. Si vous êtes capable d'une si bonne action, je ne serai plus malade; je braverai la bise comme vous. Toutes les Délices sont à vos pieds.

 

V. »

 

 

1 Cette lettre, écrite à Chalut, l'un des soixante fermiers généraux, n'a pas été retrouvée. (Clogenson.) . Voir lettre du 20 mai 1759 à de Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/07/04/conservez-moi-cette-liberte-qui-me-coute-assez-cher.html

Voir aussi : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTI...

et : http://histoire-bibliophilie.blogspot.fr/2013/03/les-fermiers-generaux-des-contes-et.html

 

2 Pierre Patte, architecte, né le 3 janvier 1723, mort le 19 août 1814, éditeur des Mémoires de Charles Perrault, 1759, in-12. Voir la « Lettre de M. Patte, architecte, à M. Fréron » dans l'Année littéraire, 1760 ainsi que Pierre Patte, 1940, de Maë Mathieu . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Patte

 

 

4 Cette propriété située près de Mategnin appartenait, semble-t-il à cette date au comte Hyacinthe de Pingon ; voir E.-L. Dumont, « Le château de Feuillasse », Bulletin de L'Institut genevois, 1953 .voir : http://www.swisscastles.ch/Geneve/meyrin.html

 

 

On assure que ce vin de Beaujolais est fort bon cette année, et qu'il est de garde

... Ouf ! une bonne nouvelle ! à un détail près, c'est la cuvée 1759 ; je serais curieux d'en trouver (façon de parler) pour vérifier la bonne garde de ce picrate . 

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«A Ami Camp

Banquier

à Lyon

1er mars 1760

Nous n'avons point encore goûté, monsieur, du vin que vous avez eu la bonté de nous envoyer . On assure que ce vin de Beaujolais est fort bon cette année, et qu'il est de garde . Si cela est, monsieur, je vous serai bien obligé, si vous voulez bien m'en envoyer encore quatre tonneaux ; je commence à croire que M. Tronchin ne reviendra point à Pâques comme je l'espérais . Je m'en remets toujours à sa prudence et à son amitié, pour la vente de mes effets . Je n'en augure rien de bon, ni de la paix qui ne se fera pas de sitôt, ni de Pondichéry qu'on peut nous prendre, ni de l'Amérique septentrionale, où nous n'aurons bientôt plus rien, ni de notre commerce maritime qui court risque d'être anéanti, ni de la campagne que nous allons faire en Allemagne contre des gens qui combattent pour leurs foyers, et contre des Anglais qui se battent trop bien . Nous avons reçu votre huile, nous vous remercions ; notre ministère perdra sa peine et son huile .

Votre très humble et très obéissant serviteur.

V. »

 

vous êtes tous deux faits pour vous aimer . Si je n'en croyais que mes sentiments, je me mettrais en tiers

... Honni soit qui mal y pense ! il n'est question que de sentiments !

 Par ailleurs, je comprends mieux l'expression "j'ai la patate !"

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 Bio garanti

 

« A Giuseppe Pecis 1

Tout malade que je suis, monsieur, et quoique je ne puisse écrire, je ne peux me priver du plaisir de vous marquer tous les sentiments de reconnaissance et d'estime que je vous dois . Moins je mérite les beaux vers dont vous m’honorez, et plus je les admire . Vous me faites voir que la véritable poésie embellit tout ce qu'elle veut . Que ne ferez-vous point quand vous traiterez de sujets plus dignes de vous ? Il me semble que les belles lettres fleurissent plus que jamais en Italie ; personne ne peut contribuer plus que vous, monsieur, à maintenir votre patrie dans la supériorité qu'elle a eue si longtemps . C'est une vraie peine pour moi que de n'avoir point vu ce si beau pays qui a enseigné les beaux arts au reste de l'Europe ; mais je suis trop vieux pour penser à voyager et trop bien dans mes terres pour les quitter . J'admire de loin la patrie du Tasse , et je me trouve à merveille de ne pas dépendre, comme lui, d'un duc de Ferrare . Je compte écrire à M. Algarotti dès que j'aurai un peu de santé ; personne n'est plus touché que moi de l'universalité de ses talents et des grâces de son esprit ; il est aussi aimable dans la société que dans ses écrits ; je ne suis pas étonné qu'il soit lié avec vous ; vous êtes tous deux faits pour vous aimer . Si je n'en croyais que mes sentiments, je me mettrais en tiers . J'ai l'honneur d'être avec toute l’estime et la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire de la

chambre du roi

27è février 1760

aux Délices 2»

1 Copie contemporaine sur laquelle on mentionne Paradisi comme destinataire ; l'édition Algarotti qui donne la lettre en note à un échange de lettre entre Pécis et Algarotti, lesquelles en font l'une et l'autre mention . La lettre de Pécis et ses vers ne nous sont pas connus .