Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/06/2019

Mais les clameurs ne sont pas des raisons ... Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public

...

 

« A Jean-François de La Harpe

Aux Délices près de Genève 25è mai 1764

Avec une fluxion sur les yeux qui m’a privé de la vue pendant six mois, avec une extinction de voix qui m’empêche de dicter, il faut pourtant que je vous dise, mon cher confrère, combien vos lettres me font de plaisir. Vous avez l’esprit juste et vrai, votre goût est sûr, vous n’êtes dupe d’aucun préjugé . Vous avez bien raison de dire que je n’ai pas remarqué toutes les fautes de Corneille 1, et cependant on crie sur la moitié que j’ai observée avec des regards très respectueux . Mais les clameurs ne sont pas des raisons. Voudrait-on que j’eusse fait aux beautés de Corneille l’outrage d’encenser les défauts, et qu’à côté de ses admirables scènes (je ne dis pas de ses admirables pièces) j’eusse placé Théodore, Pertharite, Andromède, la Toison d’Or, Tite et Bérénice, Othon, Pulchérie, Agésilas, Suréna ?2

J'ai jugé les ouvrages et non l'auteur . J’ai dit ce que tout homme de goût se dit à lui-même quand il lit Corneille, et ce que vous dites tout haut, parce que vous avez la noble sincérité qui appartient au génie. N’est-il pas vrai que le grand tragique ne se rencontre que dans la dernière scène de Rodogune ? Mais ce sublime, sur quoi est-il fondé ? sur quatre actes bien défectueux. Pourquoi Racine a-t-il été si parfait, sans pourtant faire aucun tableau qui approche de la dernière scène de Rodogune ? C’est que le goût joint au génie ne produit jamais rien de mauvais. C’est à vous, mon cher confrère, à réunir ce que la nature partagea entre deux grands hommes.

Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public. Vous savez avec quelle fureur on affectait de louer cette partie carrée de l’Electre de Crébillon, ce roman ténébreux, ces vers durs et hérissés, ces dialogues où personne ne répond à propos ; cet Itys, cette Clytemnestre, cette Iphianasse. On commence à peine à ouvrir les yeux. Travaillez, mon cher confrère ; faites oublier toutes ces extravagances boursouflées, tous ces vers welches. Il y a de très belles choses dans Rhadamiste, mais j’espère que votre Timoléon vaudra mieux 3. Votre goût pour la simplicité est le vrai goût, et il n’appartient qu’au grand talent. Il est bien singulier que vous n’ayez pas un Corneille commenté . Vous étiez le premier sur la liste. Je suis très affligé de ce contre-temps ; il sera réparé . Il est trop juste que vous ayez votre modèle pour les belles scènes, et les remarques bonnes ou mauvaises de votre ami.

V. » 

1 La Harpe lui reprochera plus tard d'en avoir, au contraire, trop remarqué .

2 On arrive ici, sur le manuscrit, en bas de page ; suivent deux pages blanches barrées par V*, en y portant cette mention : « Je ne me suis pas aperçu que j'avais pris quatre feuilles pour deux. »

3 La tragédie Timoléon doit être représentée le 1er août 1764 au Théâtre-Français . Voir : https://archive.org/details/bub_gb_r3omp0VlT9oC

29/06/2019

C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite

... Jeunes sapeurs-pompiers et jeunes donneurs de sang doivent recevoir notre reconnaissance, non seulement à Paris mais dans toute la France . Bravo à eux .

Image associée

 

 

 

« A Nicolas-Sébastien Roch de Chamfort

Aux Délices près de Genève 25è mai 1764 1

Je vous fais monsieur des remerciements bien sincères de votre lettre et de votre pièce . La Jeune Indienne 2 doit plaire à tous les cœurs bien faits . Il y a d'ailleurs beaucoup de vers excellents . J'aime à m'attendrir à la comédie pourvu qu'il y ait du plaisant . Vous avez ce me semble très bien réussi dans ce mélange si difficile, je suis persuadé que vous irez très loin . C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite . Je donnerais ic[i] plus d'étendue aux sentiments que vous m'inspirez si mes yeux presque aveugles me le permettaient . Je n'écris qu'avec une difficulté extrême . Mais cette peine est bien adoucie par le plaisir de vous assurer de toute l'estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1 Manuscrit sur papier légèrement endommagé .

28/06/2019

Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise

... On dirait que Voltaire a bien  connu Nicolas Sarkozy et lu sa prose  dont "Passions" dernier opus ce ce grand auteur à la sincérité et honnêteté débridées .

 

 

« A Charles-Joseph Panckoucke

Aux Délices, 24 Mai 1764 (1).

Vous me mandez, monsieur, que vous imprimez mes romans , et je vous réponds que si j’ai fait des romans, j’en demande pardon à Dieu ; mais tout au moins je n’y ai jamais mis mon nom, pas plus qu’à mes autres sottises. On n’a jamais, Dieu merci, rien vu de moi contre-signé et paraphé Cortiat, secrétaire 1, etc. Vous me dites que vous ornerez votre édition de culs-de-lampes : remerciez Dieu, monsieur, de ce qu’Antoine Vadé n’est plus au monde ; il vous appellerait Welche sans difficulté, et vous prouverait qu’un ornement, un fleuron, un petit cartouche, une petite vignette ne ressemblent ni à un cul ni à une lampe.

Vous me proposez la paix avec maître Aliboron dit Fréron ; et vous me dites que c’est vous qui voulez bien lui faire sa litière 2. Vous ajoutez qu’il m’a toujours estimé et qu’il m’a toujours outragé. Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise. Vous voyez bien qu’il n’a pu faire de moi qu’un ingrat, et qu’il n’est guère possible que j’aie pour lui les sentiments dont vous dites qu’il m’honore. Paix en terre aux hommes de bonne volonté  ; mais vous m’apprenez que maître Aliboron a toujours été de volonté très maligne. Je n’ai jamais lu son Année littéraire . Je vous en crois seulement sur votre parole.

Pour vous, monsieur, je vois que vous êtes de la meilleure volonté du monde, et je suis très persuadé que vous n’avez imprimé contre moi rien que de fort plaisant pour réjouir la cour ; ainsi je suis très pacifiquement, monsieur, votre, etc. »

2 V* répond sans bienveillance, et même sans aucune pitié à une suggestion que lui a faite Panckoucke d'établir la paix avec Fréron . Le texte de la lettre en question, à laquelle Fréron a sans doute eu part, ne fut-ce que pour en approuver l'intention est citée avec la lettre du 23 mai 176 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/25/j-ai-un-si-violent-mal-de-gorge-que-je-ne-peux-dicter-et-mes-yeux-sont-si-m.html

27/06/2019

si quelque vieux capitaine prend le parti d'aller chez lui tirer un baillage au sort

... il rejoindra le général Georgelin dans un poste civil . L'un pour restaurer Notre-Dame de Paris, l'autre pour tenir une mairie où bon lui semblera .

 

 

« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches

à Lausanne

24 mai [1764]

J'ai exécuté vos ordres mon très aimable Major . La lettre dont vous avez la minute est adressée à mon colonel 1. Il me permet de lui écrire ainsi . Je crois qu'il serait fort aise de vous avoir parmi ses capitaines . Il est fait pour sentir tout votre mérite ; et je crois que son acquisition est immanquable si quelque vieux capitaine prend le parti d'aller chez lui tirer un baillage au sort 2. Vous savez qu'on croit à présent Mme Constant entièrement hors de danger . On a longtemps désespéré d'elle . C'était une chose bien cruelle de la voir périr à la fleur de son âge . Tout le monde la regrettait . Je n'ai pu monsieur avoir l'honneur de vous écrire plus tôt parce que mes yeux m'ont refusé le service pendant trois jours . Je vois à peine ce que je vous écris . Si je deviens aveugle, au moins ne deviendrai-je pas insensible à votre mérite et à votre amitié .

V. »

2 C'est alors un usage bernois de tirer au sort certains emplois parmi ceux qui sont qualifiés pour le remplir ; si un officier suisse obtient un bailliage, il laissera une place vacante dans le régiment de Choiseul .

capable de négocier comme de combattre, digne enfin non seulement de vous servir mais encore de souper avec vous

...

 

« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul

[ vers le 23 mai 1764]

Mon cher colonel, 1

La bavarde marmotte vous importune souvent, mais permettez-moi de vous remercier de la niche que vous faites aux États de Hollande et de Vest Frise de leur enlever M. de Const[ant] . Les braves , et les gens d'esprit doivent servir M. le duc et non pas des bourgmestres ; il est bon d'ailleurs que M. de C. expie le tort qu'a eu le général son père de se battre cinquante ans contre vous . Il est vrai qu'il est fort ingrat envers les Hollandais . Ils ont donné de l'emploi à son fils qui n'a que 12 ans . Le père en capitaine major du régiment des gardes et le seul homme de génie sur lequel on puisse compter dans l'occasion pour défendre Berg ob Zon et Mastrich, il est riche par lui-même, il a de la considération dans son pays, capable de négocier comme de combattre, digne enfin non seulement de vous servir mais encore de souper avec vous etc., etc., etc.

V. »

1 Sur le mot colonel, voir la lettre du 24 mai 1764 à Constant de Rebecque : « La lettre dont vous avez la minute est adressée à mon colonel. Il me permet de lui écrire ainsi . »

26/06/2019

vous connaissez la Guadeloupe ; vous savez qu'il y a encore cinq ou six familles des anciens habitants du pays

... Ce qui est vrai , ou supposé vrai en 1764 l'est-il encore en 2019 ? Combien de ceux qui réclament l'indépendance sont des Caraïbes ? Aucun, je suis sûr . Combien ne la réclament que pour leur propre intérêt ? Tous , sans aucun doute .

 

 

« A Henri Rieu

23 mai [1764 ?]

Mon très cher corsaire, vous connaissez la Guadeloupe ; vous savez qu'il y a encore cinq ou six familles des anciens habitants du pays . Vous savez, et vous m'avez dit que leur peau est rouge, ou du moins j'ai cru vous l'entendre dire 1. Mandez-moi si je me suis trompé , car je veux en avoir le cœur net .

Je vous embrasse bien tendrement .

V. »

1 Le problème de la couleur de la peau des Caraïbes est lié à celui de l'origine des peuples d’Amérique : proviennent-ils, comme le dit la Bible des fils de Noé ? Robert Challe qui connaissait les Antilles, l'évoque deux fois sous cet angle dans le Journal de voyage (Mercure de France , 1979 ), et dans les Difficultés sur la religion,(ed Mortier, 1970 ) . Voir aussi une édition de ce texte dans la collection de la Voltaire Foundation . Voir : https://data.bnf.fr/fr/11895910/robert_challe/

et http://philosophie-clandestine.huma-num.fr/phcldata/data/doc/ms53_Difficultes_sur_la_religion-maz.pdf

25/06/2019

j'ai un si violent mal de gorge que je ne peux dicter, et mes yeux sont si misérables que je ne vois pas ce que j'écris

... Canicule = climatisation à fond = recrudescence de maladies ORL . De "ça me fait suer !" on passe à "j'ai la crève !" , on se fait mettre en arrêt maladie et après ça on ose encore se moquer de ceux qui ralentissent leur activité sous les climats tropicaux !

Et on reporte les épreuves du Brevet pour protéger ces chers bambins, si fragiles qu'ils ne pourraient pas donner le meilleur de leur savoir dans un air au delà de 25°C , alors qu'ils veulent bien s'agglutiner sans limites dans des salles de jeux . Magnifique exemple de ce "bon sens" mis en avant par le  ministre de l'Education, M. Blanquer qui n'en est pas à une ânerie près . Voir le one man show du lèche-cul (avec prompteur, c'est flagrant ! ): https://www.education.gouv.fr/cid143227/canicule-les-epre...

Dans le même temps que le gouvernement ouvre la lutte contre la canicule, une majorité de Français -rois/empereurs de la logique- prépare ses valises pour aller se dorer/cramer sur les plages !   On veut bien se protéger de la chaleur quand il s'agit de travailler ( ou plutôt moins travailler ), mais pas question de faire de même pour les sacro-saintes vacances . Welches vous êtes, Welches vous restez !

Image associée

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

23è mai 1764 1

Mon cher frère, j'ai un si violent mal de gorge que je ne peux dicter, et mes yeux sont si misérables que je ne vois pas ce que j'écris . Il faut pourtant écrire à mon frère . Si vous avez encore un Corneille je vous demande en grâce d'en faire tenir un à M. de La Harpe chez M. de Chimène, rue des Bons-Enfants près du Palais-Royal . Ce La Harpe donne de grandes espérances . Il est plein d'esprit, de raison et de goût .

Je viens de recevoir le mot de l'énigme de la belle paix entre l'illustre Fréron et moi . Panckoucke m'écrit une longue lettre par laquelle il demande un armistice, et propose des conditions 2. Je vous enverrai la lettre et la réponse dès que j'aurai des yeux ou la parole . Interim écr l'inf.

Bonjour, mon frère , M. Cramer me dit que le dernier ballot doit être arrivé, et qu'il y a exemplaires pour M. le d[uc] de Villars .

Mon cher frère, vous êtes notre consolation . »

1 L'édition de Kehl publie le paragraphe central, mais incorporé dans la lettre du 21 mai 1764, d'après un remaniement provenant de la copie Beaumarchais-Kehl .

2 Voici le texte de cette lettre :

« A Paris le 16 mai 1764

«  Monsieur,

« J'ai trouvé dans le fond de M. Lambert une partie d'édition d'un recueil de vos romans etc... Je désirerais en donner une nouvelle au public en y joignant les Contes de Guillaume Vadé etc. J'ornerai cette édition d'estampes, de culs-de-lampes etc.

« Quoique j'aie acquis , monsieur, par la cession de M. Lambert le droit de réimprimer le recueil de ces romans, je crois devoir vous en demander la permission, et je recevrai comme une grâce celle que vous voudrez bien m'accorder .

«  Il y a bien de l'imprudence sans doute au libraire de L’Année littéraire de vous demander des grâces, mais je vous ai déjà prié de croire, monsieur, que je suis bien loin d'approuver tout ce que fait M. Fréron . Il vous a sans doute donné bien des raisons de le haïr ; et cependant, lui, il ne vous hait point . Personne n'a de vous une si haute estime, personne n'a plus lu vos ouvrages, et n'en sait davantage . Ces jours derniers encore dans la chaleur de la conversation, il trahissait son secret, et disait du fond de son cœur que vous étiez le plus grand homme de notre siècle . Quand il lit vos ouvrages immortels, il est ensuite obligé de se déchirer les flancs pour en dire le mal qu'il n'en pense pas . Mais vous l'avez martyrisé tout vivant par vos répliques ; et ce qui doit lui être le plus sensible, c'est que vous l'avez déshonoré dans la postérité . Tous vos écrits resteront . Pensez-vous, monsieur, que dans le secret il n'ait pas à gémir des rôles que vous lui faites jouer ? J'ai souvent désiré pour votre repos, pour ma satisfaction particulière , et pour la tranquillité de Fréron de voir la fin de ces querelles . Mais comment parler de paix dans une guerre continuelle ? Il faudrait au moins une trêve de deux mois ; et si vous daigniez prendre confiance en moi , vous verriez, monsieur, que celui que vous regardez comme votre plus cruel ennemi, que vous traitez ainsi, deviendrait de votre admirateur secret, votre admirateur public.

« Je suis etc. / Panckoucke »