31/05/2019
vous savez que les voix de ces braillards des déserts ne sont guère entendues dans les villes
...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
3è mai 1764 aux Délices 1
Mes anges, les anges doivent avoir reçu les Roués, cartonnés en cent endroits. Je ne sais pas quel acteur jouera le rôle d’Octave, mais il est impossible à l’auteur de ne pas faire d’Octave un jeune homme ; il n’avait que vingt et un ans au temps des proscriptions ; on le donne dans toute la pièce comme un homme qui lutte contre les passions de la jeunesse, comme un jeune débauché qui s’est formé sous Antoine, à la licence, au crime, et à la politique.
Je me donne mille mouvements pour empêcher qu’on ne vende l’édition de Corneille à d’autres qu’aux souscripteurs, et pour empêcher les libraires d’imprimer les commentaires à part ; mais que puis-je du fond de mes vallées au pied du mont Jura ? Je ressemble à Saint Jean comme deux gouttes d’eau ; il s’appelait la voix qui crie dans le désert 2, et vous savez que les voix de ces braillards des déserts ne sont guère entendues dans les villes.
Madame ange prend-elle toujours des eaux ? M. ange va-t-il toujours à la comédie ? s’amuse-t-il ? lui donne-t-on de belles pièces nouvelles ? J’ignore tout. Je n’ai pas pu avoir les quatre vers qui sont au bas du portrait du duc de Sully, donné par madame de Pompadour à M. le contrôleur général 3 . Il était fort aisé de faire quatre jolis vers sur cette galanterie.
Nous avons un billet de douze mille francs, payable au mois de septembre, pour en faire un emploi en faveur de M. et de Mme Corneille, réversible à leur fille. Je prie M. de Laleu de chercher un emploi sûr . J’ai, Dieu merci, rempli tous les devoirs que je me suis imposés. Je n’ai plus qu’à traîner doucement les restes d’une vieillesse languissante, et je voue ce petit reste à mes anges, à qui je souhaite santé, prospérité, amusement, et gaieté.
No[ta] – A la scène 3 du 4è acte entre Pompée et Fulvie mettre :
AUFIDE
La parole a couru, c'est Pompée et Pharsale.
POMPÉE
Elle coûtera cher, elle sera fatale.
Mais que devient Julie et quel est votre sort ?
FULVIE
Laissez-moi mes destins, allez porter la mort .
Il me suffit .
POMPÉE
Je crains pour vous et pour Julie,
Antoine vengera le frère d'Octavie .
FULVIE
Qui ? Lui – qui ? Ce mortel sans pudeur et sans foi ? Etc.4
Je demande pardon à mes anges mais ils sentent bien que ces quatre vers sont nécessaires , et qu'il fallait absolument que Pompée dit un mot de Julie, en allant s’exposer à une mort qui lui paraît certaine . Ce mot de plus augmente l'intérêt ; le dialogue en est plus vif et plus fort entre Pompée et Fulvie . »
1 Le nota supprimé sur la copie Beaumarchais manque dans les éditions .
2 Évangile de Jean, I, 23 : https://www.aelf.org/bible/Jn/1
et Isaïe , XL, 3 : https://www.magnificat.ca/textes/bible/isaie.htm
3 Beuchot les donne :
De l’habile et sage Sully
Il ne nous reste que l’image :
Aujourd’hui ce grand personnage
Va revivre dans Laverdy.
4 Il ne reste que peu de chose de ce dialogue, d'ailleurs médiocre , dans la scène 3 de l'acte IV d'Octave .
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30/05/2019
ce remède n’est pas fait pour la populace, qui a un trop mauvais régime , mais il réussit beaucoup chez les gens qui savent un peu se gouverner eux-mêmes
... Le "remède" ? le contrôle fiscal qui, heureusement , ne s'exerce pas seulement envers le vulgum pecus mais s'intéresse aussi à ceux qui sont sensés * nous gouverner et qui ne sont pas irréprochables . Gros avantage des susdits : ils ont largement les moyens de payer les redressements .
https://www.20minutes.fr/politique/2529143-20190529-21-mi...
* Mais pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes."
Des chiffres et des lettres
« A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence
au château de Dirac
près d’Angoulême
Mon cher frère, j’ai été très édifié des Réflexions philosophiques 1; on ne peut mieux s’y prendre pour préparer les esprits. Le livre contre lequel ces réflexions sont écrites est bafoué à Paris du petit nombre de lecteurs qui ont pu en parcourir quelques pages, et est ignoré de tout le reste.
Je me flatte que la santé de vos amis est devenue meilleure, et que les trois cents pilules 2 de Tronchin font un merveilleux effet ; c’est un remède souverain contre ces sortes de maladies. Vous devenez un très grand médecin ; il est vrai que ce remède n’est pas fait pour la populace, qui a un trop mauvais régime , mais il réussit beaucoup chez les gens qui savent un peu se gouverner eux-mêmes.
Je vous demande pardon de ne vous avoir pas accusé la réception de la dinde ; elle est venue un peu tard, et on n’a point entendu parler des perdrix . Il y a trop loin d’ici à Angoulême ; j’en suis bien fâché, car je voudrais bien vous embrasser avant de mourir.
3è mai 1764 . »
1 Ouvrage non identifié, pas plus que le « livre » dont il est question ensuite .
2 Apparemment 300 exemplaires du Testament du curé Meslier .
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29/05/2019
C’est un spectacle fort gai et fort amusant
... que celui des peignées que se mettent les différents ténors des partis en déroute après les élections européennes . Ah que c'est beau ces noms d'oiseaux qui fusent et ces démissions refusées ! Droite et gauche réunies dans la même panade, quel délicieux gloubiboulga dont s'empiffre la Marine Le Pen au triomphe modeste (comme d'hab ' )!
J'en suis vert !
« Au marquis Francesco Albergati Capacelli
Senatore di Bologna
à Bologna
Aux Délices, 3 mai 1764
Si j’avais de la santé et des yeux, monsieur, je vous aurais répondu plus tôt . Si j’étais jeune, je viendrais sûrement vous voir, vous embrasser, admirer vos talents, être témoin de la protection que vous donnez aux arts, et partager vos plaisirs ; une si grande satisfaction n’est pas faite pour la fin de ma vie . Je suis réduit à pouvoir à peine dicter une lettre.
Oserai-je vous supplier de vouloir bien faire mes compliments à MM. Fabry 1 et Paradisi 2, à qui je dois autant de reconnaissance que d'estime ? Je suis toujours étonné que vous ayez traduit la tragédie d’Idoménée 3 : il me semble qu’un bon peintre comme vous ne doit copier que les ouvrages des Raphaël. Il vous était aisé de vous faire informer par M. Goldoni si cet Idoménée est au rang des pièces qu’on représente, si ce n’est pas un très mauvais ouvrage, pardonnable à la jeunesse d’un auteur qui depuis fit de meilleures choses. En vérité, il n’est pas permis au traducteur de Phèdre d’être celui d’Idoménée. Il vaudrait beaucoup mieux retrancher cette pièce de votre recueil, que de faire dire aux critiques que l’on a traduit également le bon et le mauvais. Pardonnez au vif intérêt que je prends à vous, si je vous parle si librement.
Je vous ai déjà mandé 4, monsieur, que je n’avais depuis longtemps aucune nouvelle de M. Goldoni ; mais j’espère toujours que j’aurai le plaisir de le voir, quand il reviendra en Italie. Je ne sais s’il travaille pour nos comédiens italiens, qui se sont unis à un opéra-comique qui a, dit-on, beaucoup de succès. C’est un spectacle fort gai et fort amusant, mais qui consiste principalement en chansons et en danses ; cela ne me paraît pas du ressort de M. Goldoni, dont le talent est de peindre les mœurs ; cependant je me flatte toujours que son voyage lui sera utile et agréable. Un homme de la maison de la belle Laure 5 a fait des commentaires sur la vie de Pétrarque en deux énormes volumes in-4° 6. Je ne sais si vous les avez lus . Je serais bien plus curieux de lire les deux petits volumes que vous me promettez.
Adieu, monsieur, toutes vos lettres redoublent les sentiments de la tendre et respectueuse estime que vous m’avez inspirés pour vous.
V. »
1 L'abbé Domenico Fabri est l'auteur d'une traduction de Sémiramis de V*, au volume III de la Scelta delle migliori tragedie francese tradotto in italiano in versi sciolti (1768) ; c'est un des collaborateurs de Capacelli .
2 Autre traducteur d’œuvres de V* : voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome40.djvu/313
3 De Crébillon .
4 Voir lettre du 5 mai 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/04/28/il-est-dans-un-etat-fort-triste-et-ne-peut-guere-actuellemen-6047039.html
et du 27 septembre 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/09/20/est-il-possible-que-tout-l-esprit-des-italiens-nos-maitres-dans-les-arts-n.html
Goldoni a écrit à V* le 7 mars 1764 : « Il me faut encore six mois pour achever l’impression de mes ouvrages à Paris . Je ne sais pas encore si je les enverrai en Italie ou si j'irai moi-même . De toute manière j'espère avoir l’honneur de vous voir . Quand je devrais rester en France plus longtemps, je demanderais un congé pour me rendre auprès de vous . » Suivaient quelques mots de recommandation pour le « chevalier de Vais de la ville de Bruxelles » que Goldoni demandait à V* d'accueillir sur le chemin de l’Italie .
5 L'abbé de Sade .
6 Voir lettre du 12 février 1764 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/02/22/je-me-suis-donne-une-nombreuse-famille-que-la-nature-m-avait-refusee-et-je.html
10:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
Je fous serai très obligé car je suis devenu horriblement pédant
... Je fous laisse juges !
Moi ( à la moustache près ) ?
« A Gabriel Cramer
[vers le 1er mai 1764]
Je vous prie instamment Caro de me faire voir l'ouvrage de Kirker sur l’Égypte 1 et Pline le naturaliste qui sont à la bibliothèque . Je fous 2 serai très obligé car je suis devenu horriblement pédant .
V. »
1 Le plus important ouvrage d'Athanasius Kirker sur l’Égypte est son Oedipus aegyptiacus (1652-1654) . V* travaille apparemment à des articles sur l’Égypte du Dictionnaire philosophique, mais il accumule les matériaux qui lui serviront dans Le Taureau blanc.
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Athanasius_Kircher
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C5%92dipus_%C3%86gyptiacus
2 Si cette forme n'est pas un lapsus calami, elle vise à suggérer l'impression « germanique » en rapport avec le pédantisme des ouvrages demandés .
09:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
28/05/2019
la multitude des détestables est prodigieuse
... Et les résultats des élections européennes ne fait que le confirmer . Les ridicules sont seuls à être capables d'égaler cette foultitude .
... et têtes creuses .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
1er mai 1764, aux Délices
Mes charmants anges, voici vos Roués ; je les ai rajustés comme j’ai pu. Ne me demandez pas un vers de plus, pas un hémistiche ; car je deviens si vieux, si vieux ! si dur, si sec, si stérile, si incapable, qu’il faut avoir pitié de moi. Il faut être possédé du démon pour faire une tragédie ; je n’en connais pas une seule qui n’ait de grands défauts, et la multitude des détestables est prodigieuse.
Faites-moi un plaisir, mes anges dites-moi habilement si madame la duchesse de Gramont a personnellement du crédit auprès du roi ; j’aurais peut-être besoin qu’elle lui dît un mot ; car, tout Suisse qu’on est, on ne laisse pas de se souvenir de sa patrie . Enfin j’ai besoin de savoir si je peux m’adresser à madame la duchesse de Gramont pour une chose extrêmement aisée à faire. J’ai pardonné aux mânes de madame de Pompadour les prédilections qu’elle avait pour la Sémiramis de Crébillon, pour son Catilina et pour son Triumvirat. Ce sont, sans contredit, les plus impertinents et les plus barbares ouvrages qu’un ennemi du bon sens ait jamais pu faire. Madame de Pompadour me faisait l’honneur de me mettre immédiatement après ce grand homme ; mais, après tout, elle m’avait rendu quelques bons offices, dont je me souviendrai toujours.
On dit que M. de Marigny fait travailler à un superbe mausolée pour Pradon, l’abbé Nadal, et Danchet 1 ; je lui recommande Guillaume Vadé ; car pour moi, qui ne serai pas enseveli en terre sainte 2, je ne prétends pas aux monuments. Dites-moi, je vous prie, ce qu’on fait au tripot, quel nouveau chef-d’œuvre on représente. On dit que la salle est déserte aux comédies, depuis la retraite de Mlle Dangeville . Vous n’avez qu’un acteur tragique . Le tripot me paraît aller mal.
Mes anges, conservez votre santé l’un et l’autre ; que les eaux vous fassent du bien , ayez tout le plaisir que vous pourrez . Cela n’est pas toujours aussi aisé qu’on le pense.
Respect et tendresse.
V. »
1 Au lieu de ces trois noms il faut lire ici celui de Crébillon . Allusion au mausolée que Marigny fait faire pour Crébillon sur commande de Mme de Pompadour ; voir lettre du 16 décembre 1762 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/10/25/je-n-ai-confie-a-personne-qu-a-vous-mes-propositions-politiques-tachez-de-f.html
2 Cette crainte de ne pas avoir une sépulture en terre chrétienne est tout à fait justifiée , comme on le verra à son décès .
09:36 | Lien permanent | Commentaires (0)
Je vous jure que je ne l'userai pas à force de le lire
... Quoi donc ? le testament de l'américano-frico-franco-disco-rocko vedette people Johnny, bel os à ronger par ses héritiers putatifs . Les avocats vont pouvoir se gaver . Je vous jure que je n'achèterai pas le moindre disque d'Optic 2000 !
« A Gabriel Cramer
[vers le 30 avril 1764]
Vous ne m'avez point caro répondu sur Duchesne . Vous ne m’avez point envoyé le Catilina du grand Crébillon qui faisait les délices de Mme de Pompadour . Vous m’abandonnez cruellement . Je compte pourtant sur votre amitié . Je vous prie de faire remettre ce beau Catilina chez M. Souchay . J'en aurai le plus grand soin . Je vous jure que je ne l'userai pas à force de le lire . »
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27/05/2019
nous ne sommes plus dans ces temps où la France donnait des exemples à l'Europe
... Tel est le triste constat après ces élections européennes qui montrent que l'intolérance nationaliste a repris du poil de la bête . La discorde existante va sans doute s'accroître encore , la division et l'émiettage de l'Europe sont à craindre . Les nombrilistes sont de bien tristes sires et la donneuse de leçons Marine Le Pen, voleuse et tricheuse patentée ( 300 000€ détournés au parlement européen ; digne émule de François Fillon ? ) est bien mal placée pour dire ce que doit faire le président de la République .
https://www.touteleurope.eu/actualite/elections-europeenn...
« A Jean-Georges Noverre
Les vieillards impotents comme moi, monsieur, s'intéressent rarement à l'art charmant que vous avez embelli 1 ; mais vous me transformez en jeune homme, vous me faites naître un violent désir de voir ces fêtes dont vous êtes l’ornement principal ; mes désirs ne me donnent que des regrets, et c'est là mon malheur . J'ai d'ailleurs une raison de vous admirer qui m'est particulière ; je trouve que tout ce que vous faites est plein de poésie ; les peintres et les poètes se disputeront à qui vous aura . Je ne cesse de m'étonner que la France ne vous ai pas fixé par les plus grands avantages ; mais nous ne sommes plus dans ces temps où la France donnait des exemples à l'Europe ; tout est bien changé, vous devez au moins être regretté de tous les gens de goût . Regardez-moi , monsieur, comme un de vos partisans les plus attachés, et comptez sur l'estime sincère avec laquelle j'ai l'honneur d'être votre très humble serviteur .
Voltaire.
Au château de Ferney, le 26 avril 1764.2 »
1 La danse ; Noverre est l'organisateur des fêtes annuelles de Wurtemberg ; voir lettre du 11 octobre 1763 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/10/05/vous-me-paraissez-si-superieur-dans-votre-genre-que-je-ne-su-6094557.html
2 D'après l'édition de David Murphy de Vie de David Garrick (traduite par Jean-Etienne-François Marignié), 1800-1801 .
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